Yann Deberge1, Marion Dacko2
1 : Ingénieur de recherche, Inrap Clermont-Ferrand, UMR 8546 AOROC ; 2 : Ingénieure de recherche, Université de Clermont Auvergne, UAR 3350
Introduction
Le « Quartier des Artisans » est l’un des secteurs de l’oppidum de Gergovie (La Roche-Blanche, Puy-de-Dôme) qui a été exploré le plus intensément et extensivement par le passé. Il a en effet fait l’objet de fouilles successives en 1861, 1935-1937, 1942-1944, 1947 et 1949 avec des résultats tout à fait significatifs révélant notamment une stratigraphie développée et des vestiges nombreux. Malgré cela, la méthodologie employée par les différents intervenants, avec une juxtaposition de fenêtres de fouilles et une perception très variable des vestiges dégagés (sondages ponctuels vs dégagements en aire ouverte ; fouille stratigraphique vs excavation conduite de façon plus ou moins expéditive en tranchée ; dégagements des murs seuls vs fouilles des couches…) et surtout la qualité des comptes rendus publiés empêchent d’avoir une vision d’ensemble claire des aménagements, apparemment très nombreux, dégagés anciennement.
La fouille programmée engagée en 2022 par le biais d’une opération annuelle qui se poursuit en 2023-2025, vise au réexamen de cet ensemble de vestiges par l’étude des archives anciennes, le re-dégagement des fouilles antérieures et leur documentation, l’achèvement et l’approfondissement des dégagements réalisés antérieurement ainsi que par l’agrandissement de la zone étudiée par le passé (prospections drone et géophysique, agrandissement de l’emprise fouillée). Cette opération qui vient compléter les recherches conduites récemment dans ce secteur du plateau (Jud 2013 ; Jud 2014 ; Jud 2015 ; Jud 2016 ; Jud 2017 ; Jud 2020), est motivée à la fois par des objectifs scientifiques (préciser la nature et la chronologie de l’occupation de ce secteur clé de l’oppidum de Gergovie) et patrimoniaux (maintenir une activité de recherche sur ce site majeur, lui donner de la visibilité et engager une réflexion sur le devenir de ces fouilles restées ouvertes « en l’état » depuis 1949).
1. État des terrains et de la documentation avant la reprise des fouilles
Pour rappel, la zone concernée par ce projet de recherche est localisée sur le rebord sud du plateau de Gergovie, au point le plus bas de la large combe qui traverse le plateau du nord au sud (fig. 1). Elle se situe au débouché du chemin vicinal venant du village de Gergovie qui se poursuit ensuite vers le cœur du plateau. Elle est bordée au nord par la seule route (D800) permettant l’accès à la partie orientale du site où se situent les infrastructures d’accueil du public (monument Teillard à la mémoire de la bataille de Gergovie, espace de restauration, musée, parking). C’est un lieu de forte fréquentation, surtout en période estivale, ce que renforce la proximité de l’une des rares zones de stationnement importante du site. Citons pour mémoire que cette dernière comprend sur sa bordure nord les soubassements de la maison de fouille édifiée, avec le concours du général de Lattre de Tassigny, pour accueillir les fouilleurs des années 1940 ainsi qu’en position centrale, le monument érigé à la mémoire des « Gergoviotes » morts pendant la Seconde Guerre mondiale. Les fouilles réalisées dans les années 1930 et 1940 n’ont, pour la plupart, pas été rebouchées à leur achèvement. L’état du terrain était, avant reprise des investigations en 2022, celui du colmatage naturel lié à l’effondrement des bermes en plus, au sortir des années 1940.
Il présentait ainsi une succession de creux et bosses correspondant aux zones excavées et aux déblais issus de ces fouilles, sans que l’on parvienne clairement à distinguer les unes des autres, surtout en période de haute végétation. La limite nord des fouilles des années 1940 était néanmoins clairement visible ainsi que plusieurs excavations plus ponctuelles.
Avant la reprise des investigations en 2022, l’ensemble du secteur était recouvert par une végétation herbacée avec, çà et là, quelques arbres. La pente qui suit immédiatement la zone de fouille au sud était, quant à elle, couverte d’une végétation dense, associant principalement des aubépines et des ronciers.
La documentation disponible avant la reprise des investigations se résumait en grande partie à cinq articles de synthèse publiés entre 1940 et 1950 (Brogan et Desforges 1940 ; Grenier 1943 ; Hatt 1943 ; Hatt 1947 ; Labrousse 1950) assez difficilement interprétables pour ce qui est de percevoir la nature précise de l’occupation du secteur sauf à comprendre que les vestiges étaient nombreux, stratifiés et qu’ils renvoyaient en majorité à la période augustéenne. De la même façon, les plans, d’exécution relativement sommaire, ne permettaient pas de percevoir l’emprise réelle des différents dégagements opérés. Les fonds d’archives liés à ces travaux anciens n’étaient pas identifiés et, enfin, les collections de mobilier exhumées à l’occasion de ces travaux, apparemment bien fournies, n’étaient pas toutes localisées.
2. L’opération de 2022
La fouille de 2022 a été conçue comme une opération annuelle « test » vouée à dresser un bilan documentaire préalablement à de futures investigations inscrites dans la durée (fig. 2)
2.1. Acquisitions Lidar, photogrammétrique par drone et prospection géophysique
En amont de la reprise des fouilles, le secteur a fait l’objet d’une couverture photogrammétrique par dronesur une surface d’1,54 ha (Élise Fovet, Claire Brossard ; MSH de Clermont-Ferrand, plateforme IntelEspace), après élimination de la végétation par les équipes du SEVE du Conseil départemental du Puy-de-Dôme. Ce document permet notamment de repérer des déblais et remblais liés aux recherches archéologiques et/ou vestiges anciens et ainsi de localiser des sondages anciens qui ne figurent sur aucun des plans publiés par les fouilleurs précédents dans cette zone du plateau.
À l’automne, un levé Lidar par drone a été réalisé par la MSH sur une surface de 2,5 ha, venant compléter la première acquisition Lidar générale accomplie en 2016 à l’initiative du SRA Auvergne sur la totalité du plateau de Gergovie.
De la même façon, un relevé géophysique a été entrepris sur les secteurs les moins bouleversés par les recherches anciennes préalablement à la fouille (François-Xavier Simon, cellule géophysique de l’Inrap). Quatre grands profils électriques totalisant 260 m linéaires de développement ainsi qu’une tomographie électrique 3D par tranche portant sur 200 m² ont été réalisés. Les panneaux électriques, effectués en travers de la combe ou dans l’axe de celle-ci, documentent tout d’abord la position du toit de la coulée basaltique. Elle apparaît située, selon l’emplacement, entre 1 et 4 m depuis la surface actuelle du sol. Ils ont également permis la mise en évidence d’anomalies de sub-surface correspondant à des aménagements anthropiques variés dont certains sont identifiables à des vestiges agraires récents et d’autres à des sondages anciens. Le relevé tomographique a quant à lui permis de détecter une anomalie résistive de grande dimension (plus de 12 m de longueur pour 3 m de largeur avec un retour à angle droit) dont l’orientation, cohérente avec les aménagements maçonnés mis au jour anciennement, laisse à penser qu’il s’agit d’une construction ancienne.
2.2. La fouille
L’emprise examinée s’inscrit, peu ou prou, dans les limites des fouilles anciennes. Le décapage général réalisé manuellement a concerné les deux tiers orientaux de la surface fouillée entre 1861 et 1949. Il a révélé un terrain bien plus bouleversé qu’attendu avec des dénivelés de plus de 2 m entre la surface actuelle du sol, assimilable au niveau de circulation des XIXe et XXe s., et le fond des fouilles anciennes aujourd’hui partiellement comblées. Les volumes de terre déplacés anciennement, déblais sortis des tranchées et remblais accumulés en fond de fouille, sont apparus bien plus volumineux qu’envisagés. L’essentiel des investigations de 2022 a porté sur la partie orientale de la zone fouillée anciennement qui a été examinée en aire ouverte sur une surface de 180 m² (sondage 1 et 2). Une autre fenêtre (SD 5), placée dans l’axe d’une dépression linéaire liée à ces mêmes recherches anciennes, a été réalisée depuis cette zone en direction de l’ouest (39 m²). Dans la zone occidentale, celle fouillée de façon plus approfondie par Jean-Jacques Hatt puis par Michel Labrousse dans les années 1940, deux transects de 10 et 20 m ont été réalisés selon un axe nord-sud (SD 3 – 22 m² – et SD4 – 36 m²) (fig. 3).
Concernant les vestiges anciens présents dans ce secteur, il apparaît que le bâtiment le plus tardif présente un aspect bien plus massif qu’envisagé à partir des seuls comptes rendus de fouille. Cette construction, uniquement conservée en fondation, se développe sur au moins 35 m de longueur et associe, sur une partie de son tracé, deux puissants murs parallèles, distants de 4,15 m, avec le mur sud sur le rebord du plateau.
Ces fondations, larges de 1 m en moyenne et d’une profondeur de 1,40 m, sont constituées de blocs de basalte de module très variable (de 0,10 m à 0,60 m) noyés dans un abondant mortier de chaux. Le dégagement des abords de ces maçonneries a permis de retrouver des niveaux de circulation, qui se présentent sous la forme de radiers de blocs de basalte de taille variable, à l’extérieur et à l’intérieur de l’édifice.
Deux murs de refend, qui présentent les mêmes caractéristiques constructives que les maçonneries longitudinales, déterminent un espace carré d’un peu plus de 4 m de côté. Le déblaiement de cet espace, déjà fouillé en 1936-1937, a permis de retrouver l’un des « drains » traversant le mur sud de l’édifice mentionné anciennement. Dans le même espace, ont été retrouvés les vestiges antérieurs à ce grand bâtiment tels que mentionnés dans la publication de 1940. Nos observations confirment leur antériorité par rapport à l’édifice le plus récent. Ces aménagements, très dégradés suite à leur mise au jour au cours des années 1930, sont eux-mêmes postérieurs à un premier ensemble de vestiges qui restent à caractériser. Le déblaiement des autres sondages permet également de repérer des niveaux archéologiques anciens sous la forme d’une alternance de couches (au moins trois) peu ou très chargées en blocs de basalte. Certaines sont riches en charbons avec ponctuellement la présence de scories ferreuses (culots de forges).
La zone occidentale de l’emprise, fouillée par J.-J. Hatt entre 1942 et 1944 puis M. Labrousse en 1947 et 1949, montre des vestiges bien plus dégradés. Ces derniers sont néanmoins bien présents et correspondent aux aménagements les plus anciens figurés sur les plans publiés anciennement. Les murs et couches archéologiques les plus récentes ont en grande partie disparu, ce secteur ayant été fouillé, notamment par J.-J. Hatt, en aire ouverte et non par l’intermédiaire de tranchées comme dans la partie orientale de l’emprise.
Au final, cette première année d’investigation a permis de montrer que, conformément aux données publiées anciennement, l’occupation de ce secteur du plateau de Gergovie est stratifiée avec une épaisseur de plus de 2 m de niveaux archéologiques conservés. Ils renvoient, au minimum, à trois phases d’aménagement successives (six au maximum ?). Quant aux marqueurs chronologiques collectés, du mobilier en quantité assez importante retrouvé en position secondaire dans le comblement des anciennes tranchées de fouille ainsi que quelques éléments prélevés dans les couches archéologiques en place, il apparaît que les plus récents renvoient à la fin du règne d’Auguste, que bon nombre appartiennent à la fin de la période laténienne (La Tène D2) et que quelques-uns renvoient à des phases d’occupation plus anciennes (Chasséen récent, âge du Bronze).
À l’est et au centre de l’emprise examinée, les couches archéologiques paraissent avoir été globalement peu impactées par les dégagements anciens même si ponctuellement ces fouilles ont été conduites en profondeur. À l’ouest, les dégagements ont été plus importants mais n’ont pas totalement détruit les vestiges anciens.
2.3. Analyse documentaire
Parallèlement aux investigations de terrain, un important travail sur la documentation de terrain laissée par nos prédécesseurs a été engagé afin de guider la fouille et d’en assurer la préservation. En 2022, le travail documentaire s’est davantage concentré sur la partie orientale de la zone avec une étude des interventions conduites dans les années 1930 par le comité Pro Gergovia et l’équipe franco-britannique dirigée par Olwen Brogan et Émile Desforges. Ont été notamment étudiées les archives photographiques de Fernand Chirent, témoin des fouilles et propriétaire d’une partie des terrains explorés et les archives scientifiques d’O. Brogan, propriétés de la Society for Libyan Studies hébergées à l’Université de Leicester, comprenant environ 80 documents (notes de fouilles, notes diverses, manuscrits de pré-publication, clichés et négatifs photographiques, relevés planimétriques et stratigraphiques, des croquis, correspondance scientifique de la chercheuse). Les archives ont été transcrites et traduites au format word, selon les normes de l’outil de transcription collaborative en ligne Transcrire (fig. 4).
À proximité de la zone fouillée en 2022, la documentation ancienne permet enfin de localiser plus d’une dizaine de sondages inédits, dont les premiers tests exécutés sur le secteur par le britannique William Noël Lucas-Shadwell en 1935 (parcelle 925) et des excavations situées en contre-haut du « Quartier des Artisans » à proximité du « chemin de la Croix » et en contre-bas de la rupture de pente du plateau, au lieu-dit Regnat.
Enfin, les archives scientifiques de Michel Labrousse, intervenu sur le secteur entre 1947 et 1949, ont été localisées au musée Saint-Raymond de Toulouse. Celles-ci font actuellement l’objet d’un classement et d’un traitement et ne seront accessibles qu’à partir de 2024.
2.4. Le mobilier
L’étude du mobilier permet de confirmer ce qui avait été perçu à l’examen des planches publiées anciennement. L’occupation ancienne du secteur est très discrète. Elle se résume pour l’heure à quelques éléments lithiques (éclats et roche polie) et quelques tessons qui peuvent liés à une occupation du Néolithique moyen II et de l’âge du Bronze. Il est à souligner que la collection exhumée cette année provient très majoritairement des déblais des fouilles anciennes ce qui peut expliquer la faible représentation du mobilier ancien.
Pour le reste, la grande majorité des éléments renvoient à la fin de l’âge du Fer et à la période augustéenne dans son intégralité :
– monnaies de types arvernes (ADCANAVNOS, CICIIDV. BRI/EPAD, EPAD, VERCA) et quelques monnaies romaines du début de la période augustéenne (denier de César Auguste, Dupondii de Nîmes de type 1).
– deux fibules à queue de paon (type Feugère 16a1) renvoient également au règne d’Auguste.
– deux bagues en fer et d’autres éléments liés à la parure et au soin du corps.
Des scories ferreuses en forme de culots ainsi que des chutes de demi-produits présentant des traces de découpe ou de déformation réalisées à chaud témoignent de la proximité d’ateliers de forge. C’est aussi ce que suggère la présence de battitures, en proportion relativement importante, ainsi que de l’outillage.
La collection de tessons de céramique et d’amphore, relativement abondante (7 212 restes pour 101 kg) étant donnée la nature remaniée des couches fouillées, confirme une attribution chronologique assez tardive qui ne dépasserait que de peu la fin du règne d’Auguste.
La vaisselle d’importation, assez abondante, est essentiellement constituée de sigillée italique et, bien plus marginalement, du sud de la Gaule. Plusieurs tessons peuvent avoir une origine lezovienne. La gobeleterie à paroi fine, pour l’essentiel apparemment de production gauloise, associe des formes de tradition tardo-républicaine et augustéennes. Pour le reste, le mobilier céramique associe vaisselles de stockage, de cuisine et de service/présentation, produites régionalement au cours de La Tène D2b et de la période augustéenne, et qui sont courantes en contexte d’habitat. S’y ajoutent des plaques de cuisson ainsi que des terres cuites architecturales (tegulae, imbrices, briques et antéfixe).
2.5. Bilan de l’opération 2022
À l’issue de l’opération de 2022, il apparait que, conformément aux informations données dans les publications anciennes, ce secteur du site offre un potentiel assez inégalé pour l’ensemble du site de Gergovie. Le secteur oriental a été assez peu impacté par les fouilles anciennes en dehors d’une surface restreinte d’une quarantaine de mètres carrés qui a fait l’objet de sondages profonds relativement destructeurs. La stratigraphie semble y être développée et atteindre au moins de 2 m d’épaisseur (le substrat n’a été atteint en 2022 nulle part). Au minimum, trois constructions se sont succédé à cet emplacement. La plus récente correspond à un grand bâtiment maçonné au mortier de chaux qui a été construit, après destruction des aménagements antérieurs, sur le rebord du plateau. Le secteur occidental a plus fortement été impacté par les recherches anciennes. Son étude n’est toutefois pas dénuée d’intérêt. Le réexamen des vestiges dégagés anciennement permettra à terme de proposer une réinterprétation de ceux-ci. De plus, il apparaît que la fouille n’a pas été exhaustive dans ce secteur et l’intégralité de la séquence n’a pas été fouillée anciennement. Des lambeaux de sol, des murs et autres couches archéologiques semblent effectivement être encore conservés.
Le bilan documentaire dressé à l’issue de la campagne de 2022 est apparu finalement très positif confirmant que ce secteur du site de Gergovie, bien que fouillé à des multiples reprises par le passé, a conservé encore un potentiel informatif important.
3. L’opération de 2023
Dans la continuité de celle de 2022, l’opération de 2023 a associé une intervention de terrain conduite sur un espace d’une superficie de 840 m², soit les 2/3 est de l’espace fouillé anciennement, et une étude archivistique.
3.1. La fouille
La fouille proprement dite a été conduite manuellement, la configuration topographique du terrain et l’omniprésence des vestiges permettant difficilement l’intervention d’engins de terrassement comme aide à la fouille. Les travaux de terrain de cette année ont été en intégralité consacrés à l’achèvement du déblaiement des fouilles anciennes et seul un secteur d’une quinzaine de mètres carrés a fait l’objet d’une fouille stratigraphique portant sur les vestiges anciens.
Ces dégagements ont permis d’établir un plan de masse des fouilles anciennes, document qui faisait défaut, ainsi qu’une documentation détaillée (plan de masse, photographie, enregistrement) des vestiges dégagés anciennement dans l’état où ils ont été laissés à l’issue de la dernière campagne de fouille réalisée dans ce secteur.
La zone de fouille a été divisée arbitrairement en 3 secteurs (fig. 5)avec :
– le secteur 1 (environ 275 m²) qui correspond à la partie orientale de l’emprise et qui a été concernée par les travaux de C. Aucler en 1861 puis par ceux d’O. Brogan et E. Desforges en 1936-1937 ;
– le secteur 2 (environ 280 m²) qui correspond à la partie centrale de l’emprise étudiée et qui a été examiné par O. Brogan et E. Desforges en 1936-1937 puis par M. Labrousse en 1947 (?) et 1949 ;
– le secteur 3 (environ 285 m²) qui correspond à la partie occidentale de l’emprise étudiée et qui a été fouillée par J.-J. Hatt en 1944 puis par M. Labrousse en 1947 (et 1949 ?).
Dans le secteur 1, un décapage mécanisé a permis d’évacuer les déblais des fouilles anciennes déposés en cordons, sur 0,50 m d’épaisseur, sur le rebord sud du plateau ainsi que dans l’emprise orientale du grand bâtiment maçonné au mortier de chaux (bâtiment US 158). Les couches de sédiments superficiels surmontant cette construction, peu épaisses (0,40 m au maximum) et presque dépourvues de mobilier, ont été enlevées de la même façon (fig. 6). Outre les trois sondages profonds attribués aux fouilles de 1936-1937, déjà fouillés en 2022, les vestiges liés aux recherches anciennes retrouvés dans ce secteur correspondent à deux étroites tranchées, assez peu profondes qui prennent place le long des murs nord et sud de la construction précédemment mentionnée. Ces sondages en tranchée, à l’évidence destinés à suivre le parement nord des murs, figurent d’ailleurs sur le plan établi en 1936. Ils ont été complétés par quelques sondages ponctuels, courts et peu profonds, réalisés perpendiculairement aux tranchées de sondage.
Dans la partie orientale de l’emprise, un radier de blocs bordé à l’ouest par un amas de pierres correspond au chemin dit « de Merdogne à Gergovie » figurant sur les plans établis en 1861-1862 ainsi que ceux réalisés dans les années 1930. Cet axe de circulation a été utilisé au moins jusqu’en 1922, date de réalisation de la nouvelle route qui est venue l’oblitérer largement.
Le décapage de cette année a également permis la mise en évidence d’un autre amas de pierres, masqué par la végétation, dans l’angle sud-est du secteur 1. Constitué de blocs de taille variable, parfois importante, il contient des éléments (TCA, blocs architecturaux en grés, fragments de mortier) probablement issus de la destruction du bâtiment US 158. L’absence de sédiments entre les blocs suggère que sa mise en place est relativement récente (XIXe s. ?).
Pour le reste, les vestiges plus anciens affleurent partout la surface décapée. Ils n’ont pas été fouillés plus avant dans ce secteur, sauf pour dégager les arases du bâtiment US 158 qui apparaissent directement sous la terre végétale. Il est à noter qu’aucune couche de destruction ne surmonte ces maçonneries, ce qui suggère que des terrassements réalisés anciennement (lors de la mise en culture du plateau après 1792 ? ; lors des fouilles de 1861 ? ; à l’occasion de l’exploitation de la carrière voisine en 1879 ?) ont conduit à l’évacuation totale des éléments liés à la ruine de cet édifice apparemment imposant. Une utilisation de ceux-ci pour combler l’ancien chemin précédemment évoqué est d’ailleurs tout à fait probable.
Toujours dans le secteur 1, une fouille stratigraphique a été conduite dans l’emprise du bâtiment US 158, à l’emplacement du sondage profond réalisé en 1936-1937. Dans cet espace exigu de 18 m², très fortement impacté par les travaux de fouille anciens, la fouille a été conduite jusqu’à atteindre ponctuellement le substrat basaltique qui se situe à une profondeur de 3 m environ depuis le toit des vestiges archéologiques. Elle a révélé une séquence stratigraphique conservée qui se développe sur 1,70 m de hauteur et renvoie à huit phases successives d’aménagements attribuables à une période recouvrant La Tène D2a et le début (?) de la période augustéenne. Ce sondage d’emprise limité permet d’identifier à cet emplacement : un premier aménagement massif de blocs de basalte (remblai, mur ou radier) installé directement sur le basalte et surmonté par épais remblai de blocs, une couche de nivellement, un premier bâtiment à solin de pierre, une succession de radiers de sols extérieurs (voie ou sol), un dallage, un second bâtiment à sol de terre battu associé à une sole de foyer qui a connu au moins une réfection, un troisième bâtiment à mur enduit et au sol de terre battue, des couches de destruction et de remblaiement, et enfin la construction massive aux murs liés au mortier de chaux (US 158). À cet emplacement du site, la puissance des couches archéologiques est d’environ 2,50 m.
Dans le secteur 2, le décapage mécanisé a consisté à évacuer les déblais des fouilles anciennes déposés en cordons sur le rebord du plateau ainsi que la couche de sédiments superficiels (terre végétale) laissée anciennement dans l’emprise du bâtiment US 158 (« buttes témoins » est et ouest), mais aussi immédiatement au nord de celui-ci (au maximum 0,40 m). Il a, comme sur le secteur 1, été conduit jusqu’au toit des couches archéologiques en place qui s’avèrent être conservées aussi bien au nord qu’au sud du bâtiment US 158.
Les quatre sondages profonds attribués aux fouilles de 1936-1937 et/ou 1947/1949, qui n’avaient pas été dégagés en 2022, ont été fouillés en totalité. C’est aussi le cas des différentes tranchées de fouilles qui ont été réalisées dans les années 1930 le long des murs du bâtiment US 158.
Cette fouille a fourni les données suivantes :
- pour la longue tranchée (au moins 11 m de longueur pour une largeur de 1 m et une profondeur initiale de 1,50 à plus de 2 m) située contre la face nord du mur méridional du bâtiment US 158 : le re-dégagement des deux caniveaux repérés en 1936-1937 qui ont des linteaux et piédroit en ignimbrite (ponce du Sancy) ; l’observation sur presque toute sa hauteur du « parement » nord de cette maçonnerie, haute de 1,50 m environ, qui correspond presque uniquement à une fondation avec seule l’assise supérieure (environ 0,20 m) qui peut correspondre à de l’élévation ;
- pour la longue tranchée (au moins 7,30 m de longueur pour une largeur de 0,90 m et une profondeur initiale de 1,40 m) réalisée en direction du nord depuis ce premier mur, le re-dégagement de l’arase du long mur nord-sud lié à l’argile ;
- pour les deux tranchées, assez étroites (0,90 et 0,45 m environ) et peu profondes (environ 1 m de profondeur initiale), réalisées de part et d’autre du mur nord du bâtiment US 158, le dégagement partiel de ses deux faces sur environ 4 m de longueur ;
- pour le premier sondage profond (1,10 m de côtés), réalisé en 1936-1937 au sud de la construction US 158 : la mise en évidence sur 1,50 m de couches archéologiques superposées avec à la base, alors que ce sondage était réputé avoir atteint le substrat, une maçonnerie liée à l’argile ;
- pour le second sondage profond (6,30 par 3,60 m) implanté dans l’axe du mur nord du bâtiment US 158, la mise en évidence sur 2,60 m d’épaisseur de couches archéologiques avec : une couche massive (1 m d’épaisseur) de blocs de basalte, contenant du mobilier (amphores italiques et céramiques), surmontée par plusieurs des niveaux d’occupation et/ou de destruction, recouverts eux-mêmes par un mur lié à l’argile conservé sur plusieurs assises et des couches liées à son utilisation et sa destruction puis par un second mur lié au mortier de chaux et ses couches associées. L’ensemble est surmonté par une couche de blocs de basalte (1 m d’épaisseur) elle-même recoupée par le mur nord du bâtiment US 158 ;
- pour le troisième sondage profond (9 par 6 m) ouvert en 1936-1937 et achevé en 1947/1949, la mise en évidence d’une stratigraphie particulièrement développée avec au moins 3 m de couches archéologiques avec (de bas en haut) : le même épais remblai vu dans le sondage précédent ; un sol extérieur pluristratifié associé à une fosse ou fossé ; un mur massif conservé sur 0,70 m de hauteur et dégagé sur 16 m de longueur associé à un second mur, moins massif, qui lui fait face ; une succession de couches évoquant une élévation en terre crue détruite ; le mur lié à l’argile, postérieur aux précédents aménagements, déjà mis au jour dans le sondage évoqué ci-dessus ; un second mur, perpendiculaire au précédent ; un sol, une couche d’incendie (?) et une probable élévation en terre crue effondrée ; un épais remblai de blocs de basalte surmonté par un radier de blocs ;
Le secteur 3, correspondait, au début de la fouille, à un espace plus uniformément déprimé (-2 m en moyenne depuis la surface de circulation actuelle), suggérant que cette partie du site, étudiée d’abord par J.-J. Hatt en 1944 puis par M. Labrousse en 1947/1949, avait été fouillée en aire ouverte jusqu’à une cote basse assez faible mais variable selon l’emplacement. De plus, deux sondages profonds ont été réalisés dans la partie sud de l’emprise, là où la puissance des couches archéologiques augmente de façon importante parce que le toit de la coulée basaltique plonge brusquement. Le premier, situé dans la partie ouest de cette dépression naturelle et de 8 m par 4 m, semble avoir été réalisé par J.-J. Hatt, probablement en 1944, notamment pour procéder à la fouille de l’un des puits découverts dans le secteur. Le second se développe à l’est du précédent et une berme de deux mètres les séparent. Très probablement réalisé par M. Labrousse, il s’agit d’une excavation en forme de T d’environ 30 m² d’emprise au sol.
Dans ce secteur, les vestiges anciens sont nombreux et correspondent à des remblais, des murs, des sols extérieurs ou intérieurs, des couches d’occupation et d’abandon/destruction, deux puits, un caniveau couvert… Le niveau d’achèvement de leur fouille n’a pas été le même partout dans les années 1940 et ils renvoient, dans leur état de dégagement actuel, à des phases différentes de l’occupation ancienne du secteur (fig. 7).
Les reliefs linéaires perçus en 2022 après élimination de la végétation de surface dans la partie ouest de ce secteur correspondent bien aux amas de pierres sèches figurant sur les plans publiés en 1947 et 1950 et identifiés, sur ces documents, à des murs (fig. 7d). Plusieurs ont été détruits partiellement et d’autres presque totalement. L’un d’eux correspond à un caniveau couvert, ce qui n’avait pas été vu par nos prédécesseurs (fig. 7e). Ces maçonneries délimitent des espaces identifiés, sur les plans des années 1940, à des pièces de bâtiments accolés.
Les deux puits ou citernes fouillés anciennement ont été retrouvés (fig. 7b et 7c). La structure de puisage nord (la « citerne 3 »), fouillée par M. Labrousse, comporte un cuvelage rectangulaire maçonné en pierres sèches qui a été partiellement détruit à l’occasion de son remblaiement après 1949.
Se retrouvent également dans ce secteur les deux longs murs qui bordent au nord l’emprise de fouille (fig. 7f et 7 g). Ces aménagements, qui semblent être contemporains, sont associés à des radiers de blocs qui viennent recouvrir leur arase. Dans l’état actuel de leur dégagement, ils semblent correspondre à de longs murs de terrasse même s’il n’est pas impossible qu’ils aient eu une fonction autre. Le re-dégagement de ces fouilles anciennes révèle, comme dans les secteurs 1 et 2, une stratigraphie développée avec, selon l’emplacement, 0,50 m à au moins 2,80 m de couches archéologiques conservées.
D’une manière générale, ce secteur révèle la même succession de couches et de vestiges maçonnés vue dans les sondages profonds réalisés plus à l’est.
En conclusion, la fouille de 2023, dont le principal objectif était de redégager les excavations liées aux recherches archéologiques anciennes, permet de percevoir l’ampleur des terrassements occasionnés par ces travaux. Dans la partie ouest de l’emprise (secteur 3 et une partie du secteur 2), nous estimons que ceux-ci ont concerné environ 500 m³ de sédiments dont une grande partie correspondait à des couches et vestiges archéologiques. Sur le secteur 1 et l’essentiel du secteur 2, ceux-ci ont été moins importants avec un volume de sédiments déplacés d’environ 130 m³ (sans prendre en compte la disparition des couches liées à la destruction du bâtiment US 158).
Nos observations permettent de rendre compte de la diversité des méthodes employées par ces différents intervenants, qui n’en font jamais la description dans leurs comptes rendus de fouille, avec :
- pour les fouilles de 1861 (C. Aucler et M. Boudet) : des dégagements en tranchées et/ou planimétriques étendus qui ont laissé peu de traces probablement parce qu’ils ont été très superficiels et ont été « gommés » par les travaux ultérieurs, notamment ceux des années 1930 ;
- pour les fouilles de 1936-1937 (O. Brogan et E. Desforges) : des dégagements sous la forme de tranchées étroites et généralement assez peu profondes réalisées pour suivre les arases des maçonneries les plus récentes avec quelques sondages profonds, ponctuels ou sous la forme de tranchées, qui n’ont presque jamais été atteints le substrat ;
- pour les fouilles de 1942-1944 (J.-J. Hatt) : une fouille en aire ouverte, avec des dégagements conduits au droit des murs, ceux-ci ayant été laissés en élévation, complétés par un sondage profond d’emprise limitée. Ces travaux n’ont que ponctuellement atteint le substrat ;
- pour les fouilles de 1947 et 1949 (M. Labrousse) : une fouille en aire ouverte avec deux sondages profonds d’emprise importante, relativement destructeurs. Le substrat n’a été atteint que ponctuellement.
Les dégagements de 2023 confirment également la matérialité des vestiges dégagés anciennement ainsi que l’existence d’une stratigraphie développée renvoyant à plusieurs phases d’occupation.
3.2. Étude documentaire
Parallèlement à la phase de terrain, le travail sur la documentation de terrain s’est poursuivi (fig. 8).
L’année 2023 a été principalement vouée à un examen multiscalaire de la documentation de Jean-Jacques Hatt inhérente aux campagnes de fouilles de 1942-1944. Si l’analyse s’est davantage concentrée sur la moitié ouest du secteur 3 de l’emprise de fouilles actuelle (étudiée en 1944), l’attention s’est aussi portée sur l’ensemble des investigations conduites pendant la Seconde Guerre mondiale sur le « Quartier des Artisans ».
Cette documentation étudiée provient de quatre fonds distincts : 1) les archives conservées au musée Bargoin de Clermont-Ferrand, scannées par les équipes du musée durant les mois de février et mars 2023, dans le cadre d’un archivage numérique de l’ensemble des fonds documentaires du musée et de la réalisation d’une photothèque ; 2) les archives conservées à la Médiathèque du patrimoine et de la photographie à Charenton-le-Pont, photographiées en septembre 2023 ; 3) les archives conservées par la famille Hatt, scannées par les soins de Thierry Hatt en juin 2022 ; 4) les archives conservées au Service régional de l’archéologie Auvergne-Rhône-Alpes (site de Clermont-Ferrand), photographiées en mai 2023.
3.3. Mobilier
L’étude du mobilier qui, rappelons-le, provient essentiellement des remblais accumulés au fond des excavations anciennes, permet d’abord de révéler des différences dans l’échantillonnage pratiqué par nos prédécesseurs. Par unité de sédiment fouillé, il apparaît que les fouilleurs des années 1930 ont finalement collectés bien moins de céramiques, d’amphores, de terres cuites architecturales et de petits mobiliers que ceux des années 1940. Ces derniers semblent en revanche avoir collecté le mobilier amphorique et TCA selon des modalités différentes, J.-J. Hatt paraissant avoir été plus exhaustif dans sa stratégie d’échantillonnage. Tous en revanche n’ont que très peu ramassé les restes de faune.
Comme ce qui avait été perçu en 2022, les vestiges mobiliers signalant une occupation ancienne sont également très discrets et se résument à quelques éléments lithiques (9 éléments) et quelques tessons qui peuvent être liés à une occupation du Néolithique moyen II et de l’âge du Bronze et/ou au premier âge du Fer. À signaler également la présence de quelques éléments qui renvoient aux IIIe-IIe s. av. J.-C. (jattes à bord rentrant et lèvre d’amphore italique de classe 1 théoriquement assimilable à une gréco-italique).
Comme l’an passé, la collection exhumée cette année provient très majoritairement des déblais des fouilles anciennes (92 % du NR, 89 % du NMI) et renvoie à une période allant de LT D2a à la période augustéenne dans son intégralité :
- le monnayage associe notamment des types datés de La Tène D2a (EPOS, CICIIDV. BRI/EPAD) et b (EPAD) et du début de la période augustéenne (VERCA, SEX F / T POM) ainsi que plusieurs romaines de la période augustéenne (semis d’Auguste de Reims et dupondii de Nîmes de type 1).
- sept fibules en fer sont trop lacunaires pour être identifiées (ardillons, fragments d’arc et de ressort). Une des deux fibules en alliage cuivreux renvoie au type dit « à queue de paon archaïque » (type Feugère 15a) attribuée à la première moitié du règne d’Auguste.
- une possible nouvelle bagues en fer et divers objets de parure.
- de façon moins certaine, trois objets semblent correspondre à des militaria avec : une possible boucle (de cingulum ou de sous-ventrière) à cadre trapézoïdal en alliage cuivreux ; une hypothétique extrémité d’umbo fusiforme doté de deux pattes de fixation ; une boucle à cadre rectangulaire en attente d’identification définitive ; un probable anneau de cotte de maille.
- « l’outillage domestique » en métal est assez peu abondant : un miroir très fragmentaire, une spatule ou extrémité de ciseau à bois, deux curseurs de balance. Nombreux fragments de plaques de cuisson et quelques éléments de foyers fixes.
- les éléments en roche ou en terre cuite sont bien plus nombreux avec un pilon en arkose, un aiguisoir en micaschiste, cinq metae et huit catilli de meules rotatives en trachyandésite originaire de la Chaîne des Puys et du Massif du Sancy.
- s’y ajoute une abondante collection de clous de charpente/construction et divers éléments de quincaillerie. Renvoient également au domaine de la construction, 2106 fragments de terres cuites architecturales parmi lesquels sont identifiés 21 briques (NMI), 150 tegulae (NMI) et 95 imbrices (NMI). 17 fragments de torchis témoignent également de la présence d’élévations en terre crue.
- la présence de très nombreux clous de chaussures, dont beaucoup sont pourvus d’une contremarque, signale probablement un espace dédié à la circulation.
Comme l’an passé, des scories ferreuses en forme de culots pour l’essentiel d’assez petite dimension, des chutes de demi-produits et de travail présentant des traces de découpe ou de déformation réalisées à chaud témoignent de la proximité d’ateliers de forge. C’est aussi ce que suggère la présence de battitures, en proportion toutefois moindre que l’an passé. L’outillage est représenté par une lime d’identification incertaine (en attente de nettoyage) et une tuyère de forge de grande dimension (34 cm x 24 cm x 12 cm) en trachyrhyolite du Sancy qui a été retrouvée complète dans le comblement du puits fouillé en 1944. S’ajoutent à ces éléments qui témoignent de la tenue sur place d’activités de post-réduction consistant essentiellement en une forge d’élaboration à partir de demi-produits en forme de barres importées, une trentaine d’éléments cuivreux et plombeux qui renvoient à l’artisanat des métaux fusibles et plus précisément à la fonte et à la finition (chute martelée et/ou découpé).
La collection de tessons de céramique et d’amphore, relativement abondante (12 265 restes pour 240,3 kg) étant donnée la nature remaniée des couches fouillées, confirme une attribution chronologique assez tardive qui ne dépasserait que de peu la fin du règne d’Auguste.
Le faciès des amphores (NMI de 110) est diversifié avec, à côté des importations italiques (essentiellement des Dressel 1 de classe 2, 2/3 et 3 ainsi que quelques Dr. 2/4) qui dominent, la présence d’amphores hispaniques (de Tarraconaise – Dr. 1, Tarr. 1, Pascual 1, Dr. 2/4- et de Bétique – Haltern 70, Oberaden 83, Dr. 7-11 et 12) Les productions ayant une autre origine sont très peu représentées. À signaler également la présence de sept restes originaires des Îles Lipari (Richbourough 527) qui proviennent de plusieurs récipients différents.
La vaisselle d’importation, assez abondante (83 récipients) est essentiellement constituée de sigillée originaire d’Italie (formes des répertoires archaïques, précoces et classiques). Les sigillées de Gaule du sud semblent absentes et les productions gauloises sont originaires des succursales augustéennes de Lyon et de Gaule Centrale notamment de Lezoux. D’autres importations (campaniennes Boïde, gobelets à parois fines, céramiques culinaires italiques, balsamaires, luminaires, pâtes claires méridionales ou rhodaniennes…) sont également présentes.
Pour le reste, la céramique de production régionale associe vaisselles de stockage, de cuisine et de service/présentation (essentiellement des gobelets ou cruches et formes basses de typologie très diverse), produites régionalement au cours de La Tène D2b et de la période augustéenne, et qui sont courantes en contexte d’habitat. Plusieurs éléments, encore peu nombreux, collectés dans les couches en place observées à la base de la séquence stratigraphique renvoient à La Tène D2a ou tout début de La Tène D2b.
Enfin, quelques objets en métal ou verre renvoient également au domaine de la vaisselle avec : une possible anse de cruche en alliage cuivreux ; deux balsamaires très lacunaires en verre (translucide gris-bleu et rose violacé) ; cinq coupes hémisphériques en verre (translucide de couleur verte très pâle -2 ex.-, bleu-vert -2 ex.- et jaune olive) moulé et taillé appartenant au type dit « linear cut » attribué à la période augusto-tibérienne.
3.4. Bilan de l’opération 2023
L’opération de 2023, essentiellement consacrée à la fouille des fouilles anciennes, a permis d’établir le plan de masse des travaux anciens, document qui faisait défaut, et d’en établir la chronologie. La méthodologie employée par chacun des intervenants passés a également pu être définie de même qu’a pu être précisé l’impact de ces dégagements anciens sur la conservation des vestiges anciens. Il apparaît ainsi que si de 1936-1937 à 1942-1944 les observations ont sensiblement gagné en qualité, les interventions de 1947 et 1949 semblent avoir été relativement expéditives et assez destructrices. Finalement, si la partie orientale de l’emprise examinée en 2023 paraît avoir été assez peu impactée par les fouilles anciennes, en dehors d’une surface restreinte d’une quarantaine de mètres carrés qui a fait l’objet de sondages profonds, ce n’est pas le cas de sa partie occidentale où les recherches passées ont été plus invasives avec des dégagements en plan et des sondages profonds étendus.
Les travaux réalisés cette année ont également permis de retrouver l’essentiel des vestiges mentionnés dans les comptes rendus publiés anciennement. Ces vestiges, nombreux et souvent bien préservés, ont fait l’objet d’une nouvelle documentation établie selon les standards actuels. Le re-dégagement des fouilles anciennes montrent que le substrat n’a presque jamais été atteint lors de fouilles anciennes et que la stratigraphie est effectivement très développée dans ce secteur du site de Gergovie avec, au maximum, près de 3 m de couches archéologiques. La configuration topographique du secteur semble être à l’origine de ce cas de figure particulier.
Les observations stratigraphiques réalisées dans le sondage profond réalisé en 2023 révèlent, de façon cohérente avec celles faites en d’autres points de l’emprise, que l’aménagement le plus ancien du secteur correspond à un remblai massif constitué essentiellement de gros blocs de basalte. C’est sur ce remblai, apparemment mis en place au cours de La Tène D2a et dont l’épaisseur atteint jusqu’à un mètre, que prend place une occupation d’abord caractérisée par l’installation de sols construits, associés à au moins une structure en creux de grande dimension, puis par celle de trois voire quatre ensembles de constructions sur solins empierrés qui se succèdent dans le temps. L’emprise, l’organisation et la fonction de ces bâtiments, qui semblent avoir été dotés d’élévations en terre crue, restent à déterminer, mais il est probable qu’ils ont eu pour vocation l’habitat et/ou l’artisanat. Cette occupation paraît principalement à vocation domestique avec toutefois une fonction artisanale qui se confirme avec par ordre d’importance décroissante la métallurgie du fer, celle des métaux non ferreux, la tabletterie et, de façon moins certaine, le travail des textiles et du cuir. Sur la zone étudiée, cette occupation présente toutes les caractéristiques d’un site urbain. S’il est trop tôt pour proposer un phasage définitif de l’ensemble des vestiges, ceux-ci renvoient à aux moins six phases d’aménagement différentes pour la seule période comprise entre le milieu du Ier s. av. J.-C., ou peu avant, et le premier quart du siècle suivant.
À une date qui reste à préciser (mitan du règne d’Auguste ?), ces aménagements ont été détruits et le secteur a fait l’objet d’un nivellement afin d’accueillir la vaste et massive construction maçonnée au mortier de chaux qui se développe sur plus de trente mètres de longueur en rebord de plateau. La fonction de ce bâtiment, presque uniquement conservé en fondation et de plan atypique (parce qu’incomplet ?), reste à déterminer (un élément de fortification ? ; une porte ? ; un bâtiment à vocation autre ?).
4. Bilan 2022-2023 et perspectives 2024-2025
Le dégagement des fouilles anciennes ayant été réalisé en totalité ou presque au cours des années 2022-2023, les campagnes de 2024-2025 seront en intégralité consacrées à l’étude des vestiges anciens. Parallèlement, l’étude des archives liées aux fouilles anciennes sera poursuivie et portera essentiellement sur les fouilles réalisées par M. Labrousse en 1947 et 1949.
L’objectif des deux années de fouille à venir est donc de collecter les informations subsistantes sur des vestiges largement dégradés dans la partie occidentale de l’emprise, avant que ne soit entrepris le rebouchage de ce secteur, d’obtenir des informations stratigraphiques et planimétriques de meilleure qualité dans un secteur central et de collecter des données nouvelles sur les phases les plus récentes de l’occupation du secteur dans la partie orientale de l’emprise qui a finalement été peu touchée par les recherches anciennes (fig.9).
Les objectifs scientifiques pour les années 2024-2025 restent inchangés par rapport à ceux formulés initialement à la reprise des fouilles en 2022 étant entendu que la prise en compte des vestiges liés aux fouilles des années 1860, 1930 et 1940 a été achevée en presque totalité en 2023. Cette fouille, qui vient compléter les recherches conduites récemment dans ce secteur du plateau (Jud 2013 ; Jud 2014 ; Jud 2015 ; Jud 2016 ; Jud 2017 ; Jud 2020), a pour principal but de préciser la nature et la chronologie de l’occupation ancienne qui se développe dans de ce secteur clé de Gergovie situé au croisement de la fortification gauloise (dont le tracé n’est pas définitivement établi ici) et d’une voie d’accès au plateau ce qui désigne le lieu comme correspondant à l’une des portes de l’oppidum, tout en prenant en compte d’éventuelles occupations plus anciennes (ou plus récentes) pour l’heure très discrètes.
L’ambition finale de cette opération de recherche est, outre les aspects patrimoniaux évoqués ailleurs (études des dégagements anciens, valorisation des archives anciennes) de parvenir à renouveler l’état des connaissances sur l’occupation, apparemment particulièrement intense et dynamique, qui prend place dans ce secteur de l’oppidum et pour laquelle la dernière publication en date la concernant remonte à 1950.
Bibliographie
Brogan et Desforges 1940 : Brogan O., Desforges E., « Gergovia », The Archaeological Journal, 97, pp. 1‑36.
Grenier 1943 : Grenier A., « Les fouilles de Gergovie (Introduction) », Gallia, 1‑2, pp. 71‑82.
Hatt 1943 : Hatt J.-J., « La Campagne de 1942 », Gallia, 1‑2, pp. 97‑124.
Hatt 1947 : Hatt J.-J., « Les fouilles de Gergovie (Campagne de 1943 et de 1944) », Gallia, 5‑2, 271‑300.
Jud 2013 : Jud P., Gergovie, Sondage 2013, Rapport de fouille programmée 2013, Clermont-Ferrand, La Roche-Blanche : SRA Auvergne-Rhône-Alpes.
Jud 2014 : Jud P., Gergovie, Rapport de fouille programmée 2014, Clermont-Ferrand, La Roche-Blanche : ASG/SRA Auvergne-Rhône-Alpes.
Jud 2015 : Jud P., Gergovie, Rapport de fouille programmée 2015, Clermont-Ferrand, La Roche-Blanche : ASG/SRA Auvergne-Rhône-Alpes.
Jud 2016 : Jud P., Gergovie, Rapport de fouille programmée 2016, Clermont-Ferrand : ASG/SRA Auvergne-Rhône-Alpes.
Jud 2017 : Jud P., Gergovie, Rapport de fouille programmée 2017, Clermont-Ferrand, La Roche-Blanche : ASG/SRA Auvergne-Rhône-Alpes.
Jud 2020 : Jud P., Gergovie, Rapport de fouille programmée 2018, 2 vols., Clermont-Ferrand, La Roche-Blanche : ASG/SRA Auvergne-Rhône-Alpes.
Jud 2022 : Jud P., « La porte sud de la ville gauloise de Gergovie, Un bilan », Bulletin de l’ASG, La Roche-Blanche, 43, pp. 21‑25.
Labrousse 1950 : Labrousse M., « Les fouilles de Gergovie, Campagnes de 1947 et 1949 », Gallia, 8, pp. 14‑53.