Un accessoire de cuisine en céramique : les plaques de cuisson

Un accessoire de cuisine en céramique : les plaques de cuisson : publié dans les Chroniques ARAFA n° 2 – 2023

Christine Mennessier-Jouannet

Depuis les premières fouilles exécutées en Limagne d’Auvergne sur des sites gaulois, notamment par Robert Périchon et John Collis, des fragments nombreux mais difficilement identifiables à une quelconque activité ont été trouvés mélangés avec les tessons, la faune, et toute sorte d’objets brisés et au rebut. Bref, dès le début, ils ont été compris comme appartenant à la sphère domestique, à la maison. Des traces de feu remarquables sur la surface supérieure les ont identifiées à des accessoires de foyer domestiques : de là, leur premier appellatif de « plaque de foyer ». Le terme a été ensuite repris par l’ensemble des acteurs de l’archéologie. Il prête pourtant à confusion, car une « plaque de foyer » se rapporte à un objet plat posé verticalement contre un mur ou une paroi de fond de cheminée et ayant pour fonction de réfléchir la chaleur fournie par un foyer lui-même au sol. Nous lui préférons donc l’expression de « plaque de cuisson » en raison des stigmates de feu présents la partie supérieure.

Un accessoire de cuisine en céramique : les plaques de cuisson. Figure 1 : plaque de foyer quadrangulaire. Document R. Périchon (Périchon et Vichy 1967, planche 1, p. 312)

En 1967, sur le site de La Grande Borne, terroir appartenant au « site d’Aulnat » ainsi nommé par Jean-Jacques Hatt et Pierre-François Fournier dans la publication annonçant sa découverte (Hatt 1942), Robert Périchon a fouillé deux de ces plaques dans leur position d’origine, presque intactes et pour l’une d’elles posée sur le sol d’une structure bâtie et environnée de charbons de bois et de mobilier.

Nous savons que l’espace construit était d’une faible superficie d’environ 8 m² et cloisonné en matériaux légers : « elle [la plaque] était au centre de l’un des côtés les plus étroits d’une aire de forme rectangulaire encombrée de déchets de nourriture et de fragments de céramique… ». Pour l’autre, nous apprenons qu’elle était environnée de petits trous de piquets disposés en triangle, indices d’une installation pour suspendre un récipient (Périchon et Vichy 1967). Un croquis est fourni dans l’article (fig. 1).

Ultérieurement, l’étude reprise par Zoé Poucher en 1995 semble avoir été menée sur la base de l’article de 1967

Figure 1 : plaque de foyer quadrangulaire. Document R. Périchon (Périchon et Vichy 1967, planche 1, p. 312)

Depuis cette date, aucune découverte semblable n’a été faite en Auvergne. De plus, ces deux plaques ont été probablement séparées du reste du mobilier et sont actuellement perdues. Il nous faut travailler sans ces précieux témoins.

Nous ne disposons que de trois autres plaques suffisamment conservées pour apprécier leur morphologie : deux portions de plaque provenant également de La Grande Borne (fouille Périchon) et une autre provenant de la ZAC des Trois Fées à Cébazat (fouille 2013, par Anne Duny, Paléotime).

Pour le reste, des milliers de fragments de plaque proviennent de rejets domestiques. On les retrouve en position secondaire dans les puits, les fossés des habitats enclos ou les silos réutilisés en dépotoirs et leur petite dimension ne permet pas de restituer leur forme complète.

En Limagne d’Auvergne, leur fabrication et leur utilisation est attestée de la fin du VIe siècle avant notre ère jusqu’aux débuts de l’époque romaine.

Notre propos sera d’envisager comment mettre en évidence une description la plus poussée possible de ces plaques pour lesquelles les zones vides sont plus importantes que les zones renseignées. Il s’agira ensuite de comprendre leur évolution dans le temps et enfin de rendre plus précis leur contexte d’utilisation.

I. Description

Celle de La Grande Borne dont il reste un dessin, mesure 58 × 55 cm pour une épaisseur donnée de 2 cm. En général, l’épaisseur de chaque plaque est très stable au millimètre près avec seulement un creusement léger et plus ou moins accentué le long du rebord. Cette plaque est munie d’un système de rebords dissymétrique : sur l’un des plus longs côtés, le rebord mesure 7 cm de haut et les trois autres semblent identiques avec une hauteur de 3,8 cm. Le poids total n’est pas donné. Au moins deux côtés sont décorés de digitations, thème décoratif fréquent pendant La Tène ancienne et moyenne (Périchon et Vichy 1967 ; Poucher 1995).

Celle du site des Trois Fées à Cébazat est composée de 28 fragments pesant 6,580 kg dont 23 recollent et forment partiellement un angle de cette plaque (fig. 2). Les deux côtés de cet angle sont rectilignes, confirmant une forme générale quadrangulaire, carrée ou rectangulaire. L’un des rebords est marqué par une légère inflexion d’environ 1 cm, tandis que l’autre côté est plus marqué avec une hauteur depuis la base de plus de 5 cm. Son épaisseur varie entre 2,5 cm et 2,9 cm vers le centre. Cette zone présente un renflement de quelques millimètres, peut-être dû à un rechapage qui permet de restituer un profil complet, ce qui induit une largeur d’environ 48 cm. L’autre axe, incomplet, a été reconnu sur 52 cm. La surface de la plaque avoisinerait le quart de mètre carré. Si la partie remontée pèse 6,5 kg et qu’elle représente environ le tiers de la plaque, celle-ci ferait un poids de 20 kg au minimum, ce qui est déjà considérable.

Les deux autres fragments de plaques provenant de la fouille de Robert Périchon à La Grande Borne sont également quadrangulaires. Dans les deux cas, un seul angle est conservé avec des rebords bas et décorés pour un exemplaire par de longues entailles obliques. Le poids conservé est de 5 kg pour l’un avec une représentation probable du tiers de la plaque, soit 15 kg et de 2 kg pour l’autre plus faiblement documentéau 1/5e de sa surface, ce qui fournit un poids plus faible de 10 kg environ.

Un accessoire de cuisine en céramique : les plaques de cuisson. Figure 2 : plaques de cuisson parmi les mieux conservées. A : Cébazat (63), Les Trois Fées. Puits 1490, us 1298 (fouille A. Duny) ; B : Clermont-Ferrand (63), La Grande Borne (fouille R. Périchon), carré B24AT ; C : Clermont-Ferrand (63), La Grande Borne (fouille R. Périchon), carré B24AV

Figure 2 : plaques de cuisson parmi les mieux conservées. A : Cébazat (63), Les Trois Fées. Puits 1490, us 1298 (fouille A. Duny) ; B : Clermont-Ferrand (63), La Grande Borne (fouille R. Périchon), carré B24AT ; C : Clermont-Ferrand (63), La Grande Borne (fouille R. Périchon), carré B24AV

La masse des fragments épars fournit de multiples éléments qui valident une forme sûrement quadrangulaire et l’asymétrie au moins fréquente des hauteurs des rebords. Le recours à des argiles identiques à celles qui servent à la production des vases et récipients indique que nous avons affaire à des objets qui font partie du quotidien. Leur mise en forme assez uniforme d’un fragment à l’autre, de même que les traitements de surface donnent l’impression d’une production relativement standardisée.

Les modes de fabrication vont dans le même sens : les plaques sont pour certaines moulées sur des supports en bois, mais pour d’autres mises en forme sur des surfaces planes, graveleuses ou sableuses comme le montrent les traces laissées sur la surface inférieure. Elles sont ensuite mises à sécher, puis cuites comme les céramiques, ce que confirme l’uniformité des traitements des surfaces inférieures. Dans de nombreux cas, les finitions, soit raclées, soit égalisées ou même lissées des surfaces inférieures rendent difficile, sinon impossible, l’observation du mode de production. Dans tous les cas, il s’agit d’un travail bien fait, notamment pour la surface supérieure.

II. L’évolution dans le temps

Parmi de nombreux éléments descriptifs de ces plaques, un seul est apparu au fil de l’étude comme nettement discriminant du point de vue chronologique : l’épaisseur des plaques.

Dès les premiers moments du second âge du Fer, la forme quadrangulaire est acquise, l’asymétrie des rebords est aussi présente, la composition des pâtes plutôt grossières à mi-fines est la norme, le traitement soigné de la base est identique sur l’ensemble de la période laténienne. Les décors peuvent ouvrir la brèche à un peu plus de variété : il n’y en a pas sur les plaques les plus anciennes (Ha D3 – LT A1 : Auvergne-étape 1), ils apparaissent ensuite sous forme de longues entailles obliques ou de torsades disposées le long du sommet d’un ou plusieurs rebords durant le IVe siècle avant notre ère (LT B1 : Auvergne-étape 2) mais ne deviennent fréquent qu’à partir du IIIe siècle (LT B2 et C1 : Auvergne-étapes 3 à 5). Leur longévité jusqu’à la fin du IIe siècle av. rend difficile leur utilisation pour dissocier chronologiquement des étapes particulières. Une autre distinction morphologique existe, mais trop discrète pour être prise en compte sur le long terme : l’absence de rebord sur les plaques les plus anciennes (Auvergne-1) au moins sur un côté. En fait, seule l’épaisseur du plateau lui-même, par chance uniforme sur chacun des fragments mesurés, a mis en évidence une évolution dans leur fabrication.

Ce constat a été rendu possible grâce à l’inventaire fait sur des ensembles de référence sélectionnés pour leur représentativité chronologique. Un des enjeux de la publication collective de 2017 était de classer la céramique commune sur la période du Ve au Ier siècle avant notre ère et d’ancrer ce classement sur celui de mobiliers mieux datés (métal, verre, monnaies…). C’est dans ce cadre que le classement des plaques de cuisson s’est inséré sur la base des épaisseurs des plateaux (Fig. 3c).

Un accessoire de cuisine en céramique : les plaques de cuisson. Figure 3  : étude de cas documentant l’importance de l’épaisseur des plaques pour leur datation.
A  : La période de bascule entre plaques fines et épaisses intervient dans la 2ᵉ moitié du IIIe siècle av. notre ère ;
B  : Sur la longue durée, des plaques fines peuvent être présentes dans les étapes récentes, mais aucune plaque épaisse de plus de 2 cm n’existe avant le début du III e siècle av. ;
C : Tableau récapitulatif de l’ensemble des sites exploités dans le cadre de la publication de 2017 ( Mennessier- Jouannet et Deberge 2017)
Figure 3  : étude de cas documentant l’importance de l’épaisseur des plaques pour leur datation.
: La période de bascule entre plaques fines et épaisses intervient dans la 2ᵉ moitié du IIIe siècle av. notre ère ;
: Sur la longue durée, des plaques fines peuvent être présentes dans les étapes récentes, mais aucune plaque épaisse de plus de 2 cm n’existe avant le début du III e siècle av. ;
: Tableau récapitulatif de l’ensemble des sites exploités dans le cadre de la publication de 2017 ( Mennessier- Jouannet et Deberge 2017)

Deux exemples illustrent cette démarche. Le site des Trois Fées a connu une occupation sur la longue durée et la période gauloise y est représentée à partir du IVe siècle avant jusqu’à la conquête romaine. Les plaques ont été décrites en même temps que la céramique des différentes structures où elles se trouvaient : ainsi la plaque présentée ci-dessus côtoyait de la céramique attribuable à LT B2b ou C1, ce qui la date du IIIe siècle avant notre ère. Sur le graphique (Fig. 3b) on observe que :

  • Les plaques d’épaisseur comprise entre 1,4 et 2 cm proviennent des niveaux rattachés au premier grand enclos d’habitat mis en place à LT B, soit au IVe siècle.
  • Lors de la restructuration de l’habitat avec le creusement d’un grand fossé (LT B2b/C1 au IIIe siècle), les mesures se décalent avec trois plaques entre 1,7 et 1,9 cm, mais surtout 5 plaques entre 2 et 2,5 cm et plus rien au-delà de 2,9 cm pour certains exemplaires.
  • Ce n’est qu’à partir de LT C2 et jusqu’à LT D1a, au IIe siècle, que les épaisseurs dépassent les 2,9 cm.

Des blocs se dessinent ainsi qui ont valeur chronologique. Ce classement obtenu sur la base de 55 fragments est consolidé par des données quantitativement plus importantes. Ainsi, le graphique (Fig. 3a) met une focale sur la répartition durant le IIIe siècle en dissociant les deux périodes de LT B2b et LT C1 avec respectivement un total de 185 et 98 restes. Le même phénomène de glissement des épaisseurs s’observe d’une phase à l’autre : plus on avance dans le temps, plus les plaques ont de l’épaisseur.

Le tableau (Fig. 3c) effectué à partir du total (263) des plaques attestées par un rebord (NMI), montre le même décalage des épaisseurs au fil du temps et confirme que :

  • 25 des 26 plaques étudiées pour les étapes 1 et 2 ne dépassent pas 1,9 cm d’épaisseur, sauf un qui mesure 2 cm.
  • L’étape 3, quoique peu représentée, amorce l’épaissement des parois au-delà de 2 cm pour le tiers des exemplaires.
  • L’étape 4 avec 97 exemplaires connaît une explosion quantitative de ces ustensiles. 67 % de ce total ont une épaisseur inférieure à 2 cm pour 23 % compris entre 2 et 2,6 cm. Aucune plaque n’est plus épaisse. Cette période voit l’amorce du changement par le renforcement de l’épaisseur et par là même une mise à disposition nettement plus importante de matière première.
  • L’étape Auvergne 5 voit le basculement vers des formes nettement plus épaisses. 41 % des plaques mesurent moins de 2 cm, mais 50 % sont comprises entre 2 et 2,6 cm, et 9 % mesurent jusqu’à 3,2 cm. Les deux tiers des plaques dépassent le seuil critique de 2 cm.

Ces données peuvent se synthétiser en un tableau morpho-chronologique qui met en évidence une évolution lente, mais nette sur les cinq premières étapes de la chronologie du second âge du Fer en Auvergne, tout au moins en Basse Auvergne (fig. 4).

Un accessoire de cuisine en céramique : les plaques de cuisson. Figure 4  : Tableau de synthèse de l’évolution des formes et décors des plaques de cuisson durant la période laténienne (V e – fin du II e siècle avant notre ère). Document C. Mennessier-Jouannet
Figure 4  : Tableau de synthèse de l’évolution des formes et décors des plaques de cuisson durant la période laténienne (V e – fin du II e siècle avant notre ère). Document C. Mennessier-Jouannet

Conclusion. Qui utilise cet accessoire de cuisine et comment ?

Que ces plaques aient été utilisées posées sur le sol comme le suggèrent les observations de Robert Périchon ou amovibles comme l’ont défendu Vincent Guichard et Yann Deberge, il est aujourd’hui difficile de trancher car, comme il a été montré les caractéristiques morphologiques précises de ces accessoires de cuisine sont mal connues. Leur poids est malgré tout élevé, même s’il n’empêche pas un transport éventuel. Cependant, les mensurations somme toute proches du carré rendent leur prise en main délicate, d’autant que les stigmates des feux qu’elles supportent en fragilisent la structure. Pour La Tène ancienne, un autre aspect est à prendre en compte : les fragments sont retrouvés dans des contextes de bâtiments très exigus, ceux-ci faisant au maximum 14 m² pour une moyenne autour de 10 m² de superficie. Pour ces raisons, je préfère suggérer que ces accessoires de cuisson avaient un emplacement dédié dans l’organisation spatiale de la maison. Si l’on s’en tient aux plaques qui portent des traces de feu, on peut leur restituer une fonction complémentaire aux foyers ouverts, reconnus le plus souvent à l’extérieur des bâtiments. Elles apparaissent ainsi comme des substituts des foyers ouverts adaptés à l’intérieur des maisons et fonctionnent vraisemblablement avec des braises. De ce fait, elles présentent une équivalence de fonction avec les soles foyères retrouvées dans les maisons de même époque du Midi de la France.

Par déduction logique, il apparaît que ces plaques signalent la présence de foyer domestiques et deviennent un jalon très intéressant pour apprécier le nombre de « feux » existants sur un site, selon l’expression médiévale consacrée. Leur répartition sur les sites ruraux connus pour les Ve et IVe siècles avant notre ère en Limagne d’Auvergne est compatible avec cette hypothèse.

Dans la même foulée, leur évolution quantitative presque exponentielle observée dès la première moitié du IIIe siècle confirme bien les données amassées par ailleurs concernant la fondation de ce que l’Antiquité elle-même appelait une ville : un site où la population s’agglomère. Les multiples fragments rejetés sur le chemin 8 du site d’Aulnat (fouille de John Collis) et la concentration de ces plaques sur l’empierrement fouillé par Robert Périchon prouvent un nombre de foyers domestiques sans commune mesure par rapport à ce qui était connu antérieurement dans les campagnes.

Bibliographie

Duny et alii 2015

Duny (A.). – De l’âge du Bronze à La Tène finale en Limagne : une occupation protohistorique pérenne sur le site de la ZAC des Trois Fées (Cébazat, Puy-de-Dôme), rapport final d’opération de fouille archéologique, Ophis Puy-de-Dôme, Mosaïques Archéologie/SRA Auvergne, 2015, 3 volumes.

Hatt 1942

Hatt (J.-J). – Découverte d’un village gaulois de La Tène III au terroir de Fontvieille, sur l’emplacement de la base aérienne d’Aulnat-Sud (Puy-de-Dôme), Bulletin Historique et Scientifique de l’Auvergne, LXII, 1942, p. 36-48.

MennessierJouannet et Deberge 2017

Mennessier-Jouannet (Ch.), Deberge (Y.). – Chronologie du mobilier archéologique du second âge du Fer en Auvergne, 65esupplément de la R.A.C.F, 655 p., 490 fig.

Périchon, Vichy 1967

Périchon (R.), Vichy (M.). – Note de céramologie : les plaques de foyer, dans Revue Archéologique du Centre de la France, 6, 1967, p. 311-316.

Poucher 1995

Poucher (Z.). – A study of plaque de foyer from Aulnat-Gandaillat and Le Patural, two Iron Age sites located in the Auvergne region of France, Sheffield, Université de Sheffield, 1995, 74 p. Document inédit: archives de l’Arafa.

Annexes

Figure 5 : exemples de plaques de cuisson. Fiche technique.
A1 : face inférieure régulièrement égalisée et fragment de la face supérieure avec lissage ;
A2 : face inférieure avec traitement plus irrégulier et empreintes d’éléments sableux ;
B1, B2 et B3 : coupe, angle avec rebord et face inférieure régulièrement égalisée d’une même plaque ; C : fragment de plaque de cuisson décorée avec traces de feu et présence de cendres agglomérées. Document C. Mennessier-Jouannet
Figure 5 : exemples de plaques de cuisson. Fiche technique.
A1 : face inférieure régulièrement égalisée et fragment de la face supérieure avec lissage ;
A2 : face inférieure avec traitement plus irrégulier et empreintes d’éléments sableux ;
B1, B2 et B3 : coupe, angle avec rebord et face inférieure régulièrement égalisée d’une même plaque ; C : fragment de plaque de cuisson décorée avec traces de feu et présence de cendres agglomérées. Document C. Mennessier-Jouannet

Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Monument funéraire ou plate-forme de crémation ?

Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Monument funéraire ou plate-forme de crémation ? : publié dans les Chroniques ARAFA n° 2 – 2023

Lionel Izac-Imbert

Le tumulus de Celles découvert en 1902 à Neussargues (Cantal) par Jean Pagès-Allary, pose – depuis sa découverte – un certain nombre de questionnements quant à sa fonction exacte.

La fouille a été menée de manière assez méthodique, les publications ou les archives1 permettent de disposer d’une documentation de qualité. Les données disponibles ont été re-questionnées dans la cadre d’une opération de reprise des travaux de terrain en 2000.

Les problématiques principales touchaient principalement à la question chronologique, à l’identification du processus de crémation ou à des données architecturales.

I – Les données de la fouille ancienne : une tombe à incinération sous tumulus d’un « notable arverne » ?

Joseph Déchelette imagine le processus de crémation1 dès la publication dans l’Anthropologie2. On dispose de sa description : à la base blocs de basalte arrondis, recouverts de pierres plates (phonolithe) sur lesquelles repose une couche de cendre mélangée de charbons. Au-dessus de ce lit se trouve une couche d’argile non cuite qui supporte des pierres plates (phonolithe) formant toiture. Le tout est caché par de l’éboulis et de la terre arable sur laquelle s’est développée la végétation actuelle (chêne). […] La voûte du tumulus s’est effondrée sous l’action des agents extérieurs : racines des arbres et eaux d’infiltration. […] De forme ovoïde, les dimensions du tumulus sont : grand axe 25 mètres, petit axe 20 mètres, hauteur au centre 1m,80.3

Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Figure 1 : vue des fouilles anciennes avec Jean Pagès-Allary, vers 1902. Archives musée d’art et d’archéologie d’Aurillac
Figure 1 : vue des fouilles anciennes avec Jean Pagès-Allary, vers 1902. Archives musée d’art et d’archéologie d’Aurillac

De l’examen de cette coupe, il ressort clairement que le cadavre a été incinéré sur le tumulus même, ainsi que cela a été constaté ailleurs, à diverses reprises. La combustion a dû être ici extrêmement intense, car des blocs de basalte sont entrés en fusion, ce qui nécessitait une température de 800 degrés environ. On doit donc admettre que l’incinération n’a pas été opérée à l’aide d’un simple bûcher établi en plein air, mais que le foyer crématoire avait été installé dans une sorte de four muni d’un dispositif quelconque de tirage artificiel. (ibid.).

Un premier inventaire des découvertes1 est établi :

  • fer : lance, bouclier, couteaux, serpette, scies, lime, plane, compas, ciseaux, tranchet, emporte-pièce, gouge, perçoirs à douille, marteaux, poinçons, faucille, boucle rivetée ;
  • bronze : anneaux ;
  • céramique : terrines, vases à liquide, vases ovoïdes peints, fusaïoles et pesons de métier à tisser ;
  • lithique : moulin à bras en basalte, fragments de gneiss poli, silex et pierres à affûter.

Déchelette donne des comparaisons avec La Tène, Bibracte ou Stradonice et conclut : travail du bois et peut être aussi celui du cuir. Il propose une datation à La Tène III, à une époque peu antérieure à la conquête romaine. Pagès-Allary attribue la panoplie d’outils à un sellier bourrelier de l’époque gauloise2. Jean-Paul Guillaumet (CNRS)3 privilégie l’hypothèse du travail des matières dures animales.

Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Figure 2 : exemple d’outillage en fer découvert en 1902. DAO : J. Jouannet, d’après une illustration de J.-P. Guillaumet 

Figure 2 : exemple d’outillage en fer découvert en 1902. DAO : J. Jouannet, d’après une illustration de J.-P. Guillaumet 

II – Une architecture funéraire ?

La reprise de travaux de terrain, à partir de 20011, lève le voile sur certaines incertitudes.

L’analyse de la topographie confirme la présence d’un dôme naturel en pied de falaise, dans l’axe menant de la vallée de l’Alagnon en direction du plateau du Cézallier, dont les concepteurs ont tiré profit pour mettre en relief le monument.

L’édification, entre la fin du Ve s. et le début du IVe s. av. J.-C., se caractérise par l’architecture de pierres sèches soignée de la plate-forme centrale qui adopte une forme rectangulaire (11,20 m. x 12,55 m. x 0,95 m. conservés). Les fondations sont ajustées à l’aide de blocs de grand gabarit. Au Nord, une carrière de ballastière l’a détruit.

Elle est dotée d’une chape horizontale de blocs qui a subi l’action du feu avec de nombreux fragments d’argile brûlée. Elle a fourni la majorité des objets (vases, éléments d’armement, panoplie d’outils en fer, une meule rotative). Cette phase est datée par la céramique et la panoplie guerrière du IIIe s. av. J.-C.

On note une plateforme de taille plus réduite (6 m. x 2,15 m. x 0,98 m.) conservée au sud, au pied de laquelle deux objets en fer ont été découverts : un poinçon à cuir et une broche à rôtir2 dont le bon état de conservation trahit un passage au feu.

Enfin, une plateforme inférieure prend la forme d’un arc de cercle (16,40 m. x 1,95 m. x 1,15 m.) en guise de structure périphérique de circulation.

Pagés-Allary mentionne des fragments d’ivoire brûlé3 mais ces éléments n’ont pas été conservés. Toutefois, l’interprétation comme lieu de cérémonie funèbre s’accorde avec la mise en place d’un bûcher qui se surimpose à un monument plus ancien.

Le statut du défunt incinéré, inscrit entre sphère guerrière et artisanale, évoque le domaine de la vénerie qui s’accorde bien avec l’assemblage de mobilier mis au jour au sein du tumulus de Celles.

Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Figure 3 : plan général du monument. Relevé : Magali Cabarrou 

Figure 3 : plan général du monument. Relevé : Magali Cabarrou 
Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Figure 4 : schéma interprétatif. Document: L. Izac

Figure 4 : schéma interprétatif. Document: L. Izac

III – Une plateforme de crémation ?

Lors des fouilles anciennes la mention de blocs de « torchis brûlés » avait été notée en grande quantité notamment à la base et dans l’environnement immédiat des dépôts d’objets mis au jour en 1902.

Une analyse des nombreux éléments mis au jour lors de la reprise de la fouille a été confiée à Claire-Anne de Chazelles (CNRS).

Tous les fragments recueillis appartiennent à un matériau préparé à base de terre et d’eau, avec un possible ajout de fibres végétales. La présence récurrente d’une surface grossièrement modelée confirme que ce matériau a été utilisé à l’état plastique, étendu puis régularisé manuellement.

En corrélant les informations relatives à ce matériau et celles qui témoignent de son support, et en écartant diverses possibilités habituellement envisagées à l’issue d’une étude de ce type de vestiges, une seule proposition peut être avancée.

D’une part, le matériau très dense, lourd en raison de la faible proportion de fibres végétales et au contraire de la forte présence de grains et petits graviers minéraux, n’est pas du tout adapté à la réalisation de structures verticales sur armature de clayonnage et encore moins au revêtement de panneaux pleins en bois.

D’autre part, la rareté des négatifs de petites branches et particulièrement d’éléments croisés confirme cette impression. Quant aux empreintes de grosses branches écorcées, elles sont le plus souvent isolées bien qu’il existe quelques exemples montrant leur association avec des branches plus fines ou refendues. Enfin, les négatifs anguleux, de même que les formes plutôt prismatiques des fragments, correspondent bien à l’hypothèse d’empreintes de pierres et de cailloux.

Le fait que les surfaces lissées manuellement soient fréquemment en relation avec une face perpendiculaire, soit plane mais irrégulière soit conservant le négatif d’une grosse branche, indique que le matériau a par endroits été appliqué contre une « bordure » qui a permis de le contenir tout en respectant un niveau.

L’hypothèse la plus vraisemblable consiste à interpréter ces fragments comme les vestiges d’une chape horizontale, d’une épaisseur moyenne de 6 à 10 cm, recouvrant un radier de moellons et de cailloux assez serrés. Selon cette interprétation, le matériau plastique se serait insinué entre les blocs avant de pouvoir former une couche superficielle assez épaisse. Les traces de branches pourraient correspondre à la bordure évoquée et les empreintes de branches plus fines à d’éventuels éléments servant d’entretoises pour maintenir un cadre, par exemple, dans lequel le matériau serait contenu. Les faces planes irrégulières pourraient pour leur part attester aussi la présence de blocs participant à la contention du matériau humide ou simplement témoigner de son infiltration entre les pierres du radier.

La cuisson très poussée du matériau est une question cruciale qui conditionne l’interprétation non seulement de la chape mais de la structure entière. Les données semblent montrer que ce revêtement complétait l’aménagement de la partie sommitale du monument en pierres et rien n’indique, objectivement, qu’il ait été recouvert par des structures en bois. Cela dit, on ne peut pas faire l’économie de cette possibilité dans la mesure où le sommet de la construction n’a pas été retrouvé en place, privant ainsi les archéologues de précieuses indications. Il est probable que l’incendie de superstructures en bois d’une certaine importance aurait pu favoriser la cuisson de la chape à l’égal d’une sole de four. Pour expliquer ce degré de cuisson et, bizarrement, l’absence de gradient depuis la surface vers le bas de la chape, il convient d’envisager deux solutions : soit des feux nombreux et répétés, se répartissant sur toute l’aire sommitale, soit un feu gigantesque et maintenu en activité pendant un certain temps.

Conclusion

L’ensemble de ces résultats invite donc à envisager une voie d’explication du monument en tant que plateforme architecturée ayant accueilli un processus de crémation puis de dépôts funéraires. Objet d’étude singulier ce dispositif particulier s’intègre donc dans une série de monuments funéraires et para-funéraires protohistoriques encore mal documentés et dont l’originalité tient notamment au soin apporté à son architecture monumentale.

Bibliographie

Guillaumet 1983

Guillaumet (J.-P.). – Le matériel du tumulus de Celles (Cantal), in Collis J., Duval A., Périchon R. (éd.). Le deuxième âge du Fer en Auvergne et en Forez et ses relations avec les régions voisines. 4e colloque régional annuel consacré à l’âge du Fer en France non-méditerranéenne, Clermont-Ferrand, 1980, Université de Sheffield ; Centre d’études foréziennes, p. 189-211, 17 fig., 1 pl. h.t. (IV b), 1983

PagèsAllary 1905

Pagès-Allary (J.). – Nouvelles observations sur le tumulus de Celles (Cantal), L’Anthropologie, t. XVI, 1905. Paris: Masson, 1905, p. 117-118.

PagèsAllary, Déchelette, Lauby 1903

Pagès-Allary (J.), Déchelette (J.), Lauby (A.). – Le Tumulus arverne de Celles, près Neussargues (Cantal), L’Anthropologie, 14, 1903, p. 35‑416

1 Opérations de relevés, sondages, fouille programmée autorisées par la Direction régionale des affaires culturelles d’Auvergne, service régional de l’archéologie, avec le soutien de la Fédération des associations archéologiques du Cantal et de l’Association pour la Recherche sur l’Age du Fer en Auvergne.

2 Cet objet peut être également identifié comme manche de simpulum ou tisonnier.

3 Les premiers croquis font apparaître des os longs (fémur ?). (ibid.)

1 Le mobilier a fait l’objet d’un don au musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) en juillet 1905 suite à une exposition au musée du Petit Palais à Paris.

2 Pagès-Allary 1905.

3 Guillaumet 1983.

2 Pagés-Allary, Déchelette, Lauby 1903.

3 Original, archives musée d’art et d’archéologie d’Aurillac.

1 Archives du Musée de d’Art et d’Archéologie d’Aurillac, du Musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, du musée de la Haute-Auvergne de Saint-Flour.

L’occupation du sol dans le massif du Cézallier à l’âge du Bronze et au 1er âge du Fer

L’occupation du sol dans le massif du Cézallier à l’âge du Bronze et au 1er âge du Fer : publié dans les Chroniques ARAFA n° 2 – 2023

Fabien Delrieu

Le versant oriental du massif du Cézallier possède plusieurs nécropoles tumulaires ayant bénéficié de fouilles récentes et donc d’une documentation de qualité (Lair, La Pénide ou encore La Croix de Baptiste). De plus une demi-douzaine de sites de hauteur protohistoriques, généralement fortifiés, sont également localisés dans la même fenêtre. La majorité d’entre eux a bénéficié de relevés topographiques récents, et pour certains, de sondages et de fouilles qui ont révélé de manière récurrente la présence d’occupations attribuables au IXème S. av. J.-C. Enfin quelques sites d’habitats non fortifiés et ouverts complètent le panel des sites protohistoriques dans cet espace. Un programme de recherche, en cours, permet de recenser, de cartographier l’ensemble de ces structures attribuables le plus souvent à l’âge du Bronze et dont certaines font par la suite l’objet de sondages puis de fouille. Enfin, ce secteur présente aussi de nombreuses zones humides (lacs, tourbières) à proximité immédiate des sites protohistoriques. L’étude (en cours) des séquences de sédiments enregistrées dans ces milieux humides permet d’élargir les données sur l’anthropisation locale et l’évolution des paysages.

Le plateau volcanique qui s’étend de la vallée de l’Alagnon, à l’est, aux plus hautes terres du massif du Cézallier, à l’ouest, prend la forme d’un vaste plan incliné de 15 kilomètres de long environ permettant, sans pendage marqué, de passer de 700 mètres d’altitude à plus de 1300 mètres à l’entrée des hautes terres constituant le centre du massif.

Ce plateau à la faible déclivité est jalonné, sur toute sa longueur, par des groupes de tumulus constituant des alignements continus (fig. 1). Les données collectées lors des fouilles des nécropoles de Lair puis de la Croix de Baptiste attestent un fonctionnement de ces ensembles funéraires se développant entre le XVIIIème et le Vème S. av. J.-C.

L’implantation de ces groupes de tumulus correspond de manière intime aux voies de circulation naturelles permettant l’accès aux hautes terres depuis les vallées adjacentes. La présence d’un milieu ouvert, avec une forte présence des graminées, dans ces zones dès le début de l’âge du Bronze et durant toute la séquence de fonctionnement des nécropoles tumulaires permet d’envisager la mise en place d’une importante activité de transhumance se développant pendant toute ou partie de l’âge du Bronze et du 1er âge du Fer.

Figure 1 : Cartographie des tumulus protohistoriques relevés sur le plateau de Molèdes/Laurie (DAO F. Muller)
Figure 1 : Cartographie des tumulus protohistoriques relevés sur le plateau de Molèdes/Laurie (DAO F. Muller)

Les données concernant l’âge du Bronze et le début du 1er âge du Fer sur le versant oriental du massif du Cézallier sont toujours en cours d’acquisition. Elles vont venir encore affiner la compréhension des modes d’occupation de cette moyenne montagne volcanique pour ces séquences chronologiques. Cependant, un certain nombre de constats peuvent déjà être posés et plusieurs pistes de réflexion se sont faites jour, elles devront être poursuivies :

  • Une importante activité de transhumance a pu se développer dès le XVIIIème S. av. J.-C. sur ce versant et perdurer jusqu’à la fin du Vème S. av. J.-C.
  • Les troupeaux pouvaient être acheminés dans les estives du centre du massif en utilisant des voies de plateaux jalonnées de nécropoles tumulaires. Ces dernières fonctionnent sur le temps long (au moins 13 siècles).
  • De manière générale, la circulation des hommes et des troupeaux à l’âge du Bronze dans ce secteur semble privilégier les cheminements sur les plateaux de faible déclivité plutôt que dans les fonds de vallées, étroits et très encaissés.
  • Les périodes représentées de manière systématique sur les sites de hauteur comme le IXème S. av. J.-C. ou plus tard le Hallstatt final sont, pour l’heure, absentes ou très peu représentées au sein des nécropoles tumulaires.
  • L’inverse se vérifie également et semble indiquer que les hautes terres ont été occupées en continu mais selon des schémas différents suivant les périodes. Semblent alterner d’importantes séquences d’habitats saisonnier liés à la transhumance et la mise en place d’habitats fortifiés permanents comme au IXème S. av. J.-C.
  • À la fin du IXème S. av. J.-C. on note un abandon généralisé des sites d’habitats fortifiés couplé à une érosion marquée des sols. Il est probable que ces éléments, liés à la grande péjoration climatique qui touche l’ouest de l’Europe, marque la reprise potentielle de cette importante activité de transhumance. Cet état de fait semble attesté par la présence d’inhumations à épées au sein de ces nécropoles tumulaires au début du VIIème S. av. J.-C. Cette évolution semble marquer la réactivation de ces axes desservant les hautes terres du centre du massif.
Figure 2 : Cliché d’un des tumulus les plus volumineux du versant oriental du massif du Cézallier localisé sur le sommet du Charouliac à Laurie (Cliché : F. Delrieu)
Figure 2 : Cliché d’un des tumulus les plus volumineux du versant oriental du massif du Cézallier localisé sur le sommet du Charouliac à Laurie (Cliché : F. Delrieu)

La question des exploitations minières protohistoriques dans le Cantal : tour d’horizon du potentiel en minerais et des données archéologiques disponibles

La question des exploitations minières protohistoriques dans le Cantal : tour d’horizon du potentiel en minerais et des données archéologiques disponibles : publié dans les Chroniques ARAFA n° 2 – 2023

Florie-Anne Auxerre-Géron

I – Introduction

Le Massif central possède de nombreux gisements de minerais métallifères, notamment les principaux métaux exploités dès la Protohistoire comme l’or, l’argent, le cuivre, l’étain, mais également le plomb et le fer. Les gisements peuvent prendre plusieurs formes : il peut s’agir de gîte dit primaire, c’est-à-dire que le minerai se trouve dans des filons en place dans la roche, ou bien il peut s’agir de dépôt secondaire en alluvions, colluvions ou placers (Cauuet 2013, p. 74 ; Hubert et Abraham 2018, p. 32). Pour le département du Cantal en particulier, le potentiel minéralogique est bien réel, mais rares sont les indices qui permettent aujourd’hui de dater les travaux miniers anciens recensés aujourd’hui sur le territoire (fig. 1). Les données disponibles indiquent qu’une extraction de l’or mais aussi de l’argent a existé dans certains districts à la fin de la période gauloise, mais il reste encore un important travail de recherche à mener.

Figure 1 : Les principaux districts métallifères du Cantal et les sites mentionnés dans le texte. CAO F.-A. Auxerre-Géron, d’après les données issues de Cauuet 2013, Cauuet 2018, Hubert et Cauuet 2015
Figure 1 : Les principaux districts métallifères du Cantal et les sites mentionnés dans le texte. CAO F.-A. Auxerre-Géron, d’après les données issues de Cauuet 2013, Cauuet 2018, Hubert et Cauuet 2015

I – En rive gauche de la Dordogne, entre Cantal et Puy-de-Dôme : le district de Labessette et Beaulieu

Dans cette commune puydomoise, limitrophe de la Corrèze et du Cantal, un vaste complexe minier a été repéré dès 1900 par un ingénieur des mines, Joseph Demarty. Plusieurs fosses et tranchées ont alors été relevées, sur un site appelé localement « Camp Romain » ou « Camp de César » (Demarty 1907). Rapidement, ces vestiges ont été identifiés comme étant des traces d’exploitations anciennes, et des aménagements liés à des opérations de lavage ont également été repérés. Joseph Demarty supposait alors que le minerai extrait devait être l’or ou l’étain (ibid., p. 165). Ayant eu l’autorisation de la mairie de procéder à des fouilles, Joseph Demarty a pu ouvrir 3 m², tamisant les sédiments, et récoltant beaucoup de mobilier attestant d’une implantation gallo-romaine. À ce mobilier s’ajoute également des tessons de céramiques noires attribuées à l’« Époque Marnienne » (ce qui correspondrait au début du Second âge du Fer), ainsi que des morceaux de fer et de grandes quantités de charbons de bois (ibid., p. 165-166). Ajoutons qu’il mentionne également la découverte non loin du site d’« une épée à lame de fer et à poignée en cuivre sans garde », qu’il attribue, d’après une description orale, au Premier âge du Fer. Après examen des descriptions des aménagements de bois mis au jour (fig. 2), Élodie Hubert propose d’interpréter ces vestiges comme un boisage complexe avec cadres en chantier vertical (Hubert 2011, p. 46), semblable à ce que Béatrice Cauuet a pu observer à la mine de La Fagassière (Cauuet 2004, p. 57-59), et qui a pu être daté de La Tène moyenne et finale. Toutefois, à partir des dessins disponibles, qui présentent des pièces de bois bien droites et écorcées, le doute subsiste sur cette attribution chronologique. En 1997, Béatrice Cauuet a pu prospecter les environs de Labessette (ainsi que les communes environnantes) et inventorier douze sites, le « Camp de César » inclus, pour un total de 26 aurières.

Figure 2 : Relevés des boisages mis au jour par J. Demarty lors de l’exploration des travaux miniers anciens de Labessette (Puy-de-Dôme ; issu de Demarty 1907, p. 84)

Figure 2 : Relevés des boisages mis au jour par J. Demarty lors de l’exploration des travaux miniers anciens de Labessette (Puy-de-Dôme ; issu de Demarty 1907, p. 84)

Signalons au passage que d’autres opérations de prospections, côté corrézien, menées par Matthieu Boussicault, ont d’ailleurs permis d’esquisser un district plus large, s’étendant de l’autre côté de la Dordogne. À Labessette, Béatrice Cauuet a également récolté de la céramique datée de La Tène finale (écuelle à bord rentrant, gobelet à bord droit, pot globulaire ; Cauuet 1997, p. 90 ; Cauuet 2013, p. 88). Ces travaux miniers ne sont donc pas pour l’instant datés d’une manière certaine par la fouille, mais le mobilier récolté en prospections, mentionné par les sources anciennes, ainsi que les différentes observations et comparaisons effectuées laissent entrevoir des aurières exploitées au moins à la fin de la période gauloise.

II – Le nord-est du Cantal : un potentiel qui reste à mesurer et une exploitation à la fin de la Protohistoire.

Dans le nord-est du département, une intense activité minière au XIXᵉ et au début du XXᵉ siècle (exploitation de l’antimoine), a été possible grâce aux nombreux gisements de mispickels, de galène (Molèdes) et de plomb argentifère (Massiac). Certains gisements de mispickels sont aurifères, comme à Bonnac, dans lequel Jean Pagès-Allary estime un potentiel de 6 à 10 g d’or par tonne (Audollent 1911). Ce secteur couvre donc essentiellement les basses vallées de la Sianne et de l’Alagnon : en effet, entre Cantal et Haute-Loire s’étendent des collines cristallines où de nombreux filons métallifères affleurent, notamment grâce aux nombreuses vallées encaissées qui découpent le relief. Parmi ces vallées, la vallée de la Fontaine-Salée, où affleure le filon d’antimoine et d’argent dit « des Anglais » ou « des Mineyres », a livré des éléments concrets puisque des fouilles ont pu y être effectuées au milieu des années 1970. En effet, à la suite de sondages positifs établis par le BRGM et dans la perspective d’une exploitation, des engins de terrassement mirent au jour une ancienne construction, en rive gauche de la rivière (Tixier 1986, p. 9). Une fouille de sauvetage sommaire fut lancée, et ces vestiges furent interprétés comme une sorte d’hypocauste, aménagé pour le traitement des minerais (du minerai grillé fut d’ailleurs découvert dans le remplissage de l’hypocauste ; ibid., p. 11). Une aire de lavage a également été identifiée en surface. Les explorations souterraines du BRGM ont aussi permis de mettre au jour d’anciennes galeries ainsi que des puits conservant encore leurs boisages, que Luc Tixier put observer et relever en 1976 et 1977. Une datation 14C effectuée sur un des bois donne la fourchette de 1850 BP ± 100, c’est-à-dire entre – 30 et 50 de notre ère (ibid., p. 13 ; Cauuet 2018, p. 198), plaçant donc cette principale phase d’exploitation au début de la période gallo-romaine. Le mobilier recueilli aux abords du four et en amont du site confirme cette attribution, mais des céramiques de la fin du 2nd âge du Fer ont également été découvertes (Vinatié 1986, p. 17).

À la frontière entre la Haute-Loire et le Cantal, sur la commune d’Ally, la mine d’argent de La Rodde (plomb argentifère) a été exploitée notamment au cours des périodes antique et médiévale, et reprise au XIXe et XXe siècle (Cauuet 2018, p. 198). Au cours de fouilles menées entre 1993 et 1998, Christian Vialaron a pu prélever des boisages et des charbons qui ont été datés par 14C, ce qui a permis de mettre en évidence des périodes d’exploitation plus anciennes (Vialaron 2016). Une datation réalisée sur des charbons de bois, localisés en bas d’une stratigraphie importante, a notamment révélé que des travaux ont été réalisés au cours du Premier âge du Fer (fourchette chronologique comprise entre 769 et 416 avant notre ère). L’exploitation avait alors été effectuée grâce à des chantiers à ciel ouvert, qui ont formé une tranchée large et profonde (jusqu’à 8 m de profondeur). Une autre phase d’exploitation, prenant alors la forme de travaux souterrains, est attribuée à la période comprise entre le IIIe siècle avant notre ère et le Ier siècle de notre ère, sur la base de datations radiocarbones réalisées également sur des boisages de puits et des charbons. En outre, du mobilier céramique a permis d’attester que ces travaux ont pu perdurer au début de la période antique.

En plus des informations fournies par les sites miniers eux-mêmes, il faut noter la présence dans le secteur d’un exceptionnel dépôt de monnaies et de bracelets d’argent, découvert au « Suc de la Pèze » à La Chapelle-Laurent, non loin de Massiac. En effet, sa similarité avec certains dépôts du territoire rutène localisés dans des zones de contacts en Rutènes et Cadurques (Gruat et Izac-Imbert 2002, p. 77), et surtout, dans des districts miniers, laisse envisager que nous avons affaire à une pratique comparable, étroitement liée à un contexte minier. Pour terminer, un autre élément matériel est à noter : il s’agit d’un maillet à gorge en roche volcanique, découvert sur le plateau de « Chalet » à Massiac, outil notamment utilisé pour des activités d’extraction (Tissidre et Baillargeat-Delbos 2015). Un exemplaire similaire a été découvert dans une aurière de Dordogne, sur le site des Fouilloux (Jumilhac), exploité à la fin de la période gauloise (Cauuet 2004, p. 29).

III – Le sud-ouest du Cantal : le district minier de Prunet et les apports récents de la recherche

Des travaux récents ont permis de mettre en lumière un autre secteur clé du département pour l’étude des exploitations minières protohistoriques. Ces deux dernières décennies, en Chataigneraie cantalienne, des prospections menées par Philippe Abraham puis par Elodie Hubert (Université de Toulous Jean Jaurès) ont permis de mettre en évidence des mines anciennes, sans doute des aurières étant donnée la géologie du secteur (Cauuet 2013, p. 88 ; Hubert et Cauuet 2015, fig. 12 ; Hubert et Abraham, 2018 p. 35-36). Le district minier qui a été identifié, a été baptisé district de Prunet : il couvre cette commune, mais aussi Lafeuillade-en-Vézie et Lacapelle-del-Fraisse. L’inventaire réalisé par ces deux chercheurs, qui a pu aussi être alimenté par l’étude de relevés Lidar, montre un secteur très dense en vestiges, attestant principalement d’exploitations en roche à ciel ouvert, mais aussi de la présence de chantiers miniers sur gisements secondaires, c’est-à-dire ouverts dans des dépôts détritiques. Ces vestiges sont des fosses, le plus souvent alignées, de tailles variables, mais globalement de plus petite taille que celles connues en pays Lémovice. Cette différence notoire pourrait avoir deux explications : les filons exploités dans le district de Prunet sont en effet moins importants que ceux disponibles en Limousin, notamment moins puissants. Autre possibilité également, il a été mis en évidence en Limousin qu’il y avait un rapport entre la taille des fosses et les périodes d’exploitation, les plus petites étant datées du début du 2nd âge du Fer (Hubert et Abraham 2018 p. 42). Si la typologie de ces vestiges permet sans trop de risque de les dater de la fin de la Protohistoire, notamment par comparaison avec les exploitations connues en Limousin voisin et documentées par des fouilles, les éléments qui permettent de dater précisément ces sites miniers sont encore très peu nombreux : en effet, même si deux sondages ont pu être menés ces dernières années, ce type de site ne livre pas de mobilier datant, et rares sont les charbons qui permettent une datation. Cependant, à Lacapelle-del-Fraisse, des jalons chronologiques ont pu être posés pour le site du Camp du Puech, sondé en 2018 : une datation sur un charbon mis au jour dans une couche de déblais atteste d’une fréquentation au cours de l’Antiquité, tandis que des charbons découverts en fond de minière et sous le niveau de haldes ciblent les IIe et Ier siècle avant notre ère, attestant d’une activité d’extraction au cours de la période gauloise (informations orales Élodie Hubert).

IV – Les parallèles avec les sites miniers du Limousin et de l’Aveyron

La question des exploitations minières protohistoriques dans le Cantal doit être abordée aussi à la lumière des données obtenues dans les départements voisins ou limitrophes, mieux documentés comme l’Aveyron, la Corrèze et la Haute-Vienne. En territoire Lémovice notamment, les mines protohistoriques sont étudiées depuis le début des années 1980 (travaux de Béatrice Cauuet). C’est d’abord par le biais d’inventaire de vestiges et d’anomalies d’origines anthropiques souvent détectés par des géologues qu’ont commencé les recherches sur ces travaux, mais aussi par une étude minutieuse des toponymes : ainsi si certains évoquent clairement la présence d’or (Aurière, Laurière etc.), d’autres peuvent indiquer la présence d’anomalie de terrain (Cros, Crose, Croze, etc., dérivés du mot « creux » en occitan, Suquet ou Tuquet, dérivés du mot « tertre ») ou les animaux fouisseurs particulièrement attirés par les déblais (Trou du Loup, Trou du renard, Renardière, Tessonière et ses dérivés, « tesson » signifiant blaireau). Les premières fouilles archéologiques permirent rapidement de déterminer que ces mines, notamment celles du district de Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne), ont été exploitées tout au long du Second âge du Fer. À l’heure actuelle, il est établi que l’activité minière se développe dès la fin du Premier âge du Fer (les exploitations sont alors à ciel ouvert, limitées à 10 m de profondeur ; Cauuet 2013, p. 94), avant de s’intensifier à la période gauloise. Certains sites ont également livré des vestiges de l’âge du Bronze, notamment de la phase moyenne ou de la toute fin du Bronze final, ce qui suggère des épisodes d’exploitations plus anciens. Les fouilles ont également permis de documenter des aménagements annexes : ateliers de traitement mécanique (concassage, broyage à l’aide de tables en pierre, de mortiers), ateliers de lavage (différents chenaux, bassins et citernes creusés). La phase finale de la chaîne opératoire a également pu être documentée grâce à la découverte de petits creusets aux parois vitrifiées (ibid., p. 94-95). Notons enfin que des espaces d’habitats liés à ces mines ont aussi été fouillés, attestant qu’une communauté entière se consacrait à cette activité, et ce sur plusieurs générations et d’une manière permanente.

Outre l’exploitation de l’or, l’existence de mines d’argent dans les départements voisins du Cantal est aussi documentée pour la période protohistorique : dans le nord-ouest du département de l’Aveyron, de nombreuses mines de plomb argentifères ont été repérées le long de la faille de Villefranche-de-Rouergue, ainsi que des gisements d’étain à l’Ouest de Laguiole (ibid., p. 89 et 92). En ce qui concerne les stannières, Philippe Abraham a documenté des dépôts sablonneux minéralisés exploités par des petits chantiers de lavage d’alluvion (fosses ou tranchées) et le mode opératoire a pu être mis en lumière, notamment grâce à des analyses géochimiques qui ont permis de localiser les aires de préparations mécaniques aux mines de « La Boule » et de « Grandval » (Abraham 2000). Des datations 14C ont permis d’apporter les premiers jalons chronologiques de ces exploitations. Une datation calibrée atteste ainsi d’une phase d’activité dès le Bronze final (1390-1025 avant notre ère), et plusieurs dates pointent l’ensemble de l’âge du Fer (Cauuet 2013, p. 89).

V – Conclusion

L’objectif de cet article était de présenter un tour d’horizon du potentiel en minerais dans le Cantal. Ce dernier est réel, et nous avons pu voir que le département est riche de gisements aurifères et argentifères, à l’image de bon nombre de département du Massif central. Quant aux données archéologiques aujourd’hui disponibles, il faut souligner qu’elles étaient encore bien maigres il y a encore 10 ans, mais qu’une nouvelle dynamique de recherche a été enclenchée, livrant déjà son lot de données inédites permettant de revoir la question des exploitations protohistoriques. S’il n’est plus exclu que de l’or mais aussi de l’argent ont pu être extraits du sous-sol cantalien à la fin du Second âge du Fer au moins, il reste encore à déterminer les modalités de ces exploitations, mais aussi l’histoire de ces mines. En effet, dans certains cas, leur genèse est antérieure à l’âge du Fer ; ailleurs elle est attestée au cours du Premier âge du Fer, mais ces travaux anciens sont encore mal connus. Enfin, il reste à définir quelle place ont pu avoir ces productions dans l’économie protohistorique, en particulier dans l’économie arverne.

VI – Bibliographie

Abraham 2000

Abraham (P.). – Les mines d’argent antiques et médiévales du district minier de Kaymar (nord-ouest de l’Aveyron), Gallia, 57, p. 123-127

Audollent 1911

Audollent (A.). – Mines d’or en Auvergne, Revue des Études Anciennes, 13, 2, p. 202

Cauuet 1997

Cauuet (B.). – Prospection-inventaire, les mines d’or des Arvernes, Communes de Bagnols, La Bessette, Cros, Larodde, Tauves et Trémouille Saint Loup, BSR Auvergne 1997, p. 90

Cauuet 2004

Cauuet (B.). – L’or des Celtes du Limousin, Ed. Culture et Patrimoine en Limousin, Limoges, 124 p.

Cauuet 2013

Cauuet (B.). – Les ressources métallifères du Massif central à l’âge du Fer, in Verger (S.), Pernet (L.) dir., Une Odyssée gauloise. Parures féminines à l’origine des premiers échanges entre la Grèce et la Gaule, Arles, Errance, p. 86-95

Cauuet 2018

Cauuet (B.). – Sources et productions d’argent en Gaule aux âges du Fer, in Hiriart (E.),Genechesi (J.), Cicolani (V.), Martin (S.), Nieto-Pelletier (S.), Olmer (F.) dir., Monnaies et archéologie en Europe celtique. Mélanges en l’honneur de Katherine Gruel. Glux-en-Glenne, Bibracte 29, p. 195-204

Demarty 1907

Demarty (J.). – Les mines de Labessette (Puy-de-Dôme), exploitations gauloises et gallo-romaines, Revue d’Auvergne, 1, Janvier-Février 1907, Clermont-Ferrand, p. 161-170

Gruat et Izac-Imbert 2002

Gruat (P.), Izac-Imbert (L.). – Le territoire des Rutènes : fonctionnement et dynamiques territoriales aux deux derniers siècles avant notre ère, in Garcia (D.),Verdin (F.) dir., Territoires celtiques. Espaces ethniques et territoires des agglomérations protohistoriques d’Europe occidentale, Paris, Errance, p. 66-87.

Hubert 2011

Hubert (E.). – Les mines d’or des Arvernes. État de la question, mémoire de Master 1 d’Archéologie, Université Toulouse Le Mirail, 83 p.

Hubert 2013

Hubert (E.). – L’or et la puissance des Arvernes. Définition de districts miniers aurifères à l’Ouest du Puy-de-Dôme, mémoire de Master 2 d’Archéologie, Université Toulouse Le Mirail, 164 p.

Hubert et Abraham 2018

Hubert (E.), Abraham (P.). – Les aurières du district de Prunet (sud d’Aurillac, Cantal), Revue de la Haute-Auvergne, t. 80, vol.1, p. 31-48.

Hubert et Cauuet 2015

Hubert (E.), Cauuet (B.). – Productions d’or chez les Arvernes. État de la question, poster présenté à l’occasion du colloque « l’or de l’âge du Fer en Europe celtique – société, technologie et archéométrie », 11-14 mars 2015, Université Toulouse Jean Jaurès.

Tissidre et Baillargeat-Delbos 2015

Tissidre (M.), Baillargeat-Delbos (C.). – Découverte d’un maillet à gorge du Néolithique, à Chalet (commune de Massiac), R.H.A., t. 77 avril-juin, p. 231-234

Tixier 1986

Tixier (L.). – L’exemple de la Mine des Anglais. L’exploitation minière, in Bril (H.), Watelet (P)., Les richesses du sous-sol en Auvergne et Limousin, ville d’Aurillac, p. 9-14

Vialaron 2016

Vialaron (Ch.). – La mine gauloise de la Rodde d’Ally. Concession pour plomb, argent et antimoine de Freycenet-La Rodde (Haute-Loire), Le Puy-en-Velay, 2016, 152 p.

Vinatié 1986

Vinatié (A.). – Le mobilier archéologique, in Bril (H.), Watelet (P)., Les richesses du sous-sol en Auvergne et Limousin, ville d’Aurillac, p. 15-17

Recherche d’archives paléoenvironnementales à proximité de sites protohistoriques (Nord du Cantal) – Carnet de terrain

Recherche d’archives paléoenvironnementales à proximité de sites protohistoriques (Nord du Cantal) : publié dans les Chroniques ARAFA n° 2 – 2023

Dendievel André-Marie1,2, Delrieu Fabien3,4, Antoine Ludovic2, Duny Anne5, Mennessier-Jouannet Christine6, Simon Catherine2, Surmely Frédéric3,7, Richard Hervé8

I – Introduction

Dans le cadre du Programme Collectif de Recherche (PCR) coordonné par F. Delrieu, des recherches pluridisciplinaires en archéologie et paléoenvironnements sont menées depuis 2018 dans le Nord du Cantal (Delrieu et alii 2019 ; Delrieu et alii 2020 ; Delrieu et alii 2021). Dans le cadre de l’axe « Paléoenvironnements & Paysages Protohistoriques » du PCR, la recherche porte sur l’identification, la caractérisation – notamment à l’aide de datations par le radiocarbone – et l’étude de zones humides ayant accumulé des sédiments remontant à la Protohistoire (âge du Bronze et âge du Fer). Le but de cette recherche est ainsi d’obtenir des « archives naturelles » à proximité immédiate des sites archéologiques pour reconstituer les modalités d’évolution de ces écosystèmes au cours du temps et obtenir des informations précises et locales sur les activités humaines passées et les paysages protohistoriques.

I – Zone d’étude : Nord du Cantal

Pour ce « carnet de terrain », nous proposons une synthèse des résultats obtenus suite aux carottages au niveau de deux fenêtres d’étude (fig. 1) : la « fenêtre Sianne » qui s’étend des sources de la Sianne (rivière) au plateau d’Espalem, et la « fenêtre Sumène » qui encadre la vallée de la Sumène depuis le plateau de Trizac jusqu’au Mont-de-Bélier à Saint-Étienne-de-Chomeil.

Figure 1 : Tourbières et sites archéologiques associés. A) Localisation des fenêtres d’étude sur une carte du relief de l’Auvergne ; B) Profil altitudinal de la « fenêtre Sianne » ; C) Profil altitudinal de la « fenêtre Sumène ». Abréviations : NCP = nécropole, CFL = confluence. Crédit : A.-M. Dendievel, 2020-2023.
Figure 1 : Tourbières et sites archéologiques associés. A) Localisation des fenêtres d’étude sur une carte du relief de l’Auvergne ; B) Profil altitudinal de la « fenêtre Sianne » ; C) Profil altitudinal de la « fenêtre Sumène ». Abréviations : NCP = nécropole, CFL = confluence. Crédit : A.-M. Dendievel, 2020-2023.

Ces deux fenêtres présentent de nombreuses tourbières, c’est-à-dire des zones humides dont le sol saturé en eau (conditions anoxiques) permet l’accumulation de tourbe contenant du pollen et des macro-restes botaniques par exemple. En s’accumulant au cours du temps, ces restes forment de véritables « archives naturelles » idéales pour reconstituer l’évolution des environnements du passé au présent (Cubizolle 2019).

Les fenêtres d’étude ont été choisies car elles présentent des tourbières à proximité immédiate, voir au sein même, de sites de la Protohistoire répartis le long de gradients altitudinaux (cf. fig. 1) :

  • Pour la « fenêtre Sianne », ce gradient s’étage de 1 455 m au niveau de la tourbière des sources de la Sianne, jusqu’à 680 m d’altitude pour la tourbière du Lac Long (aussi connu sous le nom de Lac Lant) sur le plateau de la Pénide, à Espalem.

Au plus haut, les sites archéologiques sont représentés par des « tras » (ensemble d’habitats semi-excavés, souvent alignés en peigne). Il y a aussi de nombreuses nécropoles tumulaires et sites d’habitat aux altitudes intermédiaires (1200 – 900 m) : nécropole de la Croix-de-Baptiste près de la tourbière de Sagne-Gousseau, tumulus de Laurie et sites du Bru ou de la Coharde près du Vern. Plus bas en altitude, le plateau de la Pénide présente un site fortifié occupé durant trois phases (Néolithique moyen, âge du Bronze ancien et final IIIb), ainsi qu’une nécropole tumulaire – actuellement en cours de fouille – dont les éléments de datations renvoient à différentes occupations du Néolithique moyen, de la fin de l’âge du Bronze moyen d’après les datations par le radiocarbone, et du Bronze final IIb-IIIa sur la base du rare mobilier recueilli (Dendievel et alii 2020).

  • Pour la « fenêtre Sumène », ce gradient s’étage de 1 100 m (tourbière de Tronque, Plateau de Trizac) à 719 m d’altitude (tourbière de Chastel-Marlhac). Ici aussi, les sites archéologiques sont omniprésents avec des tras en altitude, des nécropoles tumulaires (plateaux de Trizac et de Saint-Étienne-de-Chomeil) et des sites de hauteur (Chastel-Marlhac, Rochemur).

II – Méthodologie suivie

Pour étudier les archives sédimentaires, nous avons utilisé une méthodologie s’appuyant à la fois sur une approche géohistorique, sur un travail de terrain précis et des analyses en laboratoire (voir la démarche en détail dans Dendievelet alii 2020).

En bref, l’approche géohistorique est la 1ʳᵉ étape qui consiste à dépouiller différents documents afin d’identifier des zones humides ayant accumulé des sédiments sur le long terme. Elle s’appuie sur l’étude des cartes et plans anciens, notamment le « Cadastre Napoléonien » et les cartes topographiques de l’IGN depuis le début du XXe siècle. Ces documents sont accessibles aux archives départementales (par exemple, celles du Cantal : https://archives.cantal.fr/rechercher/cadastre-et-archives-foncieres/cadastre-napoleonien) et sur le Géoportail (http://www.geoportail.gouv.fr).

Figure 2 : A) Sondage à la barre dans la tourbière de Mérigot (Crédit : L. Antoine, 2020) ; B) Carottier russe utilisé dans la « fenêtre Sumène » (Crédit : A.-M. Dendievel, 2019).

Une fois l’intérêt de la zone humide confirmée, l’étape 2 a lieu sur le terrain. Le sondage à la barre permet d’estimer l’épaisseur des sédiments en enfonçant une tige filetée graduée (fig. 2a). Cette technique donne une information qualitative sur l’épaisseur et le type de sédiment (argile, tourbe, sables).

Les informations sont géoréférencées à l’aide d’un GPS différentiel afin d’implanter le point de carottage dans la zone la plus profonde (étape 3). Le carottage est alors réalisé en utilisant un carottier manuel (fig. 2b).

Les sédiments sont décrits sur le terrain en fonction du degré de décomposition de la matière organique, de leur texture et de leur couleur. Les carottes de sédiments sont ensuite conservées en chambre froide en vue de leur étude.

Figure 2 : A) Sondage à la barre dans la tourbière de Mérigot (Crédit : L. Antoine, 2020) ; B) Carottier russe utilisé dans la « fenêtre Sumène » (Crédit : A.-M. Dendievel, 2019).

Enfin, l’étape 4 se déroule en laboratoire avec les datations par le radiocarbone (14C) et l’analyse du taux d’aimantation des sédiments (susceptibilité magnétique). Les datations ont été effectuées par accélérateur de spectrométrie de masse (AMS) sur des macro-restes botaniques identifiés, ou sur sédiments bruts lorsque cela n’était pas possible. Nous avons ciblé certains niveaux remarquables comme la transition entre les sédiments lacustres et la tourbe, ainsi que les niveaux de charbons. Les résultats ont été calibrés avec la courbe de calibration « IntCal20 » (Stuiver et Reimer 1993 ; Reimer et alii 2020). Quant à la susceptibilité magnétique volumique (SM), elle a été mesurée avec une sonde Bartington MS2E à une résolution de 1 cm. Cette analyse est utilisée pour analyser l’accumulation de sédiments aimantés due à l’érosion par exemple.

III – Résultats et discussion

Dans ce carnet de terrain, les résultats présentés sont préliminaires et susceptibles d’être complétés dans les prochaines années. Nous présentons d’abord les séquences stratigraphiques extraites des zones humides, ainsi que les premières datations données en âges calibrés, qui reflètent les modalités d’évolution des écosystèmes. L’ensemble des datations est disponible mis en ligne en accès libre sur le site PANGAEA (https://doi.pangaea.de/10.1594/PANGAEA.957252). Nous discutons par la suite des informations que ces premiers résultats offrent sur la mise en place des tourbières et la conservation des archives environnementales remontant à la Protohistoire sur les deux secteurs étudiés.

1 – Fenêtre Sianne

Le long de la fenêtre Sianne, quatre principaux sites ont été carottés et sont en cours d’étude (fig. 3) :

  • Concernant la tourbière des sources de la Sianne, située à 1 455 m près du Signal du Luguet, le carottage montre une accumulation de plus de 350 cm de tourbe, mais le substrat géologique n’a pas été atteint lors du carottage (fig. 3-A). Plusieurs niveaux de charbons témoignent d’incendies locaux. Le plus ancien a été daté du Néolithique final à 230 cm de profondeur. Les niveaux de charbons repérés pourraient indiquer des défrichements à haute altitude (1 500 m). Nous pouvons situer approximativement la Protohistoire entre 200 et 100 cm de profondeur.
  • Entre 1250 et 1 100 m d’altitude, deux sites ont été carottés : la tourbière de Sagne Gousseau, dominant le plateau d’Allanche, et les poches tourbeuses du Vern sur le plateau de la Coharde.
  • D’après nos premiers résultats, la tourbière de Sagne Gousseau se serait formée par paludification au cours du Mésolithique (fig. 3-B). À ce stade des recherches, on peut supposer que les niveaux de tourbe de la Protohistoire se situent entre 45 et 95 cm de profondeur environ. L’analyse de ce site, installé au pied de la nécropole tumulaire de la Croix de Baptiste, est cruciale pour reconstituer l’évolution d’un paysage de moyenne montagne en contexte funéraire. Par ailleurs, l’étage altitudinal auquel se trouve cette tourbière correspond à une zone de transhumance majeure et devrait permettre d’étudier l’impact des pratiques de pâturage sur le long terme.
  • Au Vern, un carottage a permis de prélever 1,7 m de tourbe argileuse, avant de se heurter à un niveau sablo-graveleux (fig. 3-C). La base de la poche tourbeuse a été datée de l’Antiquité tardive (545-645 après J.-C.), et pourrait faire suite à une déstabilisation du versant, voire un glissement de terrain.
  • Enfin, à 700 m d’altitude, plusieurs zones humides sont présentes entre les tumulus de la nécropole protohistorique de la Pénide, à Espalem (43). Nous avons réalisé plusieurs carottages au Lac Long. La séquence débute par un dépôt lacustre organo-minéral (gyttja) daté du Mésolithique (fig. 3-D). Au Néolithique ancien, le lac s’est comblé et a évolué en tourbière. Un retour vers un système lacustre-palustre semble probable au Bronze final (1209-1016 avant J.-C.), au moment où sont construits certains tumulus. De plus l’analyse de la susceptibilité magnétique démontre une forte érosion des sols de la Protohistoire à l’Antiquité Tardive, en lien avec les activités anthropiques très certainement (Delrieu, Martinez et Dendievel 2023). Les études paléoécologiques en cours (palynologie, macro-restes) permettront de préciser les différentes évolutions du paysage ainsi que les activités agro-pastorales locales.
Figure 3  : Résultats de carottages, datations et analyses de susceptibilité magnétique (SM) acquis entre 2018 et 2021 pour la « fenêtre Sianne ». Crédit : A-M. Dendievel, 2022.

Figure 3  : Résultats de carottages, datations et analyses de susceptibilité magnétique (SM) acquis entre 2018 et 2021 pour la « fenêtre Sianne ». Crédit : A-M. Dendievel, 2022.

1 – Fenêtre Sumène

Le long de la fenêtre Sumène, plusieurs autres sites ont été carottés et sont en cours d’étude (fig. 4) :

  • La tourbière de Tronque est située à 1 100 m d’altitude sur le plateau de Trizac, entre les vallées de la Sumène et du Mars. Le carottage montre une accumulation de plus de 250 cm de tourbe (substrat géologique non-atteint ; fig. 4-A). Au moins un niveau de charbons témoigne d’incendies locaux et remonterait au Néolithique final (fig. 4-A). On estime que les niveaux de sédiments de la Protohistoire se situerait entre 95 et 50 cm de profondeur.
  • Au nord, en rive droite de la Sumène et du Soulou, quatre tourbières ont été carottées sur la commune de Saint-Étienne-de-Chomeil : deux tourbières aux Brougues, une tourbière située sous le pointement de Mérigot, et une tourbière à Muratet au pied du site de hauteur de Rochemur. Les données chronostratigraphiques sont assez semblables : ces sites correspondent à d’anciens petits lacs remontant au Tardiglaciaire (fig. 4-C ; fig 4-D). Certains ont même conservé des niveaux de cendres volcaniques (appelés téphras). Ces lacs se sont comblés progressivement, à différentes vitesses, entre la fin du Paléolithique et le Mésolithique final d’après les datations obtenues. Il s’agit aujourd’hui surtout de tourbières planes, voire bombées comme à Mérigot. Des informations sur les paysages protohistoriques sont probablement conservées dans la partie supérieure de ces séquences entre 30 et 70 cm de profondeur majoritairement.
  • Enfin, une dernière séquence a été extraite d’une petite zone humide située sur le plateau de Chastel-Marlhac. Ce site situé à 780 m d’altitude domine la plaine de la Sumène. La séquence présente plus de 5 m de sédiments lacustres (substrat géologique non-atteint ; fig. 4-B). Dans ce contexte, les datations réalisées sur du sédiment brut (faute de mieux) doivent être considérées avec une extrême prudence en raison de l’« effet réservoir » lié à la présence de carbone ancien recyclé par les plantes aquatiques et/ou les crustacés présents dans les sédiments. Dans la partie supérieure, un niveau organique riche en charbons a été daté de l’âge du Bronze moyen. L’étude de la susceptibilité magnétique suggère une érosion croissante peut-être jusqu’à l’Antiquité tardive, moment où le plateau de Chastel-Marlhac est citéh dans les écrits de Grégoire de Tours (Delrieu, Martinez et Dendievel 2023). Par ailleurs, l’analyse préliminaire des macro-restes a mis en évidence la persistance de taxons aquatiques tout au long de la séquence (daphnies, cristatelle, potamot) sur ce site (Delrieu et alii 2021).
Figure 4 : Résultats de carottages, datations et analyses de susceptibilité magnétique (SM) acquis entre 2018 et 2021 pour la « fenêtre Sumène ». Crédit : A-M. Dendievel, 2022.
Figure 4 : Résultats de carottages, datations et analyses de susceptibilité magnétique (SM) acquis entre 2018 et 2021 pour la « fenêtre Sumène ». Crédit : A-M. Dendievel, 2022.

IV – Éléments de synthèse et perspectives

À travers ce carnet de terrain, nous avons présenté les résultats liminaires de caractérisation (stratigraphie, premières datations, susceptibilité magnétique) des séquences sédimentaires issues des tourbières des vallées de la Sianne et de la Sumène. Cette recherche minutieuse et longue souligne l’intérêt et le potentiel d’étude des tourbières situées à proximité immédiate des sites archéologiques pour reconstituer l’évolution des paysages locaux sous l’effet des activités humaines. Si la plupart des zones humides étudiées résultent du comblement d’anciens lacs, nous avons pu confirmer que des archives sédimentaires de grand intérêt pour la reconstitution des paysages protohistoriques sont bien conservés sur ces sites, ce qui n’était pas un pari gagné d’avance ! Ce travail de longue haleine poursuit actuellement son cours à travers l’étude paléoécologique du lac long à Espalem et celle de la séquence des sources de la Sianne. À suivre…

V – Bibliographie

Cubizolle 2019

Cubizolle (H.). – Les tourbières et la tourbe. Géographie, hydro-écologie, usages et gestion conservatoire, Paris, Lavoisier, 419 p.

Delrieu et alii 2020

Delrieu (F.), Auxerre-Géron (F.), Dendievel (A.-M.), Duny (A.), Mennessier-Jouannet (C.), Lacoste (E.), Muller (F.), Roscio (M.), Surmely (F.). – Archéologie des vallées de la Sianne et de la Sumène à l’âge du Bronze et au 1er âge du Fer (Haute-Auvergne). Départements du Cantal, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme. Rapport de prospection thématique avec sondages – année 2019, Clermont-Ferrand, DRAC – SRA AuRA.

Delrieu et alii 2021

Delrieu (F.), Auxerre-Géron (F.-A.), Dendievel (A.-M.), (Duny A.), Mennessier-Jouannet (C.), Lacoste (E.), Muller (F.), Richard (H.), Surmély (F.). – Archéologie des vallées de la Sianne et de la Sumène à l’âge du Bronze et au 1er âge du Fer (Haute Auvergne). Troisième année – 2020, Clermont-Ferrand, SRA Auvergne-Rhône-Alpes, 110 p.

Delrieu et alii 2019

Delrieu (F.), Auxerre-Géron (F.-A.), Dendievel (A.-M.), Duny (A.), Muller (F.), Mennessier-Jouannet (C)., Roscio (M.). – Archéologie des vallées de la Sianne et de la Sumène à l’âge du Bronze et au 1er âge du Fer (Haute-Auvergne), Rapport 2018 de prospection thématique avec sondages, Clermont-Ferrand, SRA Auvergne-Rhône-Alpes.

Delrieu, Martinez et Dendievel 2023

Delrieu (F.), Dendievel (A.-M.), Martinez (D.). – Approche comparative de l’occupation des sites de hauteur en Auvergne (Bronze final III/premier âge du Fer et Antiquité tardive/haut Moyen Âge) : chronologie, formes, dynamiques spatiales et paysagères à l’échelle d’un territoire. In Martinez (D.), Quiquerez (A.), Approche diachronique des sites de hauteur des âges des Métaux, de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge, Editions ArteHis, Dijon. URL : http://books.openedition.org/artehis/30933

Dendievel,Delrieu et Duny 2020

Dendievel (A.-M.), Delrieu (F.), Duny (A.). – « Entre Lacs et Tourbières : approche pluridisciplinaire de l’évolution des paysages et des zones humides de la Pénide à Espalem (Haute-Loire) », BIOM – Revue scientifique pour la biodiversité du Massif central, 1, p. 1‑11.

Reimer et alii 2020

Reimer (P.-J.), Austin (W.E.N.), Bard (E.). – « The IntCal20 Northern Hemisphere Radiocarbon Age Calibration Curve (0–55 cal kBP) », Radiocarbon, 62, 4, p. 725‑757.

Stuiver et Reimer 1993

Stuiver (M.), Reimer (P.-J.). – « Extended 14C data base and revised CALIB 3.0 14C Age calibration program », Radiocarbon, 35, 1, p. 215‑230.

Affiliations : 1) Univ Lyon, Université Claude Bernard Lyon 1, CNRS, ENTPE, UMR 5023 LEHNA, F-69518, Vaulx-en-Velin ; 2) GRAV – Groupe de Recherche Archéologique Vellave, 43 600 Sainte-Sigolène ; 3) DRAC ARA, Service Régional de l’Archéologie, 63 000 Clermont-Ferrand ; 4) UMR CNRS 5138 ArAr, 69 007 Lyon ; 5) Paléotime, 38 250 Villard-de-Lans ; 6) UMR 8546 AOrOc CNRS – ENS, 75 230 Paris Cedex 05 ; 7) UMR 6042 Geolab CNRS – UCA, 63 000 Clermont-Ferrand ; 8) UMR 6249 Chrono-Environnement CNRS – UBFC, 25 000 Besançon.

Un dernier moment de folie créatrice : le répertoire ornemental de la céramique dans le nord-est du massif central au IIe siècle avant J.-C.

Article publié dans les Actes du XXVIe colloque de l’Association française pour l’étude de l’âge du Fer : Vincent Guichard, Philippe Arnaud, Jonathan Dunkley, Gilles Loison, Viviane Richard, et al.. Un dernier moment de folie créatrice : le répertoire ornemental de la céramique dans le nord-est du massif central au IIe siècle avant J.-C.. Olivier Buchsenschutz; Alain Bulard; Marie-Bernadette Chardenoux; Nathalie Ginoux. Décors, images et signes de l’âge du Fer européen. Actes du XXVIe colloque de l’Association française pour l’étude de l’âge du Fer (Paris et Saint-Denis, 9-12 mai 2002), Supplément à la Revue archéologique du Centre de la France (24), FERACF, pp.91-112, 2003

I – Introduction

Fig. 1 – Un dernier moment de folie créatrice. Découpage territorial présumé au Haut-Empire et sites du nordest du Massif central ayant livré de la céramique peinte laténienne à décor animalier (région de Clermont-Ferrand exclue)
Fig. 1 – Découpage territorial présumé au Haut-Empire et sites du nordest du Massif central ayant livré de la céramique peinte laténienne à décor animalier (région de Clermont-Ferrand exclue)

Le “deuxième style plastique“ et le “style des épées hongroises“ qui s’épanouissent au début du IIIe siècle avant J.-C. sont communément considérés comme les styles décoratifs les plus originaux de la période laténienne, ceux qui manifestent le plus clairement l’identité “celtique“.

Par rapport à cette période fastueuse, l’artisanat laténien postérieur au IIIe siècle semble présenter une diversité et une qualité amoindries. Deux paramètres sont principalement invoqués, qui contribuent chacun à sa mesure à ce constat :

  • la raréfaction de la documentation d’origine funéraire, due à la propagation du rite de l’incinération,
  • la généralisation de productions en grande série au détriment des “pièces uniques “décorées avec les techniques de la cire perdue (parures annulaires, appliques de récipients) et de la gravure (fourreaux d’épées).

Jusqu’à une date assez récente, seule la qualité graphique parfois remarquable de la gravure monétaire laténienne des IIe et Ier siècles avant J.-C. obligeait à nuancer le propos.

Les découvertes effectuées au cours du dernier demi-siècle – et à un rythme accéléré depuis les années 1980 – dans le domaine de la céramique à décor peint apportent désormais un éclairage complémentaire de tout premier ordre sur les formes artistiques et les sources d’inspiration des artisans laténiens du IIe siècle avant J.-C.

Il est désormais acquis que ce siècle voit l’épanouissement d’un style décoratif nouveau à la fois parfaitement ancré dans la tradition laténienne, d’une réelle originalité et d’une qualité indéniable.

La céramique peinte à décor curviligne élaboré d’inspiration naturaliste est connue dans un grand nombre de régions du monde laténien aux IIe et Ier siècles avant J.-C. Néanmoins, les régions du nord-est du Massif central (territoires des Arvernes, des Ségusiaves et, dans une moindre mesure, des Eduens) présentent, de loin, la documentation la plus riche grâce au nombre des récipients répertoriés, à la diversité de leurs décors et à la possibilité de suivre pas à pas l’évolution d’un procédé décoratif depuis son émergence au tournant du IIIe et du IIe siècle, jusqu’à sa disparition un siècle plus tard.

Ce corpus documentaire du nord-est du Massif central a déjà fait l’objet de deux catalogues (Guichard 1987 et Guichard 1994). Le développement de l’archéologie préventive ne cessant d’accélérer le rythme des découvertes, notre exposé doit être introduit par la chronique des dernières trouvailles significatives, qui enrichissent le dossier de données parfois spectaculaires, avant de livrer quelques compléments à l’analyse que nous avons déjà eu l’occasion de publier. Pour être complet, on doit également noter de nouvelles découvertes en dehors de notre région d’étude.

Fig. 2 – Un dernier moment de folie créatrice. Cartographie des sites de la fin de l’âge du Fer dans la région de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)

Fig. 2 – Cartographie des sites de la fin de l’âge du Fer dans la région de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)

II – Un dernier moment de folie créatrice. Chronique des découvertes

1 – Riom, La Gravière (Puy-de-Dôme)

La fouille, conduite par l’un d’entre nous (Gilles Loison), a été suscitée par l’installation d’une zone industrielle, à la sortie nord de l’agglomération de Riom. Le secteur étudié se situe à la base de la pente d’une croupe calcaire exposée au sud-est, en bordure de la plaine de Grande Limagne.

L’étendue fouillée (un rectangle de 80 × 50 m) a livré des structures qui s’échelonnent sur toute la durée de la protohistoire, depuis le Chalcolithique jusqu’à la fin de l’âge du Fer. Le mobilier étudié provient d’une fosse (F41b) qui représente la seule trace d’activité attribuable aux trois derniers siècles avant le changement d’ère (à l’exclusion peut-être de fossés parcellaires qu’il est difficile de dater précisément).

La fosse avait la forme d’un cylindre de 0,6 m de diamètre pour 0,6 m de profondeur. Elle recoupait une fosse de forme irrégulière et de dimensions plus fortes (largeur maximum de 2,2 m) au comblement dépourvu de mobilier.

Le remplissage de la fosse 41b elle-même, stratifié, comprenait une mince couche cendreuse, surmontée d’une couche brune limoneuse plus épaisse (10 cm) très riche en mobilier, puis plusieurs couches de scellement pratiquement dépourvues de céramique. Une rubéfaction locale de la paroi, dans sa partie supérieure, indiquait que celle-ci avait abrité une source de chaleur.

La fosse contenait environ 250 fragments de céramique, dont 150 tessons de céramique peinte et 100 tessons de céramique fine tournée, à surface initialement enfumée. Tous ces fragments portent les séquelles d’une surcuisson violente qui s’est souvent produite (ou prolongée) après le bris des vases. Ils sont souvent très déformés. Le mobilier non-brûlé est quasiment inexistant et semble résiduel : très petits fragments de céramique modelée protohistorique, esquilles osseuses.

Les fragments appartiennent à au moins 16 vases différents. Tous sont très fragmentés et incomplets. Leur variété semble exclure l’hypothèse d’un dépotoir d’atelier de potier, que pourrait suggérer la surcuisson des tessons. On serait même tenté de dire que les récipients rassemblés dans la fosse résultent d’un choix effectué suivant des critères de diversité – tous sont décorés, mais aucun décor ne se répète sur deux vases différents – au sein d’une forme générale unique, celle de grands vases fuselés hauts de 30 à 40 cm qui devaient servir à présenter la boisson.

Les anomalies présentées par le mobilier font donc pencher en faveur d’un dépôt relevant d’une manipulation bien précise. L’hypothèse d’un dépôt funéraire d’incinération est envisageable mais s’oppose à l’absence totale (mais non-rédhibitoire) d’ossements brûlés dans le comblement de la fosse et à l’uniformité du type de vases représenté, alors qu’on s’attendrait à voir se côtoyer des vases à liquide et des assiettes (pour la présentation de la nourriture). Le caractère insolite de ce dépôt est aussi amplifié par son isolement.

L’ensemble se classe sans hésitation au IIe siècle avant J.-C. Dans l’état actuel de la connaissance des mobiliers régionaux, les vases à décor lissé ne peuvent pas être datés plus précisément. Comparativement au répertoire du site en cours d’étude de Clermont-Ferrand “La Grande Borne “, la forme fuselée et le décor élaboré de l’un d’entre eux (N°8, Fig. 10) paraissent même exceptionnels.

Certains décors peints curvilignes sur fond de résille (N°4, Fig. 6 et fragment non figuré) présentent des affinités avec le groupe stylistique 1, dont les témoins identifiés appartiennent quasiment tous à la première moitié du IIe s.4.

En revanche, d’autres décors peints (N°1, Fig. 3 sûrement ; N°2 et 3, Fig. 4 et 5 de façon plus incertaine) illustrent un autre style ornemental (groupe 4) dont tous les représentants recensés à l’heure actuelle sont datés dans la seconde moitié du IIe siècle (Guichard 1987, p. 121-122 ; Guichard 1994, p. 115), datation que nous retiendrons finalement pour la mise en place du dépôt.

Vase n° 1

Vase fuselé à ouverture étroite, fragmentaire.

Fig. 3 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°1
Fig. 3 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°1

Le décor peint d’inspiration animalière, en réserve sur fond blanc, reprend le mode de composition classique du groupe 4, qui est traité ici de manière particulièrement exubérante et baroque, avec une surcharge exceptionnelle de motifs curvilignes.

La composition principale est constituée d’une frise continue de quadrupèdes tournés à droite. On distingue la tête de l’un d’entre eux, dotée de longues oreilles longilignes et, entre ces dernières, d’un motif qui se développe en demi-palmette ; son encolure est pourvue d’une crinière stylisée par une frise de petites esses enchaînées et remplie d’un motif d’esse plus large.

Ces quadrupèdes sont surmontés par d’autres, contorsionnés et tournés à gauche, dont on repère surtout la tête surmontée de trois rinceaux parallèles et le corps couvert de groupes de courts traits parallèles suggérant le pelage.

Le col, peint en rouge, est orné d’un motif de damier, tout à fait classique sur les vases décorés du groupe 4.

Vase n° 2

Fragment de col de vase haut à décor peint sur fond blanc, curviligne et traité en réserve. Il s’agit vraisemblablement d’une variante du décor qui caractérise le groupe 4.

Fig. 4 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°2
Fig. 4 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°2

Vase n° 3

Fragment de paroi de vase fuselé à décor peint en réserve sur fond blanc, divisé en métopes.

Fig. 5 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°3
Fig. 5 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°3

Le décor est à peine discernable. Les séparations des métopes sont constituées de motifs en échelle.

Une large partie du champ est occupée par des motifs de demi-palmettes dont le traitement rappelle celui de la queue retombante des quadrupèdes de certains vases décorés dans le style 4.

Ces motifs sont environnés d’esses et de petits cercles pointés.

Vase n° 4

Grand vase fuselé fragmentaire à décor peint sur fond blanc divisé en métopes séparées par des faisceaux de lignes ondées.

Fig. 6 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°4
Fig. 6 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°4

La composition, en réserve sur fond de résille, est probablement d’inspiration animalière.

Il semble en effet possible de distinguer l’encolure et le mufle d’un animal tourné à gauche, devant lequel se développe un motif indéterminé.

Vase n° 5

Fragment de vase peint à décor sur fond blanc qui présente des motifs curvilignes complexes qu’il est impossible de rattacher à un style déjà répertorié

Fig. 7 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°5
Fig. 7 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°5

Vase n° 6

Grand vase fuselé à ouverture resserrée doté d’un col élevé souligné par un léger épaulement. Le décor principal, exécuté en réserve, se développe sur le fond peint en blanc de la panse.

Fig. 8 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°6
Fig. 8 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°6

Il se compose d’une frise continue très incomplète de quadrupèdes tournés à droite, dont l’extrémité des pattes est bien visible sur certains fragments.

L’espace situé sous le corps de chaque animal est occupé par un large motif en forme d’esse environné de cercles pointés, selon une formule proche de celle du groupe 4.

La partie supérieure du décor paraît en revanche beaucoup plus inhabituelle mais n’est pas restituable.

Un bandeau rouge situé à la base du décor principal est orné d’un motif d’échelle, classique sur les vases du groupe 4.

Le col, également peint en rouge, est orné d’un registre de frises de postes, également assez classique, surmonté d’un autre, plus original, orné d’oves exécutées en réserve.

Vase n° 7

Fig. 9 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°7
Fig. 9 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°7

Fragments d’un vase haut fuselé à ouverture étroite dont la panse est renforcée de deux baguettes,

  • l’une à la base du col,
  • l’autre à la base de la panse, à surface initialement enfumée.

Le décor lissé se développe suivant une composition verticale, avec une alternance de motifs verticaux d’esses enchaînées et de bandes couvertes de croisillons.

Vase n° 8

Grand vase fuselé à ouverture large et col très court, dont la partie médiane de la panse est décorée au lissoir sur deux registres.

Celui du haut est constitué d’une frise de métopes séparés par des lignes ondées et remplis par des croisillons ; celui du bas comprend une suite de lignes ondées verticales jointes par des motifs identiques disposés en biais.

Fig. 10 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°8
Fig. 10 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°8

Non illustrés

  • Un vase fuselé fragmentaire portant un décor peint géométrique sur fond blanc, le col (et probablement la base de la panse) portant un bandeau rouge. Le décor se divise en un registre supérieur étroit orné de chevrons et en un registre beaucoup plus développé orné d’une composition suivant une trame verticale, faisant alterner bandes rectilignes épaisses et faisceaux de lignes ondées ;
  • Un haut de vase fuselé à ouverture étroite (?) et col souligné par un épaulement, uniformément peint en rouge ;
  • Deux vases fuselés à ouverture large à très large, pied cintré, col court, surface extérieure entièrement peinte en blanc sans décor surpeint, et un autre vase peint sans doute identique et représenté uniquement par des fragments de paroi qui présentent la particularité de porter une peinture parfaitement polie, à l’aspect de porcelaine ;
  • Des fragments de paroi d’un grand vase haut à surface initialement enfumée dont la panse est décorée au lissoir d’un registre de croisillons surmontant un registre couvert par des lignes verticales ;
  • Un fragment de paroi de vase haut fuselé à décor sur fond blanc constitué de métopes séparées par des faisceaux de lignes ondées. Le décor principal, sur fond de résille, n’est pas discernable ;
  • Un fragment de col de vase haut à décor peint curviligne (?) en réserve sur fond de résille ;
  • Un col de vase haut probablement doté d’un léger épaulement, peint en rouge.
  • Un fragment très déformé de grand vase haut à décor lissé sur la partie médiane de la panse, disposé en chevrons.

2 – Clermont-Ferrand, le Puy de la Poix (Puy-de-Dôme)

La seconde série de découvertes provient d’une fouille de sauvetage effectuée par deux d’entre nous (Philippe Arnaud et Viviane Richard) en 1991.

Elle se situe dans une zone qui a déjà livré à de nombreuses reprises des vestiges laténiens. Celle-ci, située à l’extrémité sud-est de la plaine de Grande Limagne, est en effet un lieu de passage obligé le long d’un cheminement nord-sud, encadré par les pentes du Puy de Crouelle et de la colline de Gandaillat. Les points de découverte parsèment la plaine sur une distance de deux kilomètres, mais ils ne permettent pas d’apprécier la superficie effectivement occupée à l’époque laténienne. Souvent mentionné sous le nom d’Aulnat – Gandaillat, le site a fait l’objet d’une importante intervention dans les années 1970, par R. Périchon et J. Collis, au terroir de La Grande Borne. La fouille considérée ici a été suscitée par l’élargissement de la rue Elisée-Reclus (D772), à l’emplacement où celle-ci longe le Puy de la Poix, un très modeste bombement de roches bitumineuses d’origine volcanique (pépérite), et à seulement 200 m au nord-ouest du chantier de La Grande Borne. La fouille, une étroite bande de terrain de 80 × 5 m, a livré plusieurs dizaines de structures en creux laténiennes, parmi lesquelles :

  • Un puits (F78) taillé dans la marne, profond de 4,5 m, de section carrée au sommet (d’un peu moins d’un mètre de côté), circulaire ensuite. Il était doté d’un parement appareillé en pierre à son sommet, reposant sans doute à l’origine sur un chassis en bois. Son remplissage initial comprend dix vases entiers, dont six intacts ; le remplissage secondaire, de type dépotoir, de très nombreux vases fragmentés (2800 tessons, soit environ 150 vases ; Deberge, dans PCR 2001, p. 91-115) dont l’assemblage peut être daté du milieu du IIe siècle ;
  • Un cellier (F68) pratiquement carré (2,0 × 1,8 m), profond (2,1 m) et doté de banquettes latérales, dont le remplissage ne contenait, à la base, qu’une quarantaine de tessons d’amphore (seconde moitié du IIe siècle) ;
  • Un cellier (F50) rectangulaire (2,6 × 1,6 m) et profond (1,1 m), contenant un abondant mobilier détritique (environ 1500 tessons de céramique) analogue à celui du puits F78 ;
  • Une vaste fosse (F22) oblongue (4,5 × 2,0 m) et peu profonde (0,3 m) au centre de laquelle avait été déposé le corps d’un individu adulte en décubitus dorsal, avec un objet indéterminé en tôle de fer au-dessus des pieds ; le mobilier détritique qui l’environnait (environ 200 tessons) permet une datation dans la première moitié du IIe siècle. La céramique peinte est abondante parmi les découvertes. Elle représente 7 % des tessons dans le puits, 11 % dans la fosse 50. Le lot livré par le comblement primaire du puits est particulièrement spectaculaire. Il s’agit de quatre vases peints entiers et d’un autre fragmentaire, dont le décor a été parfaitement conservé par l’environnement anaérobie. Ils étaient associés à huit vases enfumés complets et à plusieurs autres fragmentaires. Ce dépôt comprend donc douze vases qui ont été pour une partie au moins été précipité intacts dans le puits. Il s’agit uniquement de vases hauts en céramique fine, sans doute utilisés pour le service de la boisson. Ils portent tous des traces d’usure – voire même une réparation à la poix (N°17, Fig. 19) et un enduit intérieur d’étanchéification avec le même matériau (N°13, Fig. 15) – qui indiquent une utilisation initiale plus ou moins prolongée avant leur dépôt, dont aucun indice ne permet de préciser la signification.

Vase n°9 (inv. 63-113-341-1103-9)

Puits 78. Vase peint intact, avec pied légèrement abrasé.

Fig. 11 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°9
Fig. 11 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°9

La forme est haute et fuselée, à ouverture étroite.

La peinture a été appliquée sur une couche d’engobe de couleur beige qui couvre l’ensemble de la surface extérieure.

Le décor se développe en un large registre sur fond blanc, limité par deux étroits bandeaux rouges rehaussés de lignes horizontales noires. Il consiste en une frise de trois quadrupèdes debout tournés à gauche qui apparaissent en réserve sur une résille tracée avec sept pinceaux 5 fins réunis en peigne.

Les motifs animaux ont quant à eux été mis en place avec un pinceau large. Ils allient détails anatomiques réalistes (sabots et genoux) et détails stylisés (encolure développée, oreilles dessinant une lyre, queue relevée et épanouie).

Le corps des animaux est agrémenté de plusieurs rinceaux tracés avec le même outil, manié de façon à faire apparaître des pleins et des déliés.

Vase n°10 (inv. 63-113-341-1103-11)

Puits 78. Vase peint intact (à une petite lacune près, à la base), avec pied légèrement abrasé.

La forme est haute et fuselée, à ouverture étroite.

La peinture a été appliquée sur une couche d’engobe, comme pour le vase précédent.

Le décor se développe également en un large registre sur fond blanc, limité par deux étroits bandeaux rouges rehaussés de lignes horizontales noires. Il consiste en une frise de trois motifs curvilignes foliacés disposés verticalement sur toute la hauteur du champ et tracés avec un pinceau épais.

Ils apparaissent en réserve sur une résille tracée avec sept pinceaux fins réunis en peigne.

Fig. 12 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°10
Fig. 12 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°10

Vase n°11 (inv. 63-113-341-1103-10)

puits 78. Vase peint brisé (quelques lacunes), avec pied légèrement abrasé.

Fig. 13 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°11
Fig. 13 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°11

La forme est haute et fuselée, à ouverture étroite.

La peinture a été appliquée sur une couche d’engobe.

Le décor se développe également en un large registre sur fond blanc, limité par deux étroits bandeaux rouges rehaussés chacun d’une frise de pyramides à deux gradins disposées tête-bêche. Il consiste en une frise de trois quadrupèdes tournés à droite qui se détachent en réserve sur une résille tracée avec six pinceaux fins réunis en peigne.

Contrairement aux deux vases précédents, le décor a été mis en place avec un pinceau très fin, avec une grande minutie, comme le montrent des détails d’exécution.

Le corps est sobrement stylisé, de manière traditionnelle : développement de l’encolure et pincement exagéré de l’abdomen, ligne ondée figurant la crinière. Les oreilles sont en revanche le prétexte au développement d’un motif exubérant en forme de palmette symétrique, dont le cœur est occupé par un triscèle traité en réserve et entouré de cercles pointés.

Vase n°12 (inv. 63-113-341-1103-12)

Puits 78. Vase peint, brisé mais complet, avec pied très abrasé.

Fig. 14 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°12
Fig. 14 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°12

La forme est haute, à panse large et ouverture très large.

La peinture a été appliquée directement sur la surface de l’argile.

Le décor se développe en un large registre sur fond blanc, limité par deux étroits bandeaux rouges, rehaussés pour celui du bas de traits noirs horizontaux, pour celui du haut d’une frise de carrés noirs.

Le décor principal est géométrique et d’architecture très simple : lignes verticales étroites, ondées et tracées au peigne, alternant avec des paires de lignes droites épaisses.

Vase n°13 (inv. 63-113-341-1103)

Puits 78. Vase peint dont seule la moitié inférieure (brisée) est conservée.

Fig. 15 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°13
Fig. 15 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°13

Son pied est légèrement abrasé, son intérieur est poissé.

Sa forme est haute et fuselée.

La peinture a été appliquée sur une couche d’engobe de couleur crème.

Le décor se développe sur fond blanc ; il est délimité vers le bas par un étroit bandeau rouge. Il consiste en un damier qui se développait sans doute initialement sur quatre registres.

Les cases sont remplies alternativement par une résille et par un motif de croissant de lune.

Vase n°14 (inv. 63-113-341- 1103-3)

Puits 78. Vase enfumé, brisé mais complet, avec pied très abrasé.

La forme est haute, à panse et ouverture larges, col court. Le fond, fabriqué avec une argile plus sableuse, a été mis en place après le tournage du reste du vase. La surface externe est égalisée, le col seul étant lissé.

Fig. 16 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°14
Fig. 16 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°14

Vase n°15 (inv. 63-113-341-1103-2)

puits 78. Vase enfumé, brisé mais complet, avec pied faiblement abrasé et de facture très proche du précédent.

La forme est haute, à panse et ouverture larges, col court. Le fond semble avoir été façonné en même temps que le reste du vase.

Fig. 17 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°15
Fig. 17 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°15

Vase n°16 (inv. 63-113-341-1103-5)

Puits 78. Vase enfumé intact (à l’exclusion d’une lacune au rebord), avec pied abrasé.

Fig. 18 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°16
Fig. 18 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°16

La forme est haute, à panse large et ouverture très large, col souligné par une baguette.

Le fond paraît avoir été mis en place après le tournage du reste du vase.

La surface externe est pourvue d’un décor lissé : ligne horizontale ondée sur l’épaule, surmontant un large registre occupé par des lignes verticales

Vase n°17 (inv. 63-113-341-1103-4)

Puits 78. Vase enfumé intact, dont le pied est très abrasé et la panse, percée accidentellement, a été réparée à la poix.

La forme, à panse et ouverture larges, est très inhabituelle. Elle est caractérisée par un col et un pied haut, soulignés tous deux par une baguette. La surface externe est entièrement lissée.

Fig. 19 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°17
Fig. 19 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°17

Vase n°18 (inv. 63-113-341-1103-8)

Puits 78. Vase enfumé intact (à l’exception d’une grosse lacune au col), avec pied très abrasé.

Fig. 20 - Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°18
Fig. 20 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°18

La forme, à panse et ouverture larges, est, en Basse-Auvergne, typique de La Tène C.

Elle est caractérisée par un pincement à mi-hauteur de la panse.

Le col est de plus souligné par deux baguettes et le fond (façonné à part) soulevé.

La surface externe est pourvue d’un décor lissé : ligne horizontale ondée sur l’épaule, large registre occupé par des lignes verticales sur le pied.

Vase n°19 (inv. 63-113-341-1103-1)

Puits 78. Vase enfumé brisé (une grosse lacune à la panse), avec pied légèrement abrasé.

Fig. 21 - Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°19
Fig. 21 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°19

La forme est très proche de celle du vase précédent.

Elle s’en distingue par une allure plus fuselée et un fond moins élaboré, fabriqué en même temps que le reste de la pièce.

Le décor est identique.

Ce vase se distingue toutefois par une particularité de façonnage : la paroi de la partie de la panse située en dessous du pincement ayant été jugée trop épaisse à l’issue du tournage, elle a été fortement amincie avant séchage par raclage vertical de l’intérieur avec un outil de profil semi-circulaire.

Vase n°20 (inv. 63-113-341-1107/10)

Fosse 50. Vase peint très fragmentaire.

Fig. 22 - Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°20
Fig. 22 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°20

La forme est haute et fuselée.

Le décor se développe sur fond blanc et surmonte un bandeau rouge. Il consiste en trois quadrupèdes tournés à gauche et disposés dans des métopes séparées par un motif d’échelle.

Les animaux apparaissent en réserve. Seule la partie inférieure est conservée, qui montre un traitement sobre et très classique (abdomen pincé, queue tombante, sabots nettement tracés).

Un tesson isolé, appartenant à la partie haute du décor, suggère qu’ils étaient surmontés d’une ramure. Le tracé initial, sans doute opéré avec un pinceau fin, a été complété avec un instrument nettement plus large. Un losange a été épargné sous le ventre de chaque animal.

Il est décoré de deux traits en croix qui déterminent quatre triangles dont deux sont remplis par une résille.

2 – Clermont-Ferrand, Gandaillat (Puy-de-Dôme)

Le vase dont il est question est issu d’une fouille de sauvetage effectuée en 2001 par l’une d’entre nous (C. Vermeulen) sur un autre secteur du vaste site d’Aulnat / Gandaillat / La Grande Borne, à 1 km environ à l’est des découvertes mentionnées au paragraphe précédent.

Ce secteur fouillé sur 8 000 m² a livré des structures de nature très variée (habitat, métallurgie, vestiges funéraires) et un mobilier très abondant qui ont comme point commun de dater dans leur extrême majorité de la première partie de La Tène D1.

Ainsi, le vase étudié provient du comblement primaire d’un puits (n° 34) – ce qui explique une nouvelle fois son très bon état de conservation – où il était associé à un abondant mobilier de cette période.

Vase n°21

Fig. 23 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Profil restitué de façon approximative, dans l’attente d’un remontage
Fig. 23 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Profil restitué de façon approximative, dans l’attente d’un remontage

Vase conservé aux trois-quarts environ. Son profil est restituable, à l’exclusion du col (Fig. 23). Sa hauteur conservée est de 43 cm, pour une hauteur estimée de 47 cm environ et un diamètre de 32 cm. Sa paroi interne est enduite de poix.

Le vase, tourné, est fuselé, avec une épaule élevée bien marquée qui surmonte un pied élancé à fond légèrement soulevé. La restitution de la partie supérieure ne pose pas de difficulté : col haut légèrement rentrant terminé par une lèvre allongée déversée et raccordé à la panse par une moulure faiblement marquée.

L’argile utilisée est bien épurée. Les parois sont minces, voire très minces (près du pied). La cuisson leur a donné une bonne dureté et une teinte homogène brun clair en surface. Comme c’est très fréquemment le cas pour les vases peints du bassin de Clermont-Ferrand, on observe que les surfaces extérieures du récipient ont d’abord été enduites d’un engobe de couleur blanc-crème, qui a épargné le pied (où l’on observe des coulures). Après séchage a été mis en place le fond

coloré : un large bandeau blanc de 29 cm pour le registre principal, encadré d’étroits bandeaux rouge près du pied et sur le col. Le vase a été cuit après un polissage soigné de ces surfaces peintes. Le décor proprement dit utilise une peinture qui apparaît noire et opaque quand elle est bien conservée, comme c’est le cas ici, malgré la minceur de la couche picturale. L’excellente conservation permet d’observer les modalités du tracé. Bien que répétés sept fois sur le pourtour du vase, les motifs ne se reproduisent jamais exactement à l’identique, quelles que soient leur taille et leur complexité. On observe en outre que leur tracé a toujours été effectué avec un instrument très fin (1 mm environ) préalablement au remplissage des surfaces noircies, sans aucun repentir apparent. On doit donc exclure le recours à des poncifs et à des pochoirs, de même que l’utilisation d’une technique de peinture en réserve avec masquage par de la cire ou de la graisse, comme on l’observe pour d’autres séries de céramique peinte contemporaines. Le décor est une frise d’animaux qui se développe sur le bandeau blanc central. Il est encadré par deux registres secondaires qui se superposent approximativement aux bandeaux rouges :

  • au registre inférieur, une échelle horizontale qui surmonte une bande de pyramides à gradins disposées tête-bêche, tandis que la partie restante du pied a été sommairement recouverte d’une couche de peinture noire ;
  • au registre supérieur, une frise d’oves surmontée par une échelle horizontale et – sans aucun doute bien que cela ne soit pas conservé – par une frise de pyramides identique à celle du registre inférieur.
Fig. 25 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Relevés photographiques partiels mettant en évidence les animaux du registre principal
Fig. 25 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Relevés photographiques partiels mettant en évidence les animaux du registre principal

Le décor principal (Fig. 24) est traité de façon à ce que les motifs principaux apparaissent en réserve.

Il s’agit d’une frise continue rythmée par sept grands quadrupèdes tournés à droite qui occupent toute la hauteur du champ (Fig. 25).

Ces animaux très stylisés ont deux paires de pattes longilignes, un abdomen très pincé, une encolure cambrée et excessivement étirée. La queue et la tête donnent lieu à un épanouissement de motifs curvilignes sans aucun rapport avec la physionomie animale : élégant rinceau pour la queue, longues “pousses “terminées par un enroulement ou une palmette pour la ramure.

Fig. 24 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Développement photographique du décor
Fig. 24 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Développement photographique du décor
Fig. 26 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Relevés photographiques partiels mettant en évidence les animaux du registre inférieur
Fig. 26 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Relevés photographiques partiels mettant en évidence les animaux du registre inférieur

D’autres animaux sont placés sous le ventre de chacune des figures principales (Fig. 26). Il s’agit encore de quadrupèdes aux pattes longilignes et à l’abdomen pincé, cette fois tournés à gauche et traités avec plus de simplicité en raison de l’exiguïté du champ disponible, de sorte que la queue et les oreilles, simplement tracées, sont bien reconnaissables.

Le registre supérieur est occupé par des paires d’animaux (Fig. 27) qui paraissent appuyer leurs pattes sur l’encolure des figures principales. De ce fait, elles sont basculées presque à la verticale. Ces quadrupèdes sont affrontés, la tête baissée comme s’ils broutaient ou se désaltéraient. Leur queue est sobrement stylisée par une pousse terminée par un rinceau. Leur ramure donne lieu, en revanche, à un traitement sophistiqué sous forme de deux paires de demies palmettes nervurées. Les deux figures, parfaitement symétriques, se distinguent par un seul détail : le remplissage du corps de celle de droite par de fines lignes ondées qui semblent évoquer le pelage. Le décor est enfin agrémenté de nombreux motifs non-figuratifs autonomes qui remplissent tous les petits espaces vacants. On compte ainsi, pour chaque répétition des motifs animaliers : une rosette, cinq ou six esses et huit à dix cercles évidés et pointés.

Fig. 27 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Relevés photographiques partiels mettant en évidence les animaux du registre supérieur
Fig. 27 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Relevés photographiques partiels mettant en évidence les animaux du registre supérieur

3 – Clermont-Ferrand, Le Brézet (Puy-de-Dôme)

On ne quitte toujours pas le complexe d’Aulnat avec cette découverte récemment publiée issue d’une fouille de 1997 (Deberge 2000).

Le vase peint étudié provient de nouveau du comblement primaire d’un puits du début de La Tène D1. L’environnement semble plutôt ici lié à des activités cultuelles, sans exclure les activités domestiques.

Vase n°22

Vase incomplet de forme haute assez élancée, bien que son pied ne soit pas cintré.

Fig. 28 – Clermont-Ferrand, Le Brézet : vase n°22 (d’après Deberge 2000).
Fig. 28 – Clermont-Ferrand, Le Brézet : vase n°22 (d’après Deberge 2000).

La partie sommitale manque complètement.

Le décor, traité en réserve sur fond rouge, est très bien conservé.

Il se développe sur un large registre qui occupe toute la panse et est divisé en trois métopes. Chaque métope est occupée par un quadrupède tourné à gauche aux pattes élancées, à la longue queue tombante et à la ramure – incomplète – exubérante.

Un appendice curviligne est greffé sur sa croupe, tandis que deux motifs abstraits indépendants occupent des espaces libres dans le bas du champ.

Les métopes sont séparées par de larges motifs de chevrons.

4 – Clermont-Ferrand, Le Pâtural (Puy-de-Dôme)

Les derniers vases proviennent d’un site de plaine dégagé sur une vaste étendue (près d’un hectare) entre 1987 et 1995 par John Collis et Jon Dunkley, à moins de 3 km au nord du précédent.

Bien que l’occupation culmine au IIe siècle avant J.-C. et que la céramique y soit très abondante, la céramique peinte ayant conservé un décor lisible est rare (sans doute parce que l’essentiel du mobilier provient de fossés où il a pu rester longtemps exposé à l’air libre).

Les vases présentés, qui s’ajoutent à ceux présentés antérieurement (Guichard 1994, p. 110 et fig. 9), ont été retrouvés, pour le premier à l’état de gros fragments parmi les blocs de calage d’un poteau, sans aucun autre mobilier caractéristique (sinon une embouchure de cruche à pâte calcaire d’origine méridionale), pour le second dans le remplissage d’un fossé daté en première analyse du milieu du IIe siècle avant J.-C. par le mobilier associé.

Vase n°23 (inv. PA 64042)

Vase peint, très lacunaire.

Fig. 29 – Clermont-Ferrand, Le Pâtural, fosse 64042 : vase n°23.
Fig. 29 – Clermont-Ferrand, Le Pâtural, fosse 64042 : vase n°23.

La forme, haute et fuselée, se distingue par son col haut souligné par une baguette et son pied très soulevé.

La peinture, assez érodée, est appliquée sur une couche d’engobe de couleur crème.

Le registre principal, sur fond blanc, est délimité par deux bandeaux rouges.

Le décor, qui recourt à la même technique que ceux du groupe 4 (motifs principaux en réserve sur fond en aplat, surcharge de motifs indépendants, esses et lignes de rinceaux) n’est pas reconstituable.

Le champ paraît découpé par des traits rectilignes obliques. Le centre du registre est occupé par des quadrupèdes qui paraissent bondir, au lieu de s’appuyer sur la bordure inférieure du champ.

Vase n°24 (inv. PA 71050, 71056, 71057 : fossé 70926)

Vase peint très lacunaire, de forme haute et certainement fuselée. Le décor se développe sur fond blanc. On reconstitue une composition comparable à celle qui caractérise le groupe 4 : une frise principale d’animaux (quadrupèdes) tournés à droite, environnés d’animaux plus petits qui occupent l’espace situé au-dessus de leur croupe et (sans doute) celui placé au-dessous de leur poitrail. Plus précisément, l’espace supérieur, entre deux animaux du registre principal, semble normalement occupé par une large volute qui prolonge leur crinière et, situés de part et d’autre de celle-ci, de deux quadrupèdes bondissants. La présence d’un seul quadrupède dans un des intervalles, de longueur réduite, doit s’expliquer par une mauvaise gestion de la surface à décorer. Ce vase se distingue en revanche par un traitement décoratif contraire aux conventions habituelles des décors animaliers du nord-est du Massif central : les motifs se détachent ici en sombre sur fond clair. La stylisation des formes animales présente d’autres traits originaux : mufles arrondis, gros yeux globuleux et, surtout, oreilles beaucoup moins développées qu’à l’habitude.

Fig. 30 – Clermont-Ferrand, Le Pâtural, fossé 70926 : vase n°24.
Fig. 30 – Clermont-Ferrand, Le Pâtural, fossé 70926 : vase n°24.

III – Le répertoire ornemental de la céramique peinte du IIe siècle avant J.-C. dans le nord-est du Massif central

Ce répertoire comprend des décors géométriques et des décors plus élaborés, utilisant des motifs d’origine végétale ou animale. La proportion des uns et des autres est difficile à apprécier précisément. Un décompte systématique effectué sur plusieurs sites du département de la Loire (Feurs et Roanne) suggère un rapport 3 ou 4 pour 1. Les décors géométriques présentent une grande variété, sujette à des variations d’un site à l’autre, et une réelle spécificité vis-à-vis du répertoire d’autres régions bien documentées du monde laténien. Toutefois, nous nous attarderons seulement sur les décors plus élaborés, infiniment plus spectaculaires et plus riches d’information. Les décors complexes n’utilisant pas des motifs animaliers sont rares. Les plus caractéristiques illustrent le thème de la frise de rinceaux, traitée dans un esprit résolument différent de celui propre au “style végétal continu “du IVe siècle (frise de rinceaux : Guichard 1987, fig. 9/1, Guichard 1994, fig. 3/1 ; autres compositions : Guichard 1994, fig. 15/4). Les décors animaliers sont en revanche très fréquents. Les nouveaux éléments apportés au corpus améliorent notablement notre connaissance de leur répertoire. On avait proposé de définir au sein de celui-ci quatre groupes stylistiques, qui permettaient de classer l’ensemble des décors reconstituables et la grande majorité de ceux connus seulement à l’état de fragments (Guichard 1987, p. 109-125).

Le premier regroupait tous les décors sur fond de résille. Il s’avérait représenté seulement par des frises ininterrompues de quadrupèdes et datable essentiellement de la première moitié du IIe siècle. Le second correspondait aux décors divisés en métopes. S’y rattachaient uniquement des figurations de quadrupèdes dotés d’une ramure épanouie en forme de lyre symétrique et apparaissant en réserve sur fond traité en aplat noir. Ce groupe, fréquent en territoires éduen et ségusiave et jusqu’à présent absent en territoire arverne, couvrait tout le IIe siècle.

Le troisième groupe s’identifiait au décor d’une série peu nombreuse de coupes représentées seulement en territoire ségusiave, constitué de frises continues de quadrupèdes traitées en réserve sur fond en aplat. Le quatrième groupe se caractérisait par une frise continue de quadrupèdes traitée en réserve sur fond en aplat. Il réunissait une série assez nombreuse de récipients découverts en territoires arverne et ségusiave, qui se distinguaient aussi par une grande surcharge ornementale et provenaient uniquement de contextes datés de la seconde moitié du IIe siècle.

Certains des nouveaux vases, sans remettre en question ce classement, permettent de mieux apprécier la variété au sein de chaque groupe. C’est le cas en particulier des nouveaux représentants typiques du groupe 4 (Riom, N°1, Fig. 3 ; Gandaillat, N°21, Fig. 24). Le premier montre un décor simplifié, où les quadrupèdes des registres inférieur et supérieur ont été remplacés par des palmettes. Les deux autres présentent en revanche un décor surchargé à l’extrême. Sur le vase de Gandaillat, dont la grande taille est exceptionnelle, le peintre exploite avec virtuosité le champ inhabituellement large qui lui est offert, multipliant les figures animales (vingt-huit, contre une douzaine habituellement) et les ornements sans modifier l’économie générale du décor.

Cette variété est également constatée pour le groupe 1 avec le singulier exemple d’un vase du Puy de la Poix (N°10, Fig. 12), sur lequel les animaux ont disparu au profit de motifs purement abstraits dont le traitement est identique à celui réservé à la queue ou aux oreilles sur les vases de ce groupe.

D’autres décors, malheureusement tous fragmentaires, n’entrent certainement pas dans un de nos groupes. C’est le cas de vases de Riom (N°5, Fig. 7) et du Pâtural N°23, (Fig. 29) dont la technique décorative paraît toutefois proche des vases du groupe 4. Plusieurs autres présentent une subdivision du registre principal en métopes, jusqu’alors inédite en territoire arverne (Riom, N°4, Fig. 6 et sans doute N°3, Fig. 5 ; Puy de la Poix, N°20, Fig. 22 ; Le Brézet, N°22, Fig. 28), sans pour autant montrer les représentations animales simples et stéréotypés qui caractérisent le groupe 2. Surtout, un vase du Pâtural (N°24, Fig. 30) présente une solution décorative originale, qui permet de définir un cinquième groupe stylistique, avec des motifs animaliers qui ne se détachent pas en réserve sur fond sombre. Cette solution avait déjà été repérée sur un vase du site de La Grande Borne à Clermont-Ferrand (Guichard 1994, fig. 3/3), dont le seul fragment conservé laissait apparaître une tête traitée de façon identique.

La disponibilité de vases complets au décor parfaitement conservé permet également de mieux appréhender la technique utilisée par les artisans gaulois. Deux des vases de la découverte du Puy de la Poix (N°9 et 10, Fig. 11 et 12) montrent l’utilisation d’un pinceau large pour mettre en place à grands traits et en jouant sur les pleins et les déliés un décor qui demeure très sobre. Le qualificatif de calligraphique nous paraît parfaitement adapté pour désigner cette technique. Le dernier vase à décor animalier de la même découverte (N°11, Fig. 13) montre en revanche le recours à un instrument très fin manié avec un grand souci de précision, ce qui permet, entre autres, de surcharger le décor de motifs secondaires. On peut parler à ce propos de technique miniaturiste. On retrouve ce traitement notamment sur le spectaculaire vase de Gandaillat (N°21, Fig. 24). Plus généralement, tous les vases du groupe 4 (ainsi que ceux du groupe 3 et les représentants classiques du groupe 2) relèvent de cette technique, alors que ceux du groupe 1 adoptent la technique calligraphique.

L’un des vases du Puy de la Poix (N°11, Fig. 13) présente l’intérêt particulier de réunir des caractères normalement spécifiques des groupes 1 (remplissage de résille) et 4 (technique calligraphique). Il se situe donc stylistiquement, et d’ailleurs aussi chronologiquement, comme l’indique son contexte d’enfouissement, à l’articulation des deux groupes et permet de vérifier que le second est effectivement issu de l’évolution du premier, à la faveur d’un changement de technique décorative.

Les deux vases qui déterminent le groupe 5 montrent l’utilisation de la technique miniaturiste, ainsi qu’une mise en œuvre dans le même esprit que le groupe 4, avec une profusion de motifs secondaires qui ornent toutes les plages disponibles, sombres et claires, et traitées, selon le cas, en positif ou en réserve. D’après leur contexte archéologique, ces vases appartiennent plutôt à une période antérieure à celle du développement du groupe 4. Ce dernier pourrait donc finalement être issu d’une synthèse entre le groupe 1, pour le traitement en réserve, et le groupe 5, pour la technique décorative miniaturiste, aussi utilisée dans la première moitié du IIe siècle pour des décors végétalisants : le meilleur exemple est fourni par un vase de La Grande Borne (Guichard 1994, fig. 3/1).

On peut encore noter que la technique miniaturiste requiert un travail plus minutieux et plus long, qui va à l’encontre d’une logique économique d’augmentation de la cadence de production. La surcharge de motifs secondaires sur certains vases et l’infinie variété des décor du groupe témoignent aussi de modes de production qui ne cherchent assurément pas à optimiser leur rentabilité commerciale. Il n’en reste pas moins que la fréquence des découvertes suggère une production numériquement importante de ces vases à décor animalier.

Le grand nombre de vases décorés disponibles permet ainsi de retracer l’histoire d’une technique décorative restreint. A l’image de ce que l’on a pu proposer pour les décors gravés des émissions monétaires contemporaines, on peut constituer des séries sur des bases stylistiques et l’on peut vérifier leur valeur chronologique par confrontation avec le contexte de dépôt des objets. La tendance principale, tout au long du siècle qui nous occupe, est l’évolution depuis des décors très sobres et rapidement mis en place vers des décors très sophistiqués, requérant un temps de travail toujours accru. Ces derniers utilisent une technique miniaturiste qui, encore peu utilisée dans la première moitié du IIe siècle, du moins en Auvergne, remplace complètement par la suite la technique calligraphique plus ancienne. Cette évolution se traduit par un maniérisme de plus en plus prononcé – le vase de Gandaillat (N°21, Fig. 24) en fournit le plus éclatant exemple – sans que les thèmes décoratifs ne soient jamais remis en cause. Ceux-ci sont en effet étonnamment unitaires et spécifiques de la céramique peinte : frises de quadrupèdes volontairement ubiquistes, tenant à la fois des cervidés et des équidés dès les représentations les plus anciennes et se parant progressivement d’appendices curvilignes qui finissent par masquer la forme animale elle-même. Cette exubérance, propre à ce style décoratif, n’empêche pas la préservation du dynamisme issu de l’élimination de tout plan de symétrie qui, par excellence, fait la spécificité de l’art laténien depuis le IVe siècle.

Le vocabulaire décoratif original des potiers du Massif central témoigne d’une fonction symbolique particulière des animaux, en liaison avec l’usage des récipients qu’ils ornent, qui est clairement lié à la boisson (comme le montrent l’enduit de poix sur leur paroi interne, systématique sur les exemplaires les mieux conservés, et leur association avec d’autres récipients de service dans les ensembles funéraires contemporains). Cette fonction est certainement différente de celle des animaux représentés sur les monnaies ou les figurines en ronde-bosse contemporaines, qui illustrent de tout autres conventions iconographiques. Malgré des modes de composition fort différents, des analogies plus précises peuvent en revanche être soulignées entre les motifs du groupe stylistique 5 (surtout) et quelquesuns des rares témoignages de l’art toreutique laténien tardif : fourreau à décor animalier du site de La Tène, plaques en bronze de Levroux et douelles du seau d’Aylesford. Si la datation du premier objet, de par sa forme, est parfaitement cohérente avec celle de nos vases peints, ceux-ci suggèrent en revanche, pour les deux derniers ensembles, une datation plus ancienne que celle qui leur est traditionnellement attribuée.

IV – Un dernier moment de folie créatrice. Les décors lissés : un précédent aux décors peints ?

L’apparition de la céramique à décor peint complexe au début du IIe siècle est un phénomène brutal, ce que l’on perçoit tant par la place qu’elle va rapidement acquérir parmi la vaisselle de présentation que par la variété et la qualité du répertoire ornemental qui se met en place en l’espace d’une génération. Si la technique décorative utilisée est connue en Europe tempérée de longue date, les précédents régionaux en céramique peinte ne suffisent pas à expliquer à eux seuls cet engouement rapide et cet aboutissement technique. Ces précédents existent toutefois et permettent d’établir une filiation depuis les rares jattes à bord rentrant et vases au Hallstatt final et au début de La Tène ancienne, décorées d’un bandeau extérieur rouge, parfois rehaussé de motifs géométriques simples à la barbotine ou, plus exceptionnellement, d’un décor surpeint complexe utilisant pour la première fois du pigment noir, associé à la technique du masquage à la cire (Jouannet, Périchon dans : PCR 1999, p. 52, pour deux vases du site de La Cartoucherie à Clermont-Ferrand), en passant par d’aussi rares jattes à profil en S et vases à piédestal à décor rouge uniforme au IIIe siècle.

Les séries de mobilier disponibles en Basse-Auvergne montrent aussi que la technique décorative privilégiée au IIIe siècle utilise le brunissoir, qui permet de faire se détacher des motifs lustrés sur une surface volontairement laissée mate. Dans ce domaine, une tradition régionale remontant au IVe siècle (voire à la fin du siècle précédent) est bien attestée par diverses découvertes, même si celles-ci demeurent encore imprécisément datées : Feurs, Roanne, Perreux et Le Châtelard de Lijay dans le département de la Loire, le soi-disant tumulus de Celles dans celui du Cantal, ainsi que plusieurs séries de Basse-Auvergne. A La Tène ancienne, le support privilégié de ce type de décor est le vase haut à piédestal, toujours soigneusement façonné et rectifié à la tournette. Des compositions élaborées, géométriques ou curvilignes, sont attestées dans toutes les découvertes : frises de méandres à Lijay et dans la région de Clermont-Ferrand, frises de palmettes enchaînées à Lijay et à Celles, etc. Cette technique connaît un nouvel engouement au IIe siècle et sert alors à orner la quasitotalité de la vaisselle fine, lorsque celle-ci n’est pas peinte, avant de tomber en désuétude à l’aube du Ier siècle. C’est de la même époque que datent les compositions les plus complexes11, qui montrent clairement le parallélisme des expérimentations dans les deux techniques du lissage et la peinture.

Par ailleurs, la relative fréquence des graffiti figuratifs dans la région de Clermont-Ferrand au IIe siècle avant J.– C. et la qualité de certaines représentations (Périchon 1987) qui utilisent des conventions graphiques très différentes de celles de la céramique peinte suggèrent que les représentations figurées se développaient sur bien d’autres supports (par exemple l’exceptionnel témoignage d’une figurine de quadrupède en rondebosse de la première moitié du IIe siècle avant J.-C. sur le site de La Grande Borne : Deberge et al. dans : PCR 2001, p. 85).

V – Un dernier moment de folie créatrice. Innovations et tradition dans le répertoire du Ier siècle avant J.-C. et du Ier s. après J.-C.

La disparition des décors élaborés et la raréfaction de la céramique peinte, à la charnière du IIe et du Ier siècle, participe d’un mouvement général de renouvellement du vaisselier : amélioration des techniques de préparation de l’argile et de cuisson, appropriation de formes issues du répertoire méditerranéen pour certains usages. Cette mutation révèle sans aucun doute une logique de production qui prend plus en compte les paramètres économiques (formes et décors plus normalisés, fabriqués en séries plus nombreuses et plus homogènes). La qualité de l’ornementation en pâtit de façon évidente : la céramique peinte ne conserve qu’un répertoire très appauvri de décors géométriques de composition très simple (Guichard et al. 1991, p. 222-223 et fig. 10), les décors lissés disparaissent presque totalement, tandis qu’apparaissent les décors impressionnés à la molette, qui demeureront en vogue jusqu’au début du Ier siècle après J.-C. Ces derniers, mis en place de façon répétitive et rapide, ne laissent plus aucune place à l’inventivité de l’artisan.

Cette nouvelle logique, qui s’accompagne de la réorganisation progressive des modes de production, voit le jour en Basse-Auvergne dans les dernières décennies du IIe siècle, au terme d’une longue période de développement démographique et économique, en même temps que l’accession à un régime économique monétarisé est conclue par la généralisation des monnayages de bronze. Elle précède de toute évidence la vaste réorganisation du peuplement qui résulte de la fondation d’un oppidum central, sur le plateau de Corent, au tournant du Ier siècle. Le renouvellement radical du répertoire céramique livré par cet oppidum dès le premier tiers du Ier siècle montre seulement une accélération du processus. Celle-ci est sans doute induite par un regroupement des moyens de production industrielle

au moment de la réorganisation radicale du peuplement qui accompagne l’apparition de l’oppidum central (désaffection quasi-systématique des centres de peuplement non-fortifiés plus anciens). En territoire ségusiave, la même tendance générale est observée, mais de façon moins brutale, sans doute parce que l’apparition d’oppida ne remet pas en cause aussi radicalement l’existence des agglomérations situées en plaine.

A nos yeux, l’abandon du riche répertoire de la céramique peinte par les potiers du nord-est du Massif central n’apparaît donc pas comme une conséquence du phénomène “catastrophique “(par son ampleur et sa rapidité) que constitue la mise en place des oppida, mais comme celle d’un phénomène qui, trouvant son origine à une époque bien plus ancienne, aboutit vers la fin du IIe siècle à une adaptation des modes de production aux exigences d’une économie de marché. (Peut-être doit-on en revanche considérer que l’apparition des oppida est une autre conséquence du même phénomène, provoquée, de façon indirecte, par une crise de société qui aurait accompagné l’émergence du nouveau cadre économique.)

La révélation de la richesse de l’artisanat de la céramique peinte laténien de la fin de l’âge du Fer est la manifestation, spectaculaire, de la reconnaissance archéologique engagée voici seulement quelques décennies, mais à un rythme sans cesse accéléré, de la période qui précède immédiatement la mise en place du réseau des oppida en Gaule du Centre-Est. Les jalons de cette reconnaissance sont les publications des fouilles des agglomérations de plaine qui caractérisent cette période : Bâle par E. Major et Breisach par G. Kraft dans les années 1930, Clermont-Ferrand / Aulnat par J.-J. Hatt en 1942, Roanne par M. Bessou à partir de 1967, puis Levroux, Feurs…

L’artisanat étudié ici présente un caractère régional marqué, qui ne prend réellement de sens que si on le considère dans son contexte régional. C’est donc un gros avantage, dont on bénéficie rarement pour la documentation artistique de la période laténienne, de disposer d’une série nombreuse de témoignages, bien répartis dans l’espace et dans le temps (et donc, en particulier, bien datés). Outre l’intérêt immédiat d’enrichir le corpus, jusque-là bien maigre, des productions artistiques de la période, cette série permet d’apprécier la mise en place d’un vocabulaire décoratif cohérent et autonome dans un domaine géographique bien délimité, tout en s’inscrivant avec une parfaite logique dans l’évolution du fonds culturel laténien. La mise en place de ce répertoire peut être mise en parallèle avec la formation des entités politiques régionales (ici : Arvernes, Ségusiaves, Eduens) qui caractérisent la fin de

l’âge du Fer en Europe moyenne. Sa disparition brutale témoigne enfin de l’importance croissante des paramètres économiques pour l’évolution de la société laténienne à la même époque. Les nouvelles solutions décoratives illustrées par les découvertes rendues publiques ici nous obligent enfin à rappeler que le corpus des décors peints de la céramique laténienne du Massif central ne demeure encore que très partiellement connu et qu’il est encore amené à s’étoffer au cours des prochaines années (pour notre plus grande satisfaction !)

VI – Un dernier moment de folie créatrice. Illustrations

Conventions graphiques : les plages peintes en blanc sont figurées sur les relevés graphiques par une trame gris clair, celles peintes en rouge par une trame plus dense et les motifs surpeints (de couleur sépia) en noir. Les plages non-peintes sont laissées en blanc.

Les profils des vases sont rendus à l’échelle 1/3 sur les Fig. 3, 8 à 15, 28 à 30, et à l’échelle 1/4 sur les figures 16 à 23.

Sauf mention contraire, les relevés graphiques sont l’œuvre de l’auteur principal. La numérisation des dessins est due à Y. Deberge.

Fig. 1 – Découpage territorial présumé au Haut-Empire et sites du nordest du Massif central ayant livré de la céramique peinte laténienne à décor animalier (région de Clermont-Ferrand exclue).

Fig. 2 – Cartographie des sites de la fin de l’âge du Fer dans la région de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).

Fig. 3-10 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vases n°1 à 8.

Fig. 11-21 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°9 à 19.

Fig 22 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, fosse 50 : vase n°20

Fig. 23-27 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Profil restitué de façon approximative, dans l’attente d’un remontage (Fig. 23) ; développement photographique du décor (Fig. 24) ; relevés photographiques partiels mettant en évidence les animaux du registre principal (Fig. 25), du registre inférieur (Fig. 26) et du registre supérieur. D’après clichés Antoine Maillier, © Bibracte.

Fig. 28 – Clermont-Ferrand, Le Brézet : vase n°22 (d’après Deberge 2000).

Fig. 29 – Clermont-Ferrand, Le Pâtural, fosse 64042 : vase n°23.

Fig. 30 – Clermont-Ferrand, Le Pâtural, fossé 70926 : vase n°24.

VII – Un dernier moment de folie créatrice. Bibliographie

Béfort et al. 1989 : BEFORT (J.-C.), DELPORTE (H.), GUICHARD (V.) – L’occupation protohistorique du Châtelard de Lijay (Loire). Cahiers archéologiques de la Loire, 6, 1986 (1989), p. 19-45.

Deberge 2000 : DEBERGE (Y.) – Un puits à cuvelage en bois de La Tène finale (Le Brézet, Clermont-Ferrand, Puy-de-Dôme). Revue archéologique du centre de la France, 39, 2000, p. 43-62.

Genin, Lavendhomme 1998 : GENIN (M.), LAVENDHOMME (M.-O.) dir. – Rodumna (Roanne, Loire) : le village gallo-romain : l’évolution des mobiliers domestiques. Paris : éd. Maison des sciences de l’homme, 1998. (Documents d’archéologie française ; 65).

Grand 1995 : GRAND (K.) – Le répertoire décoratif de la céramique peinte gallo-romaine de Roanne (Loire). Revue archéologique du centre de la France, 34, 1995, p. 177-194.

Gruel, Vitali 1998 : GRUEL (K.), VITALI (D.) dir. – L’oppidum de Bibracte, bilan de onze années de recherche. Gallia, 55, 1997 (1998), p. 1-140.

Guichard 1987 : GUICHARD (V.) – La céramique peinte à décor zoomorphe des IIe et Ier s. avant J.-C. en territoire ségusiave. Études celtiques, 24, 1987, p. 103-143.

Guichard 1994 : GUICHARD (V.) – La céramique peinte gauloise des IIe et Ier s. avant J.-C. dans le nord du Massif central : nouvelles données. Études celtiques, 30, 1994, p. 103-136.

Guichard et al. 1991 : GUICHARD (V.), PICON (M.), VAGINAY (M.) – La céramique peinte gauloise en pays ségusiave aux IIe et Ier s. avant J.-C. Dans : CHARPY (J.-J.) dir. – La céramique peinte celtique dans son contexte européen, symposium international d’Hautvillers (1987). Reims : Société archéologique champenoise, 1991, p. 211-228. (Mémoires de la Société archéologique champenoise ;5).

Guichard et al. 1993 : GUICHARD (V.), PION (P.), MALACHER (F.), COLLIS (J.) – A propos de la circulation monétaire en Gaule chevelue aux IIe et Ier siècles av. J.-C. Revue archéologique du centre de la France, 32, 1993, p. 25-55.

Lavendhomme, Guichard 1997 : LAVENDHOMME (M.-O.), GUICHARD (V.) dir. – Rodumna (Roanne, Loire) : le village gaulois. Paris : éd. Maison des sciences de l’homme, 1997. (Documents d’archéologie française ; 62).

Pagès-Allary 1920 : PAGES-ALLARY (J.) – Dernier souvenir au tumulus de Celles (Cantal). Bulletin de la Société préhistorique française, 17, 1920, p. 124-129.

Pagès-Allary et al. 1903 : PAGES-ALLARY (J.), DECHELETTE (J.), LAUBY (A.) – Le tumulus arverne de Celles près Neussargues (Cantal). L’Anthropologie, 14, 1903, p. 385-416.

Pasquier 1997 : PASQUIER (I.) – La céramique peinte d’un habitat de La Tène finale : “Les Guignons “à Nanterre (Hauts-de-Seine). Revue archéologique du centre de la France, 36, 1997, p. 23-37.

Paunier, Luginbühl à paraître : PAUNIER (D.), LUGINBÜHL (T.) dir. – Le site de la domus PC1 à Bibracte : recherches de l’université de Lausanne (1988-1997). Glux-en-Glenne : Centre archéologique européen du Mont Beuvray, à paraître. (Bibracte).

Périchon 1987 : PERICHON (R.) – L’imagerie celtique d’Aulnat. Dans : Mélanges offerts au Dr. Jean-Baptiste Colbert de Beaulieu. Paris : Le Léopard d’Or, 1987, p. 677-695.

PCR 1999 : MENNESSIER-JOUANNET (C.) dir. – Projet collectif de recherche sur les mobiliers du second âge du Fer en Auvergne : rapport annuel 1999. Mirefleurs : ARAFA 2000. (Multigraphié).

PCR 2000 : MENNESSIER-JOUANNET (C.) dir. – Projet collectif de recherche sur les mobiliers du second âge du Fer en Auvergne : rapport annuel 2000. Mirefleurs : ARAFA 2001. (Multigraphié).

PCR 2001 : MENNESSIER-JOUANNET (C.) dir. – Projet collectif de recherche sur les mobiliers du second âge du Fer en Auvergne : rapport annuel 2001. Mirefleurs : ARAFA 2002. (Multigraphié).

Vaginay 1983 : VAGINAY (M.) – Un site du premier âge du Fer à Perreux (Loire). Cahiers archéologiques de la Loire, 3, 1983, p. 27-38.

Vaginay, Guichard 1988 : VAGINAY (M.), GUICHARD (V.) dir. – L’habitat gaulois de Feurs : Fouilles récentes. Paris : éd. Maison des sciences de l’homme, 1988. (Documents d’archéologie française ; 14).

Sites fortifiés et occupations de hauteur en Auvergne

Type de projet : Projet collectif de recherche (PCR) Sites fortifiés et occupations de hauteur en Auvergne de l’âge du Bronze final à la fin des âges du Fer

Date : 2007

Responsable : Patrick Pion

Notice et documents : Patrick Pion, R. Lauranson, M.-C Kurzaj

Rapport : Rapport d’activité 2007

  • I – Résumé du rapport d’activité 2007 (2e année)
  • II – Sommaire du rapport PCR 2007
  • III – Résultats principaux
  • IV – Prospectives 2008

I – Résumé du rapport d’activité 2007 (2e année)

Les objectifs généraux et problématiques de ce Projet Collectif de Recherche étant détaillés dans le rapport d’activité 2006, le lecteur voudra bien s’y reporter. On ne développera ici qu’une brève synthèse des travaux réalisés en 2007.

II – Sommaire du rapport PCR 2007

Documentation : dépouillements systématiques

  • Résultats du dépouillement systématique des albums photographiques du MAN par départements (J.P. Guillaumet ; P. Pion)

État des enquêtes par départements

Allier

  • Principaux résultats de la fouille de Hérisson (D. Lallemand)
  • Bilan documentaire et évaluation des recherches anciennes sur l’éperon barré de Bègues / Les Charmes (P. Pion)
  • Inventaire exhaustif des sites de hauteur et installations fortifiée du département de l’Allier (D. Lallemand)

Puy de Dôme

  • Découverte et Prospection de sites de hauteur inédits en Combrailles (G. Massounie)
  • Occupation protohistorique du château du Broc (R. Liabeuf)
  • Toponymie historique du plateau de Gergovie (A. Rousset ; M. Rousset ; Y. Deberge)
  • Résultats de l’application d’un SIG à l’analyse des covisibiltés entre oppida et plaine de la grande Limagne (S. Mesnart)
  • Résultats principaux des fouilles 2007 : Gondole
  • Résultats principaux des fouilles 2007 : Corent (P.-Y.Milcent ; M. Poux)
  • Résultats principaux des fouilles 2007 : Gergovie (M. Garcia ; Y. Deberge)

Haute-Loire

  • Prospections et interventions sur l’oppidum de La Rochelambert/Marcillac à St-Paulien (M.C. Kurzaj ; E. Nectoux)
  • Examen des collections anciennes de l’oppidum du Mont Mallorum à Bas-en-Basset (R. Lauranson)
  • Étude du matériel protohistorique des sondages récents du chateau de Polignac (M.C. Kurzaj)
  • Contrôles au sol de l’éperon barré de Genier-Mongon, le Razat (B. Dousteyssier ; F. Delrieu)

Cantal

  • Occupations et fréquentations protohistoriques sur la planèze de Pierrefort (prospections F. Surmely ; P. Pion)
  • Chastel-sur-Murat : étude des collections anciennes et ré-interprétation du site (P. Pion ; L. Izac-Imbert)
  • Repérages et documentation de sites à partir de collections associatives ou privée : musées d’Antignac, de Massiac (P. Pion ; R. Liabeuf)
  • Contrôles au sol de l’éperon barré du Martinet à Molèdes (B. Dousteyssier ; F. Delrieu)
  • Contrôles de sites connus : Camp de César à La Bessette, Escoalier à Mauriac et Bort-les-Orgues
  • Nouveaux signalements : éperon barré du Gour Noir (H. Pigeire)
  • Nouveaux signalements : Labro à Ferrières-St-Mary (F. Delrieu ; B. Dousteyssier)

III – Résultats principaux

Hors fouilles programmées, les acquis principaux de 2007 concernent d’une part la datation des occupations de plusieurs sites de hauteur, d’autre part leurs fonction et complémentarités éventuelles.

Sur le premier point, l’un des traits les plus remarquables est la fréquence des occupations Bronze/Ier Fer sur beaucoup des sites « datés » (par ailleurs encore bien peu nombreux), tandis que contre toute attente on note souvent l’absence ou la fugacité des vestiges attribuables au Second âge du Fer et notamment à sa fin, pour des sites dont certains pourtant furent qualifiés d’oppida (Polignac, Le Bru, Carlat – en cours-). On ne peut en effet évoquer des problèmes de conservation ou de taphonomie, car ce matériel tardif est généralement mieux conservé, et volumineux au point d’occulter souvent les occupations plus anciennes.

La problématique des fonctions et complémentarités éventuelles est renouvelée quant à elle par deux études approfondies.

Chastel-sur-Murat (P. Pion ; L. Izac-Imbert) a fait l’objet d’un conséquent travail de recollement des planches originales de Pagès avec les copies d’originaux, planches publiées et le matériel conservé au musée d’Aurillac, ce qui a permis de relocaliser au moins approximativement un certain nombre de découvertes. Il ressort du faciès mobilier une fréquentation à la LTC2 et LTD1 (II s – début du Ier s. BC) avec un vraisemblable hiatus à LT D2 avant les occupations plus tardives romaines et médiévales. La surprise réside dans les catégories de mobilier représentées, trop sélectives pour correspondre à un habitat, et encore moins à un oppidum, en dépit du qualificatif de « petite Bibracte » qui lui fut donné. Il s’agit d’un site à fonctions rituelles lato sensu, d’un type toutefois radicalement différent des sanctuaires connus au cœur du territoire arverne aussi bien qu’en Bourgogne ou Gaule Belgique (absence totale des armes et des amphores notamment). Il conviendra donc d’approfondir l’enquête pour mieux identifier les pratiques dont il fut le siège.

Le bassin de Clermont-Ferrand, le plus intensivement exploré archéologiquement, a fait l’objet d’une étude expérimentale à grande échelle en mobilisant les potentialités d’un SIG, pour aborder les sites dans le paysage, en termes de visibilités et covisibilités (S. Mesnart, mémoire de master 2 de Paris X). Il en ressort notamment que les champs visuels couverts par Corent et Gergovie sont largement complémentaires, le premier contrôlant spécifiquement le secteur d’Aulnat et la partie aval du cours de l’Allier, tandis que Corent maîtrise seul le cours en amont du verrou. Gondole quant à lui est visible des deux sites mais son champ visuel est inexistant et son implantation répond manifestement à d’autres critères que le contrôle territorial.

IV – Prospectives 2008

Pour le Puy de Dôme, plusieurs opérations du programme initial pour 2007 n’ont pu être réalisées, du fait de la surcharge de travail des archéologues de l’INRAP qui participent au PCR sans avoir pu bénéficier de jours PASS à lui consacrer. C’est notamment le cas pour l’inventaire du département Puy-de-Dôme, qui demande un investissement en temps assez lourd et doit impérativement être terminée en 2008.

Concernant les prospections, il est clair que la carte actuelle des sites présente des vides étonnants qui doivent être testés systématiquement. Le cas de la Combraille, comme celui de la planèze de Pierrefort, est à cet égard exemplaire puisqu’aucun site n’y était signalé à ce jour sur la carte archéologique. On envisage donc d’ouvrir une autre fenêtre dans des zones vierges (Mauriac ou la Chataigneraie pour le Cantal, Haut-Allier pour la Haute-Loire, en fonction des disponibilités des chercheurs. Mais le problème crucial demeure évidemment la datation de ces sites, pour lesquels la seule typologie des aménagements, quand ils existent, est insuffisante. Il est certain que pour cela on ne pourra faire l’économie de sondages sur un échantillon de sites qu’il conviendra de cibler précisément.

Détails des structures observées lors de missions de prospections aériennes. 1 – Rempart supposé du site des Charmes ; 2 – Rempart de l’ oppidum du second âge du Fer ; 3 – Enclos ; 4 – Fanum , bâtiments annexes et fosses (?) ; 5 – Fossés ; 6 et 7 – Talus anciens ?
Détails des structures observées lors de missions de prospections aériennes. 1 – Rempart supposé du site des Charmes ; 2 – Rempart de l’ oppidum du second âge du Fer ; 3 – Enclos ; 4 – Fanum , bâtiments annexes et fosses (?) ; 5 – Fossés ; 6 et 7 – Talus anciens ?
Carte des sites de hauteur de Combrailles, Sud-est (Puy-de-Dôme)
Carte des sites de hauteur de Combrailles, Sud-est (Puy-de-Dôme)
Balles de fronde romaines en plomb, certaines inscrites (MAN)
Balles de fronde romaines en plomb, certaines inscrites (MAN)
Enceinte de Puy-Chabannes, Gelles (63)
Enceinte de Puy-Chabannes, Gelles (63)
Gergovie / Corent / Gondole (63)
Gergovie / Corent / Gondole (63)
Saint-Paulien, Marcillac / La Rochelambert (43)
Saint-Paulien, Marcillac / La Rochelambert (43)
Mont-Mallorum (Bas-en-Basset, 43)
Mont-Mallorum (Bas-en-Basset, 43)
Localisation du site de Labro (matérialisé par une étoile) sur un fond de carte IGN.
Localisation du site de Labro (matérialisé par une étoile) sur un fond de carte IGN.
Photographie verticale IGN drapée avec le relief – GÉOPORTAIL 2007
Vue prise de l’est
Photographie verticale IGN drapée avec le relief – GÉOPORTAIL 2007
Vue prise de l’est
Bracelets en verre et fibules, Chastel-sur-Murat (15)
Bracelets en verre et fibules, Chastel-sur-Murat (15)
Ferrières St-Mary, Labro (15)
Ferrières St-Mary, Labro (15)

Espalem (43) – La nécropole de la Pénide

Espalem (43) – La nécropole de la Pénide et le tumulus 21

Anne Duny

1 – Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Le contexte géographique et géologique

Localisation de l'intervention archéologique => A – Carte de France (Admin Express 2019 – IGN) ; B – Carte de la région ARA (Admin Express 2019 – IGN) ; Carte au 1/50 000 (SCAN100 Métropole LAMB93 01-2020 – IGN ; CAO F. Muller)
Fig. 1 : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Localisation de l’intervention archéologique => A – Carte de France (Admin Express 2019 – IGN) ; B – Carte de la région ARA (Admin Express 2019 – IGN) ; Carte au 1/50 000 (SCAN100 Métropole LAMB93 01-2020 – IGN ; CAO F. Muller/ARAFA)

Le plateau de La Pénide se situe sur la commune d’Espalem, dans le département de la Haute-Loire. Ce secteur de moyenne montagne, peu impacté par les politiques d’aménagements du territoire, recèle un patrimoine archéologique d’exception.

Une nécropole tumulaire et un habitat de hauteur en sont les atouts majeurs.

Les vestiges archéologiques se localisent sur la bordure occidentale du plateau qui culmine entre 685 et 687 m NGF, au lieu-dit La Pénide (Fig. 1). Ce plateau basaltique s’intègre dans la province volcanique de la Margeride, à la lisière occidentale du Cézallier. Sa formation est le résultat de coulées successives, liées à l’activité volcanique. La partie sommitale est composée d’un basalte/basanite à petits cristaux de hornblende qui présente un déficit en silice. Les formes de dissolution rencontrées sur cette coulée se caractérisent par des fentes, failles ou diaclases peu développées. La pente de la façade occidentale du plateau est marquée par des formations sédimentaires oligocènes. L’ossature hercynienne de la formation se définit enfin par un terrain cristallophyllien : paragneiss à biotite et sillimanite (Thonat, Mathonnat et Le Garrec 2006).

Carte de situation du tumulus 21, des monuments tumulaires, de l’habitat du Razé et des zones humides sur le plateau de la Pénide (Cartographie et DAO : Fabrice Muller)
Fig. 2 : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Carte de situation du tumulus 21, des monuments tumulaires, de l’habitat du Razé et des zones humides sur le plateau de la Pénide (Cartographie et DAO : Fabrice Muller/ARAFA)

La particularité du plateau d’Espalem réside dans la présence de dépressions circulaires à ovoïdes (Fig. 2) dénommées : Lac Lant (ou Lac Long), Lac Citrou, Lac Bec (ou le Grand Lac), Lac Estang. L’origine de ces zones humides prête toujours à débat. Si la thèse d’une formation liée à un phénomène phréatomagmatique semble à l’heure actuelle pouvoir être écartée (Dendievel, Delrieu et Duny 2020), l’éventualité d’une formation corrélée à la fusion d’hydrolaccolites pourrait, quant à elle, être privilégiée.

Ces zones humides ont été fortement impactées par une activité principalement agricole (drainage, mise en culture…). Cette pression humaine significative dès le Moyen Âge n’a cessé de s’accroître aux époques postérieures. A l’heure actuelle, le plateau est principalement marqué par une activité agro-pastorale. Conséquences directes de l’interaction hommes/milieux, les monuments tumulaires et le rempart de l’habitat ont servi de carrières de pierres ou ont, a contrario, été rechargés de matériaux issus des champs avoisinants.

2 – Présentation de la nécropole tumulaire et des connaissances acquises

Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Morphotypologie des tumulus de la Pénide avant intervention archéologique : butte engazonnée (Tumulus 3). Cliché : A. Duny
Fig. 3a : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Morphotypologie des tumulus de la Nécropole avant intervention archéologique : butte engazonnée (Tumulus 3) (A. Duny/ARAFA)

Au sein de ce contexte, les tumulus apparaissent hors-sol, sous forme de butte empierrée et/ou végétalisée (Fig. 3). Ils viennent coiffer un paléosol peu épais, une dizaine de centimètres tout au plus, ou directement le substrat sub-émergeant. Ces vestiges funéraires ont été pour la première fois reconnus durant les années 1970/1980 par Alphonse Vinatié, correspondant de la 3ème circonscription des Antiquités Préhistoriques et Historiques d’Auvergne. Il identifia une série de 35 tumulus et tombelles en spécifiant dans ses notes que certains d’entre eux ne pouvaient au final correspondre qu’à de simples pierriers (Vinatié 1983). Il mit également en évidence les témoins de l’habitat fortifié situé à l’ouest de la nécropole, à l’emplacement de l’éperon barré du Razé.

Depuis une quinzaine d’années maintenant, des travaux d’archéologie préventive et programmée viennent poursuivre la recherche initiée par Alphonse Vinatié.

Ainsi en 2018, l’équipe du PCR “Archéologie des vallées de la Sianne et de la Sumène à l’âge du Bronze et au premier âge du Fer” a conduit une campagne ayant abouti au levé topographique de l’ensemble des tumulus et à la rédaction pour chacun d’entre eux d’une fiche d’état sanitaire (Delrieu et al. 2018). Grâce à ce travail, les données d’Alphonse Vinatié ont été largement amendées puisque la nécropole compte à ce jour 57 monuments. On soulignera néanmoins, qu’en l’absence de sondages, certains d’entre eux ne peuvent s’avérer être que des amas empierrés sans organisation particulière. Outre l’aspect quantitatif, la cartographie générée démontre également que les monuments funéraires ne s’orientent pas seulement vers les extrémités NNO et SSE du plateau (éperons) mais sont également “tournés” vers l’intérieur de la planèze au sein de laquelle la présence des lacs devait jouer un rôle symbolique prépondérant.

Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Morphotypologie des tumulus de la Pénide avant intervention archéologique : engazonnement et couverture arbustive (Tumulus 2). Cliché : A. Duny
Fig. 3b : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Morphotypologie des tumulus de la Nécropole avant intervention archéologique : engazonnement et couverture arbustive (Tumulus 2) (A. Duny/ ARAFA).
Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Morphotypologie des tumulus de la Pénide avant intervention archéologique : empierrement hors sol et couverture arbustive (Tumulus 51). Cliché : A. Duny
Fig. 3c : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Morphotypologie des tumulus de la Nécropole avant intervention archéologique : empierrement hors sol et couverture arbustive (Tumulus 51) (A. Duny/ ARAFA).

C’est à l’exploitation d’une carrière que l’on doit les interventions d’archéologie préventive. On compte ainsi trois diagnostics (Hénon 1999 ; Dunkley et al. 2006 ; Gandelin 2011) dont deux ont à ce jour donné suite à une fouille. Ce sont ainsi un vaste système de combustion (Blaizot et al. 2004) et deux tumulus et deux pierriers (Duny et al. 2013a ; Duny et al. 2013b ; Duny 2016) qui ont pu être fouillés entièrement. Ces derniers travaux ont ouvert la réflexion sur les problématiques architecturales, funéraires et chronoculturelles, que les recherches en cours et à venir vont poursuivre. Il s’agit notamment de dresser une typologie des constructions tumulaires en mettant en évidence les similitudes et les disparités. La fouille de deux des monuments de la nécropole a d’ores et déjà montré que si les dimensions sont quasiment identiques : diamètre respectif de 11 m et 11,30 m, les modes de constructions diffèrent sensiblement. Dans un cas, on observe une architecture plus complexe avec la mise en œuvre de trois espaces internes distincts, chacun ceinturé par une couronne périphérique dont l’ultime en élévation. Dans l’autre cas, il s’agit d’une architecture plus classique s’articulant autour d’un pavage cerclé d’une couronne en élévation et surmonté d’une chape mixte de terre et de pierres (Fig. 4). Ces architectures s’accompagnent également d’un mobilier rare mais attribuable à deux états distincts : Bronze moyen/Bronze final I pour l’un, Bronze final IIb/IIIa pour l’autre.

Relevés planimétriques de la base des tumulus 1 et 6 (Extrait de Duny et al. 2013a et b)
Fig. 4 : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Relevés planimétriques de la base des tumulus 1 et 6 (Extrait de Duny et al. 2013a et b/ARAFA)
Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Relevés planimétriques de la base des tumulus 1 et 6 (Extrait de Duny et al. 2013a et b)

3 – Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. La fouille du tumulus 21

La Nécropole de la Pénide offre donc l’opportunité rare d’étudier un corpus conséquent de tumulus en bon état de conservation. Pour initier les recherches sur ces constructions dans le cadre de l’archéologie programmée, choix a été fait de débuter les travaux par la fouille du tumulus 21 (Fig. 5). Monument le plus septentrional de la nécropole et l’un des plus grands, ce tumulus est installé en partie sommitale du plateau et domine le lac Bec (Fig. 6).

En l’état actuel de nos connaissances, le tumulus 21 apparaît “hors norme” au sein du paysage tumulaire auvergnat. Il s’agit d’un vaste empierrement orienté NNO/SSE, au contour piriforme. Il se développe sur 22 m de longueur pour 15 m de largeur. Le nettoyage et le relevé planimétrique initial du tumulus 21 réalisé en 2020 (année probatoire) a permis lors de la campagne 2021 (1ère année de triennale) d’inaugurer la fouille proprement dite du monument.

Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. La nécropole de la Pénide : Vue aérienne zénithale du tumulus 21 après nettoyage manuel, campagne de fouille 2020. Cliché : A. Duny
Fig. 5 : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Vue aérienne zénithale du tumulus 21 après nettoyage manuel, campagne de fouille 2020 (A. Duny/ ARAFA).
Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. La nécropole de la Pénide : Vue du Lac Bec situé immédiatement en contrebas du tumulus 21. Cliché : A. Duny
Fig. 6 : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Vue du Lac Bec situé immédiatement en contrebas du tumulus 21 (A. Duny/ ARAFA).

La méthode de fouille par carroyage à démontages par progressions horizontales et passes successives permettant la réalisation de coupes cumulées, tout en préservant la vision planimétrique des niveaux architecturaux, a été adoptée. A ce jour, la passe 1 correspondant à l’enlèvement des blocs de petits à moyens modules constituant la partie supérieure de la masse tumulaire a été descendue sur la moitié du tumulus, soit 11 quadrants sur 22 au total (Fig. 7). Le niveau atteint correspond à des blocs de modules plus importants s’apparentant pour partie au dôme, pour partie à des aménagements de type couronne. Si la lecture architecturale est encore mal aisée à ce stade de nos travaux, on remarque néanmoins que ce niveau apparaît moins anarchique, plus en place que celui ôté lors du premier démontage. Une première session de prises de vues photogrammétriques a été réalisée afin de pouvoir procéder au dessin pierres à pierres. Les 11 sections générées révèlent également une organisation. Ainsi, en l’état actuel de nos connaissances, l’hypothèse de 2020 sur la présence d’unités architecturales distinctes mais intrinsèquement liées semble être soutenue.

Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Vue aérienne zénithale du tumulus 21 après démontage du premier niveau de pierres constituant la masse tumulaire, campagne 2021 (Cliché : A. Duny)
Fig. 7 : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Vue aérienne zénithale du tumulus 21 après démontage du premier niveau de pierres constituant la masse tumulaire, campagne 2021 (A. Duny/ ARAFA).

Plusieurs observations peuvent être formulées. La campagne de 2021 permet ainsi de révéler que la bordure de l’empierrement s’articule autour de blocs de grandes dimensions disposés à plat, en épi ou de chant entre lesquels s’intercalent des éléments de moindre gabarit. Nous pensons qu’il s’agit là de la couronne externe enserrant la totalité de la construction en pierres sèches. Les blocs plus épars, non jointifs et de gabarit peu important qui se retrouvent en périphérie externe de cette couronne peuvent être associés à des éléments remaniés ou éboulés mais également à un niveau de calage de la couronne, surtout en partie ouest où la pente est plus prononcée.

En se déplaçant vers l’intérieur de la masse tumulaire, les vues aériennes et les sections montrent à nouveau des étapes architecturales distinctes. Si certains aménagements potentiels pressentis au sortir de la fouille de 2020 ont été invalidés par les travaux de 2021, d’autres semblent perdurer à la lecture de la documentation de terrain. Il est encore cependant trop tôt pour affirmer pleinement leur existence et pour définir leur nature : aménagements autonomes, parties de couronne(s) interne(s), remaniements postérieurs… D’un point de vue stratigraphique, on soulignera que trois sondages ont été réalisés jusqu’au socle rocheux. Ces sondages permettent de démontrer que l’empierrement global a été installé sur une unité sédimentaire riche en éclats rocheux pouvant correspondre au niveau du substrat altéré. Cette couche, peu épaisse, n’excède pas 6 à 7 cm de profondeur. On constate également que par endroits les blocs ont été positionnés directement sur le socle rocheux irrégulier. Ce dernier, à l’emplacement du tumulus, opère une légère remontée vers l’est. Cette petite rupture de pente contribue à donner un aspect plus volumineux, plus massif à l’empierrement sur sa façade ouest.

Concernant la culture matérielle, la campagne de 2021 ne permet pas encore de proposer une datation pour la fondation du tumulus, sa base n’ayant pas été encore atteinte. Les premiers résultats indiquent néanmoins que la partie supérieure de la masse tumulaire livre des tessons relevant des périodes médiévale et moderne, tandis que la couche sous-jacente recèle des fragments de céramique non tournée dont deux éléments indiquent de manière certaine des fréquentations du tumulus entre le Bronze final IIIb et La Tène B2b.

Pour conclure, nous signalerons qu’à l’instant T de nos travaux, aucune sépulture n’a encore été mise au jour au sein de la nécropole de la Pénide. La découverte de restes osseux reste donc à venir lors des prochaines campagnes. L’équipe y travaille !


Bibliographie

Blaizot et al. 2004 : Blaizot F., Fabre L., Wattez J., Vital J. et Combes P. – Un système énigmatique de combustion au Bronze moyen sur le plateau d’Espalem (Canton de Blesle, Haute-Loire), Bulletin de la Société Préhistorique Française, 101, n°2, p. 325‑344.

Delrieu et al. 2018 : Delrieu F., Auxerre-Géron F.-A., Dendievel A.-M., Duny A., Jouannet C., Lacoste E., Muller F. et Roscio M. – Archéologie des vallées de la Sianne et de la Sumène à l’âge du Bronze et au 1er âge du Fer (Haute-Auvergne). Départements du Cantal, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme, Rapport de prospection thématique, 2018.

Dendievel, Delrieu et Duny 2020 : Dendievel A.-M., Delrieu F. et Duny A. – Entre lacs et tourbières : approche pluridisciplinaire de l’évolution des paysages sur les zones humides de la Pénide à Espalem (Haute-Loire), BIOM n° 1, Revue scientifique pour la biodiversité du Massif Central, à paraître, p. 1 à 11.

Dunkley et al. 2006 : Dunkley J., Pasty J.-F., Brizard M., Cabezuelo U., Cayrol J. et Combes P. – Espalem, Haute-Loire : Lac Lant “Les Carrières de Blanchon”, Rapport final de diagnostic archéologique, INRAP Auvergne-Rhône-Alpes, Bron, 2006, 94 p.

Duny, Ayasse, et al. 2013 : Duny A., Ayasse A., Banerjea R., Batchelor C., Gray L. et Save S. – Un tumulus du Bronze final en Haute-Auvergne : le tertre 1 du Lac Citrou à Espalem (Haute-Loire), Rapport final d’opération de fouille préventive, Mosaïques Archéologie, Cournonterral, 2013, 163 p.

Duny, Banerjea, et al. 2013 : Duny A., Banerjea R., Batchelor C., Fernandes P., Gray L. et Save S. – Une structure tumulaire du milieu de l’âge du Bronze en Haute-Auvergne : le tertre n°6 du Lac Lant à Espalem (Haute-Loire), Rapport final d’opération de fouille préventive, Mosaïques Archéologie, Cournonterral, 2013, 149 p.

Duny 2016 : Duny A. – Architecture funéraire de l’âge du Bronze en Haute-Auvergne : le cas de deux tumulus de la nécropole de la Pénide à Espalem, Haute-Loire, in Cl.-A. De Chazelles, M. Schwaller (Dir.) : Vie quotidienne, tombes et symboles des sociétés protohistoriques de Méditerranée nord-occidentale. Mélanges offerts à Bernard Dedet, Monographies d’Archéologie Méditerranéenne, Hors-série n°7, Tome 2, Lattes, 2016, p. 527-542.

Gandelin 2011 : Gandelin M. – Espalem et Grenier-Montgon, Haute-Loire, Auvergne. Lac Lant, Les Pignatieres, Le Blanchon, Rapport final de diagnostic archéologique, INRAP Auvergne-Rhône-Alpes, Bron, 2011, 62 p.

Hénon 1999 : Hénon P. – Espalem et Grenier-Montgon. Lac Lant et Lac Long. Nécropole tumulaire des Lacs, Bilan scientifique régional d’Auvergne, 1999, p. 58‑89.

Thonat, Mathonnat et Le Garrec 2006 : Thonat A., Mathonnat M. et Le Garrec M.-J. – Carte géologique de la France, Feuille de Massiac, n°765, 1/50000e, BRGM, 2006.

Vinatié 1983 : Vinatié H. – Haute-Loire, Espalem : “nécropole tumulaire” des Lacs, Fiches de déclaration de sites, 32 fiches, SRA Auvergne, 1983.

Chronologie du mobilier archéologique

Chronologie du mobilier archéologique du second âge du Fer en Auvergne. Volume 2 : La Tène ancienne en Basse Auvergne Synthèse des données

Christine Mennessier-Jouannet (UMR 8546) et Jean-Claude Lefèvre (UMR 5138)



En 2017 est paru le premier volume d’une vaste somme mise en forme par un collectif de chercheurs qui se sont partagés la tâche d’étudier, comparer, classer et ordonner les mobiliers archéologiques du second âge du Fer, soit une période de temps allant du début du Ve s. à la fin du Ier s. avant notre ère. Cette démarche a abouti à la mise en évidence de treize étapes chronologiques (Mennessier-Jouannet et Deberge 2017).

Dans ce deuxième volume, nous présenterons une synthèse des données acquises sur le cadre de vie, les contextes d’habitation et ceux du domaine funéraire prévalant au début de cette séquence appelée La Tène ancienne. La question de l’acquisition d’une datation précise pour ces ensembles est au cœur de notre propos : elle se rapporte aux deux premiers siècles de cette vaste séquence, à savoir les Ve et IVe s. avant notre ère, en débordant sur le IIIe s.

1 – Une préoccupation majeure : la datation des structures archéologiques par celle de leur mobilier

Dater le matériel issu des fouilles est la démarche préalable et indispensable qui permet, dans un deuxième temps, de comparer les sites entre eux, ainsi que les contextes environnementaux, économiques ou sociaux tout autant que culturels.

Mais, dater avec précision reste une démarche difficile, tributaire des différents niveaux de connaissance et des aléas des découvertes archéologiques à l’échelle des différentes régions, autant de France que, de façon plus large, de l’Europe continentale et du monde méditerranéen. L’obtention des datations en archéologie protohistorique (là où il n’existe pas de textes directs écrits par chaque culture et pour son propre usage) s’est longtemps appuyée sur les comparaisons permises par l’évolution typologique et morphologique des productions de poterie, de métallurgie ou de verrerie etc. Chaque type d’objets vivant et évoluant au rythme de ses avancées technologiques ou des effets de modes et de mimétisme. On obtenait ainsi des schémas évolutifs des productions de l’activité humaine qu’il était nécessaire de raccorder à un même déroulé du temps, autrement dit à une même chronologie. Pour cela, tout d’abord, l’Europe continentale a utilisé les datations offertes par du mobilier d’importation de Grèce ou d’Etrurie, retrouvé en position stratigraphique bien caractérisée sur ses propres sites (par exemple, la céramique attique, les amphores…). Ces productions datées par des textes ont servi de support pour fournir des cadres chronologiques fiables : ainsi, nous savons que Massalia a été fondée vers 600 avant notre ère. Les premières amphores qu’elle produit datent des alentours de 550 et ces récipients ne migrent, – par voies commerciales-, pas avant 525 et plutôt à partir du Ve s. vers le nord de la France. Par conséquent, trouver deux tessons d’amphore massaliète sur un site à Aulnat dans le Puy-de-Dôme indique que le mobilier trouvé en connexion avec eux date également du Ve s. au plus tôt.

Par ailleurs, seuls les habitats et les sépultures des plus riches sont les mieux dotées en armements, parures et divers ustensiles en métal (généralement en alliage cuivreux et en fer, mais aussi en métal précieux) et ces habitats ou sépultures détiennent aussi la majeure part des importations. Ainsi, les référentiels de datation chrono-culturels ont été bâtis à partir du mobilier métallique et fonctionnent très bien dans ce cadre. Le problème est qu’ils sont difficilement adaptables à des régions entières où les sites protohistoriques, et notamment ceux de la période laténienne que nous étudions, sont des habitats ruraux exempts de matériel métallique ou si rare et fragmenté qu’il est difficilement exploitable. Ainsi, en Basse Auvergne et notamment dans la plaine de La Limagne, les premiers ensembles archéologiques offrant une céramique diversifiée et abondante dans les mêmes contextes que du mobilier métallique (armement et parure) datent de la première moitié du IIIe s., à la toute fin de la période d’étude. Il s’agit de la fouille du chemin 8 du site de La Grande Borne, commune de Clermont-Ferrand (fouille de John Collis).

2 – Une méthode indépendante de toute connexion avec l’archéologie : la datation par le 14C

L’établissement d’une chronologie fondée sur des critères autres que la seule évolution des formes et des techniques de fabrication était indispensable. Jusqu’à une date récente, le recours aux datations par le radiocarbone était peu usité par les protohistoriens travaillant sur le second âge du Fer, tant il était admis qu’elles étaient inutiles en raison de ce qui est appelé “le plateau de l’âge du Fer” de la courbe de calibration (Fig. 1). En effet, ce plateau induit, au moment de la correction de l’âge 14C, une très importante incertitude atteignant plusieurs siècles (Fig. 2)

Après une forte rupture de la courbe de référence au IXe s. (fenêtre de réponse optimale), un premier palier s’étend du VIIIe à la fin du Ve s. Un décrochement tout aussi net s’effectue alors qui couvre le IVe s. (autre fenêtre optimale qui concerne notre étude). La courbe connaît ensuite un nouveau plat marqué par de multiples oscillations que l’on peut distinguer en deux séquences. Ainsi, du point de vue des possibilités offertes par le radiocarbone pour une étude centrée sur La Tène ancienne, seule une fenêtre nette, mais brève, peut être mise à profit pour dater en chronologie absolue les ensembles de mobilier couvrant la deuxième moitié du VIe s. (Hallstatt D2-D3) et les Ve, IVe et première moitié du IIIe s. (La Tène A1 et A2 et La Tène B1 et B2).

L’opportunité fournie par cette lucarne dans la courbe de calibration a été vue comme la possibilité d’adosser nos propositions de chronologie relative (les étapes de la périodisation proposée pour l’Auvergne) à un référentiel reconnu en chronologie absolue. Cette étape franchie, il restera encore la nécessité de faire le lien avec les sériations chrono-culturelles en vigueur pour l’Europe de l’Ouest (chronologie allemande).

Concrètement, les dates à partir d’ossements (animaux ou humains) ont été privilégiées sur les charbons de bois (sauf dans un cas, l’anille d’une meule rotative conservée dans son logement et gardant le diamètre complet d’une branche d’ormeau). Ce choix, nous permet d’éviter les imprécisions variables de vieillissement dû à l’effet “vieux bois” d’un charbon de bois. En effet la pousse du cerne est annuelle et on ne connaît pas sa position parmi les cernes du bois, donc son âge de croissance. Le renouvellement du collagène d’un ossement étant de quelques années, sa datation est proche de la date de l’évènement que l’on souhaite dater. Les graines souvent brûlées, favorisant ainsi leur conservation, sont des éléments des plus représentatifs puisque leur durée de vie encore plus restreinte, en général annuelle.

Opportunités de datation (ordonnées) offertes par la courbe de calibration (abcisses) couvrant le premier millénaire avant notre ère (indication en valeur absolue comptée avant J.-C). Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre
F ig. 1 : Opportunités de datation (ordonnées) offertes par la courbe de calibration (abcisses) couvrant le premier millénaire avant notre ère (indication en valeur absolue comptée avant J.-C). Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre
Deux simulations de résultats et de leur précision en chronologie absolue en fonction des fluctuations plus ou moins fortes de la courbe de calibration. L’exemple du haut illustre l’imprécision due au plateau du Ier âge du Fer et l’exemple du bas met en évidence la réponse resserrée due à la verticalité de la courbe de calibration. Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre
Fig. 2 : Deux simulations de résultats et de leur précision en chronologie absolue en fonction des fluctuations plus ou moins fortes de la courbe de calibration. L’exemple du haut illustre l’imprécision due au plateau du Ier âge du Fer et l’exemple du bas met en évidence la réponse resserrée due à la verticalité de la courbe de calibration. Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre

3 – Les premiers résultats et les démarches en cours

Plusieurs tests de datation par le radiocarbone ont été effectués dans les années 1990 pour valider l’expérience d’un premier test fait sur le site de Lijay dans la Loire par Michel Vaginay et Vincent Guichard, test parfaitement concluant. Trois dates furent alors lancées : La Moutade et Dallet dans le Puy-de-Dôme (2017, notices n°12 et 19) et Gannat dans l’Allier (2017, notice n°13). Au vu des réponses positives (Fig. 3), la démarche fut élargie à tous les ensembles de référence des cinq premières étapes sélectionnées pour l’Auvergne, soit un total de 23 datations. Les résultats ont été publiés individuellement avec leur notice correspondante (Mennessier-Jouannet et Deberge 2017). Ils bénéficient donc des critères qui ont prévalu pour la sélection des ensembles présentés dans l’ouvrage : ils sont issus de niveaux stratigraphiques bien individualisés à la fouille et contenant un mobilier abondant et aussi diversifié que possible pour la grande majorité d’entre eux. Le regroupement de ces résultats classés dans l’ordre chronologique met en évidence une nette diagonalisation des données laissant apparaître que la séquence longue de deux siècles et demi (de la fin du VIe au milieu du IIIe s.) pouvait être séquencée beaucoup plus finement. D’autre part, le recours au radiocarbone validait certaines données issues de la chronologie relative, notamment en ce qui concerne l’étape 2.

Lors de la mise en chantier du volume 2 sur La chronologie du mobilier archéologique du second âge du Fer en Auvergne : La Tène ancienne en Basse Auvergne. Synthèse des résultats, il est apparu d’une façon générale que le nombre total de datations pour chaque étape n’était pas suffisant pour valider l’ensemble, mais aussi que le corpus de documentation des deux premières étapes demandait à être complété par d’autres ensembles de mobilier. Ceux-ci proviennent des travaux en archéologie préventive qui, depuis 2017 ont enrichi ou complété nos données. En chronologie relative, les résultats publiés en 2017 s’en trouvent renforcés. Dans la logique de notre démarche, une nouvelle série de radiocarbone a été mise en œuvre et, avec le soutien financier de l’Etat, est en ce moment à l’étude au Centre de Datation par le Radiocarbone de Lyon (CNRS et UMR Arar). Ainsi, 29 nouvelles dates compléteront la trentaine de dates que nous possédons déjà.

Rappelons le handicap constant auquel nous sommes confrontés pour caler notre chronologie relative par rapport aux systèmes de datation élaborés sur la base du mobilier métallique, que ce soit le système de Hatt et Roualet pour l’Est de la France ou le système de Reinecke et ses développements pour l’Allemagne du Sud, la Suisse et auquel une vaste partie de la France se rattache. En effet, il n’y a pas de mobilier métallique sur les sites ruraux de Limagne pour cette période ancienne, mais en revanche les nécropoles que nous supposons de la même période regroupent des inhumations qui portent une parure ou un armement ou des objets de toilette uniquement en métal. Cette pratique est commune à un vaste domaine géographique qui couvre le domaine nord-alpin. Deux fouilles récentes, l’une sur la commune de Pont-du-Château l’autre sur celle des Martres d’Artière ont fait l’objet d’une dizaine de datations par le radiocarbone, qui ont fourni des résultats tout à fait convenables en ce sens qu’ils s’inscrivent dans la fourchette chronologique qui nous intéressent. Cependant, le choix des auteurs s’est porté sur des sépultures sans mobilier pour des raisons spécifiques à leur problématique (tombes monumentalisées). En conséquence, a été adjointe à la série de dates provenant de structures d’habitat, une série d’échantillons provenant des sépultures les mieux datées couvrant la même séquence chronologique (tout au moins, nous le supposons).

L’ensemble de ces données chronologique sera ensuite repris et complété par le recours à l’analyse bayésienne pour laquelle le laboratoire de Radiocarbone de Lyon, auteur de la grande majorité des Radiocarbones de l’étude, est partie prenante en la personne de Jean-Claude Lefêvre. L’étude a pour support le logiciel Chronomodel mis en forme par Philippe Lanos, laboratoire de Geosciences à l’Université de Rennes. Sur la base d’un essai préliminaire, l’étape 1 voit une proposition de scission en deux ensembles et l’étape 3 se dégage et s’individualise par rapport aux étapes 4 et 5.

La multiplication des données chronologiques fournies par les différentes méthodes de datation absolue et celles obtenues par les fouilles et l’analyse des mobiliers soulèvent la question de leur traitement conjoint suivant des méthodes fiables et reproductibles. C’est pour répondre à cette question que depuis les années 90 des archéologues, des archéomètres et des statisticiens ont développé des logiciels de modélisation chronologique utilisant des statistiques dites bayésiennes. Celle-ci repose sur le théorème de Thomas Bayes (1702–1761), permettant de déduire la probabilité temporelle d’un événement à partir de celles d’autres événements déjà évalués.

Les statistiques bayésiennes ont été appliquées pour la calibration des datations carbone 14 : conversion des âges C14 brut exprimés en BP en date calendaire via la courbe de calibration. Les différents programmes de calibrations Calib, Oxcal, etc. utilisent ce type de statistiques. Plusieurs logiciels de modélisations chronologiques ont été développés depuis une vingtaine d’années BCal (Buck et al, 1999), OxCal (Bronk et Ramsey, 2005,2009) et à partir des années 2000 RenDateModel puis Chronomodel de Philippe Lanos.

Classement graphique des principaux résultats des datations absolues par le radiocarbone mis en correspondance avec les étapes chronologiques issues du programme collectif de recherche publié en 2017 (Mennessier-Jouannet et Deberge 2017). Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre
Fig. 3 : Classement graphique des principaux résultats des datations absolues par le radiocarbone mis en correspondance avec les étapes chronologiques issues du programme collectif de recherche publié en 2017 (Mennessier-Jouannet et Deberge 2017). Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre

Ces logiciels permettent d’intégrer dans un même calcul des données temporelles telles que datation radiocarbone, thermoluminescence, archéomagnétisme, typochronologies, ainsi que des contraintes stratigraphiques ou des Terminus ante et post quem. Il est alors possible d’améliorer la précision et la fiabilité de chacune des datations. Ainsi, en utilisant l’ensemble varié de ces données, la modélisation peut déterminer la chronologie, sous forme d’intervalle d’âge donné à deux sigmas de confiance (95 % de probabilité) soit pour un fait événementiel soit pour un phasage culturel ou pour une occupation de site. Dans la présente étude, les amphores massaliètes du site d’Aulnat, îlot des Martyrs (2017 notice n°2), les importations méditerranéennes de Cournon, Les Pointes Hautes (notice en cours) ou Orcet, rue des Vergers (notice en cours), les fibules du site d’Artonne, La Mothe (2017 notice n°7) sont autant de descripteurs qui entreront en ligne de compte pour paramétrer des terminus post quem. La date proposée sera variable en fonction de chaque type de mobilier : par exemple, la date de -525 sera proposée pour les amphores massaliètes, en choisissant le terme le plus ancien possible d’arrivée de ce matériel en Gaule continentale.

En conclusion, de cette tentative de datation absolue des phases anciennes de la périodisation d’Auvergne, il ressort (et cela n’était pas dit d’avance) que le recours au radiocarbone pour dater des contextes depuis le Ha D2-3/ LT A1 jusqu’à La Tène B2 (horizon des fibules de Duchcov et post-Duchcov) peut être pertinent et qu’il existe un créneau utilisable à cet effet.

Mais aussi, la création, par le biais des radiocarbones, d’un référentiel commun à tous les ensembles de mobiliers métalliques ou céramiques de cette période de la fin du premier âge du Fer et de La Tène ancienne permettra de raccrocher les sites ruraux plus nombreux mais plus modestes, au même système chrono-culturel que celui déjà en vigueur pour les mobiliers métalliques accompagnant les sépultures, se rapportant aussi à des strates différentes de la société gauloise.


Bibliographie

Blaizot et al. 2002 : Blaizot F., Milcent P.-Y., De Goër de Hervé, A., Macabéo G., Moulherat Chr., Plantevin C., Oberlin Chr. et Surmely F. – L’ensemble funéraire Bronze final et La Tène ancienne de Champ-Lamet à Pont-du-Château (Puy-de-Dôme), Société Préhistorique Française, Travaux 3, 2002, 164 p., 34 fig., 47 pl.

Blaizot, Dousteyssier et Milcent 2017 : Blaizot F., Dousteyssier B. et Milcent P.-Y. – Les ensembles funéraires du Bronze final et de La Tène ancienne des Martres d’Artière (Puy-de-Dôme), Gallia, 64e supplément, CNRS éd., Paris 2017, 199 p.

Mennessier-Jouannet et Deberge 2017 : Mennessier-Jouannet C. et Deberge Y. – Chronologie du mobilier archéologique du second âge du Fer en Auvergne, 65e supplément de la R.A.C.F, 653 p. et 490 fig.

Charmensac (15) – Le Suc de Lermu

L’habitat fortifié du Suc de Lermu à Charmensac (Cantal) : campagne de fouille 2021

Fabien Delrieu (SRA Auvergne-Rhône-Alpes) ; Christine Mennessier-Jouannet (UMR 8546) ; Cécile Moulin (UMR 5138) et Fabrice Muller (Inrap Auvergne-Rhône-Alpes)

Le Suc de Lermu est une petite table basaltique, situé à 1 100 m d’altitude sur la commune de Charmensac dans le Cantal (Fig. 1). 
Il possède une surface de 0,8 hectare et domine le paysage alentour. Il est délimité par une série de falaises au nord, à l’est et à l’ouest et par une fort pendage au sud qui lui permet par ailleurs de se rattacher au plateau voisin du Bru par un modeste isthme large de quelques dizaines de mètres
Fig. 1 : localisation du site du Suc de Lermu. Document F. Delrieu

Le Suc de Lermu est une petite table basaltique, situé à 1 100 m d’altitude sur la commune de Charmensac dans le Cantal (Fig. 1).

Il possède une surface de 0,8 hectare et domine le paysage alentour. Il est délimité par une série de falaises au nord, à l’est et à l’ouest et par une fort pendage au sud qui lui permet par ailleurs de se rattacher au plateau voisin du Bru par un modeste isthme large de quelques dizaines de mètres.

Le site a été mentionné dès les années 1950 et fait, par la suite, l’objet de plusieurs campagnes de sondages entre 1960 et 1966 sous la direction de M. Soubrier. Ces investigations, couplées aux travaux conduits par Alphonse Vinatié sur le site à la fin des années 1960, permettent d’identifier plusieurs occupations se succédant du Bronze final, à l’âge du Fer et à l’Antiquité tardive.

Une campagne de sondages conduite en 2016 confirme ces différentes séquences d’occupation dont la plus précoce remonte au Néolithique moyen II. Par la suite, le site est investi de manière significative au cours du Bronze final III. C’est à cette période que semble avoir été érigé un rempart doté de noyaux vitrifiés. Après un abandon de quatre siècles, le site est finalement occupé au début de La Tène ancienne.

Une importante campagne de fouille conduite en 2021 (Fig. 2) a permis de reprendre cette abondante de documentation et de préciser la nature et la chronologie des occupations se développant sur le site au cours du second âge du Fer.

Le suc de Lermu. Une campagne de sondages conduite en 2016 confirme ces différentes séquences d’occupation dont la plus précoce remonte au Néolithique moyen II. Par la suite, le site est investi de manière significative au cours du Bronze final III. C’est à cette période que semble avoir été érigé un rempart doté de noyaux vitrifiés. Après un abandon de quatre siècles, le site est finalement occupé au début de La Tène ancienne. 
Une importante campagne de fouille conduite en 2021 (Fig. 2) a permis de reprendre cette abondante de documentation et de préciser la nature et la chronologie des occupations se développant sur le site au cours du second âge du Fer.
Fig. 2 : localisation des zones de fouille ouvertes en 2021 au Suc de Lermu. Document F. Delrieu

1 – Le Suc de Lermu. Une genèse au cours de La Tène A

Une occupation du site au cours de La Tène A pouvant perdurer au cours de La Tène B se développe dans l’emprise du site. Elle est caractérisée par la présence d’un niveau d’occupation (US 05,Fig. 3) et d’un sol archéologique déjà identifié en 2016. L’assemblage céramique issu de la fouille de ce niveau permet de l’attribuer à La Tène A au sens large eu égard à son caractère ubiquiste. Cependant la présence de céramiques tournées à pâte claire, peinte ou non, associées ponctuellement à un registre décoratif caractéristique des productions de céramiques grises monochromes méridionales permettent de proposer une datation centrée sur la fin du Ve s. av J.-C. à l’instar des productions gardoises similaires documentées dans les vallées de la Cèze ou de la Tave (Goury 1995). Il faut cependant noter qu’un faisceau d’éléments tendent à démontrer que les productions tournées du Suc de Lermu ne sont pas issues d’importations mais plus certainement d’une production locale imitant des produits méridionaux (Delrieu et al. 2018).

Leur présence, confirmée en 2021, atteste la conduite d’échanges significatifs entre le sud de l’Auvergne et le Languedoc oriental via le Massif central. Dans la même perspective, cette même campagne de fouille a permis également d’identifier le premier tesson auvergnat de céramique grise monochrome. Il a été mis au jour en position secondaire dans un niveau plus récent. Sa présence n’est pas anodine et confirme l’influence méridionale qui caractérise cette occupation. Cette dernière est attestée par les données carpologiques. La présence de pois et de lentilles, productions thermophiles et xérophiles, plaide en ce sens. Cependant, l’influence languedocienne et plus généralement méridionale de ces assemblages n’est pas exclusive. La présence de deux tessons présentant des décors graphités atteste un ancrage régional fort au niveau de la Haute-Auvergne où ce type de production est bien documenté ainsi que dans tout le centre-ouest de la France actuelle et dans les piémonts occidentaux du Massif central (Charentes, Limousin, Périgord, Lot, Cantal…).

Le suc de Lermu. Une occupation du site au cours de La Tène A pouvant perdurer au cours de La Tène B se développe dans l’emprise du site. Elle est caractérisée par la présence d’un niveau d’occupation (US 05,Fig. 3) et d’un sol archéologique déjà identifié en 2016. L’assemblage céramique issu de la fouille de ce niveau permet de l’attribuer à La Tène A au sens large eu égard à son caractère ubiquiste. Cependant la présence de céramiques tournées à pâte claire, peinte ou non, associées ponctuellement à un registre décoratif caractéristique des productions de céramiques grises monochromes méridionales permettent de proposer une datation centrée sur la fin du Ve s. av J.-C.
Fig. 3 : coupe n°2 obtenue sur la bordure occidentale de la zone de fouille. Document F. Delrieu

Régionalement cette occupation de hauteur est contemporaine de celles identifiées récemment sur les sites du Puy-Saint-Romain dans le Puy-de-Dôme ou de Chastel-Marlhac dans le Cantal (Auxerre-Géron, Couderc et Delrieu 2017). Ce sont pour l’heure les trois seuls sites régionaux occupés de manière évidente pendant cette séquence chronologique. Le Suc de Lermu prend donc place dans un corpus de sites peu étoffé mais dont la présence atteste, aussi bien régionalement qu’au niveau national, l’utilisation des sites de hauteur, fortifiés ou non, pour l’implantation d’habitats supposés permanents.

2 – Le Suc de Lermu. Une occupation à La Tène B2 et C

La principale évolution issue des résultats de fouille conduite en 2021 a été la mise au jour d’une importante et inédite occupation laténienne du site. Cette dernière avait été pressentie en 2016 avec la découverte dans le sondage n°1 d’une fibule de schéma La Tène II.

Le suc de Lermu. Cet horizon chronologique est avant tout caractérisé par la mise en place d’un système défensif (Fig. 4). Ce dernier est fondé directement sur un possible état de fortification ancien du site (US 07). Il se présente sous la forme d’une masse de blocs de basalte liés à la terre (US 08). Surmontée d’une probable palissade en bois (US 10), elle est grossièrement parementée sur sa face extérieure et couverte sur sa face interne par une série de dalles de basalte posées en écaille. Ce système de protection semble devoir permettre d’évacuer rapidement l’eau de pluie de la partie haute du rempart, dans un souci évident de conservation, en direction d’un petit canal aménagé à la base de l’ouvrage défensif, le long de sa limite interne. Son comblement est par ailleurs très hydromorphe (US 04) et a livré un abondant assemblage de mobilier correspondant à des rejets de nature domestique. L’aménagement d’un empierrement de 1 à 1,5 mètre de large longeant la limite interne de ce canal semble pouvoir être associé à une volonté de faciliter la circulation en arrière du rempart (Fig. 5).
Fig. 4 : Vue en plan (1er plan) et en coupe (2d plan) de l’ouvrage défensif laténien. Cliché F. Delrieu

Cet horizon chronologique est avant tout caractérisé par la mise en place d’un système défensif (Fig. 4). Ce dernier est fondé directement sur un possible état de fortification ancien du site (US 07). Il se présente sous la forme d’une masse de blocs de basalte liés à la terre (US 08). Surmontée d’une probable palissade en bois (US 10), elle est grossièrement parementée sur sa face extérieure et couverte sur sa face interne par une série de dalles de basalte posées en écaille. Ce système de protection semble devoir permettre d’évacuer rapidement l’eau de pluie de la partie haute du rempart, dans un souci évident de conservation, en direction d’un petit canal aménagé à la base de l’ouvrage défensif, le long de sa limite interne. Son comblement est par ailleurs très hydromorphe (US 04) et a livré un abondant assemblage de mobilier correspondant à des rejets de nature domestique. L’aménagement d’un empierrement de 1 à 1,5 mètre de large longeant la limite interne de ce canal semble pouvoir être associé à une volonté de faciliter la circulation en arrière du rempart (Fig. 5).

Le suc de Lermu. Cet horizon chronologique est avant tout caractérisé par la mise en place d’un système défensif (Fig. 4). Ce dernier est fondé directement sur un possible état de fortification ancien du site (US 07). Il se présente sous la forme d’une masse de blocs de basalte liés à la terre (US 08). Surmontée d’une probable palissade en bois (US 10), elle est grossièrement parementée sur sa face extérieure et couverte sur sa face interne par une série de dalles de basalte posées en écaille. Ce système de protection semble devoir permettre d’évacuer rapidement l’eau de pluie de la partie haute du rempart, dans un souci évident de conservation, en direction d’un petit canal aménagé à la base de l’ouvrage défensif, le long de sa limite interne. Son comblement est par ailleurs très hydromorphe (US 04) et a livré un abondant assemblage de mobilier correspondant à des rejets de nature domestique. L’aménagement d’un empierrement de 1 à 1,5 mètre de large longeant la limite interne de ce canal semble pouvoir être associé à une volonté de faciliter la circulation en arrière du rempart (Fig. 5).
Fig. 5 : relevé en plan du sol n°2 (La Tène B2-C). Document F. Delrieu

Cet empierrement est constitué de blocs de basalte posés à plat scellant directement le niveau de La Tène A (US 05). Cet ouvrage défensif et les éléments qui lui sont associés (canal et voie empierrée) sont parties intégrantes de l’US 12 attribuée à La Tène B2 et C qui correspond au niveau d’occupation. Outre l’abondant assemblage céramique, caractéristique de cette séquence mis au jour notamment dans le comblement du canal (US 04) les bornes chronologiques de cette occupation sont constituées par la découverte de deux fibules mises au jour dans le même niveau (US 04). La plus ancienne a été découverte en 2021 et peut-être attribuée à La Tène B2. La plus récente, découverte en 2016 (Delrieu et al. 2018) est datée de La Tène C. En l’état actuel de la documentation concernant cette occupation, ces deux bornes marquent les deux terminus de cette occupation, probablement longue, qui couvre à l’évidence une bonne partie du IIIe s. av. J.-C. et probablement la première moitié du IId. L’ensemble du mobilier céramique associé prend place dans l’intervalle chronologique ainsi défini. Au sein de cette occupation, les données stratigraphiques établissent que l’aménagement du rempart, et probablement de ses structures associées (canal et voie empierrée) marque la genèse de cette occupation, probablement au cours de La Tène B.

En arrière de l’ouvrage défensif précédemment décrit, un possible bâtiment à abside a été identifié (Fig. 5). Sa fondation semble associée à l’US 12. Il n’a pas été fouillé en intégralité mais les éléments de mobilier associés au niveau superficiel de son sol interne semblent permettre d’attribuer cet état récent de son fonctionnement à La Tène B2 et C. De nombreux éléments constitutifs d’une sole perforée associée à un possible four de type Sévrier ont été mis au jour de manière éparse en périphérie et à l’aplomb de ce bâtiment.

Les éléments de culture matérielle identifiés pour cette occupation confirment le développement d’une importante activité domestique sur le site au cours de cette séquence chronologique. La présence d’un catillus (Fig. 6) dans le comblement du canal bordant le rempart (US 04) est inédite en Haute-Auvergne pour cette séquence chronologique où l’usage des meules rotatives n’était pas encore attesté. L’assemblage céramique constitue dorénavant un lot de référence à l’échelle départementale. Le Suc de Lermu correspond en effet au premier site d’habitat de La Tène B et C documenté dans le département du Cantal. Cet ensemble céramique, à l’instar de celui attribuable à La Tène A, est marqué par une forte proximité avec le Languedoc oriental confirmant le tropisme méridional caractérisant cette région durant une bonne partie du second âge du Fer.

Le suc de Lermu. Les éléments de culture matérielle identifiés pour cette occupation confirment le développement d’une importante activité domestique sur le site au cours de cette séquence chronologique. La présence d’un catillus (Fig. 6) dans le comblement du canal bordant le rempart (US 04) est inédite en Haute-Auvergne pour cette séquence chronologique où l’usage des meules rotatives n’était pas encore attesté. L’assemblage céramique constitue dorénavant un lot de référence à l’échelle départementale. Le Suc de Lermu correspond en effet au premier site d’habitat de La Tène B et C documenté dans le département du Cantal. Cet ensemble céramique, à l’instar de celui attribuable à La Tène A, est marqué par une forte proximité avec le Languedoc oriental confirmant le tropisme méridional caractérisant cette région durant une bonne partie du second âge du Fer
Fig. 6 : Vue du catillus mis au jour dans le comblement du fossé associé au rempart laténien. Cliché F. Delrieu

3 – Le Suc de Lermu. Une fréquentation du site au cours de l’Antiquité tardive

Par la suite, le site semble abandonné pendant plus de 500 ans avant qu’une nouvelle occupation ne se développe sur place au cours des Ve et/ou VIe s. Elle se caractérise par la présence d’un niveau d’occupation (US 03) associé à un sol archéologique (sol n°1). Aucune structure n’a été identifiée pour cet horizon chronologique. L’occupation qui s’y développe au cours de l’Antiquité tardive semble donc relativement lâche et n’a pas réellement correspondu à un réaménagement profond et durable du site, du moins dans le secteur fouillé. Il est probable que l’habitat en lui-même se localise à proximité immédiate de la zone de fouille. Comme sur d’autres sites de hauteur contemporains fortifiés au cours de la protohistoire, le rempart ancien est délaissé. L’espace situé en arrière de cet ouvrage défensif probablement ruiné est alors dédié au rejet des reliefs de l’occupation domestique qui se développe probablement au centre du plateau. Cette hypothèse semble correspondre aux données observées au cours des fouilles conduites en 2021. Il faudrait par la suite mener des campagnes de sondages sur les secteurs internes localisés au centre de la table basaltique pour mettre au jour d’éventuels traces immobilières de cet habitat.

Cette séquence avait déjà été identifiée précédemment (Fournier 1962) grâce à la découverte de tessons de DSP et de fragments de verre lors des interventions précédentes. On notera également, que, comme pour les occupations laténiennes, le site semble bien inscrit dans les réseaux d’échanges entre le centre et le sud de la Gaule comme le prouve la présente significative de DSP.

Enfin le site est abandonné définitivement à la fin de cette occupation des Ve et VIe s. Le petit plateau de Lermu retrouve alors certainement sa vocation agricole. L’ensemble de la séquence stratigraphique est alors recouvert par un important apport de colluvions (US 02) issu de l’érosion de la partie centrale du site qui s’accumule en arrière des vestiges des aménagements défensifs protohistoriques.

Si le premier âge du Fer et le début de La Tène ancienne correspondent à des périodes particulièrement bien documentées en Haute-Auvergne, notamment grâce aux données funéraires issues de la fouille des très nombreux tumulus connus dans cette région, le second âge du Fer, à l’inverse, connaît une importante lacune documentaire. En effet, seuls quelques dizaines de sites ou d’indices de sites sont connues pour cette période dans le département du Cantal. La Tène B et C correspondent probablement aux séquences les moins bien documentées du second âge du Fer en Haute-Auvergne. En effet, seule la découverte ancienne d’un fourreau à bouterolle ajourée de type Hatvan-Boldog attribuable à La Tène B2, sur la commune de Laveissenet peut être associée à cette période. Ce manque béant tranche nettement avec l’abondance des données pour cette période qui ont été collectées plus au nord, dans le bassin clermontois. La mise au jour de cette occupation laténienne dans l’emprise du Suc de Lermu correspond donc à une réelle opportunité de documenter en détail un contexte domestique jusqu’à présent inédit en Haute-Auvergne.


Bibliographie

Auxerre-Géron, Couderc et Delrieu 2017 : Auxerre-Géron F.-A., Couderc F. et Delrieu F. – Les habitats de hauteur occupés à La Tène A en Auvergne : bilan et données nouvelles, Bulletin de l’Association Française pour l’étude de l’âge du Fer, Paris, 35, p. 17‑22.

Delrieu et al. 2018 : Delrieu F., Auxerre-Géron F.-A., Chabert S. et Moulin C. – Les occupations protohistoriques du Suc de Lermu à Charmensac : état des lieux et données nouvelles, Revue de la Haute-Auvergne, 80, p. 157‑216.

Fournier 1962 : Fournier G. – Le peuplement rural en Basse Auvergne durant le Haut Moyen Âge, Paris, 678 p.

Goury 1995 : Goury D. – Les vases pseudo-ioniens des vallées de la Cèze et de la Tave (Gard), In : Sur les pas des Grecs en Occident, Hommages à André Nickels, textes réunis et édités par P. Arcelin, M. Bats, D. Garcia, G. Marchand et M. Schwaller, ADAM-Errance, Lattes/Paris, 1995, p. 309-324. (Études massaliètes 5).

Corent (63) – Oppidum de Corent

Type de projet : fouille programmée (“Corent (63) – Oppidum de Corent”)

Conduite du projet : Association pour la Recherche sur l’âge du Fer en Auvergne, Puis LUERN

Responsables : V. Guichard; M. Poux

Présentation

Le Puy de Corent, vaste plateau volcanique situé à une trentaine de kilomètres au sud-est de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme, France), abrite un oppidum gaulois reconnu depuis longtemps par les prospections.

Corent (63) – Oppidum de Corent. Le Puy de Corent, vaste plateau volcanique situé à une trentaine de kilomètres au sud-est de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme, France), abrite un oppidum gaulois reconnu depuis longtemps par les prospections
Corent (63) – Oppidum de Corent (photo B. Dousteyssier)

Corent (63) – Oppidum de Corent. Sondages 1992-1993

Des sondages menés entre 1992 et 1993 par Vincent Guichard et John Collis au centre du plateau y ont mis en évidence un sanctuaire d’époque romaine, à galerie quadrangulaire périphérique de 70 m de côté, précédé de vestiges d’occupations datés du Néolithique moyen, de l’Âge du Bronze et de la Tène finale.


De cette époque date un premier lieu de culte fréquenté entre la fin du IIe et le début du Ier s. avant notre ère, matérialisé par un fossé d’enclos comblé de rejets fauniques sélectionnés (crânes de moutons) et diverses structures construites en tessons d’amphores : témoins des grandes quantités de vin et de viande vraisemblablement consommées sur le site dans le cadre de festins et de rites libatoires, associés à d’autres catégories d’offrandes – monnaies, parures, ossements humains et pièces d’armement mutilées, consacrées sur le modèle des grands sanctuaires guerriers de Gaule septentrionale.


Le décapage extensif du sanctuaire, qui a débutée en 2001, s’inscrit dans le cadre d’un projet triennal mené en collaboration avec l’ARAFA (Association pour la Recherche sur l’Âge du Fer en Auvergne), l’université de Lausanne (Suisse), l’université de Sheffield (Grande Bretagne) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

LUERN

A partir de 2009, une nouvelle association, LUERN, a pris le relai de l’ARAFA.

Matthieu poux dirige les fouilles actuelles sur le plateau de Corent. Un site dédié est consacré à ces recherches

Quand les Arvernes écrivaient le gaulois

Quand les Arvernes écrivaient le gaulois : article publié dans « L’Archéologue Archéologie Nouvelle n° 95 avril – mai 2008 » qui nous a aimablement autorisé à le reproduire

En plein Vème siècle, Sidoine Apollinaire déclare que la noblesse arverne vient tout juste d’apprendre le latin et de se débarrasser de la « crasse » du gaulois (« sermonis Gallici squamam », Lettre à Ecdicius).

Quand les Arvernes écrivaient le gaulois. Couvercle de terra nigra avec inscription sur le pourtour.
La lecture de l’inscription a toujours été faite sur photos car l’objet avait disparu (RIG, 2002, L-65). Il a été retrouvé et est aujourd’hui exposé. On relève la présence probable du verbe d’offrande (i)euru.
Couvercle de terra nigra avec inscription sur le pourtour.
La lecture de l’inscription a toujours été faite sur photos car l’objet avait disparu (RIG, 2002, L-65). Il a été retrouvé et est aujourd’hui exposé. On relève la présence probable du verbe d’offrande (i)euru.

La lecture de l’inscription a toujours été faite sur photos car l’objet avait disparu (RIG, 2002, L-65). Il a été retrouvé et est aujourd’hui exposé. On relève la présence probable du verbe d’offrande (i)euru.

On sait pourtant que dès avant la conquête de César, les élites gauloises étaient formées à Rome. Les nobles gaulois avaient donc une ancienne tradition de bilinguisme latin-gaulois, dont on trouve plusieurs exemples parmi les personnages cités par César. Une pratique n’impliquant d’ailleurs pas une attitude pro-latine ou un parti pris défaitiste durant la guerre des Gaules. Néanmoins, après la conquête, et plus encore après l’écrasement des révoltes du Ier siècle (Sacrovir), on peut supposer que les élites ont adopté la langue du vainqueur, les inscriptions devenant très vite uniquement latines. L’épigraphie gallo-latine sur pierre semble être de courte durée (une ou deux générations) et très marginale, mais elle témoigne d’une phase de transition entre une affirmation de la culture gauloise et l’adoption totale de la culture latine (non seulement de son écriture, mais aussi de sa langue). Au niveau religieux, le gaulois disparaît des inscriptions de fondations officielles, et ne subsiste plus que dans des actes de magie, à caractère populaire.

Quand les Arvernes écrivaient le gaulois. Le "plat de Lezoux" (RIG, 2002, L-66), découvert en 1970
Ce long texte (environ 50 mots) a été écrit après cuisson sur un fond d’assiette. Trois essais d’analyse incitent à dire qu’il s’agit moins d’une « lettre », comme on l’a pensé, que d‘une suite de maximes morales, de préceptes,une sorte de « conseil au jeune homme ». Malgré la présence de mots d’analyse certaine, on est encore très loin d’avoir compris la signification générale du texte.
Le « plat de Lezoux » (RIG, 2002, L-66), découvert en 1970
Ce long texte (environ 50 mots) a été écrit après cuisson sur un fond d’assiette. Trois essais d’analyse incitent à dire qu’il s’agit moins d’une « lettre », comme on l’a pensé, que d‘une suite de maximes morales, de préceptes,une sorte de « conseil au jeune homme ». Malgré la présence de mots d’analyse certaine, on est encore très loin d’avoir compris la signification générale du texte.

Ce long texte (environ 50 mots) a été écrit après cuisson sur un fond d’assiette. Trois essais d’analyse incitent à dire qu’il s’agit moins d’une « lettre », comme on l’a pensé, que d’une suite de maximes morales, de préceptes, une sorte de « conseil au jeune homme ». Malgré la présence de mots d’analyse certaine, on est encore très loin d’avoir compris la signification générale du texte.

L’intérêt des inscriptions gauloises (il faut y inclure les légendes monétaires gauloises) tient au fait que ce sont des documents gaulois écrits par les Gaulois eux-mêmes. « C’est bien sûr la voie royale pour la connaissance du gaulois », écrit Pierre-Yves Lambert (La langue gauloise, Ed. Errance, 2e éd. 2003). Les progrès de l’archéologie ont permis de multiplier les trouvailles de graffites sur l’instrumentum (objets de la vie quotidienne, essentiellement des vases céramiques). Ces inscriptions de type familier (marques de propriété, etc.), le plus souvent en cursive mais parfois en capitales d’un style relâché par rapport aux inscriptions lapidaires, donnent une idée de l’emploi du gaulois dans l’écriture. On admet que le gaulois a été écrit sur l’instrumentum plus longtemps qu’il ne l’a été sur pierre.

Quand les Arvernes écrivaient le gaulois. Ce fragment d’assiette de sigillée lisse porte,semble-t-il, un message d’offrande ou de cadeau : un homme offre un canisron (pot en forme de corbeille) à une certaine Clebila (RIG,2002, L-68).
Ce fragment d’assiette de sigillée lisse porte,semble-t-il, un message d’offrande ou de cadeau : un homme offre un canisron (pot en forme de corbeille) à une certaine Clebila (RIG,2002, L-68).

Les centres d’industrie céramique (Montans, La Graufesenque, près de Millau, Banassac-La-Canourgue, Lezoux…) sont nés très tôt en Gaule romaine, pour la fabrication de sigillées destinées à concurrencer la production de la péninsule italienne. Bols, jattes, assiettes, plats, portent des inscriptions avant cuisson : messages publicitaires, sentences, formules de bienvenue, etc. Les inscriptions après cuisson sont plus personnelles : marques de propriété, signatures, dédicaces… Le Musée Départemental de la Céramique expose une vingtaine de graffites gallo-latins (la plupart sur céramique sigillée) mais en compte bien davantage. Trois des objets avec inscription conservés au musée sont présentés ici.

Les Arvernes

Les Arvernes. Auteur de la notice : John Collis, Jon Dunkley, Vincent Guichard, Christine Jouannet. Extrait d’un article publié dans les chroniques historiques du Livradois-Forez, n° 19 – 1997.

Les Arvernes apparaissent dans l’histoire à la fin du IIIème siècle av. J.-C., dans le récit de la seconde guerre punique.

Les Arvernes. Carte de la gaule.
Carte de la gaule.

Au IIème siècle av. J.-C., les Arvernes disposaient donc, si l’on en croit les auteurs classiques – notamment Strabon –, d’une grande puissance militaire et d’un pouvoir qui s’étendait à l’échelle de la Gaule. Comme cette réputation rehaussait le prestige des troupes romaines qui avaient anéanti l’armée arverne de Bituit dans la vallée du Rhône en 121, on peut soupçonner nos sources, toutes du parti des vainqueurs, d’avoir quelque peu exagéré la réalité.

La brève mais brillante apparition de Vercingétorix sur le devant de la scène militaire au cours de la dernière année de la guerre des Gaules est l’occasion pour le conquérant romain de réanimer les vieux clichés de propagande : selon César, les Arvernes jouissaient un siècle auparavant du contrôle (en latin : imperium) de la totalité de la Gaule.

Bien longtemps après, au début du XXème siècle, l’historiographie française a repris à son compte le même discours, pour servir des desseins tout différents. On parle désormais, à la suite de Camille Jullian, d’un « empire arverne », première réalisation d’une nation gauloise appelée à défier les siècles et les barbares germaniques, d’Arioviste à… Guillaume II. Même en se gardant de ces excès, explicables par le contexte politique dans lequel ils ont été forgés, il n’en demeure pas moins que les Arvernes sont parmi les populations de la Gaule chevelue les plus souvent et les plus anciennement citées par les auteurs antiques ; c’est donc une de celles qui jouissaient des rapports les plus réguliers avec le monde méditerranéen.

De là l’intérêt particulier de l’étude des vestiges archéologiques du second âge du Fer en Auvergne, intérêt rehaussé par la qualité et la densité de ces vestiges, unique à l’échelle de l’Europe moyenne. On n’insistera sur les problèmes de chronologie, pourtant cruciaux pour cette période où la France centrale entre dans l’Histoire et où l’on doit donc s’efforcer de replacer les observations archéologiques par rapports à des événements datés, comme la création de la province romaine de Gaule transalpine à la fin du IIème siècle av. J.-C., ou encore la conquête césarienne. On mesurera seulement à partir d’un exemple les progrès effectués dans ce domaine depuis quinze ans.

Au début des années 1980, il semblait en effet encore plausible de dater l’abandon du site de La Grande Borne, des années qui suivirent la conquête romaine. On pense maintenant que cela s’est produit un demi-siècle plus tôt, ce qui oblige à revoir complètement l’interprétation historique du phénomène.

Selon les sources antiques, on peut donc supposer qu’une population qui se désignait elle-même sous le nom d’Arvernes habitait dans le nord du Massif Central au moins depuis la fin du IIIème siècle avant J.-C. On ne peut pas espérer retracer les limites de son territoire à une période antérieure à la conquête. La délimitation de ce dernier est en revanche possible si on l’assimile à celui de la cité gallo-romaine qui lui fait suite. Celle-ci englobe la plus grande partie du diocèse de Clermont. A l’est, la limite avec les Ségusiaves est bien marquée par la ligne de crête élevée des monts du Forez. Au nord, elle s’enfonce en coin dans le département de l’Allier, au contact des Eduens et des Bituriges.

A l’ouest, la limite de diocèse semble prolonger fidèlement le tracé des confins avec les Lémovices, comme l’indique la désignation comme fines sur la Table de Peutinger d’une étape de la voie de Clermont à Limoges localisée à Voingt, à la limite de département.

C’est au sud que la restitution des limites est la plus incertaine, dans des zones peu peuplées au contact de régions qui subissaient la main-mise arverne (d’ouest en est : Rutènes, Gabales et Vellaves). Le petit diocèse du Puy, qui correspond assez précisément au bassin versant de la haute vallée de la Loire en amont des gorges qui marquent son entrée dans le Forez, perpétue sans doute les limites de la cité vellave.

Ainsi circonscrite, la cité arverne s’identifie à un domaine géographique centré sur la dépression des Limagnes et environnée quasiment de toutes parts de larges zones de confins bien moins hospitalières, pour lesquelles on dispose d’une documentation archéologique assez indigente sur la période. Cette indigence s’explique sans doute par une faible densité d’occupation ancienne, amplifiée par une faible activité moderne génératrice de travaux et de découvertes archéologiques.

La dépression des Limagnes bénéficie de deux avantages. C’est à la fois le point d’aboutissement de tous les itinéraires issus des massifs périphériques et une région extraordinairement propice à l’agriculture à cause de sols très fertiles et faciles à travailler, les « terres noires ». Ces qualités s’accompagnent néanmoins d’une réserve : le caractère naturellement palustre de cet environnement, qui ne peut être maîtrisé qu’au prix d’importants travaux de drainage. Le développement de l’emprise humaine sur les Limagnes exige et reflète à la fois l’émergence d’une population nombreuse et d’une organisation sociale capable de coordonner ces travaux.

On a longtemps cru que la documentation disponible sur l’occupation protohistorique des plaines de la Limagne présentait, sous son apparente richesse, des lacunes qui correspondaient à des périodes d’abandon total, en particulier pour la période moyenne de l’âge du Fer.

C’est en particulier le modèle défendu par Daugas et Tixier, qui corrèlent ces supposées lacunes du peuplement avec des périodes de péjoration climatique. En réalité, l’affinement de la connaissance des mobiliers et la multiplication des prospections et des fouilles de sauvetage conduisent à une tout autre vision, du moins pour l’âge du fer.

On sait désormais que la période des VIIème-IVème siècle – qui correspond pourtant au maximum de la péjoration climatique de l’âge du Fer – est bien représentée, mais surtout par des sites modestes, très difficiles à repérer. Un certain nombre de ces sites a été identifié grâce au suivi systématique de travaux de drainage et de remembrement, dans le nord de la Limagne, ou encore à l’occasion de fouilles de sauvetage. Les fouilles récentes liées à la construction de la bretelle autoroutière A 71, au nord-est de l’agglomération clermontoise, ont ainsi conduit au repérage de deux sites du VIème siècle (dont un associé à un cimetière) et de deux sites du IVème siècle.

L’avancée la plus spectaculaire des connaissances concerne toutefois la période suivante, les IIIème et IIème siècle av. J.-C. Des prospections systématiques développés depuis une trentaine d’années et de la multiplication des fouilles de sauvetage, il résulte en effet une liste pléthorique de sites de tailles très diverses se rapportant à cette époque.

Pour bien mesurer à quel point notre perception du peuplement régional à la fin de l’âge du Fer a été bouleversée au cours de la dernière décennie, il faut se rappeler que, jusqu’à la fin des années 1970, on ne connaissait qu’un seul site clairement identifié de cette période, celui de La Grande Borne. La densité de peuplement la plus forte est enregistrée dans la région de Clermont-Ferrand, qui est aussi la plus intensément prospectée.

De l’âge du Bronze au premier âge du Fer

Article initial : De l’âge du Bronze au premier âge du Fer, publié dans « L’Archéologue Archéologie Nouvelle n° 95 avril – mai 2008″ qui nous a aimablement autorisé à le reproduire

Auteur : Pierre-Yves Milcent

  • I – L’occupation du sol et les dépôts du Bronze final
  • II – La genèse de l’Age du fer : la fin d’un mythe
  • III – Des hommes et des femmes
  • IV – L’émergence de nouveaux systèmes

Au deuxième millénaire av. J.-C., la pleine maîtrise de la métallurgie des alliages cuivreux est acquise. Le bronze apparaît au début de cette période puis est substitué très progressivement au cuivre, au silex ou à l’os pour la fabrication d’objets. L’obtention de cet alliage nécessite l’intensification des réseaux d’échanges à longue distance dans la mesure où les sources d’approvisionnement des deux métaux constitutifs du bronze ne sont pas localisées, sauf exception, dans les mêmes régions : le cuivre est surtout réparti depuis les Alpes jusqu’à la mer Noire, tandis que les ressources en étain se trouvent principalement concentrées sur la façade atlantique de l’Europe. Le contrôle de l’exploitation et de la circulation de ces métaux a eu pour effet de favoriser la circulation des hommes et des idées, mais il a contribué aussi au renforcement de la hiérarchisation sociale.

Les gisements d’étain du Massif central, dont ceux que l’on connaît dans les Combrailles, ne sont certainement pas étrangers au développement d’une métallurgie bien attestée dès l’âge du Bronze moyen en Auvergne, et qui remonte probablement au Bronze ancien. Toutefois, ils ne doivent pas faire oublier que la région disposait de bien d’autres ressources minérales susceptibles d’être exploitées durant la Protohistoire : l’or, l’argent, le lignite ou encore le sel. Jusque vers 1400 av. J.-C., le bronze est un alliage d’abord réservé à l’élite : il sert surtout à fabriquer des armes (poignards puis épées, pointes de lance), des parures luxueuses et de nombreuses haches dont l’usage n’était pas strictement agricole puisqu’elles pouvaient tout aussi bien servir d’arme ou d’objet à valeur d’échange ; n’oublions pas non plus que le bronze, une fois lustré, présente un éclat proche de celui que possède l’or, métal du pouvoir par excellence. La métallurgie reste donc essentiellement confinée à la sphère de l’économie du prestige social et, en ce sens, le Bronze ancien et le Bronze moyen apparaissent dans la continuité de l’âge du Cuivre. Au Bronze moyen, on assiste pourtant à une cristallisation lente de groupes culturels dont les assises géographiques persisteront à l’âge du Fer. L’Auvergne se fond dans une vaste entité culturelle qui couvre tout le centre de la France, depuis la Charente jusqu’au cours supérieur de la Loire. Ce domaine de la France centrale est largement ouvert aux contacts, aux influences, sans doute grâce au réseau hydrographique ligérien qui relie l’ouest de la France à l’est, le Midi au Bassin parisien. L’affluent qu’est l’Allier permet à l’Auvergne de détenir une position clef dans les réseaux de contacts nord-sud qui s’articulent sur le bassin de la Loire.

De l’âge du Bronze au premier âge du Fer. Occupations identifiées en Basse Auvergne au Bronze final 3 (950-800 av. J.-C.).
De l’âge du Bronze au premier âge du Fer. Occupations identifiées en Basse Auvergne au Bronze final 3 (950-800 av. J.-C.).
1 : Bègues, 2 : Gergovie, 3 : Corent

I – De l’âge du Bronze au premier âge du Fer. L’occupation du sol et les dépôts du Bronze final

De l’âge du Bronze au premier âge du Fer. Site fortifié du Bronze final (Prospection B. Dousteyssier)
De l’âge du Bronze au premier âge du Fer. Site fortifié du Bronze final (Prospection B. Dousteyssier)

La documentation que l’on peut mobiliser pour le Bronze final (1350-800 av. J.-C.) montre une forte densité de découvertes pour les plaines des Limagnes d’Auvergne et leurs abords. Ce constat tient bien sûr à l’activité de la recherche archéologique, plus intensive ici qu’ailleurs, notamment dans la région clermontoise. Il faut reconnaître toutefois que certains traits de ces micros régions – fort potentiel agricole, proximité avec des zones de plateau propices à l’élevage et au refuge, possibilités d’accès à des biotopes diversifiés, situation privilégiée du point de vue des axes de communication – ont certainement favorisé les concentrations humaines. Au sud de la Grande Limagne d’Auvergne, les principaux reliefs qui barrent la dépression de l’Allier sont occupés et parfois fortifiés lorsque les défenses naturelles ne suffisent pas comme au Puy de Mur à Dallet.

De l’âge du Bronze au premier âge du Fer. Allanche (Cantal) : Tumulus en cours de dégagement (fouille et cliché P.-Y. Milcent)
De l’âge du Bronze au premier âge du Fer. Allanche (Cantal) : Tumulus en cours de dégagement (fouille et cliché P.-Y. Milcent)

L’importance des établissements de hauteur varie au cours du Bronze final et traduit peut-être une forme de compétition d’un territoire à un autre, ou du moins une certaine instabilité dans les formes d’organisation de l’habitat. Au Xe s. av. J.-C. par exemple, le plateau basaltique du Puy de Corent présente les traces d’un établissement humain dense et très étendu (5 ha au minimum), tandis qu’au IXe s. av. J.-C., c’est au contraire la butte de Gergovie et le sommet du Puy Saint-André à Busséol qui paraissent les plus densément investis. Hormis le Puy de Corent, les fouilles réalisées sont encore trop restreintes pour que l’on puisse cerner précisément le statut et les fonctions de ces établissements. L’étendue des rejets domestiques du Bronze final à Corent, leur richesse en mobilier métallique parfois exotique (épingles, couteaux, faucilles, bracelets…), donnent à penser que certains établissements correspondaient à des villages contrôlant un espace agricole étendu ainsi que des activités liées à la production artisanale, métallurgique notamment, et aux trafics à moyenne et longue distances. Autour de Corent, et plus largement dans la région clermontoise, la densité d’établissements de hauteur est exceptionnelle. Dans le reste de l’Auvergne, les sites de même nature, essentiellement des éperons barrés, sont nettement plus dispersés, mais ils commandent eux aussi des itinéraires ou l’accès à des ressources enviées. On constate par ailleurs une concentration remarquable de dépôts d’objets en bronze autour de ces centres aux derniers siècles du Bronze final, ce qui ne peut être fortuit. A l’image des fortifications qui mobilisent une abondante main-d’œuvre, ces stocks métalliques constituent un investissement important (en métal et en objets manufacturés), de même qu’une forme d’ostentation qui semble passer par l’abandon ou la destruction volontaire et ritualisée de richesses. L’Auvergne détient un record en la matière dans le secteur de Bègues : neuf dépôts de bronzes, datés pour la plupart des Xe et IXe s. av. J.-C., sont connus dans un rayon de 5 km autour d’un éperon barré du Bronze final installé à l’aplomb de la vallée de la Sioule et au débouché d’une voie reliant la Limagne au Berry ; l’un d’entre eux, à Jenzat, recelait deux exceptionnelles roues de char coulées en bronze. La constitution de dépôts d’objets hors sépulture, une pratique qui remonte au moins au Néolithique, trouve un point d’orgue au IXe s. av. J.-C. Elle participe alors d’un marquage des principaux centres territoriaux et atteste l’existence de milieux aristocratiques puissants.

II – De l’âge du Bronze au premier âge du Fer. La genèse de l’âge du Fer : la fin d’un mythe

A compter du VIIIe s. av. J.-C., l’Auvergne, comme les autres régions de la France centrale et orientale, voit l’extension rapide de nécropoles à inhumations sous tumulus. Cette pratique funéraire n’est pas spécifique au premier âge du Fer, mais c’est à cette époque qu’elle devient la plus répandue.

Allanche (Cantal) : Tumulus en cours de dégagement.
Ce site a été sans doute construit au Bronze ancien puis 
réutilisé au Hallstatt moyen pour l’inhumation d’une 
sépulture féminine (fouille et cliché P.-Y. Milcent)
Allanche (Cantal) : Tumulus en cours de dégagement.
Ce site a été sans doute construit au Bronze ancien puis
réutilisé au Hallstatt moyen pour l’inhumation d’une
sépulture féminine (fouille et cliché P.-Y. Milcent)

Entre 800 et 650 av. J.-C. environ, il n’est pas rare que des défunts de sexe masculin soient ensevelis avec une épée en bronze ou en fer. Les protohistoriens, surtout après la Seconde Guerre mondiale, ont longtemps considéré qu’il s’agissait là de tombes de cavaliers originaires d’Europe centrale et parvenus à l’ouest du Rhin à la faveur d’une vague d’invasion. L’hypothèse d’une intrusion militaire permettait de trouver une explication simple au passage de l’âge du Bronze à l’âge du Fer et au problème de l’origine des Celtes : outre leur domination militaire, les guerriers « hallstattiens » auraient imposé leur culture matérielle, leurs techniques plus évoluées (la sidérurgie notamment), leurs coutumes, leur langue, et auraient ainsi préparé le terrain à d’autres vagues de peuplement celtique, celles de l’époque de La Tène.

Tesson à décor incisé ornithomorphe du IX ème siècle av. J.-C.
Puy de Corent (Puy-de-Dôme).
De l’âge du Bronze au premier âge du Fer. Tesson à décor incisé ornithomorphe du IX ème siècle av. J.-C.
Puy de Corent (Puy-de-Dôme)

En Auvergne, les peuples hallstattiens se seraient installés sur les hauteurs pour y demeurer jusqu’au second âge du Fer, laissant pour trace la « céramique des plateaux ». La question du passage de l’âge du Bronze à l’âge du Fer se pose aujourd’hui en des termes bien différents. La céramique du début de l’âge du Fer, que l’on trouve en réalité sur des habitats en bas de versant et en plaine plutôt que sur des points hauts, ne montre pas de rupture avec les productions du Bronze final, malgré l’apparition d’une nouvelle technique décorative, la peinture au graphite, d’aspect argenté, qui remplace les décors du Bronze final constitués de lamelles d’étain collées. Les pratiques funéraires qui se développent au VIIIe s. av. J.-C. ne sont ni exogènes, ni nouvelles, puisque l’inhumation sous tumulus existait déjà, de manière exceptionnelle toutefois, au Bronze final. Le fer, quant à lui, apparaît timidement dès l’âge du Bronze et demeure, de toute façon, un métal d’importance anecdotique jusqu’à une époque assez avancée de l’âge du Fer (fin du VIIe s. av. J.-C.).

Terrine carénée à décor peint au graphite.
Hallstatt moyen, Corent (dessin C. Pouget)
De l’âge du Bronze au premier âge du Fer. Terrine carénée à décor peint au graphite.
Hallstatt moyen, Corent (dessin C. Pouget)

Enfin, la thèse de l’origine orientale de l’équipement des premiers guerriers « hallstattiens » doit être abandonnée, dans la mesure où nous avons pu récemment démontrer que les épées, rasoirs et autres objets dits « hallstattiens » d’Europe ont d’abord été développés dans le domaine atlantique, autour de la Manche orientale, avant d’être diffusés vers la France centrale et l’Est par l’intermédiaire de réseaux d’échanges aristocratiques. L’abandon des anciennes théories « invasionnistes » ne signifie pas pour autant que la transition Bronze-Fer se résumerait à un passage graduel et presque insaisissable d’une période à l’autre. L’étude sur la longue durée de l’occupation des sols en Auvergne montre ainsi que le VIIIe s. av. J.-C. correspond à une période où les sites de hauteur sont largement délaissés, tandis que de nouvelles terres semblent colonisées en fond de vallée, en dépit d’une péjoration climatique.

Dans le sud de la Limagne, les fouilles récentes, celles qui furent conduites sur le tracé de l’autoroute A 710 en particulier, confirment l’occupation dense au premier âge du Fer de bordures de cuvettes palustres, un milieu où les établissements de la fin de l’âge du Bronze font figure de rareté. Si l’on considère désormais les pratiques de déposition ritualisée, les changements sont plus tranchés encore avec la disparition brutale des dépôts d’offrandes métalliques vers 800 av. J.-C. et la multiplication concomitante des épées en contexte sépulcral. Ce mouvement de balancier au bénéfice des dépôts funéraires trahit, comme l’introduction de l’armement « hallstattien », une profonde transformation de l’idéologie symbolique des élites sociales, sans qu’il faille supposer pour autant un renouvellement de population.

III – Des hommes et des femmes

Si les cimetières tumulaires attestent le caractère privilégié des hommes au début du premier âge du Fer, en particulier des porteurs d’épée, les femmes laissent peu de traces au même moment. Ce n’est qu’à partir de l’étape moyenne du premier âge du Fer, entre 650 et 510 av. J.-C., qu’un basculement s’opère. Les armes n’étant plus déposées en contexte funéraire, les sépultures masculines deviennent à leur tour extrêmement sobres tandis qu’à l’inverse, les contextes féminins font l’objet d’un enrichissement parfois exceptionnel. Des parures à l’aspect baroque et varié, ornées de symboles astraux, nécessitant un lourd investissement en termes de technique et de matériaux, peuvent accompagner dans leur tombeau des personnages féminins qui bénéficient par ailleurs de l’édification d’un tertre tumulaire.

Un des tumulus de Mons (Cantal). Vue sur le rebord du plateau.
De l’âge du Bronze au premier âge du Fer. Un des tumulus de Mons (Cantal). Vue sur le rebord du plateau.

Dans le Cantal, le cimetière aristocratique de Mons illustre cette forme de substitution des femmes aux hommes dans le monde des morts. C’est à la même époque que l’on voit réapparaître, en Haute-Auvergne et en Velay, la pratique des dépôts volontaires d’objets métalliques. Ces dépôts non funéraires, dont le plus spectaculaire est celui de la Mouleyre à Saint-Pierre-Eynac (Haute-Loire), réunissent presque exclusivement des bijoux intacts qui forment des équipements cohérents ayant appartenu à des sujets féminins. Comme dans les tumulus, ces parures sont les vestiges imputrescibles de costumes cérémoniels féminins qui, de toute la Protohistoire, n’ont jamais été aussi fastueux. L’importance que prennent certaines femmes dans les contextes archéologiques dépasse largement le cadre auvergnat et pose des difficultés d’interprétation. Il est probable qu’elle corresponde à une nouvelle définition du rôle respectif des hommes et des femmes au sein de la famille, du moins dans les milieux privilégiés. Peut-on considérer qu’un nouveau système de parenté, matrilinéaire, fut promu à cette époque ? Dans un tout autre domaine, celui des modes d’habitat, l’étape moyenne du 1er âge du Fer correspond également à une évolution importante avec la réapparition des occupations de hauteur. Le site le mieux documenté aujourd’hui est en cours de fouille au centre du plateau de Corent : il s’agit d’une agglomération dont l’extension paraît importante (plus d’un hectare) et pour laquelle plusieurs unités domestiques livrent un niveau d’occupation bien conservé par un incendie violent. Ce niveau est riche de céramiques écrasées en place qui illustrent toutes les catégories fonctionnelles (vases en pâte fine à décor graphité notamment), mais, à la différence des occupations de l’âge du Bronze final, il est assez pauvre en mobilier métallique (les objets en fer demeurent exceptionnels) ; il recueille cependant quelques fibules qui attestent aussi bien des contacts avec l’est de la France qu’avec le domaine ibéro-languedocien. En l’absence de traces d’activité artisanale, la partie fouillée de cet établissement paraît consacrée uniquement à une économie de subsistance.

IV – L’émergence de nouveaux systèmes

La fin du VIe et le Ve s. av. J.-C. inaugurent une troisième et dernière étape du premier âge du Fer, mais celle-ci demeure peu documentée en Auvergne, essentiellement pour des raisons liées aux hasards des recherches, semble-t-il. Les documents disponibles suggèrent une réoccupation plus intensive des sites de hauteur qu’à l’étape précédente, une large ouverture aux influences et aux échanges, en particulier en direction de l’est et du sud. L’Auvergne, bien qu’elle participe encore de la zone de production de la céramique graphitée centrée sur le Limousin, constitue alors la région la plus occidentale du domaine hallstattien avec le Berry. Quelques importations d’origine méditerranéenne (œnochoé et bassin étrusques en bronze, céramiques attiques, amphores vinaires d’Étrurie et de Marseille) suggèrent, comme en Berry, Orléanais et Bourgogne, l’existence de centres de contacts à longue distance orientés principalement en direction du Languedoc, de la Provence et de l’Italie septentrionale. L’un d’entre eux est identifié sur l’éperon barré de Bègues (Allier), qui a livré des fragments de plusieurs vases grecs et étrusques. Du point de vue des systèmes d’organisation et d’occupation du territoire, cette situation n’est pas sans rappeler celle qui prévalait au Bronze final et suggère que d’autres relais des grands réseaux d’échanges du Ve s. sont à rechercher dans les environs de Clermont-Ferrand, un secteur qui commande l’accès au Languedoc par les Causses.

Fibule en bronze à arc foliacé et orné d’une spirale, d’origine 
ibéro-languedocienne. Puy de Corent, fin du VIIe s. av. J.-C.
De l’âge du Bronze au premier âge du Fer. Fibule en bronze à arc foliacé et orné d’une spirale, d’origine
ibéro-languedocienne. Puy de Corent, fin du VIIe s. av. J.-C.

L’extension des réseaux d’échanges et l’interaction des idées a aussi pour effet de donner naissance à la fin du premier âge du Fer à une nouvelle culture matérielle, réservée pour l’essentiel et dans un premier temps aux élites sociales de l’Europe tempérée : la « civilisation » de La Tène. L’intégration à la sphère culturelle et matérielle laténienne s’effectue en Auvergne, comme dans le reste du centre-est de la France, de façon variable et complexe au Ve s. av. J.-C. Pour ne fournir que quelques exemples, dans le domaine de la culture matérielle, l’adoption des standards laténiens peut être aussi bien précoce que tardive : à une apparition locale de céramiques fines tournées à profil sinueux, dès le 2e quart du Ve s. av. J.-C., répond l’usage prolongé de la fibule à pied en timbale de tradition hallstattienne jusqu’à la fin de ce siècle ; de nouvelles pratiques funéraires (inhumations en fosse) aboutissent certes à l’abandon des ensevelissements en tumulus, mais on observe que les premières tombes de « type » laténien sont intégrées à des espaces funéraires généralement plus anciens et, surtout, qu’elles ne rompent pas avec les usages du premier âge du Fer concernant l’absence de vase et de dépôt alimentaire, ou encore l’habillement et la disposition des corps. Peut-être est-ce dans ce contexte historique nouveau que les populations façonnèrent plus nettement leur conscience d’appartenir à une même entité ethnique, celle des Arvernes.

Les Arvernes. Peuple celtique d’Auvergne

Les Arvernes. Peuple celtique d’Auvergne : article publié dans « L’Archéologue Archéologie Nouvelle n° 95 avril – mai 2008″ qui nous a aimablement autorisé à le reproduire.

Parce que les Romains eurent à pâtir à plusieurs reprises de leur puissance militaire, une première fois en 121 avant J.-C., une seconde en 52 avant J.-C., les Arvernes tiennent une place particulière parmi les peuples de la Gaule. Quelques décennies après la bataille de Gergovie, le géographe grec Strabon n’hésite pas à affirmer que leur pouvoir s’étendait autrefois « sur toute la Gaule, jusqu’à Narbonne et aux confins du territoire de Marseille, des monts Pyrénées jusqu’à l’Océan et au Rhin ». C’est une formule à l’évidence excessive pour indiquer que les Arvernes furent un peuple influent à l’échelle du territoire récemment conquis par César. Elle eut pourtant une belle postérité, puisqu’elle permit aux historiens modernes, Camille Jullian en tête, de forger le concept d’un « empire arverne » qui avait défié l’envahisseur romain… comme la France de la 3e République préparait la revanche contre l’ennemi allemand. La notion d’empire arverne a fait long feu, même si le concept a longtemps été invoqué par les numismates à l’appui de la thèse selon laquelle les Arvernes auraient longtemps eu le monopole de l’émission de la monnaie d’or en Gaule, aux IIIe et IIe siècles avant J.-C., thèse qu’il est en fait bien difficile d’étayer par les données archéologiques.

Néanmoins, la prééminence des Arvernes dans la Gaule de la fin de l’âge du Fer ne peut être niée. Au contraire, l’intense activité de recherche archéologique menée en Auvergne ces dernières années dont ce dossier se veut le reflet dévoile une population singulièrement nombreuse, au moins dans les bassins très fertiles des Limagnes, fondée sur une agriculture prospère, douée d’un sens artistique armé avec une étonnante production de céramique peinte, sans comparaison dans le monde celtique et précocement ouverte aux contacts avec le monde méditerranéen.

Ce dossier ne prétend pas couvrir systématiquement les acquis récents de la recherche que l’on trouvera plus précisément exposés dans les actes d’un colloque récemment tenu à Clermont-Ferrand. Il propose plutôt des coups de projecteur sur quelques facettes de ces acquis. La part belle est faite aux sites majeurs que sont les trois oppida du bassin de Clermont (Corent, Gondole et Gergovie), qui font en ce moment l’objet d’importantes fouilles animées par l’Association pour la recherche sur l’âge du Fer en Auvergne, puisque c’est une originalité de l’Auvergne que de connaître encore une activité de fouilles programmées suffisamment soutenue pour structurer la recherche archéologique régionale. L’archéologie de sauvetage est également très active, notamment dans la région clermontoise.

Le territoire que l’on peut restituer aux Arvernes est entièrement intégré dans les limites de la région Auvergne. Le département de l’Allier, au nord, est situé pour partie sur le territoire des Eduens et pour partie sur celui des Bituriges. La situation est plus confuse dans le sud de la région. Le département de Haute-Loire se superpose grosso modo au territoire des Vellaves, peuple client des Arvernes selon César. Leur principal oppidum semble être le plateau de Marcilhac, à quelques kilomètres de leur chef-lieu gallo-romain, Ruessio (Saint-Paulien). L’influence arverne se déployait au-delà des limites de l’Auvergne administrative, vers le sud, chez les Cadurques et les Gabales, également rangés par César parmi leurs clients.

Les marges du territoire arverne sont peu évoquées dans ces pages, parce que l’activité de recherche y est moins intense aujourd’hui, notamment en Haute-Auvergne et dans le Velay. Le nord de la région est mieux servi, avec des résultats importants en Bourbonnais, aux confins des territoires arverne, éduen et biturige (découverte d’un nouvel oppidum à Cusset, fouille du rempart de l’oppidum de Châteloy à Hérisson…) et les nombreuses fouilles de sauvetage qui se succèdent de façon régulière dans le département de l’Allier. On attend beaucoup dans ce domaine du programme collectif de recherche sur l’habitat protohistorique fortifié en Auvergne.

Les Arvernes. Peuple celtique d'Auvergne - Les Arvernes et leurs voisins (sur fond de carte administrative de l’Auvergne ; d’après Trément 2007)
Les Arvernes et leurs voisins (sur fond de carte administrative de l’Auvergne ; d’après Trément 2007)

Les périodes antérieures à l’entrée des Arvernes sur la scène historique, aux IIIe-IIe siècles avant J.-C., sont également difficiles à aborder, surtout par manque de sites qui focalisent l’attention tels que les oppida et grandes agglomérations de la période finale de l’âge du Fer. On constate néanmoins que les oppida ont été précédés par des phases de perchement de l’habitat qui s’accompagnent de concentrations importantes de population dès la fin de l’âge du Bronze. Dans un autre domaine, les traces souvent ténues mais nombreuses des installations agricoles qui ont précédé l’essor démographique du IIe siècle avant J.-C. comblent progressivement un vide archéologique correspondant aux premiers siècles du second âge du Fer. Les nécropoles tumulaires du haut-plateau cantalien forment un autre beau dossier à peine valorisé aujourd’hui.

Au total, la très grande majorité de la documentation nous ramène à la période finale de l’âge du Fer et au bassin de Clermont-Ferrand. Il faut y voir le résultat de deux phénomènes superposés. Le plus évident est la forte concentration actuelle de la population et de l’activité économique dans ce secteur, ce qui engendre de très nombreuses opportunités d’explorer le sous-sol. Le second est bien le constat que cette polarisation du territoire arverne sur le bassin de Clermont-Ferrand est une affaire qui dure depuis le IIIe siècle avant J.-C., époque à laquelle commence à se constituer l’agglomération d’Aulnat-Gandaillat-La Grande Borne.

Ce territoire restreint du bassin de Clermont, qui mesure au plus 20 x 10 km, pose des interrogations qui transparaissent bien dans les pages qui suivent. A un premier regroupe-ment d’activité en plaine sur le site d’Aulnat-Gandaillat, probablement étendu de quelque 200 ha, succède au Ier siècle avant notre ère une triade de grands oppida regroupés dans un mouchoir de poche : Corent, Gondole et Gergovie forment un triangle équilatéral de 6 km de côté, tandis que le territoire environnant ces sites semble largement déserté à la même époque. La grande question du moment est bien sûr de comprendre les raisons d’être d’un scénario aussi inhabituel dans le monde celtique. On constate que les périodes d’occupation des trois oppida ne coïncident que partiellement, avec une antériorité de Corent sur les deux autres, Gergovie étant le site qui livre les vestiges les plus récents. Les contributions qui suivent proposent différentes hypothèses : considérer pour le milieu du Ier siècle avant J.-C. ces différents pôles d’activité proches comme les éléments d’une seule métropole au tissu très lâche, qui pourrait être la Nemossos de Strabon ; réduire Gergovie au statut de première capitale romaine du peuple arverne, dans les décennies qui suivent la guerre des Gaules… Reste que les dégagements sont encore très limités sur chacun des gisements en termes de surface explorée et portent sur des vestiges de nature différente le cœur de l’oppidum à Corent, les fortifications à Gergovie, une périphérie de l’oppidum à Gondole. Il est donc prématuré de conclure et il faut se réjouir de la possibilité qui nous est donnée de pour-suivre l’enquête par des chantiers ouverts simultanément sur chacun des sites clés du problème.

En dernier lieu, soulignons ce qui motive l’édition de ce dossier : rendre compte des résultats de recherches qui restent jusqu’à pré-sent peu divulguées en dehors d’un cercle ré-duit de spécialistes, parce que les moyens ne sont pas disponibles régionalement pour restituer les travaux des archéologues au grand public. En l’absence de musée disposant de la mission de valoriser l’archéologie et pourvu des moyens ad hoc à Clermont-Ferrand, les résultats évoqués ici dorment dans des car-tons. En l’absence de perspectives d’exposition, les objets sont très rarement restaurés et il est paradoxalement difficile de regrouper au pied levé suffisamment d’images de qualité pour illustrer un tel dossier. Concluons donc par un vœu : que les pouvoirs publics réunissent leurs moyens pour construire une vitrine de l’archéologie auvergnate digne d’un patrimoine que nous envie l’ensemble de la communauté scientifique européenne.

750 à 20 avant J.- C. La révolution du Fer

750 à 20 avant J.- C. La révolution du Fer. Auteur de la notice : Y. Deberge, 2008

I – La maîtrise de la métallurgie du fer

Vers 700 av. J.-C., les civilisations de l’âge du bronze vont s’effacer devant de nouvelles ethnies maîtrisant la métallurgie du fer, connue depuis le IIème millénaire avant notre ère par les Hittites d’Asie Mineure. Il s’agissait peut-être déjà des Celtes qui seront bientôt à l’apogée de leur puissance. Le berceau de la civilisation celtique se situe en Europe Centrale.


Du Vème au IIIème siècle av. J.-C., leur aire d’occupation s’étend vers les Îles Britanniques, l’Espagne, la France du Sud, l’Autriche, la Mer Noire et l’Italie centrale. Sur ces terres, les Celtes fusionnent avec les peuplades indigènes. C’est le cas des Gaulois, qui forment un élément important de cette civilisation. Seule la langue unit ces tribus qui ne forment ni une race, ni une nation, ni une ethnie, ni un état. Quoi qu’il en soit, la possession du fer assure à ces populations leur supériorité sur les terres qu’ils occupent.


Le fer est un métal facile à exploiter, bien plus répandu dans la nature que le cuivre et l’étain, et épargnant par conséquent des échanges commerciaux complexes. En outre, il est plus résistant que le bronze. C’est surtout dans la fabrication des armes que se révèle la maîtrise du minerai de fer : l’épée et les pointes de flèche par exemple ; mais aussi dans l’agriculture : les socs des araires, les houes, les pioches améliorent grandement les techniques agricoles. En effet, ces outils, plus solides et plus tranchants, permettent de travailler des sols humides ou lourds.

II – Deux périodes

Cette La révolution du Fer donne naissance à ce qu’on appelle l’âge du Fer, divisé en deux périodes :

  • le premier âge du Fer (de 750 à 450 av. J.-C.), que les archéologues appellent Hallstatt du nom d’un village de la haute Autriche, près de Salzbourg, où des fouilles effectuées au siècle dernier ont révélé l’existence d’une très riche nécropole – près de deux mille tombes contenant des objets en fer – liée à une mine de sel.
  • le second âge du Fer (de 450 à 20 av. J.-C) dit civilisation de La Tène (dite laténienne), du nom d’un site en bordure du lac de Neuchâtel, en Suisse, qui a livré des tombes d’une grande richesse, remplies d’armes, de fibules et de bijoux, et qui sert de base de référence pour les datations chronologiques.

Le deuxième âge du Fer

Le deuxième âge du Fer. Auteur de la notice : anonyme.

Le deuxième âge du Fer. Tombe féminine du Pâtural (J. Dunkley, ARAFA)
Le deuxième âge du Fer. Tombe féminine du Pâtural (J. Dunkley, ARAFA)

La société gauloise est essentiellement agricole. Le lin comme le chanvre sont cultivés et servent à la fabrication des tissus. Les myrtilles, le pastel ou l’airelle sont employés pour la teinture car les Gaulois aiment les couleurs vives. Pour l’alimentation, les cultivateurs produisent du blé amidonnier (riche en amidons), de l’orge, des lentilles et des pois. Ces céréales sont consommées en bouillies et galettes, parfois agrémentées de raisins secs, de dattes ou de noix.


A sa tête, se trouve une aristocratie terrienne. Celle-ci est en relation constante avec l’ensemble du monde celtique qui possède une certaine homogénéité même s’il est composé d’une multitude de tribus indépendantes les unes des autres. Mais au début du Ier siècle avant notre ère, l’intensification des relations commerciales avec le Monde Méditerranéen va favoriser l’émergence d’une nouvelle catégorie sociale. Il va s’ensuivre une relative décadence de cette aristocratie terrienne, au moins sur le plan politique.


Les druides sont des personnages importants de la société celte et paraissent avoir été au cœur de la religion. Chefs religieux, recrutés dans la noblesse, ils règlent les pratiquent cultuelles et président aux sacrifices… En outre, ils occupent des fonctions juridiques et sont chargés de l’éducation des jeunes nobles et de la transmission des épopées. Les druides forment un  » clan  » avec, au sommet, un chef élu.

Le deuxième âge du Fer. Nécropole de Sarliève
Cliché A. Mailler. Centre archéologique européen du Mont Beuvray, Bibracte
Le deuxième âge du Fer. Nécropole de Sarliève
Cliché A. Mailler. Centre archéologique européen du Mont Beuvray, Bibracte