Nouvelles recherches sur l’occupation laténienne et augustéenne du « Quartier des Artisans » à Gergovie (La Roche Blanche – Puy-de-Dôme) Bilan des opérations des années 2022 et 2023

Yann Deberge1, Marion Dacko2

1 : Ingénieur de recherche, Inrap Clermont-Ferrand, UMR 8546 AOROC ; 2 : Ingénieure de recherche, Université de Clermont Auvergne, UAR 3350

Introduction

Le « Quartier des Artisans » est l’un des secteurs de l’oppidum de Gergovie (La Roche-Blanche, Puy-de-Dôme) qui a été exploré le plus intensément et extensivement par le passé. Il a en effet fait l’objet de fouilles successives en 1861, 1935-1937, 1942-1944, 1947 et 1949 avec des résultats tout à fait significatifs révélant notamment une stratigraphie développée et des vestiges nombreux. Malgré cela, la méthodologie employée par les différents intervenants, avec une juxtaposition de fenêtres de fouilles et une perception très variable des vestiges dégagés (sondages ponctuels vs dégagements en aire ouverte ; fouille stratigraphique vs excavation conduite de façon plus ou moins expéditive en tranchée ; dégagements des murs seuls vs fouilles des couches…) et surtout la qualité des comptes rendus publiés empêchent d’avoir une vision d’ensemble claire des aménagements, apparemment très nombreux, dégagés anciennement.

La fouille programmée engagée en 2022 par le biais d’une opération annuelle qui se poursuit en 2023-2025, vise au réexamen de cet ensemble de vestiges par l’étude des archives anciennes, le re-dégagement des fouilles antérieures et leur documentation, l’achèvement et l’approfondissement des dégagements réalisés antérieurement ainsi que par l’agrandissement de la zone étudiée par le passé (prospections drone et géophysique, agrandissement de l’emprise fouillée). Cette opération qui vient compléter les recherches conduites récemment dans ce secteur du plateau (Jud 2013 ; Jud 2014 ; Jud 2015 ; Jud 2016 ; Jud 2017 ; Jud 2020), est motivée à la fois par des objectifs scientifiques (préciser la nature et la chronologie de l’occupation de ce secteur clé de l’oppidum de Gergovie) et patrimoniaux (maintenir une activité de recherche sur ce site majeur, lui donner de la visibilité et engager une réflexion sur le devenir de ces fouilles restées ouvertes « en l’état » depuis 1949).

1. État des terrains et de la documentation avant la reprise des fouilles

Pour rappel, la zone concernée par ce projet de recherche est localisée sur le rebord sud du plateau de Gergovie, au point le plus bas de la large combe qui traverse le plateau du nord au sud (fig. 1). Elle se situe au débouché du chemin vicinal venant du village de Gergovie qui se poursuit ensuite vers le cœur du plateau. Elle est bordée au nord par la seule route (D800) permettant l’accès à la partie orientale du site où se situent les infrastructures d’accueil du public (monument Teillard à la mémoire de la bataille de Gergovie, espace de restauration, musée, parking). C’est un lieu de forte fréquentation, surtout en période estivale, ce que renforce la proximité de l’une des rares zones de stationnement importante du site. Citons pour mémoire que cette dernière comprend sur sa bordure nord les soubassements de la maison de fouille édifiée, avec le concours du général de Lattre de Tassigny, pour accueillir les fouilleurs des années 1940 ainsi qu’en position centrale, le monument érigé à la mémoire des « Gergoviotes » morts pendant la Seconde Guerre mondiale. Les fouilles réalisées dans les années 1930 et 1940 n’ont, pour la plupart, pas été rebouchées à leur achèvement. L’état du terrain était, avant reprise des investigations en 2022, celui du colmatage naturel lié à l’effondrement des bermes en plus, au sortir des années 1940.

Fig. 1 : localisation de la zone d’intervention sur fond topographique et cadastral (en haut) et orthophotographique (en bas) (éch. 1/12500e ; auteur : Y. Deberge, Inrap)

Il présentait ainsi une succession de creux et bosses correspondant aux zones excavées et aux déblais issus de ces fouilles, sans que l’on parvienne clairement à distinguer les unes des autres, surtout en période de haute végétation. La limite nord des fouilles des années 1940 était néanmoins clairement visible ainsi que plusieurs excavations plus ponctuelles.

Avant la reprise des investigations en 2022, l’ensemble du secteur était recouvert par une végétation herbacée avec, çà et là, quelques arbres. La pente qui suit immédiatement la zone de fouille au sud était, quant à elle, couverte d’une végétation dense, associant principalement des aubépines et des ronciers.

La documentation disponible avant la reprise des investigations se résumait en grande partie à cinq articles de synthèse publiés entre 1940 et 1950 (Brogan et Desforges 1940 ; Grenier 1943 ; Hatt 1943 ; Hatt 1947 ; Labrousse 1950) assez difficilement interprétables pour ce qui est de percevoir la nature précise de l’occupation du secteur sauf à comprendre que les vestiges étaient nombreux, stratifiés et qu’ils renvoyaient en majorité à la période augustéenne. De la même façon, les plans, d’exécution relativement sommaire, ne permettaient pas de percevoir l’emprise réelle des différents dégagements opérés. Les fonds d’archives liés à ces travaux anciens n’étaient pas identifiés et, enfin, les collections de mobilier exhumées à l’occasion de ces travaux, apparemment bien fournies, n’étaient pas toutes localisées.

2. L’opération de 2022

La fouille de 2022 a été conçue comme une opération annuelle « test » vouée à dresser un bilan documentaire préalablement à de futures investigations inscrites dans la durée (fig. 2)

Fig. 2 : vue aérienne de la zone d’intervention à la reprise des investigations au début de la campagne de 2022 (auteur : D. Gliskmann, Inrap)

2.1. Acquisitions Lidar, photogrammétrique par drone et prospection géophysique

En amont de la reprise des fouilles, le secteur a fait l’objet d’une couverture photogrammétrique par dronesur une surface d’1,54 ha (Élise Fovet, Claire Brossard ; MSH de Clermont-Ferrand, plateforme IntelEspace), après élimination de la végétation par les équipes du SEVE du Conseil départemental du Puy-de-Dôme. Ce document permet notamment de repérer des déblais et remblais liés aux recherches archéologiques et/ou vestiges anciens et ainsi de localiser des sondages anciens qui ne figurent sur aucun des plans publiés par les fouilleurs précédents dans cette zone du plateau.

À l’automne, un levé Lidar par drone a été réalisé par la MSH sur une surface de 2,5 ha, venant compléter la première acquisition Lidar générale accomplie en 2016 à l’initiative du SRA Auvergne sur la totalité du plateau de Gergovie.

De la même façon, un relevé géophysique a été entrepris sur les secteurs les moins bouleversés par les recherches anciennes préalablement à la fouille (François-Xavier Simon, cellule géophysique de l’Inrap). Quatre grands profils électriques totalisant 260 m linéaires de développement ainsi qu’une tomographie électrique 3D par tranche portant sur 200 m² ont été réalisés. Les panneaux électriques, effectués en travers de la combe ou dans l’axe de celle-ci, documentent tout d’abord la position du toit de la coulée basaltique. Elle apparaît située, selon l’emplacement, entre 1 et 4 m depuis la surface actuelle du sol. Ils ont également permis la mise en évidence d’anomalies de sub-surface correspondant à des aménagements anthropiques variés dont certains sont identifiables à des vestiges agraires récents et d’autres à des sondages anciens. Le relevé tomographique a quant à lui permis de détecter une anomalie résistive de grande dimension (plus de 12 m de longueur pour 3 m de largeur avec un retour à angle droit) dont l’orientation, cohérente avec les aménagements maçonnés mis au jour anciennement, laisse à penser qu’il s’agit d’une construction ancienne.

2.2. La fouille

L’emprise examinée s’inscrit, peu ou prou, dans les limites des fouilles anciennes. Le décapage général réalisé manuellement a concerné les deux tiers orientaux de la surface fouillée entre 1861 et 1949. Il a révélé un terrain bien plus bouleversé qu’attendu avec des dénivelés de plus de 2 m entre la surface actuelle du sol, assimilable au niveau de circulation des XIXe et XXe s., et le fond des fouilles anciennes aujourd’hui partiellement comblées. Les volumes de terre déplacés anciennement, déblais sortis des tranchées et remblais accumulés en fond de fouille, sont apparus bien plus volumineux qu’envisagés. L’essentiel des investigations de 2022 a porté sur la partie orientale de la zone fouillée anciennement qui a été examinée en aire ouverte sur une surface de 180 m² (sondage 1 et 2). Une autre fenêtre (SD 5), placée dans l’axe d’une dépression linéaire liée à ces mêmes recherches anciennes, a été réalisée depuis cette zone en direction de l’ouest (39 m²). Dans la zone occidentale, celle fouillée de façon plus approfondie par Jean-Jacques Hatt puis par Michel Labrousse dans les années 1940, deux transects de 10 et 20 m ont été réalisés selon un axe nord-sud (SD 3 – 22 m² – et SD4 – 36 m²) (fig. 3).

Concernant les vestiges anciens présents dans ce secteur, il apparaît que le bâtiment le plus tardif présente un aspect bien plus massif qu’envisagé à partir des seuls comptes rendus de fouille. Cette construction, uniquement conservée en fondation, se développe sur au moins 35 m de longueur et associe, sur une partie de son tracé, deux puissants murs parallèles, distants de 4,15 m, avec le mur sud sur le rebord du plateau.

Fig.3  : les trois temps de l’opération de 2022 (après désherbage, après élimination de la terre végétale, en fin d’opération) dans les secteurs ouest (à gauche) et est (à droite) de l’emprise (auteur : Y. Deberge, Inrap)

Ces fondations, larges de 1 m en moyenne et d’une profondeur de 1,40 m, sont constituées de blocs de basalte de module très variable (de 0,10 m à 0,60 m) noyés dans un abondant mortier de chaux. Le dégagement des abords de ces maçonneries a permis de retrouver des niveaux de circulation, qui se présentent sous la forme de radiers de blocs de basalte de taille variable, à l’extérieur et à l’intérieur de l’édifice.

Deux murs de refend, qui présentent les mêmes caractéristiques constructives que les maçonneries longitudinales, déterminent un espace carré d’un peu plus de 4 m de côté. Le déblaiement de cet espace, déjà fouillé en 1936-1937, a permis de retrouver l’un des « drains » traversant le mur sud de l’édifice mentionné anciennement. Dans le même espace, ont été retrouvés les vestiges antérieurs à ce grand bâtiment tels que mentionnés dans la publication de 1940. Nos observations confirment leur antériorité par rapport à l’édifice le plus récent. Ces aménagements, très dégradés suite à leur mise au jour au cours des années 1930, sont eux-mêmes postérieurs à un premier ensemble de vestiges qui restent à caractériser. Le déblaiement des autres sondages permet également de repérer des niveaux archéologiques anciens sous la forme d’une alternance de couches (au moins trois) peu ou très chargées en blocs de basalte. Certaines sont riches en charbons avec ponctuellement la présence de scories ferreuses (culots de forges).

La zone occidentale de l’emprise, fouillée par J.-J. Hatt entre 1942 et 1944 puis M. Labrousse en 1947 et 1949, montre des vestiges bien plus dégradés. Ces derniers sont néanmoins bien présents et correspondent aux aménagements les plus anciens figurés sur les plans publiés anciennement. Les murs et couches archéologiques les plus récentes ont en grande partie disparu, ce secteur ayant été fouillé, notamment par J.-J. Hatt, en aire ouverte et non par l’intermédiaire de tranchées comme dans la partie orientale de l’emprise.

Au final, cette première année d’investigation a permis de montrer que, conformément aux données publiées anciennement, l’occupation de ce secteur du plateau de Gergovie est stratifiée avec une épaisseur de plus de 2 m de niveaux archéologiques conservés. Ils renvoient, au minimum, à trois phases d’aménagement successives (six au maximum ?). Quant aux marqueurs chronologiques collectés, du mobilier en quantité assez importante retrouvé en position secondaire dans le comblement des anciennes tranchées de fouille ainsi que quelques éléments prélevés dans les couches archéologiques en place, il apparaît que les plus récents renvoient à la fin du règne d’Auguste, que bon nombre appartiennent à la fin de la période laténienne (La Tène D2) et que quelques-uns renvoient à des phases d’occupation plus anciennes (Chasséen récent, âge du Bronze).

À l’est et au centre de l’emprise examinée, les couches archéologiques paraissent avoir été globalement peu impactées par les dégagements anciens même si ponctuellement ces fouilles ont été conduites en profondeur. À l’ouest, les dégagements ont été plus importants mais n’ont pas totalement détruit les vestiges anciens.

2.3. Analyse documentaire

Parallèlement aux investigations de terrain, un important travail sur la documentation de terrain laissée par nos prédécesseurs a été engagé afin de guider la fouille et d’en assurer la préservation. En 2022, le travail documentaire s’est davantage concentré sur la partie orientale de la zone avec une étude des interventions conduites dans les années 1930 par le comité Pro Gergovia et l’équipe franco-britannique dirigée par Olwen Brogan et Émile Desforges. Ont été notamment étudiées les archives photographiques de Fernand Chirent, témoin des fouilles et propriétaire d’une partie des terrains explorés et les archives scientifiques d’O. Brogan, propriétés de la Society for Libyan Studies hébergées à l’Université de Leicester, comprenant environ 80 documents (notes de fouilles, notes diverses, manuscrits de pré-publication, clichés et négatifs photographiques, relevés planimétriques et stratigraphiques, des croquis, correspondance scientifique de la chercheuse). Les archives ont été transcrites et traduites au format word, selon les normes de l’outil de transcription collaborative en ligne Transcrire (fig. 4).

À proximité de la zone fouillée en 2022, la documentation ancienne permet enfin de localiser plus d’une dizaine de sondages inédits, dont les premiers tests exécutés sur le secteur par le britannique William Noël Lucas-Shadwell en 1935 (parcelle 925) et des excavations situées en contre-haut du « Quartier des Artisans » à proximité du « chemin de la Croix » et en contre-bas de la rupture de pente du plateau, au lieu-dit Regnat.

Enfin, les archives scientifiques de Michel Labrousse, intervenu sur le secteur entre 1947 et 1949, ont été localisées au musée Saint-Raymond de Toulouse. Celles-ci font actuellement l’objet d’un classement et d’un traitement et ne seront accessibles qu’à partir de 2024.

Fig. 4 : localisation des différents fonds d’archives identifiés en 2022 et interprétation des différents documents liés aux dégagements de 1936 et 1937 (autrices : M. Dacko et C. Brossard, MSH)

2.4. Le mobilier

L’étude du mobilier permet de confirmer ce qui avait été perçu à l’examen des planches publiées anciennement. L’occupation ancienne du secteur est très discrète. Elle se résume pour l’heure à quelques éléments lithiques (éclats et roche polie) et quelques tessons qui peuvent liés à une occupation du Néolithique moyen II et de l’âge du Bronze. Il est à souligner que la collection exhumée cette année provient très majoritairement des déblais des fouilles anciennes ce qui peut expliquer la faible représentation du mobilier ancien.

Pour le reste, la grande majorité des éléments renvoient à la fin de l’âge du Fer et à la période augustéenne dans son intégralité :

– monnaies de types arvernes (ADCANAVNOS, CICIIDV. BRI/EPAD, EPAD, VERCA) et quelques monnaies romaines du début de la période augustéenne (denier de César Auguste, Dupondii de Nîmes de type 1).

– deux fibules à queue de paon (type Feugère 16a1) renvoient également au règne d’Auguste.

– deux bagues en fer et d’autres éléments liés à la parure et au soin du corps.

Des scories ferreuses en forme de culots ainsi que des chutes de demi-produits présentant des traces de découpe ou de déformation réalisées à chaud témoignent de la proximité d’ateliers de forge. C’est aussi ce que suggère la présence de battitures, en proportion relativement importante, ainsi que de l’outillage.

La collection de tessons de céramique et d’amphore, relativement abondante (7 212 restes pour 101 kg) étant donnée la nature remaniée des couches fouillées, confirme une attribution chronologique assez tardive qui ne dépasserait que de peu la fin du règne d’Auguste.

La vaisselle d’importation, assez abondante, est essentiellement constituée de sigillée italique et, bien plus marginalement, du sud de la Gaule. Plusieurs tessons peuvent avoir une origine lezovienne. La gobeleterie à paroi fine, pour l’essentiel apparemment de production gauloise, associe des formes de tradition tardo-républicaine et augustéennes. Pour le reste, le mobilier céramique associe vaisselles de stockage, de cuisine et de service/présentation, produites régionalement au cours de La Tène D2b et de la période augustéenne, et qui sont courantes en contexte d’habitat. S’y ajoutent des plaques de cuisson ainsi que des terres cuites architecturales (tegulae, imbrices, briques et antéfixe).

2.5. Bilan de l’opération 2022

À l’issue de l’opération de 2022, il apparait que, conformément aux informations données dans les publications anciennes, ce secteur du site offre un potentiel assez inégalé pour l’ensemble du site de Gergovie. Le secteur oriental a été assez peu impacté par les fouilles anciennes en dehors d’une surface restreinte d’une quarantaine de mètres carrés qui a fait l’objet de sondages profonds relativement destructeurs. La stratigraphie semble y être développée et atteindre au moins de 2 m d’épaisseur (le substrat n’a été atteint en 2022 nulle part). Au minimum, trois constructions se sont succédé à cet emplacement. La plus récente correspond à un grand bâtiment maçonné au mortier de chaux qui a été construit, après destruction des aménagements antérieurs, sur le rebord du plateau. Le secteur occidental a plus fortement été impacté par les recherches anciennes. Son étude n’est toutefois pas dénuée d’intérêt. Le réexamen des vestiges dégagés anciennement permettra à terme de proposer une réinterprétation de ceux-ci. De plus, il apparaît que la fouille n’a pas été exhaustive dans ce secteur et l’intégralité de la séquence n’a pas été fouillée anciennement. Des lambeaux de sol, des murs et autres couches archéologiques semblent effectivement être encore conservés.

Le bilan documentaire dressé à l’issue de la campagne de 2022 est apparu finalement très positif confirmant que ce secteur du site de Gergovie, bien que fouillé à des multiples reprises par le passé, a conservé encore un potentiel informatif important.

3. L’opération de 2023

Dans la continuité de celle de 2022, l’opération de 2023 a associé une intervention de terrain conduite sur un espace d’une superficie de 840 m², soit les 2/3 est de l’espace fouillé anciennement, et une étude archivistique.

3.1. La fouille

La fouille proprement dite a été conduite manuellement, la configuration topographique du terrain et l’omniprésence des vestiges permettant difficilement l’intervention d’engins de terrassement comme aide à la fouille. Les travaux de terrain de cette année ont été en intégralité consacrés à l’achèvement du déblaiement des fouilles anciennes et seul un secteur d’une quinzaine de mètres carrés a fait l’objet d’une fouille stratigraphique portant sur les vestiges anciens.

Ces dégagements ont permis d’établir un plan de masse des fouilles anciennes, document qui faisait défaut, ainsi qu’une documentation détaillée (plan de masse, photographie, enregistrement) des vestiges dégagés anciennement dans l’état où ils ont été laissés à l’issue de la dernière campagne de fouille réalisée dans ce secteur.

La zone de fouille a été divisée arbitrairement en 3 secteurs (fig. 5)avec :

– le secteur 1 (environ 275 m²) qui correspond à la partie orientale de l’emprise et qui a été concernée par les travaux de C. Aucler en 1861 puis par ceux d’O. Brogan et E. Desforges en 1936-1937 ;

– le secteur 2 (environ 280 m²) qui correspond à la partie centrale de l’emprise étudiée et qui a été examiné par O. Brogan et E. Desforges en 1936-1937 puis par M. Labrousse en 1947 (?) et 1949 ;

– le secteur 3 (environ 285 m²) qui correspond à la partie occidentale de l’emprise étudiée et qui a été fouillée par J.-J. Hatt en 1944 puis par M. Labrousse en 1947 (et 1949 ?).

Fig. 5 : othophotographie de l’emprise étudiée à la fin de l’opération de 2023 correspondant à l’état « en fin de fouille » des opérations de 1861, 1936-7, 1944 et 1947/9 (auteur : Y. Deberge, Inrap)

Dans le secteur 1, un décapage mécanisé a permis d’évacuer les déblais des fouilles anciennes déposés en cordons, sur 0,50 m d’épaisseur, sur le rebord sud du plateau ainsi que dans l’emprise orientale du grand bâtiment maçonné au mortier de chaux (bâtiment US 158). Les couches de sédiments superficiels surmontant cette construction, peu épaisses (0,40 m au maximum) et presque dépourvues de mobilier, ont été enlevées de la même façon (fig. 6). Outre les trois sondages profonds attribués aux fouilles de 1936-1937, déjà fouillés en 2022, les vestiges liés aux recherches anciennes retrouvés dans ce secteur correspondent à deux étroites tranchées, assez peu profondes qui prennent place le long des murs nord et sud de la construction précédemment mentionnée. Ces sondages en tranchée, à l’évidence destinés à suivre le parement nord des murs, figurent d’ailleurs sur le plan établi en 1936. Ils ont été complétés par quelques sondages ponctuels, courts et peu profonds, réalisés perpendiculairement aux tranchées de sondage.

Dans la partie orientale de l’emprise, un radier de blocs bordé à l’ouest par un amas de pierres correspond au chemin dit « de Merdogne à Gergovie » figurant sur les plans établis en 1861-1862 ainsi que ceux réalisés dans les années 1930. Cet axe de circulation a été utilisé au moins jusqu’en 1922, date de réalisation de la nouvelle route qui est venue l’oblitérer largement.

Le décapage de cette année a également permis la mise en évidence d’un autre amas de pierres, masqué par la végétation, dans l’angle sud-est du secteur 1. Constitué de blocs de taille variable, parfois importante, il contient des éléments (TCA, blocs architecturaux en grés, fragments de mortier) probablement issus de la destruction du bâtiment US 158. L’absence de sédiments entre les blocs suggère que sa mise en place est relativement récente (XIXe s. ?).

Pour le reste, les vestiges plus anciens affleurent partout la surface décapée. Ils n’ont pas été fouillés plus avant dans ce secteur, sauf pour dégager les arases du bâtiment US 158 qui apparaissent directement sous la terre végétale. Il est à noter qu’aucune couche de destruction ne surmonte ces maçonneries, ce qui suggère que des terrassements réalisés anciennement (lors de la mise en culture du plateau après 1792 ? ; lors des fouilles de 1861 ? ; à l’occasion de l’exploitation de la carrière voisine en 1879 ?) ont conduit à l’évacuation totale des éléments liés à la ruine de cet édifice apparemment imposant. Une utilisation de ceux-ci pour combler l’ancien chemin précédemment évoqué est d’ailleurs tout à fait probable.

Fig. 6  : plan de masse des vestiges anciens redégagés en 2023 (auteur : Y. Deberge, Inrap)

Toujours dans le secteur 1, une fouille stratigraphique a été conduite dans l’emprise du bâtiment US 158, à l’emplacement du sondage profond réalisé en 1936-1937. Dans cet espace exigu de 18 m², très fortement impacté par les travaux de fouille anciens, la fouille a été conduite jusqu’à atteindre ponctuellement le substrat basaltique qui se situe à une profondeur de 3 m environ depuis le toit des vestiges archéologiques. Elle a révélé une séquence stratigraphique conservée qui se développe sur 1,70 m de hauteur et renvoie à huit phases successives d’aménagements attribuables à une période recouvrant La Tène D2a et le début (?) de la période augustéenne. Ce sondage d’emprise limité permet d’identifier à cet emplacement : un premier aménagement massif de blocs de basalte (remblai, mur ou radier) installé directement sur le basalte et surmonté par épais remblai de blocs, une couche de nivellement, un premier bâtiment à solin de pierre, une succession de radiers de sols extérieurs (voie ou sol), un dallage, un second bâtiment à sol de terre battu associé à une sole de foyer qui a connu au moins une réfection, un troisième bâtiment à mur enduit et au sol de terre battue, des couches de destruction et de remblaiement, et enfin la construction massive aux murs liés au mortier de chaux (US 158). À cet emplacement du site, la puissance des couches archéologiques est d’environ 2,50 m.

Dans le secteur 2, le décapage mécanisé a consisté à évacuer les déblais des fouilles anciennes déposés en cordons sur le rebord du plateau ainsi que la couche de sédiments superficiels (terre végétale) laissée anciennement dans l’emprise du bâtiment US 158 (« buttes témoins » est et ouest), mais aussi immédiatement au nord de celui-ci (au maximum 0,40 m). Il a, comme sur le secteur 1, été conduit jusqu’au toit des couches archéologiques en place qui s’avèrent être conservées aussi bien au nord qu’au sud du bâtiment US 158.

Les quatre sondages profonds attribués aux fouilles de 1936-1937 et/ou 1947/1949, qui n’avaient pas été dégagés en 2022, ont été fouillés en totalité. C’est aussi le cas des différentes tranchées de fouilles qui ont été réalisées dans les années 1930 le long des murs du bâtiment US 158.

Cette fouille a fourni les données suivantes :

  • pour la longue tranchée (au moins 11 m de longueur pour une largeur de 1 m et une profondeur initiale de 1,50 à plus de 2 m) située contre la face nord du mur méridional du bâtiment US 158 : le re-dégagement des deux caniveaux repérés en 1936-1937 qui ont des linteaux et piédroit en ignimbrite (ponce du Sancy) ; l’observation sur presque toute sa hauteur du « parement » nord de cette maçonnerie, haute de 1,50 m environ, qui correspond presque uniquement à une fondation avec seule l’assise supérieure (environ 0,20 m) qui peut correspondre à de l’élévation ;
  • pour la longue tranchée (au moins 7,30 m de longueur pour une largeur de 0,90 m et une profondeur initiale de 1,40 m) réalisée en direction du nord depuis ce premier mur, le re-dégagement de l’arase du long mur nord-sud lié à l’argile ;
  • pour les deux tranchées, assez étroites (0,90 et 0,45 m environ) et peu profondes (environ 1 m de profondeur initiale), réalisées de part et d’autre du mur nord du bâtiment US 158, le dégagement partiel de ses deux faces sur environ 4 m de longueur ;
  • pour le premier sondage profond (1,10 m de côtés), réalisé en 1936-1937 au sud de la construction US 158 : la mise en évidence sur 1,50 m de couches archéologiques superposées avec à la base, alors que ce sondage était réputé avoir atteint le substrat, une maçonnerie liée à l’argile ;
  • pour le second sondage profond (6,30 par 3,60 m) implanté dans l’axe du mur nord du bâtiment US 158, la mise en évidence sur 2,60 m d’épaisseur de couches archéologiques avec : une couche massive (1 m d’épaisseur) de blocs de basalte, contenant du mobilier (amphores italiques et céramiques), surmontée par plusieurs des niveaux d’occupation et/ou de destruction, recouverts eux-mêmes par un mur lié à l’argile conservé sur plusieurs assises et des couches liées à son utilisation et sa destruction puis par un second mur lié au mortier de chaux et ses couches associées. L’ensemble est surmonté par une couche de blocs de basalte (1 m d’épaisseur) elle-même recoupée par le mur nord du bâtiment US 158 ;
  • pour le troisième sondage profond (9 par 6 m) ouvert en 1936-1937 et achevé en 1947/1949, la mise en évidence d’une stratigraphie particulièrement développée avec au moins 3 m de couches archéologiques avec (de bas en haut) : le même épais remblai vu dans le sondage précédent ; un sol extérieur pluristratifié associé à une fosse ou fossé ; un mur massif conservé sur 0,70 m de hauteur et dégagé sur 16 m de longueur associé à un second mur, moins massif, qui lui fait face ; une succession de couches évoquant une élévation en terre crue détruite ; le mur lié à l’argile, postérieur aux précédents aménagements, déjà mis au jour dans le sondage évoqué ci-dessus ; un second mur, perpendiculaire au précédent ; un sol, une couche d’incendie (?) et une probable élévation en terre crue effondrée ; un épais remblai de blocs de basalte surmonté par un radier de blocs ;

Le secteur 3, correspondait, au début de la fouille, à un espace plus uniformément déprimé (-2 m en moyenne depuis la surface de circulation actuelle), suggérant que cette partie du site, étudiée d’abord par J.-J. Hatt en 1944 puis par M. Labrousse en 1947/1949, avait été fouillée en aire ouverte jusqu’à une cote basse assez faible mais variable selon l’emplacement. De plus, deux sondages profonds ont été réalisés dans la partie sud de l’emprise, là où la puissance des couches archéologiques augmente de façon importante parce que le toit de la coulée basaltique plonge brusquement. Le premier, situé dans la partie ouest de cette dépression naturelle et de 8 m par 4 m, semble avoir été réalisé par J.-J. Hatt, probablement en 1944, notamment pour procéder à la fouille de l’un des puits découverts dans le secteur. Le second se développe à l’est du précédent et une berme de deux mètres les séparent. Très probablement réalisé par M. Labrousse, il s’agit d’une excavation en forme de T d’environ 30 m² d’emprise au sol.

Dans ce secteur, les vestiges anciens sont nombreux et correspondent à des remblais, des murs, des sols extérieurs ou intérieurs, des couches d’occupation et d’abandon/destruction, deux puits, un caniveau couvert… Le niveau d’achèvement de leur fouille n’a pas été le même partout dans les années 1940 et ils renvoient, dans leur état de dégagement actuel, à des phases différentes de l’occupation ancienne du secteur (fig. 7).

Les reliefs linéaires perçus en 2022 après élimination de la végétation de surface dans la partie ouest de ce secteur correspondent bien aux amas de pierres sèches figurant sur les plans publiés en 1947 et 1950 et identifiés, sur ces documents, à des murs (fig. 7d). Plusieurs ont été détruits partiellement et d’autres presque totalement. L’un d’eux correspond à un caniveau couvert, ce qui n’avait pas été vu par nos prédécesseurs (fig. 7e). Ces maçonneries délimitent des espaces identifiés, sur les plans des années 1940, à des pièces de bâtiments accolés.

Les deux puits ou citernes fouillés anciennement ont été retrouvés (fig. 7b et 7c). La structure de puisage nord (la « citerne 3 »), fouillée par M. Labrousse, comporte un cuvelage rectangulaire maçonné en pierres sèches qui a été partiellement détruit à l’occasion de son remblaiement après 1949.

Se retrouvent également dans ce secteur les deux longs murs qui bordent au nord l’emprise de fouille (fig. 7f et 7 g). Ces aménagements, qui semblent être contemporains, sont associés à des radiers de blocs qui viennent recouvrir leur arase. Dans l’état actuel de leur dégagement, ils semblent correspondre à de longs murs de terrasse même s’il n’est pas impossible qu’ils aient eu une fonction autre. Le re-dégagement de ces fouilles anciennes révèle, comme dans les secteurs 1 et 2, une stratigraphie développée avec, selon l’emplacement, 0,50 m à au moins 2,80 m de couches archéologiques conservées.

D’une manière générale, ce secteur révèle la même succession de couches et de vestiges maçonnés vue dans les sondages profonds réalisés plus à l’est.

En conclusion, la fouille de 2023, dont le principal objectif était de redégager les excavations liées aux recherches archéologiques anciennes, permet de percevoir l’ampleur des terrassements occasionnés par ces travaux. Dans la partie ouest de l’emprise (secteur 3 et une partie du secteur 2), nous estimons que ceux-ci ont concerné environ 500 m³ de sédiments dont une grande partie correspondait à des couches et vestiges archéologiques. Sur le secteur 1 et l’essentiel du secteur 2, ceux-ci ont été moins importants avec un volume de sédiments déplacés d’environ 130 m³ (sans prendre en compte la disparition des couches liées à la destruction du bâtiment US 158).

Fig. 7  : sélection de vestiges conservés à la base des fouilles anciennes. A : maçonneries de pierres sèches, radiers et couches superposées ; B-C : citernes à cuvelage de pierres sèches ; D : ensemble de maçonneries de pierres sèches ; E : caniveau ; F-G : murs de pierres sèches ; H : superposition de couches (argile, charbons, terre crue, radiers…) (auteur : Y. Deberge, Inrap)

Nos observations permettent de rendre compte de la diversité des méthodes employées par ces différents intervenants, qui n’en font jamais la description dans leurs comptes rendus de fouille, avec :

  • pour les fouilles de 1861 (C. Aucler et M. Boudet) : des dégagements en tranchées et/ou planimétriques étendus qui ont laissé peu de traces probablement parce qu’ils ont été très superficiels et ont été « gommés » par les travaux ultérieurs, notamment ceux des années 1930 ;
  • pour les fouilles de 1936-1937 (O. Brogan et E. Desforges) : des dégagements sous la forme de tranchées étroites et généralement assez peu profondes réalisées pour suivre les arases des maçonneries les plus récentes avec quelques sondages profonds, ponctuels ou sous la forme de tranchées, qui n’ont presque jamais été atteints le substrat ;
  • pour les fouilles de 1942-1944 (J.-J. Hatt) : une fouille en aire ouverte, avec des dégagements conduits au droit des murs, ceux-ci ayant été laissés en élévation, complétés par un sondage profond d’emprise limitée. Ces travaux n’ont que ponctuellement atteint le substrat ;
  • pour les fouilles de 1947 et 1949 (M. Labrousse) : une fouille en aire ouverte avec deux sondages profonds d’emprise importante, relativement destructeurs. Le substrat n’a été atteint que ponctuellement.

Les dégagements de 2023 confirment également la matérialité des vestiges dégagés anciennement ainsi que l’existence d’une stratigraphie développée renvoyant à plusieurs phases d’occupation.

3.2. Étude documentaire

Parallèlement à la phase de terrain, le travail sur la documentation de terrain s’est poursuivi (fig. 8).

L’année 2023 a été principalement vouée à un examen multiscalaire de la documentation de Jean-Jacques Hatt inhérente aux campagnes de fouilles de 1942-1944. Si l’analyse s’est davantage concentrée sur la moitié ouest du secteur 3 de l’emprise de fouilles actuelle (étudiée en 1944), l’attention s’est aussi portée sur l’ensemble des investigations conduites pendant la Seconde Guerre mondiale sur le « Quartier des Artisans ».

Cette documentation étudiée provient de quatre fonds distincts : 1) les archives conservées au musée Bargoin de Clermont-Ferrand, scannées par les équipes du musée durant les mois de février et mars 2023, dans le cadre d’un archivage numérique de l’ensemble des fonds documentaires du musée et de la réalisation d’une photothèque ; 2) les archives conservées à la Médiathèque du patrimoine et de la photographie à Charenton-le-Pont, photographiées en septembre 2023 ; 3) les archives conservées par la famille Hatt, scannées par les soins de Thierry Hatt en juin 2022 ; 4) les archives conservées au Service régional de l’archéologie Auvergne-Rhône-Alpes (site de Clermont-Ferrand), photographiées en mai 2023.


Fig. 8 : localisation des différents fonds d’archives identifiés en 2023 (à gauche) et plus précisément de ceux relatifs aux campagnes de 1942-1944 conduites par J.-J. Hatt (autrice : M. Dacko et C. Brossard, MSH)

3.3. Mobilier

L’étude du mobilier qui, rappelons-le, provient essentiellement des remblais accumulés au fond des excavations anciennes, permet d’abord de révéler des différences dans l’échantillonnage pratiqué par nos prédécesseurs. Par unité de sédiment fouillé, il apparaît que les fouilleurs des années 1930 ont finalement collectés bien moins de céramiques, d’amphores, de terres cuites architecturales et de petits mobiliers que ceux des années 1940. Ces derniers semblent en revanche avoir collecté le mobilier amphorique et TCA selon des modalités différentes, J.-J. Hatt paraissant avoir été plus exhaustif dans sa stratégie d’échantillonnage. Tous en revanche n’ont que très peu ramassé les restes de faune.

Comme ce qui avait été perçu en 2022, les vestiges mobiliers signalant une occupation ancienne sont également très discrets et se résument à quelques éléments lithiques (9 éléments) et quelques tessons qui peuvent être liés à une occupation du Néolithique moyen II et de l’âge du Bronze et/ou au premier âge du Fer. À signaler également la présence de quelques éléments qui renvoient aux IIIe-IIe s. av. J.-C. (jattes à bord rentrant et lèvre d’amphore italique de classe 1 théoriquement assimilable à une gréco-italique).

Comme l’an passé, la collection exhumée cette année provient très majoritairement des déblais des fouilles anciennes (92 % du NR, 89 % du NMI) et renvoie à une période allant de LT D2a à la période augustéenne dans son intégralité :

  • le monnayage associe notamment des types datés de La Tène D2a (EPOS, CICIIDV. BRI/EPAD) et b (EPAD) et du début de la période augustéenne (VERCA, SEX F / T POM) ainsi que plusieurs romaines de la période augustéenne (semis d’Auguste de Reims et dupondii de Nîmes de type 1).
  • sept fibules en fer sont trop lacunaires pour être identifiées (ardillons, fragments d’arc et de ressort). Une des deux fibules en alliage cuivreux renvoie au type dit « à queue de paon archaïque » (type Feugère 15a) attribuée à la première moitié du règne d’Auguste.
  • une possible nouvelle bagues en fer et divers objets de parure.
  • de façon moins certaine, trois objets semblent correspondre à des militaria avec : une possible boucle (de cingulum ou de sous-ventrière) à cadre trapézoïdal en alliage cuivreux ; une hypothétique extrémité d’umbo fusiforme doté de deux pattes de fixation ; une boucle à cadre rectangulaire en attente d’identification définitive ; un probable anneau de cotte de maille.
  • « l’outillage domestique » en métal est assez peu abondant : un miroir très fragmentaire, une spatule ou extrémité de ciseau à bois, deux curseurs de balance. Nombreux fragments de plaques de cuisson et quelques éléments de foyers fixes.
  • les éléments en roche ou en terre cuite sont bien plus nombreux avec un pilon en arkose, un aiguisoir en micaschiste, cinq metae et huit catilli de meules rotatives en trachyandésite originaire de la Chaîne des Puys et du Massif du Sancy.
  • s’y ajoute une abondante collection de clous de charpente/construction et divers éléments de quincaillerie. Renvoient également au domaine de la construction, 2106 fragments de terres cuites architecturales parmi lesquels sont identifiés 21 briques (NMI), 150 tegulae (NMI) et 95 imbrices (NMI). 17 fragments de torchis témoignent également de la présence d’élévations en terre crue.
  • la présence de très nombreux clous de chaussures, dont beaucoup sont pourvus d’une contremarque, signale probablement un espace dédié à la circulation.

Comme l’an passé, des scories ferreuses en forme de culots pour l’essentiel d’assez petite dimension, des chutes de demi-produits et de travail présentant des traces de découpe ou de déformation réalisées à chaud témoignent de la proximité d’ateliers de forge. C’est aussi ce que suggère la présence de battitures, en proportion toutefois moindre que l’an passé. L’outillage est représenté par une lime d’identification incertaine (en attente de nettoyage) et une tuyère de forge de grande dimension (34 cm x 24 cm x 12 cm) en trachyrhyolite du Sancy qui a été retrouvée complète dans le comblement du puits fouillé en 1944. S’ajoutent à ces éléments qui témoignent de la tenue sur place d’activités de post-réduction consistant essentiellement en une forge d’élaboration à partir de demi-produits en forme de barres importées, une trentaine d’éléments cuivreux et plombeux qui renvoient à l’artisanat des métaux fusibles et plus précisément à la fonte et à la finition (chute martelée et/ou découpé).

La collection de tessons de céramique et d’amphore, relativement abondante (12 265 restes pour 240,3 kg) étant donnée la nature remaniée des couches fouillées, confirme une attribution chronologique assez tardive qui ne dépasserait que de peu la fin du règne d’Auguste.

Le faciès des amphores (NMI de 110) est diversifié avec, à côté des importations italiques (essentiellement des Dressel 1 de classe 2, 2/3 et 3 ainsi que quelques Dr. 2/4) qui dominent, la présence d’amphores hispaniques (de Tarraconaise – Dr. 1, Tarr. 1, Pascual 1, Dr. 2/4- et de Bétique – Haltern 70, Oberaden 83, Dr. 7-11 et 12) Les productions ayant une autre origine sont très peu représentées. À signaler également la présence de sept restes originaires des Îles Lipari (Richbourough 527) qui proviennent de plusieurs récipients différents.

La vaisselle d’importation, assez abondante (83 récipients) est essentiellement constituée de sigillée originaire d’Italie (formes des répertoires archaïques, précoces et classiques). Les sigillées de Gaule du sud semblent absentes et les productions gauloises sont originaires des succursales augustéennes de Lyon et de Gaule Centrale notamment de Lezoux. D’autres importations (campaniennes Boïde, gobelets à parois fines, céramiques culinaires italiques, balsamaires, luminaires, pâtes claires méridionales ou rhodaniennes…) sont également présentes.

Pour le reste, la céramique de production régionale associe vaisselles de stockage, de cuisine et de service/présentation (essentiellement des gobelets ou cruches et formes basses de typologie très diverse), produites régionalement au cours de La Tène D2b et de la période augustéenne, et qui sont courantes en contexte d’habitat. Plusieurs éléments, encore peu nombreux, collectés dans les couches en place observées à la base de la séquence stratigraphique renvoient à La Tène D2a ou tout début de La Tène D2b.

Enfin, quelques objets en métal ou verre renvoient également au domaine de la vaisselle avec : une possible anse de cruche en alliage cuivreux ; deux balsamaires très lacunaires en verre (translucide gris-bleu et rose violacé) ; cinq coupes hémisphériques en verre (translucide de couleur verte très pâle -2 ex.-, bleu-vert -2 ex.- et jaune olive) moulé et taillé appartenant au type dit « linear cut » attribué à la période augusto-tibérienne.

3.4. Bilan de l’opération 2023

L’opération de 2023, essentiellement consacrée à la fouille des fouilles anciennes, a permis d’établir le plan de masse des travaux anciens, document qui faisait défaut, et d’en établir la chronologie. La méthodologie employée par chacun des intervenants passés a également pu être définie de même qu’a pu être précisé l’impact de ces dégagements anciens sur la conservation des vestiges anciens. Il apparaît ainsi que si de 1936-1937 à 1942-1944 les observations ont sensiblement gagné en qualité, les interventions de 1947 et 1949 semblent avoir été relativement expéditives et assez destructrices. Finalement, si la partie orientale de l’emprise examinée en 2023 paraît avoir été assez peu impactée par les fouilles anciennes, en dehors d’une surface restreinte d’une quarantaine de mètres carrés qui a fait l’objet de sondages profonds, ce n’est pas le cas de sa partie occidentale où les recherches passées ont été plus invasives avec des dégagements en plan et des sondages profonds étendus.

Les travaux réalisés cette année ont également permis de retrouver l’essentiel des vestiges mentionnés dans les comptes rendus publiés anciennement. Ces vestiges, nombreux et souvent bien préservés, ont fait l’objet d’une nouvelle documentation établie selon les standards actuels. Le re-dégagement des fouilles anciennes montrent que le substrat n’a presque jamais été atteint lors de fouilles anciennes et que la stratigraphie est effectivement très développée dans ce secteur du site de Gergovie avec, au maximum, près de 3 m de couches archéologiques. La configuration topographique du secteur semble être à l’origine de ce cas de figure particulier.

Les observations stratigraphiques réalisées dans le sondage profond réalisé en 2023 révèlent, de façon cohérente avec celles faites en d’autres points de l’emprise, que l’aménagement le plus ancien du secteur correspond à un remblai massif constitué essentiellement de gros blocs de basalte. C’est sur ce remblai, apparemment mis en place au cours de La Tène D2a et dont l’épaisseur atteint jusqu’à un mètre, que prend place une occupation d’abord caractérisée par l’installation de sols construits, associés à au moins une structure en creux de grande dimension, puis par celle de trois voire quatre ensembles de constructions sur solins empierrés qui se succèdent dans le temps. L’emprise, l’organisation et la fonction de ces bâtiments, qui semblent avoir été dotés d’élévations en terre crue, restent à déterminer, mais il est probable qu’ils ont eu pour vocation l’habitat et/ou l’artisanat. Cette occupation paraît principalement à vocation domestique avec toutefois une fonction artisanale qui se confirme avec par ordre d’importance décroissante la métallurgie du fer, celle des métaux non ferreux, la tabletterie et, de façon moins certaine, le travail des textiles et du cuir. Sur la zone étudiée, cette occupation présente toutes les caractéristiques d’un site urbain. S’il est trop tôt pour proposer un phasage définitif de l’ensemble des vestiges, ceux-ci renvoient à aux moins six phases d’aménagement différentes pour la seule période comprise entre le milieu du Ier s. av. J.-C., ou peu avant, et le premier quart du siècle suivant.

À une date qui reste à préciser (mitan du règne d’Auguste ?), ces aménagements ont été détruits et le secteur a fait l’objet d’un nivellement afin d’accueillir la vaste et massive construction maçonnée au mortier de chaux qui se développe sur plus de trente mètres de longueur en rebord de plateau. La fonction de ce bâtiment, presque uniquement conservé en fondation et de plan atypique (parce qu’incomplet ?), reste à déterminer (un élément de fortification ? ; une porte ? ; un bâtiment à vocation autre ?).

4. Bilan 2022-2023 et perspectives 2024-2025

Le dégagement des fouilles anciennes ayant été réalisé en totalité ou presque au cours des années 2022-2023, les campagnes de 2024-2025 seront en intégralité consacrées à l’étude des vestiges anciens. Parallèlement, l’étude des archives liées aux fouilles anciennes sera poursuivie et portera essentiellement sur les fouilles réalisées par M. Labrousse en 1947 et 1949.

L’objectif des deux années de fouille à venir est donc de collecter les informations subsistantes sur des vestiges largement dégradés dans la partie occidentale de l’emprise, avant que ne soit entrepris le rebouchage de ce secteur, d’obtenir des informations stratigraphiques et planimétriques de meilleure qualité dans un secteur central et de collecter des données nouvelles sur les phases les plus récentes de l’occupation du secteur dans la partie orientale de l’emprise qui a finalement été peu touchée par les recherches anciennes (fig.9).


Fig. 9 : vue en perspective issue du relevé photogrammétrique de l’emprise étudiée à la fin de l’opération de 2023 correspondant à l’état « en fin de fouille » des opérations conduites en 1861, 1936-7, 1944 et 1947/9 (auteur : Y. Deberge, Inrap)

Les objectifs scientifiques pour les années 2024-2025 restent inchangés par rapport à ceux formulés initialement à la reprise des fouilles en 2022 étant entendu que la prise en compte des vestiges liés aux fouilles des années 1860, 1930 et 1940 a été achevée en presque totalité en 2023. Cette fouille, qui vient compléter les recherches conduites récemment dans ce secteur du plateau (Jud 2013 ; Jud 2014 ; Jud 2015 ; Jud 2016 ; Jud 2017 ; Jud 2020), a pour principal but de préciser la nature et la chronologie de l’occupation ancienne qui se développe dans de ce secteur clé de Gergovie situé au croisement de la fortification gauloise (dont le tracé n’est pas définitivement établi ici) et d’une voie d’accès au plateau ce qui désigne le lieu comme correspondant à l’une des portes de l’oppidum, tout en prenant en compte d’éventuelles occupations plus anciennes (ou plus récentes) pour l’heure très discrètes.

L’ambition finale de cette opération de recherche est, outre les aspects patrimoniaux évoqués ailleurs (études des dégagements anciens, valorisation des archives anciennes) de parvenir à renouveler l’état des connaissances sur l’occupation, apparemment particulièrement intense et dynamique, qui prend place dans ce secteur de l’oppidum et pour laquelle la dernière publication en date la concernant remonte à 1950.

Bibliographie

Brogan et Desforges 1940 : Brogan O., Desforges E., « Gergovia », The Archaeological Journal, 97, pp. 1‑36.

Grenier 1943 : Grenier A., « Les fouilles de Gergovie (Introduction) », Gallia, 1‑2, pp. 71‑82.

Hatt 1943 : Hatt J.-J., « La Campagne de 1942 », Gallia, 1‑2, pp. 97‑124.

Hatt 1947 : Hatt J.-J., « Les fouilles de Gergovie (Campagne de 1943 et de 1944) », Gallia, 5‑2, 271‑300.

Jud 2013 : Jud P., Gergovie, Sondage 2013, Rapport de fouille programmée 2013, Clermont-Ferrand, La Roche-Blanche : SRA Auvergne-Rhône-Alpes.

Jud 2014 : Jud P., Gergovie, Rapport de fouille programmée 2014, Clermont-Ferrand, La Roche-Blanche : ASG/SRA Auvergne-Rhône-Alpes.

Jud 2015 : Jud P., Gergovie, Rapport de fouille programmée 2015, Clermont-Ferrand, La Roche-Blanche : ASG/SRA Auvergne-Rhône-Alpes.

Jud 2016 : Jud P., Gergovie, Rapport de fouille programmée 2016, Clermont-Ferrand : ASG/SRA Auvergne-Rhône-Alpes.

Jud 2017 : Jud P., Gergovie, Rapport de fouille programmée 2017, Clermont-Ferrand, La Roche-Blanche : ASG/SRA Auvergne-Rhône-Alpes.

Jud 2020 : Jud P., Gergovie, Rapport de fouille programmée 2018, 2 vols., Clermont-Ferrand, La Roche-Blanche : ASG/SRA Auvergne-Rhône-Alpes.

Jud 2022 : Jud P., « La porte sud de la ville gauloise de Gergovie, Un bilan », Bulletin de l’ASG, La Roche-Blanche, 43, pp. 21‑25.

Labrousse 1950 : Labrousse M., « Les fouilles de Gergovie, Campagnes de 1947 et 1949 », Gallia, 8, pp. 14‑53.

Parures annulaires protohistoriques en schiste bitumineux de l’Allier, reprise des données et nouvelles perspectives


Alexandre Michel (Responsable d’opération, protohistorien, Service d’Archéologie Préventive du Département de l’Allier, Conseil Départemental de l’Allier, 1 avenue Victor Hugo BP1669, 03 000 Moulins. Chercheur associé Arar UMR5138, membre du PCR « Le pays de Gannat de la Protohistoire à l’Antiquité » sous la direction de David Lallemand et Pierre-Yves Milcent)

Le présent article se propose d’exposer les premiers et principaux volets d’un projet collectif de recherche portant sur la production, les modalités de consommation et la diffusion des parures annulaires en schiste bitumineux, issus des complexes artisanaux de l’Allier. Il constitue également l’occasion d’offrir une liste bibliographique relativement complète sur le sujet.

Introduction

Dans la continuité des recherches menées dans le cadre d’un Master (Michel 2006) et d’une activité d’archéologie préventive et programmée, en tant que spécialiste du sujet (Baucheron et al. 2009a ; Baucheron et al. 2009b ; Baucheron et al. 2009c ; Delrieu et al. 2022 ; Michel 2011 ; Michel 2015), est proposé d’engager une reprise des travaux sur les complexes d’ateliers de fabrication de parures annulaires en schiste bitumineux de Buxières-les-Mines et de Montcombroux-les-Mines, tous deux situés dans l’Allier. À une étude de la chaîne opératoire se couplera celle de la diffusion des anneaux, perles et bracelets sur les sites de consommation durant toute la Protohistoire, d’un point de vue local, régional et au-delà.

Parmi les différents matériaux employés en Europe occidentale pour la réalisation de parures annulaires, les artisans des âges des Métaux ont choisi une roche tendre, organo-minérale, d’origine fossile, souvent nommée à tort « lignite », désormais déterminée comme schiste bitumineux, ou sapropélite, que l’on regroupe sous le terme générique de matière organique fossilisée ou fossile (Ligouis 2006). Cette m.o.f. est exploitable à l’état naturel sous forme d’affleurements de surface, et se délite aisément en plaque.

Un grand nombre de gisements sont recensés en France. Plusieurs d’entre eux ont des âges géologiques différents allant du Carbonifère au Miocène. Par exemple, les gisements de schistes bitumineux du Massif Central qui nous intéressent ici, sont de l’âge Permien. On connaît également des gisements de schistes datés cette fois du Stéphanien dans les bassins de Vendes (Cantal), de Rayran (Var), et de Blanzy-Montceau (Saône-et-Loire). D’autres gisements sont présents de la Lorraine à la Franche-Comté et sur la bordure orientale du massif du Morvan : ces schistes sont à Posidonies et sont datés du Lias. Des schistes bitumineux du Crétacé supérieur sont également connus en Ardèche (Barrabe et Feys 1965).

En Europe, d’autres gisements de ce type ont été localisés en Écosse, en Estonie, en Allemagne et en Bohême (Venclova 1991 ; Venclova 1992) mais le plus connu étant le « charbon » de la baie de Kimmeridge sur le littoral sud de l’Angleterre (Cox et Mills 1991 ; Cunliffe et Phillipson 1955).

1. Géologie et techniques artisanales

La majorité des gisements de schiste bitumineux du département de l’Allier sont présents au sommet des bassins houillers. Ils forment des lambeaux circonscrits, généralement peu étendus. La nature des débris organiques conservés prouve que ses formations se sont cristallisées en eaux douces. Ils se sont déposés dans les dépressions plus ou moins profondes des terrains primitifs, délimitant des anciens lacs particuliers d’où le terme de « bassin » employé pour le mode de formation des terrains houillers. Les roches constitutives des bassins houillers sont quasi exclusivement composées de grès et d’argiles schisteuses. Le grès est généralement dominant à la base de la formation alors que les schistes se retrouvent plutôt en surface, dans les couches supérieures. Le terrain houiller dans le département de l’Allier forme six bassins principaux (Boulanger 1844), suivant l’axe du grand sillon houiller du centre de la France : le bassin de Commentry, de Doyet, de Buxières-les-Mines et de la vallée de l’Aumance, de Meaulne et la vallée du Cher, de la Queune, et de Bert-Montcombroux-les-Mines.

Le terrain houiller de Bert-Montcombroux-les-Mines renferme beaucoup de schistes bitumineux, analogues à ceux des autres bassins houillers. Comme eux ils sont noirs et assez consistants, ils se laissent aisément entamer au couteau. Sur la commune de Montcombroux-les-Mines, ils sont facilement observables à l’état naturel.

Dans la partie occidentale du département, la partie visible du bassin houiller de la vallée de l’Aumance forme une bande allongée de 9 à 10 km, depuis la forêt de Dreuille jusqu’à Gipcy. Les schistes bitumineux du bassin de l’Aumance sont présents dans la zone de confluence des rivières du Bandais et du Morgon.

Les schistes exploités dans l’Allier sont tous bitumineux, bien qu’il n’existe pas une homogénéité sur tout le territoire. Issus des filons de houilles, les matériaux sont visuellement variables. Les colorations varient aisément du noir au gris, avec des reflets parfois bleutés ou verdâtres. Plus encore, même si les litages internes sont identiques, les matières exploitables n’ont pas toujours les mêmes qualités plastiques, ce qui est fondamental pour un tailleur-artisan spécialisé dans le façonnage de parures annulaires de plus ou moins petites dimensions. Ces considérations techniques et esthétiques donnent des indices sur les éventuels lieux d’extraction privilégiés par les communautés d’artisans et donc sur les choix d’implantation des ateliers. La qualité d’un gisement en pente est différente de celle d’un gisement en cuvette, où les veines exploitables sont plus profondes. La volonté d’exploiter tel ou tel matériau dépend également de la destination finale des objets.

Des schistes sont utilisés dès le Néolithique pour la confection de parures annulaires (Auxiette 1989 ; Fromont 2008 ; Praud et al. 2003) mais ils ne sont pas d’origine métamorphique et non spécifiquement bitumineux. L’artisanat qui nous intéresse se développe au moins depuis l’âge du Bronze jusqu’à la toute fin du second âge du Fer. Si la technique de fabrication perdure au cours du temps, la typologie des bracelets, des anneaux et des perles a cependant évolué en fonction des goûts et besoins de chaque période.

D’une façon générale, six à sept phases successives de travail sont nécessaires à l’obtention d’un bijou susceptible d’être porté (fig. 1). On constate certaines variantes en fonction des différents degrés de finition des objets et s’ils sont décorés ou non (Chevillot 1976). Le procédé global est plutôt simple, mais le temps d’exécution et la précision des coups portés induisent tout de même une grande spécialisation des travailleurs (Abauzit 1959 ; Blanchet 1988 ; Buisson 1949 ; Coutil 1928 ; Pouenat et Vernet 2002 ; Venclova 1992).


Fig. 1 : Extrait de la chaîne opératoire des parures annulaires en schiste, site de « La Chassagne », Buxières-les-Mines, Allier (Dessin : A. Urgal, d’après Pouenat et Vernet 2002)

Pour rappel, une fois extraits, les bords des plaques en matière brute sont méthodiquement régularisés, notamment sur leurs tranches afin d’obtenir des objets rectangulaires.

C’est à partir de ces plaques travaillées que sont élaborés les palets ou disques primaires, véritables gabarits des futures parures. Le centre du palet peut maintenant être percé pour qu’il ne reste que la partie extérieure.

De façon rayonnante, l’artisan taille d’abord le palet de l’extérieur vers l’intérieur puis de l’intérieur vers l’extérieur. Le centre du palet se détache alors du jonc. Les nodules ou noyaux d’évidements correspondent à cette partie centrale, plus ou moins circulaire – objets les plus fréquemment rencontrés sur les sites d’ateliers. En suivant exactement le même procédé, les nodules sont creusés de façon rayonnante et de nouveaux joncs se détachent. Plus petits, ils constituent de simples anneaux. D’anciens nodules sont retravaillés avant de servir de palet de base pour la fabrication des perles.

Les joncs bruts obtenus après détachement des nodules demeurent très grossiers, très cabossés. Le façonnage s’effectue par petits impacts parallèles surtout sur la face interne du jonc, dans deux sens différents. Les traces de taille forment ainsi des sortes de chevrons réguliers. Il arrive que certains bracelets en cours de dégrossissement constituent, dès cette étape, des produits suffisamment aboutis pour être consommés, portés.

Les facettes du jonc sont alors lissées, les arêtes sont arrondies.

Vient alors l’étape de finition du jonc : le polissage. Les faces externes sont traitées à l’aide de polissoirs en grès rainurés. Ceux destinés au polissage des faces internes sont allongés, ont une extrémité dotée d’une préhension afin qu’ils puissent être en mouvement à l’intérieur de la parure.

Enfin, des décors en creux, en relief ou ciselés peuvent être appliqués sur le pourtour des joncs.

Le département de l’Allier offre ainsi un formidable potentiel pour l’étude des techniques artisanales des populations protohistoriques. L’obtention et la commercialisation des parures en schiste ont généré de vastes complexes artisanaux, notamment repérés sur les communes de Buxières-les-Mines et Montcombroux-les-Mines (fig. 2), et plus largement dans les vals de l’Aumance et de la Besbre. Grâce à l’ensemble des ramassages effectués depuis les premières découvertes, jusqu’aux investigations récentes en contextes de fouilles préventives, plus d’une trentaine de sites d’ateliers sont désormais localisés (Lallemand 2008 ; Michel 2006). Seulement quelques-uns d’entre eux sont actuellement datés, du second âge du Fer (Baucheron et al. 2009a ; Pouenat et Vernet 2002).

Fig. 2  : Localisation des principaux ateliers de fabrication de parures annulaires découverts dans le département de l’Allier (source : SAPDA)

2. Nouvelles perspectives, provenance et consommation

Un premier volet de recherche s’attardera sur la localisation la plus exhaustive possible des lieux d’affleurements, dans le cadre de prospections pédestres thématiques et systématiques. Il s’agira en effet de cartographier l’ensemble des sites attestés ou supposés, en procédant à des prélèvements de matériaux dans le but de déterminer et caractériser l’ensemble des micro-faciès géologiques exploités ou exploitables. Le ramassage de l’ensemble des artefacts complétera la collecte des données et permettra si possible de circonscrire les périodes d’activités de ces exploitations.

En France, les découvertes archéologiques regroupent plus d’un millier d’artefacts (Baron 2012). En France centrale et plus particulièrement en Auvergne, les découvertes archéologiques propres à cet artisanat concernent plus particulièrement l’âge du Bronze et l’âge du Fer. Elles sont issues de découvertes anciennes ou récentes et concernent l’ensemble des périodes internes à la Protohistoire (fig. 3). Les parures en m.o.f. sont documentées à la fois en contexte funéraire, sur l’ensemble des sites d’habitats mais aussi dans les sanctuaires (Buchsenschutz et al. 2000 ; Burgess et al. 2000 ; Deberge 2012 ; Deberge et al. 2007a ; Deberge et al. 2007b ; Deberge et Pertlwieser 2019 ; Delrieu et al. 2023 ; Demierre 2019 ; Krausz et al. 2021 ; Lallemand 2008 ; Lallemand et Orengo 2007 ; Mennesier-Jouannet et Deberge 2017 ; Mennessier-Jouannet et Dunkley 1996 ; Michel 2015 ; Milcent 2004 ; Moret 1900 ; Pasquier 2022 ; Ruffier et Troadec 1987 ; Vermeulen et al. 2006).

Le principal volet du programme de recherche portera donc sur les études de provenance des matériaux découverts en contextes archéologiques. Pour cela, une collaboration active est lancée avec le laboratoire de Géoarchéologie de l’Université de Tübingen – le laboratoire en pétrologie organique appliquée dirigé par Bertrand Ligouis. Sa méthode de caractérisation du micro-faciès organo-minéral est désormais éprouvée et permet une discrimination fiable des schistes bitumineux entre les gisements de Buxières, de Montcombroux, des sapropélites tchèques ou encore ceux du Dorset en Angleterre (fig. 4 ; Ligouis 2006 ; Ligouis 2017 ; Ligouis 2018). Il est ainsi avéré qu’aux périodes qui nous concernent, les parures noires de l’Allier sont diffusées bien au-delà des frontières du département actuel, sur l’ensemble du territoire arverne bien-sûr mais également en région Centre chez le peuple biturige, dans le sud de la France, en Suisse et jusque dans le sud de l’Allemagne (Kaenel et al. 1984 ; Ligouis 2010 ; Ligouis 2012 ; Wilhelm et Hopken 2018).

Les analyses menées à ce jour, aux résultats certes déjà spectaculaires, ne constituent néanmoins que les premiers pas de cet axe de recherche. Le présent projet s’inscrit donc méthodologiquement dans la continuité des travaux réalisés en région Centre, sous la direction de Caroline Millereux (Millereux et Ligouis 2023). Les futurs résultats sont donc très attendus en ce sens qu’ils confirmeront le rayonnement à petites et longues distances des complexes artisanaux de l’Allier, tout en précisant en retour les périodes de fonctionnement de ces ateliers ainsi que les rapports de concurrences existants entre les différents centres de production européens.

Fig. 3 : Localisation et extrait des lots de parures issus des principaux sites protohistoriques auvergnats. Document A. Michel

L’étude de provenance des parures se concentrera d’abord sur le territoire auvergnat actuel, suivant une liste sélective d’objets issus des principaux sites de consommation, s’échelonnant sur la quasi-totalité des phases d’occupation. Cette liste non exhaustive aura l’avantage de prendre en compte les données diachroniques issues de sites distincts mais aussi de contextes diachroniques à l’échelle des sites eux-mêmes. À ce jour, un inventaire minimal regroupe déjà une trentaine de sites d’habitats et une dizaine de sites funéraires, totalisant 40 à 50 objets ciblés (Varennes-sur-Allier, Hérisson, Bègues dans l’Allier, Aigueperse, Aulnat, Gergovie, Corent, Pontcharaud, Clermont-Ferrand dans le Puy-de-Dôme, ou encore Saint-Georges et Charmensac dans le Cantal…). Quand bien même l’actualisation des inventaires est en cours, signalons qu’en l’état actuel, pour le seul territoire auvergnat, les découvertes de parures noires concernent plus de 100 contextes pour un total dépassant les 350 objets.

Fig. 4  : Exemples des points de prélèvements et section polie destinés à la caractérisation et à la détermination du microfaciès organo-minéral des schistes bitumineux, effectué en lumière blanche réfléchie et en mode fluorescence (excitation en lumière ultra-violette et violette). Méthodes d’analyse en pétrologie organique élaborées par B. Ligouis, Laboratoire LAOP, Géoarchéologie, Université de Tübingen

À terme il s’agit de travailler sur les aires culturelles de diffusion des parures en schiste afin de mettre en lumière les réseaux de consommation propres à celles-ci, durant toute la Protohistoire.

En parallèle, des investigations de terrain approfondies devront être menées directement sur les sites d’ateliers de confection des parures annulaires pour mieux en percevoir les structures d’extraction et de production, ainsi que l’organisation du circuit économique qu’ils représentent. Afin d’étayer la problématique, une campagne de sondages puis de fouille programmée est envisagée sur la commune de Montcombroux-les-Mines, où a été partiellement mise au jour, dans le cadre d’un diagnostic préventif, une occupation laténienne livrant de nombreux reliquats de fabrication et des produits finis, associée à des structures en creux, le tout au sein d’une stratigraphie bien conservée (Baucheron et al. 2009a). Ce site présente également l’avantage d’être à proximité immédiate d’un lieu naturel d’affleurement, situé en bas de la pente et entaillé par le cours actuel du Roudon. Une couverture géophysique élargie du secteur est également envisagée.

Des méthodes de fouilles adaptées à un atelier de taille seront mises en place le cas échéant. L’ensemble des objets, des plus petits éclats aux plaques brutes de matière première, seront géo-référencés en plan et en stratigraphie afin d’établir un zonage précis des aires de débitage, de stockage et/ou de finition des objets. La question de savoir comment s’opère l’insertion de ces « aires » artisanales au sein de modes d’occupations spécifiques ou non, sera au cœur des préoccupations et constituera l’un des objectifs majeurs des opérations.

Les problématiques soulevées par les concentrations d’ateliers sont multiples. La réalisation de phasages stratigraphiques est indispensable. Savoir combien d’ateliers ont pu fonctionner ensemble, d’un point de vue local, sur une seule et même zone, et d’un point de vue élargi d’une région productrice à l’autre, est fondamental. Seuls deux sites producteurs sont datés avec une précision acceptable : l’atelier de La Chassagne à Buxières-les-Mines (La Tène C2-D1) et celui des Chauvets à Montcombroux-les-Mines (La Tène D2b). D’après les prospections, les datations retenues jusqu’alors pour la grande majorité des ateliers de la région de Montcombroux-les-Mines étaient postérieures aux propositions faites sur ceux de Buxières-les-Mines. Néanmoins, les parures analysées sur le site de Délemont en Jura Suisse (Ligouis 2012) ainsi que celles du site funéraire de St Ingbert en Allemagne (Wilhelm et Hopken 2018) permettent déjà de dater les premières fabrications de parures à Montcombroux dès le premier âge du Fer. Les analyses menées en région Centre attestent également d’une activité développée des ateliers de l’Allier de La Tène C2b à La Tène D2b (Millereux et Ligouis 2023).

Ces deux bassins de production ont vraisemblablement pu fonctionner de manière synchrone, au sein d’aires culturelles régies par des peuples celtes différents, dont l’évolution des contours territoriaux fait encore débat, notamment du point de vue de leur genèse et de leur évolution dans le temps.

Enfin, la publication de l’important corpus de parures issu des fouilles de Gandaillat (Clermont-Ferrand) devrait être engagée à court terme (Deberge et al. 2007a ; Vermeulen et al. 2006). Il s’agit de présenter l’ensemble des contextes ainsi que la mise au net de l’ensemble des typologies concernées. Les lots de parures y sont abondants, diversifiés et issus d’assemblages mobiliers couvrant toute la séquence de ce site majeur, situé au cœur du peuplement arverne, qui se développe du début du IIIe siècle jusqu’à la toute fin du IIe siècle avant notre ère. Le site de Gandaillat fait partie du vaste complexe d’habitat ouvert dit « site d’Aulnat », et qui constitue à l’échelle européenne l’un des sites remarquables du second âge du Fer.

Conclusion

En conséquence, il est ainsi envisagé de mener dans les prochaines années un projet de recherche ambitieux mêlant étude de provenance, prospections géologiques, chrono-typologies, base de données, SIG et opérations de fouille programmée afin de suivre l’apparition, la diffusion et l’évolution des parures de l’Allier localement, régionalement et extra-régionalement. Ce programme prévoit de développer nos connaissances à la fois sur la chaîne opératoire des artisans, mais aussi et surtout sur l’évolution des réseaux commerciaux et plus largement sur les questions d’aires culturelles durant la protohistoire.

L’année 2024 servira donc à évaluer et à confirmer la faisabilité de la méthode d’analyses, pour déterminer la provenance géologique et géographique des matériaux.

Dans le cadre de ce programme, une mise en collaboration avec de nombreux acteurs de la recherche est d’ores et déjà en cours :

– Bertrand Ligouis (Directeur du laboratoire de Pétrologie Organique, Université de Tübingen)

– Caroline Millereux (Responsable d’opération, Orléans Métropole)

– Fabien Delrieu (Ingénieur d’étude, SRA Auvergne)

– David Lallemand (Chef du Service d’Archéologie du Département de l’Allier)

– Yann Deberge (Responsable d’opération, Inrap Auvergne)

– Christine Mennessier-Jouannet (AOrOc, ARAFA)

– Mathieu Poux (Université Lumière Lyon 2)

– Pierre-Yves Milcent (Université de Toulouse, Jean Jaurès)

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Petits objets issus du recyclage de vases en céramique en Auvergne à La Tène Moyenne et Finale


Christine Mennessier-Jouannet (Protohistorienne, chercheur associée à l’UMR 8546 AOrOc-PSL et membre de l’ARAFA)

Parmi le mobilier en céramique découvert sur les sites de l’âge du Fer en Auvergne et sans doute ailleurs sur le territoire français, la grande part concerne les récipients de stockage, de préparation alimentaire ou de service de table ; les plaques de cuisson trouvent aussi leur place parmi ces utilitaires en céramique. Fusaïoles et pesons renvoient à l’artisanat du textile, donc à l’univers des femmes et de la maison. Mais, on trouve aussi d’autres petits objets taillés en rondelle. Ils sont issus de la récupération de fragments à partir de la panse de vases de forme haute le plus souvent. La raison en est simple : ces vases fournissent le plus grand développé de surface à récupérer et sont donc plus rentables.

En Auvergne et plus particulièrement en Limagne, ces petits objets apparaissent dès le Bronze final III (sur le site de Moulin d’Eau à Riom notamment). Durant le premier âge du Fer et les phases anciennes de La Tène ils apparaissent en petit nombre sur quelques sites d’habitat, mais ils sont difficiles à comptabiliser car, le plus souvent, ils ne sont pas mentionnés dans les rapports. Sans doute dès le IIIe siècle, mais sûrement dès le IIe siècle avant notre ère, ils apparaissent sur différents sites ruraux, mais c’est à la fin de cette séquence et durant le Ier siècle qu’ils deviennent fréquents sur des sites bien particuliers. On les retrouve en effet sur les habitats agglomérés ouverts que ce soit dans l’Allier à Varennes-sur-Allier (Lallemand et Orengo 2007), dans la Loire à Feurs (Vaginay et Guichard 1988) ou dans le nord du Puy-de-Dôme à Aigueperse sur le site du Clos Clidor (Mennessier-Jouannet et Dunkley 1996) et sur la ville gauloise d’Aulnat (fosse G du chantier I de Robert Périchon, inédit). Actuellement, au Suc de Lermu à Charmensac dans le Cantal, la fouille des niveaux attribuables au IIIe siècle jusqu’au début du IIe siècle avant notre ère fournit un lot intéressant de ces rondelles en cours de fabrication (Delrieu et al. 2021 ; Delrieu et al. 2022). Nous sommes là dans une phase de réoccupation d’un site anciennement fortifié à La Tène A et B. On en retrouve aussi dans le département de l’Ardèche sur le site du Malpas à Soyons où quelques jetons ont été retrouvés dans un contexte du Ier siècle avant notre ère (Delrieu et al. 2015). Il apparait donc qu’un tour d’horizon plus poussé établirait la fréquence de ces rondelles.

À partir du dernier quart du IIe siècle avant, leur fréquence s’accroît et touche aussi les simples habitats ruraux où on en décompte quelques exemplaires épars. Pendant cette période, c’est dans le cadre du sanctuaire de Corent et essentiellement sous et devant la porte d’entrée de l’enclos que la masse la plus importante a été trouvée : 739 rondelles ont été dénombrées (Guichon 2005 ; Poux et Demierre 2015).

Au Pré Cacheloche sur la commune de Cébazat, la situation peut paraitre plus ambiguë : il s’agit d’un enclos en milieu rural et qui a une fonction funéraire indéniable, mais où les 40 rondelles décomptées ne sont pas associées aux inhumations. Elles proviennent d’une fosse regroupant les restes épars d’individus adultes et enfants associés à un riche mobilier (6 exemplaires) et d’un fossé comblé entre autres par un important lot d’amphores italiques (27 exemplaires). Les sept autres rondelles proviennent de fosses et de puits situés le long du côté sud de l’enclos (Duny rapport de fouille en cours).

Dans les habitats, les rondelles sont mêlées au reste des rejets domestiques, sans discrimination perceptible.

À quoi ressemblent ces rondelles ?

Tout d’abord, elles proviennent de tous les types de vases connus pour chacune des périodes concernées par l’habitat : en céramique grossière, mi-fine ou fine à très fine. Certains vases décorés (décors lissés, peints, faits au peigne…) aisément repérables indiquent souvent une contemporanéité entre eux et le reste du mobilier permettant de dater le site. Il s’agit donc d’une récupération immédiate (ratés de cuisson, vases brisés…). Les fonds sont rarement utilisés et les cols et rebords quasiment jamais ; l’exploitation concerne essentiellement la panse du vase. Cette remarque faite pour les ensembles de la Limagne se rencontre aussi dans l’Allier à Varennes-sur-Allier où leurs caractéristiques « reflètent l’intégralité du répertoire technologique (type de pâte, de montage, de cuisson) en vogue au milieu du IIe siècle » (Lallemand et Orengo 2007, p. 156). Au Pré Cacheloche pour un lot modeste de 40 rondelles, la variété de l’approvisionnement est notable et si l’ensemble le plus important, 10 exemplaires (soit ¼) ont été cuits en mode B’ avec enfumage de surface, il se différencie en 3 provenant de récipients tournés pour 7 en céramique modelée et 2 en argile grossière pour 8 en argile fine. Cependant, la standardisation de la production connue à partir du Ier siècle avant induit une uniformisation de ces critères technologiques en particulier avec le recours aux cuissons en mode A (oxydant) et mode B (réducteur) qui intéressent uniquement des vases tournés en argile fine (Duny en cours) (Fig. 1).

Fig. 1– Cébazat (63), Le Pré Cacheloche . Exemples de rondelles en céramique. a : sélection provenant du fossé 20421 ; b : vue de détail du travail de polissage des tranches ; c : quelques exemplaires illustrant les modules les plus courants. Sur la rangée du haut, les tracés sont régulièrement circulaires. Sur la rangée du bas, il n’y a pas de finition : les tranches sont brutes de taille

Ces rondelles sont circulaires ou subcirculaires. Au Suc de Lermu, plusieurs tessons trop parfaitement quadrangulaires ou carrés laissent penser à des préformes ou laissent en suspens l’utilisation aussi de pièces quadrangulaires (Fig. 2, c1).

Fig. 2 – Charmensac (15), Suc de Lermu. Exemples de rondelles en céramique. : sélection provenant du sol 4 (F8) ; : vue de détail du travail de taille des objets analysés ; c1 : préformes quadrangulaires. c2 : Exemples de modules les plus fréquents. c3 : rondelles en cours de fabrication ou ratés de fabrication

Le travail de Romain Guichon, par la multiplication des mesures permet de différentier précisément les objets « plus ou moins ronds » et de montrer que la différence provient d’un surplus de soin apporté aux objets circulaires plutôt qu’aux autres.

Elles ont été taillées à l’aide d’un burin à tranchant plus ou moins étroit ou à l’aide d’une pointe en métal légèrement aplatie. Aucune utilisation de scie n’a été observée. La tranche est soit laissée brute de taille et les coups portés sont visibles soit elle a fait l’objet d’un polissage qui implique une deuxième phase d’intervention après la taille préalable. L’étude (en cours) du lot du Suc de Lermu apportera des compléments intéressant cette chaîne de fabrication qui peut être plus complexe : il est possible qu’une première étape consiste, au moment où le vase est brisé, à calibrer des fragments plus ou moins quadrangulaires qui passent ensuite à la taille proprement dite. Ce polissage peut être plus ou moins soigné. La finition et le soin qui y sont portés varient selon les sites. En règle générale, la tranche est laissée brute de taille, mais une part non négligeable a fait l’objet d’un estompage des angles, sorte de situation intermédiaire entre le polissage et l’absence d’intervention. Ainsi au Pré Cacheloche, dans un contexte où le mobilier porte des signes nets de richesse (monnaie, céramique décorée, statuette importée, enduits peints, amphores…) onze rondelles sur 40 ont fait l’objet d’un polissage soigné de la tranche et huit d’un début de polissage, soit près de la moitié du lot (Fig. 1b), tandis qu’à Corent, à une tout autre échelle, 90,25 % des tranches sont laissées brutes de taille.

On voit là que l’observation faite sur des séries plus nombreuses pourront permettre une meilleure compréhension de la fonction et de la représentation de ces objets d’autant que les calculs faits sur la régularité (circulaire ou subcirculaire) du tracé joue aussi dans le même sens : au Pré Cacheloche les 2/3 des objets sont plus parfaitement géométriques tandis qu’à Corent les rondelles circulaires sont fortement minoritaires (44 exemplaires) par rapport aux subcirculaires (661 ex.) et 34 fractions de rondelles.

Ces observations montrent aussi qu’il y a une logique dans la fabrication de ces petits objets apparemment insignifiants.

Qu’en est-il des diamètres observés ?

Le classement des rondelles de Corent et du Pré Cacheloche par groupes centimétriques des diamètres met en évidence une forte prédominance des valeurs comprises entre deux et trois centimètres puis celles comprises entre trois et quatre centimètres mais en quantité déjà nettement moindre. Les diamètres les plus élevés sont de 8 cm au Pré Cacheloche et 13 cm à Corent. Pour ces valeurs hautes, il n’est pas rare d’avoir des fragments d’amphore. A Varennes-sur-Allier, pour des ensembles du milieu du IIe siècle avant, trois modules sont observés sans que l’auteur précise plus avant ; d’après les dessins leurs diamètres sont plus proches de ceux de Pré Cacheloche que de Corent avec un nombre important de petits jetons dépassant à peine 2 cm, les valeurs les plus hautes étant limitées à 7 cm (Lallemand et Orengo 2007, Fig. 21 et 26). Au Suc de Lermu, il semble en l’état de l’analyse que la dimension la plus fréquente se situe aussi entre 2 et 5 cm et qu’il y a peu de valeurs très élevées supérieures à 10 cm (cf. Fig. 1 et Fig. 2).

Ces objets ne présentent aucune trace d’usure liée à une utilisation durable sur les sites du Puy-de-Dôme, comme sur celui de Varennes-sur-Allier (Lallemand et Orengo 2007, p. 161).

Et enfin, sur le total étudié aucune rondelle n’a fourni de marque d’identification surimprimée ou tracée d’un côté ou de l’autre.

Nous voici donc en face de petits objets qui paraissent bien insignifiants, fabriqués à partir de la récupération de vases utilisés couramment. Pourtant, un constat intéressant s’impose : ils ne se retrouvent quasiment jamais dans les sépultures. Au IIe siècle, en Auvergne, l’inhumation reste encore dominante et le mobilier qui accompagne le défunt n’est plus seulement métallique mais contient aussi un ou plusieurs vases issus du vaisselier de la maison et mis auprès du corps pour l’accompagner dans l’au-delà. Les rondelles en sont exclues et de ce fait concernent essentiellement le monde des vivants. Dans le stade préliminaire de l’enquête, elles se remarquent par une présence importante au seuil d’un grand sanctuaire contemporain de ces espaces funéraires ou de peu postérieur, Corent. Elles y sont en association avec une forte concentration de monnaies. On les trouve aussi associées indirectement à l’enclos funéraire d’un domaine rural pressenti à proximité au Pré Cacheloche à Cébazat. A Aigueperse et au Suc de Lermu, ils sont liés à un atelier de fabrication, signe que leur production intéresse la vie de ces sites agglomérés, ouverts ou pas.

Une évidence s’impose : il n’est pas facile d’obtenir par coups portés un objet soigneusement arrondi et la concavité du vase ne facilite pas la tâche. De ce fait, le résultat est souvent approximatif, surtout quand la rondelle est laissée brute de taille. Pourtant, une certaine proportion d’entre elles démontrent un souci de soigner leur apparence et les modules de fabrication semblent relativement standardisés entre 2 et 4 cm de diamètre.

L’utilisation de ces rondelles comme des couvercles ou bouchons se heurte à l’absence ou la rareté des fonds pourtant appropriés à ce genre de fonction et surtout à l’inadéquation de leurs diamètres avec ceux des vases habituellement retrouvés dans le vaisselier contemporain.

L’utilisation comme pièces de jeu est possible, mais les observations convergentes d’absence d’usure sur les surfaces internes et externes sensibles aux frottements incitent à écarter, au moins comme recours continue et intense, l’utilisation de ces objets pour le jeu.

Leur fonction comme jeton de présence ou comme objet ouvrant droit à une prestation est évoquée par Romain Guichon (Guichon 2005), d’autres comme les numismates y voient des équivalents monétaires. Ces deux aspects posent question, car l’imprécision de détail de la fabrication de ces objets rendent hasardeuses ces hypothèses, les poids, les dimensions, les épaisseurs, les formes même étant très variables dans le détail. Ces multiples disparités sont antinomiques avec un système monétaire et même pré-monétaire. De même, l’hypothèse de l’utilisation comme jeton donnant droit à l’entrée au sanctuaire est peu acceptable si l’on suppose que toute la population est équipée avec de la vaisselle en céramique : chacun pourrait alors se fabriquer autant de passe-droits que de besoin.

Il me semble qu’une seule condition permet de résoudre ce point : ces jetons seraient donnés à une partie de la population qui n’a pas accès à de la vaisselle en céramique car utilisant une simple vaisselle en bois ou autre matière périssable, ou n’ayant à sa disposition qu’un nombre trop restreint de récipients indispensables (pots à cuire par exemple ou de stockage). Cela concerne les personnes dépendantes des domaines ruraux dont nous avons la trace par les bâtiments les mieux architecturés et le mobilier le plus cossu, même si à nos yeux d’occidentaux du XXIe siècle, nombre de sites paraissent modestes. L’accès à la céramique représenterait dans cette hypothèse un marqueur de distinction sociale.

Que ce soit à Corent où la masse de ces rondelles sont frustes ou à Pré Cacheloche où elles se partagent avec d’autres nettement plus élaborées et à la finition soignée, on est confronté à un paradoxe : des individus ont passé beaucoup de temps à produire ce matériel et, dirions-nous, un temps infiniment trop important par rapport à « sa rentabilité ». Et pourtant, ces petits objets participent de certains moments incontournables de la vie sociale de la population : l’entrée au sanctuaire ou la participation à un événement collectif. Leur fonction est alors de permettre des regroupements de population nécessaires à la cohésion sociale et en cela l’investissement induit pour leur fabrication retrouve du sens.

Reste que la multiplication d’études de lots bien conservés et provenant de fouilles précisément documentées pourra seule aider à comprendre la fonction de ces rondelles qui, il faut le reconnaître, reste difficile à mettre en évidence. Le seul point acquis à partir de ce premier travail est la concordance des observations faites sur des sites éloignés les uns des autres, bien qu’appartenant au territoire des Arvernes.

Bibliographie

Delrieu et al. 2015

Delrieu F., Argant T., Carrara S., Dutreuil P., Gilles A., Lemaistre C., « Le promontoire du « Malpas » à Soyons (Ardèche) : un habitat fortifié de l’âge du Fer sur la rive occidentale du Rhône », in Fabienne Olmer, Réjane Roure (dir.), Actes du XXXVIIe colloque de l’AFEAF (Montpellier, 7-11 mai 2013), vol. 39, Bordeaux : Ausonius Éditions, coll. « Mémoires », pp. 831‑852.

Delrieu et al. 2022 : Delrieu F., Angevin R., Auxerre-Géron F.-A., Chabert S., Chateauneuf F., Mennessier-Jouannet Ch., Mercier J.-B., Moulin C., Muller F., Le Suc de Lermu à Charmensac (Cantal), Rapport de fouille programmée 2021, Clermont-Ferrand : SRA Auvergne-Rhône-Alpes, 125 p.

Delrieu et al. 2023 : Delrieu F., Angevin R., Auxerre-Géron F.-A., Jouannet J., Mennessier-Jouannet Ch., Michel A., Mercier J.-B., Muller F., Le Suc de Lermu à Charmensac (Cantal), Rapport de fouille programmée 2022, Clermont-Ferrand : SRA Auvergne-Rhône-Alpes, 102 p

Guichon 2005 : Guichon R., Les rondelles de céramique du sanctuaire de Corent (Puy-de-Dôme). Étude typologique, spatiale et culturelle, Mémoire de master (Lyon, Université Lumière – Lyon 2)

Lallemand et Orengo 2007 : Lallemand D., Orengo L., « Les ensembles de mobilier de La Tène moyenne de l’habitat groupé de Varennes-sur-Allier (Allier, Bourbonnais) : premières analyses », in Christine Mennessier-Jouannet, Yann Deberge (dir.), L’archéologie de l’âge du Fer en Auvergne, Actes du XXVIIe colloque de l’AFEAF (Clermont-Ferrand, 2003), Thème régional, hors-série, Lattes, coll. « Monographies d’Archéologie Méditerranéennes », pp. 135‑166.

Mennessier-Jouannet et Dunkley 1996 : Mennessier-Jouannet C., Dunkley J., Le site laténien d’Aigueperse « Le Clos Clidor », Document final de synthèse, Clermont-Ferrand : AFAN/SRA Auvergne-Rhône-Alpes.

Poux et Demierre 2015 : Poux M., Demierre M., Le sanctuaire de Corent (Puy-de-Dôme), Auvergne. Vestiges et rituels, Paris : CNRS éditions, coll. « suppléments à Gallia », 62.

Vaginay et Guichard 1988 : Vaginay M., Guichard V., L’habitat gaulois de Feurs (Loire), Paris : éditions de la Maison des sciences de l’Homme, coll. « Documents d’Archéologie Française », 14.

L’habitat fortifié du Suc de Lermu à Charmensac (Cantal) : campagne de fouille 2023

Fabien Delrieu (SRA Auvergne-Rhône-Alpes)

1. La fouille conduite en 2023

L’année 2023 correspondait à la seconde année de fouille d’une opération triennale qui se poursuivra encore en 2024. Après une première année probatoire en 2021 qui avait permis de fouiller les niveaux historiques (IVe – VIe siècle) sur une zone de fouille de 170 m². L’année 2022 avait été mise à profit pour fouiller entièrement les niveaux d’occupation du IIIe et IIe siècle av. J.-C. Leur fouille a révélé la présence d’un grand bâtiment de 3 × 5 mètres associé à un rempart palissadé ainsi qu’à un foyer externe.

En 2023 l’accent a été mis sur la fouille des niveaux inférieurs attribués au Ve siècle av. J.-C. Au préalable, le rempart plus récent (La Tène C ?) a été démonté et documenté en plan et en coupe. Les observations ainsi produites ont confirmé l’architecture entrevue lors des années précédentes. Il s’agit d’une masse pierreuse parementée grossièrement sur sa face externe et incliné, avec des dalles de basalte posées en écaille sur sa face interne. Cette masse linéaire de 2 mètres de large pour 1 mètre de haut est surmontée d’une palissade ancrée dans une tranchée de fondation aménagée dans la masse pierreuse.

Ce rempart attribuable à La Tène C (?) recouvre directement un paléosol qui le sépare d’un état plus ancien attribuable au Ve siècle av. J.-C. Ce paléosol a été fouillé et a livré un abondant mobilier en céramique qui a été étudié cette année. L’état ancien du rempart a été dégagé et nettoyé finement en surface, sa fouille n’a pas été entamée en 2023. Il semble présenter une architecture en caissons de 1,2 mètre de côté séparés par des madriers de bois bien visibles en surface. Le comblement de ces caissons varie de l’un à l’autre mais est généralement constitué des gravats basaltiques de taille variable panaché de blocs vitrifiés qui sont ici clairement réutilisés et donc en position secondaire.

Ce rempart précède un important niveau d’occupation qui lui est contemporain (Ve siècle av. J.-C.) et qui n’a pas été fouillé intégralement : il semble correspondre à un sol avec quelques aménagements diffus présents sous forme d’empierrements. En arrière de ce niveau, la base d’un four à sole perforée du même type que ceux du quai Sédaillan à Lyon-Vaise a été identifié et en partie fouillé. Son diamètre permet de l’associer aux éléments de sole perforée mis en évidence dans sa périphérie. Dans la partie la plus occidentale de la zone de fouille les niveaux du Ve siècle av. J.-C. ont livré la présence d’un sol archéologique. Il est caractérisé par la présence de plusieurs centaines de tessons posés à plat et entourant un support de foyer en basalte et associés à trois calages de poteaux. Ce sol est en connexion avec le rempart évoqué précédemment et attribué au Ve siècle. Sur le même sol, un soc d’araire en fer (Fig. 1) a été mis au jour. La présence d’une galerie en arrière du rempart semble, en l’état actuel, constituer une hypothèse crédible : elle pourrait être associée à la présence d’activités artisanales et notamment métallurgique (forge, alliages ou autres métaux).

L’ensemble des niveaux d’occupation du Ve siècle av. J.-C. ont fait l’objet de prélèvements en vue d’analyses paléobotaniques et notamment carpologique.

Fig. 1  : Clichés du soc d’araire restauré prélevé lors du démontage du sol du V
e siècle av. J.-C. (Clichés CREAM)

2. Bilan des différentes occupations du site

La fouille conduite en 2023 a permis de confirmer certains éléments déjà mis au jour en 2016, 2021 et 2022 et de modifier, parfois de manière substantielle, la chronologie des occupations se développant sur le site à partir du second âge du Fer. Pour l’heure, cinq séquences chronologiques différentes ont été identifiées et ont pu être documentées de manière significative avec la fouille conduite depuis 2021.

2.1 Étape 1 : une fréquentation du site au cours du Néolithique moyen 2

L’occupation attribuable au Néolithique moyen II avait déjà été identifiée de longue date. La présence d’éclats ou d’outils en silex avait en effet été signalée dès les années 1960 par M. Soubrier puis par Alphonse Vinatié. Ces éléments avaient été confirmés par la mise au jour en prospection de fragments de haches polies, d’herminettes et de tessons de céramique attribuables à l’horizon cultuel chasséen. Cependant, aucun niveau ou structure archéologique constitué n’avait été identifié de manière évidente.

Les fouilles conduites en 2021, 2022 puis 2023 sont restées dans cette veine. L’étude des éléments en silex mis au jour cette année (étude de Raphaël Angevin) confirme, à minima, la fréquentation du site au cours de cette même étape chronologique. Tous ces éléments ont cependant été découverts en position secondaire, associés à des niveaux plus récents. Dans cette situation, il semble périlleux de pousser plus avant la caractérisation de cette occupation sans fouille de niveau ou structure afférents. Il convient cependant de noter que la fréquentation ou occupation du site au cours de cette séquence chronologique n’est pas véritablement une surprise. En effet, de nombreux sites de hauteur, fortifiés ou non, régionaux et bien au-delà ont livré des éléments contemporains. À l’instar du site éponyme du Camp de Chassey en Bourgogne (Thevenot 2005), cette période marque le développement de l’habitat fortifié de manière naturelle ou par la main de l’homme. En Auvergne, les exemples les plus connus et les mieux documentés se localisent aussi bien en bordure de la plaine de la Limagne (Puy-de-Mûre à Dallet ou Plateau de Corent : Couderc et al. 2020) que le long du cours de l’Alagnon plus au sud à Chastel-sur-Murat (Pagès-Allary 1908) ou Saint-Victor de Massiac (Tixier et Liabeuf 1984) dans le Cantal. Cette occupation du Suc de Lermu prend donc place au sein d’un corpus auvergnat de sites de hauteur déjà constitué. Les fouilles qui seront conduites sur le site dans les années à venir devraient permettre de caractériser plus avant cette occupation.

2.2 Étape 2 : une occupation au Bronze final IIIb et au début du Hallstatt ancien

La seconde étape correspond au Bronze final IIIb et probablement aussi au début du Hallstatt ancien. Elle avait déjà été identifiée stratigraphiquement en 2016 et chronologiquement dès les premières investigations sur le site dans les années 1960. Elle correspond aux US 06 et 09. La première citée a été interprétée comme un niveau d’occupation. En effet, la présence d’une sole de foyer en place prenant la forme d’une lentille d’argile rubéfiée associée à un abondant mobilier céramique attribuable à cette période, localisé dans la masse de ce niveau avaient permis de proposer cette attribution fonctionnelle. L’US 09, associée stratigraphiquement à l’US 06, composée de blocs massifs de basalte semblait pouvoir correspondre au toit d’un système défensif encore en place. Cependant la taille des blocs à extraire et l’importante profondeur du sondage ouverte en 2016 sont autant d’élément qui n’avaient pas alors permis de caractériser plus avant la fonction de cet aménagement. La campagne de fouille conduite en 2021 puis 2022 n’a pas permis de fouiller directement les niveaux archéologiques correspondant à cette séquence chronologique. Cependant, le mobilier céramique s’y rapportant et mis au jour en position secondaire dans des niveaux plus récents a permis d’affiner la chronologie de cette occupation. En effet si elle se rapporte majoritairement et indubitablement au Bronze final IIIb, cette occupation semble également perdurer un peu au cours du Hallstatt ancien au moins sur la première moitié du VIIIe siècle av. J.-C. Cette observation n’est pas anodine et confère au Suc de Lermu une particularité qui tranche de manière substantielle avec les observations produites sur d’autres sites contemporains à l’échelle régionale comme nationale et qui voit leurs occupations s’interrompre brutalement à l’issue du Bronze final IIIb (à la fin du IXe siècle av. J.-C.), sans réelle continuité au Hallstatt ancien. Au-delà du Suc de Lermu, la majorité des sites de hauteur, fortifiés au non, présents en Auvergne sont occupés au cours du Bronze final IIIb que ce soit dans les actuels départements voisins du Puy-de-Dôme (Corent, Puy-Saint-Romain à Saint-Maurice-ès-Allier ou Puy-de-Mur), du Cantal (Saint-Victor à Massiac, Châteauneuf ou Chastel-sur-Murat) ou de la Haute-Loire (Le Puy). Plus largement, cette séquence chronologique est bien identifiée sur un corpus important de sites fortifiés en France comme l’atteste un inventaire effectué il y a quelques années. Le Bronze final IIIb correspond véritablement à une phase d’acmé dans l’utilisation des sites de hauteur, fortifiés ou non (Delrieu et San Juan 2011). Ces données concernant le Suc de Lermu seront bien entendu affinées dans les années à venir lorsque la fouille des US 06 et 09 deviendra effective. Il n’est pas à exclure que l’état initial du possible bâtiment à abside (fait n°5a) puisse corresponde à cette séquence chronologique comme l’atteste la présence de mobilier céramique associé à cet aménagement.

2.3 Étape 3 : Une occupation entre la fin du 1er et le début du second âge du Fer

Par la suite une occupation se développe entre le Hallstatt final et la Tène A. Elle se caractérise tout d’abord par la présence d’un ouvrage défensif dont la datation précise sera déterminée lors de sa fouille. Ce dernier ne semble pas structuré par des parements ou limites appareillées. Il est par contre doté d’un système de poutrage interne, peut être associé à la mise en place de caissons. Dans le comblement de ces derniers, la présence de blocs vitrifiés a pu être attestée mais semble plutôt ici être liée à du réemploi. Le rempart sera fouillé en 2024 en intégralité après le nettoyage poussé effectué en 2023.

En arrière de ce rempart, une possible galerie en appentis de 3 mètres de large pourrait courir le long de la limite interne du rempart. La présence de plusieurs gros calages de poteaux constitutifs de celle-ci semble plaider en ce sens. Cette potentielle galerie serait associée à un sol aménage (sol n°4) sur lequel se développe des activités artisanales et notamment métallurgiques (cf. fig. 1). Ainsi la présence d’une probable forge et d’éléments métalliques (objets finis, fabriquats, battitures, scories…) ainsi que plusieurs creusets dont l’étude pourra confirmer la vocation artisanale et métallurgique de ce secteur du site, par ailleurs localisé non loin de l’entrée probable. Enfin, en arrière de cette galerie ou bâtiment supposés, la présence d’une base de four (alandier, cendrier et chambre de chauffe) semble pouvoir se rapporter au petit four de type Sévrier à sole perforée découvert démantelé dans ce secteur de la fouille et associé aux US 12 et 05 (Fig. 2). Au moins deux tores en pouzzolane permettent d’envisager la production de céramique tournée de petit gabarit sur le site au cours du Ve siècle av. J.-C. (céramiques à pâte claire peinte).

Fig. 2 : Vue de la base de four du Ve siècle av. J.-C. depuis le nord (Cliché F. Delrieu)

La fouille conduite en 2016 et depuis 2021 a d’ailleurs confirmé la découverte, inédite en Auvergne, d’un assemblage de tessons de céramique à pâte claire peinte. Ces productions sont très certainement locales et prennent à l’évidence en exemple des récipients issus du Languedoc oriental et plus certainement de l’est du Gard (Goury 1995). Leur présence atteste la conduite d’échanges significatifs entre le sud de l’Auvergne et le Languedoc oriental via le Massif central. Cette constatation n’est pas une immense surprise mais elle permet, au-delà d’échanges de biens déjà attestés par la présence de quelques importations au nord et à l’est de l’Auvergne (Bègues ou Le Puy-en-Velay), de mettre en évidence une once d’acculturation, pour le moins inattendue, sur un site de hauteur situé à 1100 mètre d’altitude et localisé bien loin des axes d’échange supposés entre Gaule celtique et Méditerranée. Dans la même perspective, l’année 2021 a permis également d’identifier le premier tesson auvergnat de céramique grise monochrome. Il a été mis au jour en position secondaire dans un niveau plus récent. Sa présence n’est pas anodine et confirme le tropisme méridional qui caractérise cette occupation. Ce dernier est attesté à la fois par les données carpologiques issues d’un prélèvement effectué en 2021 lors de la fouille d’une petite partie de l’US 05. La présence de pois et de lentilles, productions thermophiles et xérophiles, plaide en ce sens. De même que l’influence typologique de la céramique commune qui connaît des parallèles avec le Languedoc oriental et la région de Lattes. Cependant, l’influence languedocienne et plus généralement méridionale de ces assemblages n’est pas exclusive. La présence de tessons de céramiques présentant des décors graphités mis au jour durant les trois années de fouille atteste un ancrage régional fort au niveau de la Haute-Auvergne. Caractéristique des domaines culturels nord-alpin et atlantique, ce type de production est bien documenté ainsi que dans tout le centre ouest de la France actuelle et dans les piémonts occidentaux du Massif central (Charentes, Limousin, Périgord, Lot, Cantal…). Au Suc de Lermu, elle décore des jattes carénées à encolure concave le plus souvent attribuées au Ha D, soit le VIe siècle av. J.-C. Dans son ensemble, la céramique commune du Ve siècle av. J.-C. ressemble beaucoup à celle de la Basse Auvergne, notamment celle de la Limagne tout en montrant des différences liées au choix des argiles et à leur impact sur le produit à la cuisson. Les éléments de morphologie des vases et des décors mettant en évidence un particularisme de la Haute Auvergne font l’objet de l’étude en cours.

Régionalement cette occupation de hauteur est contemporaine de celles identifiées récemment sur les sites du Puy-Saint-Romain dans le Puy-de-Dôme ou de Chastel-Marlhac dans le Cantal (Auxerre-Geron et al. 2017). Ce sont pour l’heure les trois seuls sites régionaux occupés de manière évidente pendant cette séquence chronologique. Le Suc de Lermu prend donc place dans un corpus de sites peu étoffé mais dont la présence atteste, aussi bien régionalement qu’au niveau national, l’utilisation des sites de hauteur, fortifiés ou non, pour l’implantation d’habitats supposés permanents (Fig. 3).

Fig. 3 : Vue zénithale interprétée des niveaux du Ve siècle av. J.-C. à la fin de la campagne de fouille 2023 (Cliché F. Delrieu)

2.4 Étape 4 : Une occupation du site entre La Tène B2 et C

La fouille de 2021 avait permis de mettre au jour une importante occupation laténienne dans l’emprise du site. Cette dernière avait été pressentie en 2016 avec la découverte dans le sondage n°1 d’une fibule de schéma La Tène II à corde externe et pied fixé à l’arc (filiforme) attribué à La Tène C2. Nous pensions alors que cet élément était résiduel et correspondait à une très ponctuelle fréquentation du site à l’extrême fin du IIIe siècle av. J.-C. ou aux prémices du IIe siècle av. J.-C.

Cette importante occupation correspond aux US 8 10, 12, 13 et 15. Elle se caractérise en premier lieu par la mise en place d’un bâtiment sur solin de 3 mètres de large pour au moins 4 mètres de long. Sa partie interne est dotée d’un radier qui fait office de sol. Il est jonché de très nombreux reliefs de la vie quotidienne de ses habitants : céramique, objets usagés, parures, restes de faune consommée… provenant de rejets domestiques après abandon. Ce bâtiment est doté d’une entrée prenant la forme d’une interruption du solin sur sa largeur orientale. Cette dernière est probablement matérialisée par une porte comme semble l’indiquer la présence d’une cupule caractéristique sur une dalle bordant l’entrée et pouvant servir d’axe à une crapaudine. Ce système d’entrée est protégé des forts vents de sud par un probable auvent latéral fondé sur solin qui matérialise également la sortie du bâtiment en direction d’un foyer externe. Ce dernier semble avoir une vocation culinaire comme semble l’attester la présence de quatre petits calages superficiels en périphérie de la sole. Leur fonction pourrait être liée à un système de crémaillère, ou équivalent, permettant la suspension des pots à cuire à l’aplomb du foyer. Le couloir localisé en arrière du bâtiment et le long de la limite interne du rempart semble constituer une véritable zone de rejet domestique comme le démontre la présence d’un abondant mobilier de tout type (céramique, fusaïoles, objets en fer, faune, scories de forge…) caractéristique d’un assemblage domestique usagé. Dans la zone localisée au nord du bâtiment, les rejets domestiques se font moins nombreux et sont remplacés par la présence de plusieurs dizaines de fragments d’un four à sole perforée de type Sévrier. Cette présence très localisée pourrait être associée à un four plus ancien (voir paragraphe précédent) démantelé dans ce secteur du site à la fin de l’occupation précédente. La dernière séquence de cette occupation, au cours de La Tène C, se caractérise par la mise en place d’un ouvrage défensif (Fig. 4). Ce dernier est fondé directement sur un paléosol (US 15) qui s’est développé à l’aplomb de l’état de fortification ancien du site (US 07). Il se présente sous la forme d’une masse de blocs de basalte liés à la terre (US 08). Surmontée d’une probable palissade en bois (US 10), elle est grossièrement parementée sur sa face extérieure et couverte sur sa face interne par une série de dalles de basalte posées en écaille. Ce système de protection semble devoir permettre d’évacuer rapidement l’eau de pluie de la partie haute du rempart, dans un souci évident de conservation.

Fig. 4 : Vue zénithale du rempart du IIIe siècle av. J.-C. en cours de fouille (Cliché drone F. Delrieu)

Les éléments de culture matérielle identifiés lors des deux fouilles conduites en 2021 et 2022 ont été collectés lors des fouilles de l’US 04 (2021) de l’US 12 et 13 (2022). Ils attestent le développement d’une importante activité domestique sur le site au cours de cette séquence chronologique. La présence d’un catillus dans l’US 12 est une première au niveau de la Haute-Auvergne pour cette séquence chronologique où l’usage des meules rotatives n’était pas encore attesté. L’assemblage céramique constitue dorénavant un lot de référence à l’échelle départementale. Le Suc de Lermu correspond en effet au premier site de La Tène B2b et C documenté dans le département du Cantal. Cet ensemble céramique, peut-être plus que celui attribuable à La Tène A, est marqué par une forte proximité avec le Languedoc oriental confirmant le tropisme méridional caractérisant cette région durant une bonne partie du second âge du Fer.

Le premier âge du Fer et le début de La Tène ancienne correspondent à une séquence chronologique bien documentée en Haute-Auvergne, grâce aux données funéraires issues de la fouille des très nombreux tumulus connus dans cette région mais celles-ci se composent presque exclusivement de mobilier métallique, la céramique y est modestement représentée. Elle représente pourtant un vecteur majeur pour la compréhension des choix culturels des communautés locales à tous les niveaux de leur vie. Il reste à documenter ce mobilier céramique et domestique provenant des habitats. Le second âge du Fer, à l’inverse, connaît une lacune documentaire considérable. En effet, seuls quelques dizaines de sites ou d’indices de sites sont connues pour cette période dans le département du Cantal. La Tène B et C correspondent probablement aux séquences les moins bien documentées du second âge du Fer en Haute-Auvergne. En effet, seule la découverte ancienne d’un fourreau à bouterolle ajourée de type Hatvan-Boldog attribuable à La Tène B2, sur la commune de Laveissenet peut être associée à cette période. Ce manque béant tranche nettement avec l’abondance des données pour cette période qui ont été collectées plus au nord, en Basse Auvergne, et plus particulièrement en Limagne et dans le bassin clermontois. La mise au jour de cette occupation laténienne dans l’emprise du Suc de Lermu correspond donc à une réelle opportunité de documenter en détail un contexte domestique jusqu’à présent inédit en Haute-Auvergne.

Il est également à noter que le Suc de Lermu est pour l’heure un des seuls sites de Gaule non méditerranéenne, attribuable au IIIe siècle av. J.-C., qui a livré la présence d’un ouvrage défensif. L’utilisation des sites de hauteur est très rare à cette période. On note uniquement les cas du Châtelard de Lijay dans la Loire (Befort et al. 1986) et Bourguignon-les-Morey en Haute-Saône qui portent les stigmates d’une fréquentation à cette période sans pour autant qu’elle corresponde à l’aménagement d’un rempart. Cette rareté n’est pas la norme en Gaule méditerranéenne et notamment en Languedoc oriental où les ouvrages défensifs attesté pour le IIIe siècle av. J.-C. sont plus nombreux à l’instar de Mauressip, Beaucaire, Nages ou encore Sextentio. La nature de l’ouvrage défensif du Suc de Lermu n’a que peu de choses à voir avec ces sites qui semblent développer une architecture défensive nettement plus massive et privilégiant l’usage de la pierre sèche. Cependant l’anachronisme de l’ouvrage défensif du Suc de Lermu dans le cadre de la Gaule tempérée du IIIe siècle av. J.-C. semble procéder, à l’instar de la culture matérielle précédemment évoquée, d’un tropisme méridional qui paraît irriguer de nombreux aspects de la vie quotidienne des populations gauloises de Haute-Auvergne à cette période.

2.5 Étape 5 : L’occupation des Ve et VIe siècles

Par la suite, le site semble abandonné pendant plus de 500 ans avant qu’une nouvelle occupation ne se développe sur place entre les IVe et VIe siècles. Elle se caractérise par la présence d’un niveau d’occupation (US 03) associé à un sol archéologique (sol n°1, 2021). Aucune structure n’a été identifiée pour cet horizon chronologique. L’occupation qui s’y développe au cours de l’Antiquité tardive semble donc relativement lâche et n’a pas réellement correspondu à un réaménagement profond et durable du site, du moins dans le secteur fouillé. Il est probable que l’habitat en lui-même se localise à proximité immédiate de la zone de fouille. L’espace situé en arrière de cet ouvrage défensif probablement ruiné est alors dédié au rejet des reliefs de l’occupation domestique qui se développe probablement au centre du plateau. Cette hypothèse semble correspondre aux données observées au cours des fouilles conduites en 2021. Il faudrait par la suite mener des campagnes de sondages sur les secteurs internes localisés au centre de la table basaltique pour mettre au jour d’éventuels traces immobilières de cet habitat.

Cette séquence avait déjà été identifiée précédemment (Fournier 1962) grâce à la découverte de tessons de DSP et de fragments de verre lors des interventions précédentes. On notera également, que, comme pour les occupations laténiennes, le site semble bien inscrit dans les réseaux d’échanges entre le centre et le sud de la Gaule comme le prouve la présente significative de DSP.

Enfin le site est abandonné définitivement à la fin de cette occupation du IVe au VIe siècle ap. J.-C. Le petit plateau de Lermu retrouve alors certainement sa vocation agricole. L’ensemble de la séquence stratigraphique est alors recouvert par un important apport de colluvions (US 02) issu de l’érosion de la partie centrale du site qui s’accumule en arrière des vestiges des aménagements défensifs protohistoriques.

Bibliographie

Auxerre-Geron et al. 2017 : Auxerre-Geron F.-A., Couderc F., Delrieu F., « Les habitats de hauteur occupés au Hallstatt D3 et à La Tène A en Auvergne : données récentes », Bulletin de l’AFEAF, 35, pp. 17‑22.

Befort et al. 1986 : Befort J.-Cl., Delporte H., Guichard V., « L’occupation protohistorique du Châtelard de Lijay (Loire) », Cahier Archéologiques de la Loire, 6, pp. 19‑45.

Couderc et al. 2020 : Couderc F., Milcent P.-Y., Vallée M., Pasty J.-F., Dousteyssier B., Mader S., Meiraud A., Surmely F., Poux M., Alix P., « Un édifice circulaire monumental du Néolithique moyen sur le plateau de Corent (Puy-de-Dôme, France) et son contexte archéologique », Bulletin de la Société préhistorique française, 117, 2, pp. 233‑271.

Delrieu et San Juan 2011 : Delrieu F., San Juan G., « Les éperons barrés et petites enceintes du Bronze final/1er âge du Fer en Normandie », in Philippe Barral, Bernard Dedet, Fabien Delrieu, Pierre Giraud, Isabelle Le Goff, Stéphane Marion, Anne Villard-Le Tiec (dir.), L’âge du Fer en Basse-Normandie. Gestes funéraires en Gaule au Second âge du Fer, Actes du XXXIIIe colloque de l’AFEAF (Caen, 20-24 mai 2009) – Thème régional, Presses universitaires de Franche-Comté, pp. 51‑73.

Fournier 1962 : Fournier G., Le peuplement rural en Basse-Auvergne durant le Haut Moyen Âge, Paris : PUF – Publications de la Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand.

Goury 1995 : Goury D., « Les vases pseudo-ioniens des vallées de la Cèze et de la Tave (Gard) », in Patrice Arcelin (dir.), Sur les pas des Grecs en Occident : hommages à André Nickels, Errance, Lattes/Paris : A.D.A.M, coll. « Études massaliètes », 5, pp. 309‑324.

Pagès-Allary 1908 : Pagès-Allary J., « Commission d’étude des Enceintes préhistoriques et Fortifications anhistoriques », Bulletin de la Société préhistorique française, 5, 1, p. 472‑493.

Thevenot 2005 : Thevenot J.-P., Le camp de Chassey (Chassey-le-Camp, Saône-et-Loire) : Les niveaux néolithiques du rempart de « la Redoute », Dijon : ARTEHIS Éditions, coll. « Suppléments à la Revue archéologique de l’Est », 22.

Tixier et Liabeuf 1984 : Tixier L., Liabeuf R., « Aménagements et constructions sur le plateau de Saint-Victor-de-Massiac (Cantal). De la protohistoire au XVIe siècle. Essai d’interprétation stratigraphique et chronologique », Archéologie médiévale, 14, 1, pp. 221‑257.

Un accessoire de cuisine en céramique : les plaques de cuisson

Un accessoire de cuisine en céramique : les plaques de cuisson : publié dans les Chroniques ARAFA n° 2 – 2023

Christine Mennessier-Jouannet

Depuis les premières fouilles exécutées en Limagne d’Auvergne sur des sites gaulois, notamment par Robert Périchon et John Collis, des fragments nombreux mais difficilement identifiables à une quelconque activité ont été trouvés mélangés avec les tessons, la faune, et toute sorte d’objets brisés et au rebut. Bref, dès le début, ils ont été compris comme appartenant à la sphère domestique, à la maison. Des traces de feu remarquables sur la surface supérieure les ont identifiées à des accessoires de foyer domestiques : de là, leur premier appellatif de « plaque de foyer ». Le terme a été ensuite repris par l’ensemble des acteurs de l’archéologie. Il prête pourtant à confusion, car une « plaque de foyer » se rapporte à un objet plat posé verticalement contre un mur ou une paroi de fond de cheminée et ayant pour fonction de réfléchir la chaleur fournie par un foyer lui-même au sol. Nous lui préférons donc l’expression de « plaque de cuisson » en raison des stigmates de feu présents la partie supérieure.

Un accessoire de cuisine en céramique : les plaques de cuisson. Figure 1 : plaque de foyer quadrangulaire. Document R. Périchon (Périchon et Vichy 1967, planche 1, p. 312)

En 1967, sur le site de La Grande Borne, terroir appartenant au « site d’Aulnat » ainsi nommé par Jean-Jacques Hatt et Pierre-François Fournier dans la publication annonçant sa découverte (Hatt 1942), Robert Périchon a fouillé deux de ces plaques dans leur position d’origine, presque intactes et pour l’une d’elles posée sur le sol d’une structure bâtie et environnée de charbons de bois et de mobilier.

Nous savons que l’espace construit était d’une faible superficie d’environ 8 m² et cloisonné en matériaux légers : « elle [la plaque] était au centre de l’un des côtés les plus étroits d’une aire de forme rectangulaire encombrée de déchets de nourriture et de fragments de céramique… ». Pour l’autre, nous apprenons qu’elle était environnée de petits trous de piquets disposés en triangle, indices d’une installation pour suspendre un récipient (Périchon et Vichy 1967). Un croquis est fourni dans l’article (fig. 1).

Ultérieurement, l’étude reprise par Zoé Poucher en 1995 semble avoir été menée sur la base de l’article de 1967

Figure 1 : plaque de foyer quadrangulaire. Document R. Périchon (Périchon et Vichy 1967, planche 1, p. 312)

Depuis cette date, aucune découverte semblable n’a été faite en Auvergne. De plus, ces deux plaques ont été probablement séparées du reste du mobilier et sont actuellement perdues. Il nous faut travailler sans ces précieux témoins.

Nous ne disposons que de trois autres plaques suffisamment conservées pour apprécier leur morphologie : deux portions de plaque provenant également de La Grande Borne (fouille Périchon) et une autre provenant de la ZAC des Trois Fées à Cébazat (fouille 2013, par Anne Duny, Paléotime).

Pour le reste, des milliers de fragments de plaque proviennent de rejets domestiques. On les retrouve en position secondaire dans les puits, les fossés des habitats enclos ou les silos réutilisés en dépotoirs et leur petite dimension ne permet pas de restituer leur forme complète.

En Limagne d’Auvergne, leur fabrication et leur utilisation est attestée de la fin du VIe siècle avant notre ère jusqu’aux débuts de l’époque romaine.

Notre propos sera d’envisager comment mettre en évidence une description la plus poussée possible de ces plaques pour lesquelles les zones vides sont plus importantes que les zones renseignées. Il s’agira ensuite de comprendre leur évolution dans le temps et enfin de rendre plus précis leur contexte d’utilisation.

I. Description

Celle de La Grande Borne dont il reste un dessin, mesure 58 × 55 cm pour une épaisseur donnée de 2 cm. En général, l’épaisseur de chaque plaque est très stable au millimètre près avec seulement un creusement léger et plus ou moins accentué le long du rebord. Cette plaque est munie d’un système de rebords dissymétrique : sur l’un des plus longs côtés, le rebord mesure 7 cm de haut et les trois autres semblent identiques avec une hauteur de 3,8 cm. Le poids total n’est pas donné. Au moins deux côtés sont décorés de digitations, thème décoratif fréquent pendant La Tène ancienne et moyenne (Périchon et Vichy 1967 ; Poucher 1995).

Celle du site des Trois Fées à Cébazat est composée de 28 fragments pesant 6,580 kg dont 23 recollent et forment partiellement un angle de cette plaque (fig. 2). Les deux côtés de cet angle sont rectilignes, confirmant une forme générale quadrangulaire, carrée ou rectangulaire. L’un des rebords est marqué par une légère inflexion d’environ 1 cm, tandis que l’autre côté est plus marqué avec une hauteur depuis la base de plus de 5 cm. Son épaisseur varie entre 2,5 cm et 2,9 cm vers le centre. Cette zone présente un renflement de quelques millimètres, peut-être dû à un rechapage qui permet de restituer un profil complet, ce qui induit une largeur d’environ 48 cm. L’autre axe, incomplet, a été reconnu sur 52 cm. La surface de la plaque avoisinerait le quart de mètre carré. Si la partie remontée pèse 6,5 kg et qu’elle représente environ le tiers de la plaque, celle-ci ferait un poids de 20 kg au minimum, ce qui est déjà considérable.

Les deux autres fragments de plaques provenant de la fouille de Robert Périchon à La Grande Borne sont également quadrangulaires. Dans les deux cas, un seul angle est conservé avec des rebords bas et décorés pour un exemplaire par de longues entailles obliques. Le poids conservé est de 5 kg pour l’un avec une représentation probable du tiers de la plaque, soit 15 kg et de 2 kg pour l’autre plus faiblement documentéau 1/5e de sa surface, ce qui fournit un poids plus faible de 10 kg environ.

Un accessoire de cuisine en céramique : les plaques de cuisson. Figure 2 : plaques de cuisson parmi les mieux conservées. A : Cébazat (63), Les Trois Fées. Puits 1490, us 1298 (fouille A. Duny) ; B : Clermont-Ferrand (63), La Grande Borne (fouille R. Périchon), carré B24AT ; C : Clermont-Ferrand (63), La Grande Borne (fouille R. Périchon), carré B24AV

Figure 2 : plaques de cuisson parmi les mieux conservées. A : Cébazat (63), Les Trois Fées. Puits 1490, us 1298 (fouille A. Duny) ; B : Clermont-Ferrand (63), La Grande Borne (fouille R. Périchon), carré B24AT ; C : Clermont-Ferrand (63), La Grande Borne (fouille R. Périchon), carré B24AV

La masse des fragments épars fournit de multiples éléments qui valident une forme sûrement quadrangulaire et l’asymétrie au moins fréquente des hauteurs des rebords. Le recours à des argiles identiques à celles qui servent à la production des vases et récipients indique que nous avons affaire à des objets qui font partie du quotidien. Leur mise en forme assez uniforme d’un fragment à l’autre, de même que les traitements de surface donnent l’impression d’une production relativement standardisée.

Les modes de fabrication vont dans le même sens : les plaques sont pour certaines moulées sur des supports en bois, mais pour d’autres mises en forme sur des surfaces planes, graveleuses ou sableuses comme le montrent les traces laissées sur la surface inférieure. Elles sont ensuite mises à sécher, puis cuites comme les céramiques, ce que confirme l’uniformité des traitements des surfaces inférieures. Dans de nombreux cas, les finitions, soit raclées, soit égalisées ou même lissées des surfaces inférieures rendent difficile, sinon impossible, l’observation du mode de production. Dans tous les cas, il s’agit d’un travail bien fait, notamment pour la surface supérieure.

II. L’évolution dans le temps

Parmi de nombreux éléments descriptifs de ces plaques, un seul est apparu au fil de l’étude comme nettement discriminant du point de vue chronologique : l’épaisseur des plaques.

Dès les premiers moments du second âge du Fer, la forme quadrangulaire est acquise, l’asymétrie des rebords est aussi présente, la composition des pâtes plutôt grossières à mi-fines est la norme, le traitement soigné de la base est identique sur l’ensemble de la période laténienne. Les décors peuvent ouvrir la brèche à un peu plus de variété : il n’y en a pas sur les plaques les plus anciennes (Ha D3 – LT A1 : Auvergne-étape 1), ils apparaissent ensuite sous forme de longues entailles obliques ou de torsades disposées le long du sommet d’un ou plusieurs rebords durant le IVe siècle avant notre ère (LT B1 : Auvergne-étape 2) mais ne deviennent fréquent qu’à partir du IIIe siècle (LT B2 et C1 : Auvergne-étapes 3 à 5). Leur longévité jusqu’à la fin du IIe siècle av. rend difficile leur utilisation pour dissocier chronologiquement des étapes particulières. Une autre distinction morphologique existe, mais trop discrète pour être prise en compte sur le long terme : l’absence de rebord sur les plaques les plus anciennes (Auvergne-1) au moins sur un côté. En fait, seule l’épaisseur du plateau lui-même, par chance uniforme sur chacun des fragments mesurés, a mis en évidence une évolution dans leur fabrication.

Ce constat a été rendu possible grâce à l’inventaire fait sur des ensembles de référence sélectionnés pour leur représentativité chronologique. Un des enjeux de la publication collective de 2017 était de classer la céramique commune sur la période du Ve au Ier siècle avant notre ère et d’ancrer ce classement sur celui de mobiliers mieux datés (métal, verre, monnaies…). C’est dans ce cadre que le classement des plaques de cuisson s’est inséré sur la base des épaisseurs des plateaux (Fig. 3c).

Un accessoire de cuisine en céramique : les plaques de cuisson. Figure 3  : étude de cas documentant l’importance de l’épaisseur des plaques pour leur datation.
A  : La période de bascule entre plaques fines et épaisses intervient dans la 2ᵉ moitié du IIIe siècle av. notre ère ;
B  : Sur la longue durée, des plaques fines peuvent être présentes dans les étapes récentes, mais aucune plaque épaisse de plus de 2 cm n’existe avant le début du III e siècle av. ;
C : Tableau récapitulatif de l’ensemble des sites exploités dans le cadre de la publication de 2017 ( Mennessier- Jouannet et Deberge 2017)
Figure 3  : étude de cas documentant l’importance de l’épaisseur des plaques pour leur datation.
: La période de bascule entre plaques fines et épaisses intervient dans la 2ᵉ moitié du IIIe siècle av. notre ère ;
: Sur la longue durée, des plaques fines peuvent être présentes dans les étapes récentes, mais aucune plaque épaisse de plus de 2 cm n’existe avant le début du III e siècle av. ;
: Tableau récapitulatif de l’ensemble des sites exploités dans le cadre de la publication de 2017 ( Mennessier- Jouannet et Deberge 2017)

Deux exemples illustrent cette démarche. Le site des Trois Fées a connu une occupation sur la longue durée et la période gauloise y est représentée à partir du IVe siècle avant jusqu’à la conquête romaine. Les plaques ont été décrites en même temps que la céramique des différentes structures où elles se trouvaient : ainsi la plaque présentée ci-dessus côtoyait de la céramique attribuable à LT B2b ou C1, ce qui la date du IIIe siècle avant notre ère. Sur le graphique (Fig. 3b) on observe que :

  • Les plaques d’épaisseur comprise entre 1,4 et 2 cm proviennent des niveaux rattachés au premier grand enclos d’habitat mis en place à LT B, soit au IVe siècle.
  • Lors de la restructuration de l’habitat avec le creusement d’un grand fossé (LT B2b/C1 au IIIe siècle), les mesures se décalent avec trois plaques entre 1,7 et 1,9 cm, mais surtout 5 plaques entre 2 et 2,5 cm et plus rien au-delà de 2,9 cm pour certains exemplaires.
  • Ce n’est qu’à partir de LT C2 et jusqu’à LT D1a, au IIe siècle, que les épaisseurs dépassent les 2,9 cm.

Des blocs se dessinent ainsi qui ont valeur chronologique. Ce classement obtenu sur la base de 55 fragments est consolidé par des données quantitativement plus importantes. Ainsi, le graphique (Fig. 3a) met une focale sur la répartition durant le IIIe siècle en dissociant les deux périodes de LT B2b et LT C1 avec respectivement un total de 185 et 98 restes. Le même phénomène de glissement des épaisseurs s’observe d’une phase à l’autre : plus on avance dans le temps, plus les plaques ont de l’épaisseur.

Le tableau (Fig. 3c) effectué à partir du total (263) des plaques attestées par un rebord (NMI), montre le même décalage des épaisseurs au fil du temps et confirme que :

  • 25 des 26 plaques étudiées pour les étapes 1 et 2 ne dépassent pas 1,9 cm d’épaisseur, sauf un qui mesure 2 cm.
  • L’étape 3, quoique peu représentée, amorce l’épaissement des parois au-delà de 2 cm pour le tiers des exemplaires.
  • L’étape 4 avec 97 exemplaires connaît une explosion quantitative de ces ustensiles. 67 % de ce total ont une épaisseur inférieure à 2 cm pour 23 % compris entre 2 et 2,6 cm. Aucune plaque n’est plus épaisse. Cette période voit l’amorce du changement par le renforcement de l’épaisseur et par là même une mise à disposition nettement plus importante de matière première.
  • L’étape Auvergne 5 voit le basculement vers des formes nettement plus épaisses. 41 % des plaques mesurent moins de 2 cm, mais 50 % sont comprises entre 2 et 2,6 cm, et 9 % mesurent jusqu’à 3,2 cm. Les deux tiers des plaques dépassent le seuil critique de 2 cm.

Ces données peuvent se synthétiser en un tableau morpho-chronologique qui met en évidence une évolution lente, mais nette sur les cinq premières étapes de la chronologie du second âge du Fer en Auvergne, tout au moins en Basse Auvergne (fig. 4).

Un accessoire de cuisine en céramique : les plaques de cuisson. Figure 4  : Tableau de synthèse de l’évolution des formes et décors des plaques de cuisson durant la période laténienne (V e – fin du II e siècle avant notre ère). Document C. Mennessier-Jouannet
Figure 4  : Tableau de synthèse de l’évolution des formes et décors des plaques de cuisson durant la période laténienne (V e – fin du II e siècle avant notre ère). Document C. Mennessier-Jouannet

Conclusion. Qui utilise cet accessoire de cuisine et comment ?

Que ces plaques aient été utilisées posées sur le sol comme le suggèrent les observations de Robert Périchon ou amovibles comme l’ont défendu Vincent Guichard et Yann Deberge, il est aujourd’hui difficile de trancher car, comme il a été montré les caractéristiques morphologiques précises de ces accessoires de cuisine sont mal connues. Leur poids est malgré tout élevé, même s’il n’empêche pas un transport éventuel. Cependant, les mensurations somme toute proches du carré rendent leur prise en main délicate, d’autant que les stigmates des feux qu’elles supportent en fragilisent la structure. Pour La Tène ancienne, un autre aspect est à prendre en compte : les fragments sont retrouvés dans des contextes de bâtiments très exigus, ceux-ci faisant au maximum 14 m² pour une moyenne autour de 10 m² de superficie. Pour ces raisons, je préfère suggérer que ces accessoires de cuisson avaient un emplacement dédié dans l’organisation spatiale de la maison. Si l’on s’en tient aux plaques qui portent des traces de feu, on peut leur restituer une fonction complémentaire aux foyers ouverts, reconnus le plus souvent à l’extérieur des bâtiments. Elles apparaissent ainsi comme des substituts des foyers ouverts adaptés à l’intérieur des maisons et fonctionnent vraisemblablement avec des braises. De ce fait, elles présentent une équivalence de fonction avec les soles foyères retrouvées dans les maisons de même époque du Midi de la France.

Par déduction logique, il apparaît que ces plaques signalent la présence de foyer domestiques et deviennent un jalon très intéressant pour apprécier le nombre de « feux » existants sur un site, selon l’expression médiévale consacrée. Leur répartition sur les sites ruraux connus pour les Ve et IVe siècles avant notre ère en Limagne d’Auvergne est compatible avec cette hypothèse.

Dans la même foulée, leur évolution quantitative presque exponentielle observée dès la première moitié du IIIe siècle confirme bien les données amassées par ailleurs concernant la fondation de ce que l’Antiquité elle-même appelait une ville : un site où la population s’agglomère. Les multiples fragments rejetés sur le chemin 8 du site d’Aulnat (fouille de John Collis) et la concentration de ces plaques sur l’empierrement fouillé par Robert Périchon prouvent un nombre de foyers domestiques sans commune mesure par rapport à ce qui était connu antérieurement dans les campagnes.

Bibliographie

Duny et alii 2015

Duny (A.). – De l’âge du Bronze à La Tène finale en Limagne : une occupation protohistorique pérenne sur le site de la ZAC des Trois Fées (Cébazat, Puy-de-Dôme), rapport final d’opération de fouille archéologique, Ophis Puy-de-Dôme, Mosaïques Archéologie/SRA Auvergne, 2015, 3 volumes.

Hatt 1942

Hatt (J.-J). – Découverte d’un village gaulois de La Tène III au terroir de Fontvieille, sur l’emplacement de la base aérienne d’Aulnat-Sud (Puy-de-Dôme), Bulletin Historique et Scientifique de l’Auvergne, LXII, 1942, p. 36-48.

MennessierJouannet et Deberge 2017

Mennessier-Jouannet (Ch.), Deberge (Y.). – Chronologie du mobilier archéologique du second âge du Fer en Auvergne, 65esupplément de la R.A.C.F, 655 p., 490 fig.

Périchon, Vichy 1967

Périchon (R.), Vichy (M.). – Note de céramologie : les plaques de foyer, dans Revue Archéologique du Centre de la France, 6, 1967, p. 311-316.

Poucher 1995

Poucher (Z.). – A study of plaque de foyer from Aulnat-Gandaillat and Le Patural, two Iron Age sites located in the Auvergne region of France, Sheffield, Université de Sheffield, 1995, 74 p. Document inédit: archives de l’Arafa.

Annexes

Figure 5 : exemples de plaques de cuisson. Fiche technique.
A1 : face inférieure régulièrement égalisée et fragment de la face supérieure avec lissage ;
A2 : face inférieure avec traitement plus irrégulier et empreintes d’éléments sableux ;
B1, B2 et B3 : coupe, angle avec rebord et face inférieure régulièrement égalisée d’une même plaque ; C : fragment de plaque de cuisson décorée avec traces de feu et présence de cendres agglomérées. Document C. Mennessier-Jouannet
Figure 5 : exemples de plaques de cuisson. Fiche technique.
A1 : face inférieure régulièrement égalisée et fragment de la face supérieure avec lissage ;
A2 : face inférieure avec traitement plus irrégulier et empreintes d’éléments sableux ;
B1, B2 et B3 : coupe, angle avec rebord et face inférieure régulièrement égalisée d’une même plaque ; C : fragment de plaque de cuisson décorée avec traces de feu et présence de cendres agglomérées. Document C. Mennessier-Jouannet

Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Monument funéraire ou plate-forme de crémation ?

Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Monument funéraire ou plate-forme de crémation ? : publié dans les Chroniques ARAFA n° 2 – 2023

Lionel Izac-Imbert

Le tumulus de Celles découvert en 1902 à Neussargues (Cantal) par Jean Pagès-Allary, pose – depuis sa découverte – un certain nombre de questionnements quant à sa fonction exacte.

La fouille a été menée de manière assez méthodique, les publications ou les archives1 permettent de disposer d’une documentation de qualité. Les données disponibles ont été re-questionnées dans la cadre d’une opération de reprise des travaux de terrain en 2000.

Les problématiques principales touchaient principalement à la question chronologique, à l’identification du processus de crémation ou à des données architecturales.

I – Les données de la fouille ancienne : une tombe à incinération sous tumulus d’un « notable arverne » ?

Joseph Déchelette imagine le processus de crémation1 dès la publication dans l’Anthropologie2. On dispose de sa description : à la base blocs de basalte arrondis, recouverts de pierres plates (phonolithe) sur lesquelles repose une couche de cendre mélangée de charbons. Au-dessus de ce lit se trouve une couche d’argile non cuite qui supporte des pierres plates (phonolithe) formant toiture. Le tout est caché par de l’éboulis et de la terre arable sur laquelle s’est développée la végétation actuelle (chêne). […] La voûte du tumulus s’est effondrée sous l’action des agents extérieurs : racines des arbres et eaux d’infiltration. […] De forme ovoïde, les dimensions du tumulus sont : grand axe 25 mètres, petit axe 20 mètres, hauteur au centre 1m,80.3

Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Figure 1 : vue des fouilles anciennes avec Jean Pagès-Allary, vers 1902. Archives musée d’art et d’archéologie d’Aurillac
Figure 1 : vue des fouilles anciennes avec Jean Pagès-Allary, vers 1902. Archives musée d’art et d’archéologie d’Aurillac

De l’examen de cette coupe, il ressort clairement que le cadavre a été incinéré sur le tumulus même, ainsi que cela a été constaté ailleurs, à diverses reprises. La combustion a dû être ici extrêmement intense, car des blocs de basalte sont entrés en fusion, ce qui nécessitait une température de 800 degrés environ. On doit donc admettre que l’incinération n’a pas été opérée à l’aide d’un simple bûcher établi en plein air, mais que le foyer crématoire avait été installé dans une sorte de four muni d’un dispositif quelconque de tirage artificiel. (ibid.).

Un premier inventaire des découvertes1 est établi :

  • fer : lance, bouclier, couteaux, serpette, scies, lime, plane, compas, ciseaux, tranchet, emporte-pièce, gouge, perçoirs à douille, marteaux, poinçons, faucille, boucle rivetée ;
  • bronze : anneaux ;
  • céramique : terrines, vases à liquide, vases ovoïdes peints, fusaïoles et pesons de métier à tisser ;
  • lithique : moulin à bras en basalte, fragments de gneiss poli, silex et pierres à affûter.

Déchelette donne des comparaisons avec La Tène, Bibracte ou Stradonice et conclut : travail du bois et peut être aussi celui du cuir. Il propose une datation à La Tène III, à une époque peu antérieure à la conquête romaine. Pagès-Allary attribue la panoplie d’outils à un sellier bourrelier de l’époque gauloise2. Jean-Paul Guillaumet (CNRS)3 privilégie l’hypothèse du travail des matières dures animales.

Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Figure 2 : exemple d’outillage en fer découvert en 1902. DAO : J. Jouannet, d’après une illustration de J.-P. Guillaumet 

Figure 2 : exemple d’outillage en fer découvert en 1902. DAO : J. Jouannet, d’après une illustration de J.-P. Guillaumet 

II – Une architecture funéraire ?

La reprise de travaux de terrain, à partir de 20011, lève le voile sur certaines incertitudes.

L’analyse de la topographie confirme la présence d’un dôme naturel en pied de falaise, dans l’axe menant de la vallée de l’Alagnon en direction du plateau du Cézallier, dont les concepteurs ont tiré profit pour mettre en relief le monument.

L’édification, entre la fin du Ve s. et le début du IVe s. av. J.-C., se caractérise par l’architecture de pierres sèches soignée de la plate-forme centrale qui adopte une forme rectangulaire (11,20 m. x 12,55 m. x 0,95 m. conservés). Les fondations sont ajustées à l’aide de blocs de grand gabarit. Au Nord, une carrière de ballastière l’a détruit.

Elle est dotée d’une chape horizontale de blocs qui a subi l’action du feu avec de nombreux fragments d’argile brûlée. Elle a fourni la majorité des objets (vases, éléments d’armement, panoplie d’outils en fer, une meule rotative). Cette phase est datée par la céramique et la panoplie guerrière du IIIe s. av. J.-C.

On note une plateforme de taille plus réduite (6 m. x 2,15 m. x 0,98 m.) conservée au sud, au pied de laquelle deux objets en fer ont été découverts : un poinçon à cuir et une broche à rôtir2 dont le bon état de conservation trahit un passage au feu.

Enfin, une plateforme inférieure prend la forme d’un arc de cercle (16,40 m. x 1,95 m. x 1,15 m.) en guise de structure périphérique de circulation.

Pagés-Allary mentionne des fragments d’ivoire brûlé3 mais ces éléments n’ont pas été conservés. Toutefois, l’interprétation comme lieu de cérémonie funèbre s’accorde avec la mise en place d’un bûcher qui se surimpose à un monument plus ancien.

Le statut du défunt incinéré, inscrit entre sphère guerrière et artisanale, évoque le domaine de la vénerie qui s’accorde bien avec l’assemblage de mobilier mis au jour au sein du tumulus de Celles.

Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Figure 3 : plan général du monument. Relevé : Magali Cabarrou 

Figure 3 : plan général du monument. Relevé : Magali Cabarrou 
Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Figure 4 : schéma interprétatif. Document: L. Izac

Figure 4 : schéma interprétatif. Document: L. Izac

III – Une plateforme de crémation ?

Lors des fouilles anciennes la mention de blocs de « torchis brûlés » avait été notée en grande quantité notamment à la base et dans l’environnement immédiat des dépôts d’objets mis au jour en 1902.

Une analyse des nombreux éléments mis au jour lors de la reprise de la fouille a été confiée à Claire-Anne de Chazelles (CNRS).

Tous les fragments recueillis appartiennent à un matériau préparé à base de terre et d’eau, avec un possible ajout de fibres végétales. La présence récurrente d’une surface grossièrement modelée confirme que ce matériau a été utilisé à l’état plastique, étendu puis régularisé manuellement.

En corrélant les informations relatives à ce matériau et celles qui témoignent de son support, et en écartant diverses possibilités habituellement envisagées à l’issue d’une étude de ce type de vestiges, une seule proposition peut être avancée.

D’une part, le matériau très dense, lourd en raison de la faible proportion de fibres végétales et au contraire de la forte présence de grains et petits graviers minéraux, n’est pas du tout adapté à la réalisation de structures verticales sur armature de clayonnage et encore moins au revêtement de panneaux pleins en bois.

D’autre part, la rareté des négatifs de petites branches et particulièrement d’éléments croisés confirme cette impression. Quant aux empreintes de grosses branches écorcées, elles sont le plus souvent isolées bien qu’il existe quelques exemples montrant leur association avec des branches plus fines ou refendues. Enfin, les négatifs anguleux, de même que les formes plutôt prismatiques des fragments, correspondent bien à l’hypothèse d’empreintes de pierres et de cailloux.

Le fait que les surfaces lissées manuellement soient fréquemment en relation avec une face perpendiculaire, soit plane mais irrégulière soit conservant le négatif d’une grosse branche, indique que le matériau a par endroits été appliqué contre une « bordure » qui a permis de le contenir tout en respectant un niveau.

L’hypothèse la plus vraisemblable consiste à interpréter ces fragments comme les vestiges d’une chape horizontale, d’une épaisseur moyenne de 6 à 10 cm, recouvrant un radier de moellons et de cailloux assez serrés. Selon cette interprétation, le matériau plastique se serait insinué entre les blocs avant de pouvoir former une couche superficielle assez épaisse. Les traces de branches pourraient correspondre à la bordure évoquée et les empreintes de branches plus fines à d’éventuels éléments servant d’entretoises pour maintenir un cadre, par exemple, dans lequel le matériau serait contenu. Les faces planes irrégulières pourraient pour leur part attester aussi la présence de blocs participant à la contention du matériau humide ou simplement témoigner de son infiltration entre les pierres du radier.

La cuisson très poussée du matériau est une question cruciale qui conditionne l’interprétation non seulement de la chape mais de la structure entière. Les données semblent montrer que ce revêtement complétait l’aménagement de la partie sommitale du monument en pierres et rien n’indique, objectivement, qu’il ait été recouvert par des structures en bois. Cela dit, on ne peut pas faire l’économie de cette possibilité dans la mesure où le sommet de la construction n’a pas été retrouvé en place, privant ainsi les archéologues de précieuses indications. Il est probable que l’incendie de superstructures en bois d’une certaine importance aurait pu favoriser la cuisson de la chape à l’égal d’une sole de four. Pour expliquer ce degré de cuisson et, bizarrement, l’absence de gradient depuis la surface vers le bas de la chape, il convient d’envisager deux solutions : soit des feux nombreux et répétés, se répartissant sur toute l’aire sommitale, soit un feu gigantesque et maintenu en activité pendant un certain temps.

Conclusion

L’ensemble de ces résultats invite donc à envisager une voie d’explication du monument en tant que plateforme architecturée ayant accueilli un processus de crémation puis de dépôts funéraires. Objet d’étude singulier ce dispositif particulier s’intègre donc dans une série de monuments funéraires et para-funéraires protohistoriques encore mal documentés et dont l’originalité tient notamment au soin apporté à son architecture monumentale.

Bibliographie

Guillaumet 1983

Guillaumet (J.-P.). – Le matériel du tumulus de Celles (Cantal), in Collis J., Duval A., Périchon R. (éd.). Le deuxième âge du Fer en Auvergne et en Forez et ses relations avec les régions voisines. 4e colloque régional annuel consacré à l’âge du Fer en France non-méditerranéenne, Clermont-Ferrand, 1980, Université de Sheffield ; Centre d’études foréziennes, p. 189-211, 17 fig., 1 pl. h.t. (IV b), 1983

PagèsAllary 1905

Pagès-Allary (J.). – Nouvelles observations sur le tumulus de Celles (Cantal), L’Anthropologie, t. XVI, 1905. Paris: Masson, 1905, p. 117-118.

PagèsAllary, Déchelette, Lauby 1903

Pagès-Allary (J.), Déchelette (J.), Lauby (A.). – Le Tumulus arverne de Celles, près Neussargues (Cantal), L’Anthropologie, 14, 1903, p. 35‑416

1 Opérations de relevés, sondages, fouille programmée autorisées par la Direction régionale des affaires culturelles d’Auvergne, service régional de l’archéologie, avec le soutien de la Fédération des associations archéologiques du Cantal et de l’Association pour la Recherche sur l’Age du Fer en Auvergne.

2 Cet objet peut être également identifié comme manche de simpulum ou tisonnier.

3 Les premiers croquis font apparaître des os longs (fémur ?). (ibid.)

1 Le mobilier a fait l’objet d’un don au musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) en juillet 1905 suite à une exposition au musée du Petit Palais à Paris.

2 Pagès-Allary 1905.

3 Guillaumet 1983.

2 Pagés-Allary, Déchelette, Lauby 1903.

3 Original, archives musée d’art et d’archéologie d’Aurillac.

1 Archives du Musée de d’Art et d’Archéologie d’Aurillac, du Musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, du musée de la Haute-Auvergne de Saint-Flour.

L’occupation du sol dans le massif du Cézallier à l’âge du Bronze et au 1er âge du Fer

L’occupation du sol dans le massif du Cézallier à l’âge du Bronze et au 1er âge du Fer : publié dans les Chroniques ARAFA n° 2 – 2023

Fabien Delrieu

Le versant oriental du massif du Cézallier possède plusieurs nécropoles tumulaires ayant bénéficié de fouilles récentes et donc d’une documentation de qualité (Lair, La Pénide ou encore La Croix de Baptiste). De plus une demi-douzaine de sites de hauteur protohistoriques, généralement fortifiés, sont également localisés dans la même fenêtre. La majorité d’entre eux a bénéficié de relevés topographiques récents, et pour certains, de sondages et de fouilles qui ont révélé de manière récurrente la présence d’occupations attribuables au IXème S. av. J.-C. Enfin quelques sites d’habitats non fortifiés et ouverts complètent le panel des sites protohistoriques dans cet espace. Un programme de recherche, en cours, permet de recenser, de cartographier l’ensemble de ces structures attribuables le plus souvent à l’âge du Bronze et dont certaines font par la suite l’objet de sondages puis de fouille. Enfin, ce secteur présente aussi de nombreuses zones humides (lacs, tourbières) à proximité immédiate des sites protohistoriques. L’étude (en cours) des séquences de sédiments enregistrées dans ces milieux humides permet d’élargir les données sur l’anthropisation locale et l’évolution des paysages.

Le plateau volcanique qui s’étend de la vallée de l’Alagnon, à l’est, aux plus hautes terres du massif du Cézallier, à l’ouest, prend la forme d’un vaste plan incliné de 15 kilomètres de long environ permettant, sans pendage marqué, de passer de 700 mètres d’altitude à plus de 1300 mètres à l’entrée des hautes terres constituant le centre du massif.

Ce plateau à la faible déclivité est jalonné, sur toute sa longueur, par des groupes de tumulus constituant des alignements continus (fig. 1). Les données collectées lors des fouilles des nécropoles de Lair puis de la Croix de Baptiste attestent un fonctionnement de ces ensembles funéraires se développant entre le XVIIIème et le Vème S. av. J.-C.

L’implantation de ces groupes de tumulus correspond de manière intime aux voies de circulation naturelles permettant l’accès aux hautes terres depuis les vallées adjacentes. La présence d’un milieu ouvert, avec une forte présence des graminées, dans ces zones dès le début de l’âge du Bronze et durant toute la séquence de fonctionnement des nécropoles tumulaires permet d’envisager la mise en place d’une importante activité de transhumance se développant pendant toute ou partie de l’âge du Bronze et du 1er âge du Fer.

Figure 1 : Cartographie des tumulus protohistoriques relevés sur le plateau de Molèdes/Laurie (DAO F. Muller)
Figure 1 : Cartographie des tumulus protohistoriques relevés sur le plateau de Molèdes/Laurie (DAO F. Muller)

Les données concernant l’âge du Bronze et le début du 1er âge du Fer sur le versant oriental du massif du Cézallier sont toujours en cours d’acquisition. Elles vont venir encore affiner la compréhension des modes d’occupation de cette moyenne montagne volcanique pour ces séquences chronologiques. Cependant, un certain nombre de constats peuvent déjà être posés et plusieurs pistes de réflexion se sont faites jour, elles devront être poursuivies :

  • Une importante activité de transhumance a pu se développer dès le XVIIIème S. av. J.-C. sur ce versant et perdurer jusqu’à la fin du Vème S. av. J.-C.
  • Les troupeaux pouvaient être acheminés dans les estives du centre du massif en utilisant des voies de plateaux jalonnées de nécropoles tumulaires. Ces dernières fonctionnent sur le temps long (au moins 13 siècles).
  • De manière générale, la circulation des hommes et des troupeaux à l’âge du Bronze dans ce secteur semble privilégier les cheminements sur les plateaux de faible déclivité plutôt que dans les fonds de vallées, étroits et très encaissés.
  • Les périodes représentées de manière systématique sur les sites de hauteur comme le IXème S. av. J.-C. ou plus tard le Hallstatt final sont, pour l’heure, absentes ou très peu représentées au sein des nécropoles tumulaires.
  • L’inverse se vérifie également et semble indiquer que les hautes terres ont été occupées en continu mais selon des schémas différents suivant les périodes. Semblent alterner d’importantes séquences d’habitats saisonnier liés à la transhumance et la mise en place d’habitats fortifiés permanents comme au IXème S. av. J.-C.
  • À la fin du IXème S. av. J.-C. on note un abandon généralisé des sites d’habitats fortifiés couplé à une érosion marquée des sols. Il est probable que ces éléments, liés à la grande péjoration climatique qui touche l’ouest de l’Europe, marque la reprise potentielle de cette importante activité de transhumance. Cet état de fait semble attesté par la présence d’inhumations à épées au sein de ces nécropoles tumulaires au début du VIIème S. av. J.-C. Cette évolution semble marquer la réactivation de ces axes desservant les hautes terres du centre du massif.
Figure 2 : Cliché d’un des tumulus les plus volumineux du versant oriental du massif du Cézallier localisé sur le sommet du Charouliac à Laurie (Cliché : F. Delrieu)
Figure 2 : Cliché d’un des tumulus les plus volumineux du versant oriental du massif du Cézallier localisé sur le sommet du Charouliac à Laurie (Cliché : F. Delrieu)

La question des exploitations minières protohistoriques dans le Cantal : tour d’horizon du potentiel en minerais et des données archéologiques disponibles

La question des exploitations minières protohistoriques dans le Cantal : tour d’horizon du potentiel en minerais et des données archéologiques disponibles : publié dans les Chroniques ARAFA n° 2 – 2023

Florie-Anne Auxerre-Géron

I – Introduction

Le Massif central possède de nombreux gisements de minerais métallifères, notamment les principaux métaux exploités dès la Protohistoire comme l’or, l’argent, le cuivre, l’étain, mais également le plomb et le fer. Les gisements peuvent prendre plusieurs formes : il peut s’agir de gîte dit primaire, c’est-à-dire que le minerai se trouve dans des filons en place dans la roche, ou bien il peut s’agir de dépôt secondaire en alluvions, colluvions ou placers (Cauuet 2013, p. 74 ; Hubert et Abraham 2018, p. 32). Pour le département du Cantal en particulier, le potentiel minéralogique est bien réel, mais rares sont les indices qui permettent aujourd’hui de dater les travaux miniers anciens recensés aujourd’hui sur le territoire (fig. 1). Les données disponibles indiquent qu’une extraction de l’or mais aussi de l’argent a existé dans certains districts à la fin de la période gauloise, mais il reste encore un important travail de recherche à mener.

Figure 1 : Les principaux districts métallifères du Cantal et les sites mentionnés dans le texte. CAO F.-A. Auxerre-Géron, d’après les données issues de Cauuet 2013, Cauuet 2018, Hubert et Cauuet 2015
Figure 1 : Les principaux districts métallifères du Cantal et les sites mentionnés dans le texte. CAO F.-A. Auxerre-Géron, d’après les données issues de Cauuet 2013, Cauuet 2018, Hubert et Cauuet 2015

I – En rive gauche de la Dordogne, entre Cantal et Puy-de-Dôme : le district de Labessette et Beaulieu

Dans cette commune puydomoise, limitrophe de la Corrèze et du Cantal, un vaste complexe minier a été repéré dès 1900 par un ingénieur des mines, Joseph Demarty. Plusieurs fosses et tranchées ont alors été relevées, sur un site appelé localement « Camp Romain » ou « Camp de César » (Demarty 1907). Rapidement, ces vestiges ont été identifiés comme étant des traces d’exploitations anciennes, et des aménagements liés à des opérations de lavage ont également été repérés. Joseph Demarty supposait alors que le minerai extrait devait être l’or ou l’étain (ibid., p. 165). Ayant eu l’autorisation de la mairie de procéder à des fouilles, Joseph Demarty a pu ouvrir 3 m², tamisant les sédiments, et récoltant beaucoup de mobilier attestant d’une implantation gallo-romaine. À ce mobilier s’ajoute également des tessons de céramiques noires attribuées à l’« Époque Marnienne » (ce qui correspondrait au début du Second âge du Fer), ainsi que des morceaux de fer et de grandes quantités de charbons de bois (ibid., p. 165-166). Ajoutons qu’il mentionne également la découverte non loin du site d’« une épée à lame de fer et à poignée en cuivre sans garde », qu’il attribue, d’après une description orale, au Premier âge du Fer. Après examen des descriptions des aménagements de bois mis au jour (fig. 2), Élodie Hubert propose d’interpréter ces vestiges comme un boisage complexe avec cadres en chantier vertical (Hubert 2011, p. 46), semblable à ce que Béatrice Cauuet a pu observer à la mine de La Fagassière (Cauuet 2004, p. 57-59), et qui a pu être daté de La Tène moyenne et finale. Toutefois, à partir des dessins disponibles, qui présentent des pièces de bois bien droites et écorcées, le doute subsiste sur cette attribution chronologique. En 1997, Béatrice Cauuet a pu prospecter les environs de Labessette (ainsi que les communes environnantes) et inventorier douze sites, le « Camp de César » inclus, pour un total de 26 aurières.

Figure 2 : Relevés des boisages mis au jour par J. Demarty lors de l’exploration des travaux miniers anciens de Labessette (Puy-de-Dôme ; issu de Demarty 1907, p. 84)

Figure 2 : Relevés des boisages mis au jour par J. Demarty lors de l’exploration des travaux miniers anciens de Labessette (Puy-de-Dôme ; issu de Demarty 1907, p. 84)

Signalons au passage que d’autres opérations de prospections, côté corrézien, menées par Matthieu Boussicault, ont d’ailleurs permis d’esquisser un district plus large, s’étendant de l’autre côté de la Dordogne. À Labessette, Béatrice Cauuet a également récolté de la céramique datée de La Tène finale (écuelle à bord rentrant, gobelet à bord droit, pot globulaire ; Cauuet 1997, p. 90 ; Cauuet 2013, p. 88). Ces travaux miniers ne sont donc pas pour l’instant datés d’une manière certaine par la fouille, mais le mobilier récolté en prospections, mentionné par les sources anciennes, ainsi que les différentes observations et comparaisons effectuées laissent entrevoir des aurières exploitées au moins à la fin de la période gauloise.

II – Le nord-est du Cantal : un potentiel qui reste à mesurer et une exploitation à la fin de la Protohistoire.

Dans le nord-est du département, une intense activité minière au XIXᵉ et au début du XXᵉ siècle (exploitation de l’antimoine), a été possible grâce aux nombreux gisements de mispickels, de galène (Molèdes) et de plomb argentifère (Massiac). Certains gisements de mispickels sont aurifères, comme à Bonnac, dans lequel Jean Pagès-Allary estime un potentiel de 6 à 10 g d’or par tonne (Audollent 1911). Ce secteur couvre donc essentiellement les basses vallées de la Sianne et de l’Alagnon : en effet, entre Cantal et Haute-Loire s’étendent des collines cristallines où de nombreux filons métallifères affleurent, notamment grâce aux nombreuses vallées encaissées qui découpent le relief. Parmi ces vallées, la vallée de la Fontaine-Salée, où affleure le filon d’antimoine et d’argent dit « des Anglais » ou « des Mineyres », a livré des éléments concrets puisque des fouilles ont pu y être effectuées au milieu des années 1970. En effet, à la suite de sondages positifs établis par le BRGM et dans la perspective d’une exploitation, des engins de terrassement mirent au jour une ancienne construction, en rive gauche de la rivière (Tixier 1986, p. 9). Une fouille de sauvetage sommaire fut lancée, et ces vestiges furent interprétés comme une sorte d’hypocauste, aménagé pour le traitement des minerais (du minerai grillé fut d’ailleurs découvert dans le remplissage de l’hypocauste ; ibid., p. 11). Une aire de lavage a également été identifiée en surface. Les explorations souterraines du BRGM ont aussi permis de mettre au jour d’anciennes galeries ainsi que des puits conservant encore leurs boisages, que Luc Tixier put observer et relever en 1976 et 1977. Une datation 14C effectuée sur un des bois donne la fourchette de 1850 BP ± 100, c’est-à-dire entre – 30 et 50 de notre ère (ibid., p. 13 ; Cauuet 2018, p. 198), plaçant donc cette principale phase d’exploitation au début de la période gallo-romaine. Le mobilier recueilli aux abords du four et en amont du site confirme cette attribution, mais des céramiques de la fin du 2nd âge du Fer ont également été découvertes (Vinatié 1986, p. 17).

À la frontière entre la Haute-Loire et le Cantal, sur la commune d’Ally, la mine d’argent de La Rodde (plomb argentifère) a été exploitée notamment au cours des périodes antique et médiévale, et reprise au XIXe et XXe siècle (Cauuet 2018, p. 198). Au cours de fouilles menées entre 1993 et 1998, Christian Vialaron a pu prélever des boisages et des charbons qui ont été datés par 14C, ce qui a permis de mettre en évidence des périodes d’exploitation plus anciennes (Vialaron 2016). Une datation réalisée sur des charbons de bois, localisés en bas d’une stratigraphie importante, a notamment révélé que des travaux ont été réalisés au cours du Premier âge du Fer (fourchette chronologique comprise entre 769 et 416 avant notre ère). L’exploitation avait alors été effectuée grâce à des chantiers à ciel ouvert, qui ont formé une tranchée large et profonde (jusqu’à 8 m de profondeur). Une autre phase d’exploitation, prenant alors la forme de travaux souterrains, est attribuée à la période comprise entre le IIIe siècle avant notre ère et le Ier siècle de notre ère, sur la base de datations radiocarbones réalisées également sur des boisages de puits et des charbons. En outre, du mobilier céramique a permis d’attester que ces travaux ont pu perdurer au début de la période antique.

En plus des informations fournies par les sites miniers eux-mêmes, il faut noter la présence dans le secteur d’un exceptionnel dépôt de monnaies et de bracelets d’argent, découvert au « Suc de la Pèze » à La Chapelle-Laurent, non loin de Massiac. En effet, sa similarité avec certains dépôts du territoire rutène localisés dans des zones de contacts en Rutènes et Cadurques (Gruat et Izac-Imbert 2002, p. 77), et surtout, dans des districts miniers, laisse envisager que nous avons affaire à une pratique comparable, étroitement liée à un contexte minier. Pour terminer, un autre élément matériel est à noter : il s’agit d’un maillet à gorge en roche volcanique, découvert sur le plateau de « Chalet » à Massiac, outil notamment utilisé pour des activités d’extraction (Tissidre et Baillargeat-Delbos 2015). Un exemplaire similaire a été découvert dans une aurière de Dordogne, sur le site des Fouilloux (Jumilhac), exploité à la fin de la période gauloise (Cauuet 2004, p. 29).

III – Le sud-ouest du Cantal : le district minier de Prunet et les apports récents de la recherche

Des travaux récents ont permis de mettre en lumière un autre secteur clé du département pour l’étude des exploitations minières protohistoriques. Ces deux dernières décennies, en Chataigneraie cantalienne, des prospections menées par Philippe Abraham puis par Elodie Hubert (Université de Toulous Jean Jaurès) ont permis de mettre en évidence des mines anciennes, sans doute des aurières étant donnée la géologie du secteur (Cauuet 2013, p. 88 ; Hubert et Cauuet 2015, fig. 12 ; Hubert et Abraham, 2018 p. 35-36). Le district minier qui a été identifié, a été baptisé district de Prunet : il couvre cette commune, mais aussi Lafeuillade-en-Vézie et Lacapelle-del-Fraisse. L’inventaire réalisé par ces deux chercheurs, qui a pu aussi être alimenté par l’étude de relevés Lidar, montre un secteur très dense en vestiges, attestant principalement d’exploitations en roche à ciel ouvert, mais aussi de la présence de chantiers miniers sur gisements secondaires, c’est-à-dire ouverts dans des dépôts détritiques. Ces vestiges sont des fosses, le plus souvent alignées, de tailles variables, mais globalement de plus petite taille que celles connues en pays Lémovice. Cette différence notoire pourrait avoir deux explications : les filons exploités dans le district de Prunet sont en effet moins importants que ceux disponibles en Limousin, notamment moins puissants. Autre possibilité également, il a été mis en évidence en Limousin qu’il y avait un rapport entre la taille des fosses et les périodes d’exploitation, les plus petites étant datées du début du 2nd âge du Fer (Hubert et Abraham 2018 p. 42). Si la typologie de ces vestiges permet sans trop de risque de les dater de la fin de la Protohistoire, notamment par comparaison avec les exploitations connues en Limousin voisin et documentées par des fouilles, les éléments qui permettent de dater précisément ces sites miniers sont encore très peu nombreux : en effet, même si deux sondages ont pu être menés ces dernières années, ce type de site ne livre pas de mobilier datant, et rares sont les charbons qui permettent une datation. Cependant, à Lacapelle-del-Fraisse, des jalons chronologiques ont pu être posés pour le site du Camp du Puech, sondé en 2018 : une datation sur un charbon mis au jour dans une couche de déblais atteste d’une fréquentation au cours de l’Antiquité, tandis que des charbons découverts en fond de minière et sous le niveau de haldes ciblent les IIe et Ier siècle avant notre ère, attestant d’une activité d’extraction au cours de la période gauloise (informations orales Élodie Hubert).

IV – Les parallèles avec les sites miniers du Limousin et de l’Aveyron

La question des exploitations minières protohistoriques dans le Cantal doit être abordée aussi à la lumière des données obtenues dans les départements voisins ou limitrophes, mieux documentés comme l’Aveyron, la Corrèze et la Haute-Vienne. En territoire Lémovice notamment, les mines protohistoriques sont étudiées depuis le début des années 1980 (travaux de Béatrice Cauuet). C’est d’abord par le biais d’inventaire de vestiges et d’anomalies d’origines anthropiques souvent détectés par des géologues qu’ont commencé les recherches sur ces travaux, mais aussi par une étude minutieuse des toponymes : ainsi si certains évoquent clairement la présence d’or (Aurière, Laurière etc.), d’autres peuvent indiquer la présence d’anomalie de terrain (Cros, Crose, Croze, etc., dérivés du mot « creux » en occitan, Suquet ou Tuquet, dérivés du mot « tertre ») ou les animaux fouisseurs particulièrement attirés par les déblais (Trou du Loup, Trou du renard, Renardière, Tessonière et ses dérivés, « tesson » signifiant blaireau). Les premières fouilles archéologiques permirent rapidement de déterminer que ces mines, notamment celles du district de Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne), ont été exploitées tout au long du Second âge du Fer. À l’heure actuelle, il est établi que l’activité minière se développe dès la fin du Premier âge du Fer (les exploitations sont alors à ciel ouvert, limitées à 10 m de profondeur ; Cauuet 2013, p. 94), avant de s’intensifier à la période gauloise. Certains sites ont également livré des vestiges de l’âge du Bronze, notamment de la phase moyenne ou de la toute fin du Bronze final, ce qui suggère des épisodes d’exploitations plus anciens. Les fouilles ont également permis de documenter des aménagements annexes : ateliers de traitement mécanique (concassage, broyage à l’aide de tables en pierre, de mortiers), ateliers de lavage (différents chenaux, bassins et citernes creusés). La phase finale de la chaîne opératoire a également pu être documentée grâce à la découverte de petits creusets aux parois vitrifiées (ibid., p. 94-95). Notons enfin que des espaces d’habitats liés à ces mines ont aussi été fouillés, attestant qu’une communauté entière se consacrait à cette activité, et ce sur plusieurs générations et d’une manière permanente.

Outre l’exploitation de l’or, l’existence de mines d’argent dans les départements voisins du Cantal est aussi documentée pour la période protohistorique : dans le nord-ouest du département de l’Aveyron, de nombreuses mines de plomb argentifères ont été repérées le long de la faille de Villefranche-de-Rouergue, ainsi que des gisements d’étain à l’Ouest de Laguiole (ibid., p. 89 et 92). En ce qui concerne les stannières, Philippe Abraham a documenté des dépôts sablonneux minéralisés exploités par des petits chantiers de lavage d’alluvion (fosses ou tranchées) et le mode opératoire a pu être mis en lumière, notamment grâce à des analyses géochimiques qui ont permis de localiser les aires de préparations mécaniques aux mines de « La Boule » et de « Grandval » (Abraham 2000). Des datations 14C ont permis d’apporter les premiers jalons chronologiques de ces exploitations. Une datation calibrée atteste ainsi d’une phase d’activité dès le Bronze final (1390-1025 avant notre ère), et plusieurs dates pointent l’ensemble de l’âge du Fer (Cauuet 2013, p. 89).

V – Conclusion

L’objectif de cet article était de présenter un tour d’horizon du potentiel en minerais dans le Cantal. Ce dernier est réel, et nous avons pu voir que le département est riche de gisements aurifères et argentifères, à l’image de bon nombre de département du Massif central. Quant aux données archéologiques aujourd’hui disponibles, il faut souligner qu’elles étaient encore bien maigres il y a encore 10 ans, mais qu’une nouvelle dynamique de recherche a été enclenchée, livrant déjà son lot de données inédites permettant de revoir la question des exploitations protohistoriques. S’il n’est plus exclu que de l’or mais aussi de l’argent ont pu être extraits du sous-sol cantalien à la fin du Second âge du Fer au moins, il reste encore à déterminer les modalités de ces exploitations, mais aussi l’histoire de ces mines. En effet, dans certains cas, leur genèse est antérieure à l’âge du Fer ; ailleurs elle est attestée au cours du Premier âge du Fer, mais ces travaux anciens sont encore mal connus. Enfin, il reste à définir quelle place ont pu avoir ces productions dans l’économie protohistorique, en particulier dans l’économie arverne.

VI – Bibliographie

Abraham 2000

Abraham (P.). – Les mines d’argent antiques et médiévales du district minier de Kaymar (nord-ouest de l’Aveyron), Gallia, 57, p. 123-127

Audollent 1911

Audollent (A.). – Mines d’or en Auvergne, Revue des Études Anciennes, 13, 2, p. 202

Cauuet 1997

Cauuet (B.). – Prospection-inventaire, les mines d’or des Arvernes, Communes de Bagnols, La Bessette, Cros, Larodde, Tauves et Trémouille Saint Loup, BSR Auvergne 1997, p. 90

Cauuet 2004

Cauuet (B.). – L’or des Celtes du Limousin, Ed. Culture et Patrimoine en Limousin, Limoges, 124 p.

Cauuet 2013

Cauuet (B.). – Les ressources métallifères du Massif central à l’âge du Fer, in Verger (S.), Pernet (L.) dir., Une Odyssée gauloise. Parures féminines à l’origine des premiers échanges entre la Grèce et la Gaule, Arles, Errance, p. 86-95

Cauuet 2018

Cauuet (B.). – Sources et productions d’argent en Gaule aux âges du Fer, in Hiriart (E.),Genechesi (J.), Cicolani (V.), Martin (S.), Nieto-Pelletier (S.), Olmer (F.) dir., Monnaies et archéologie en Europe celtique. Mélanges en l’honneur de Katherine Gruel. Glux-en-Glenne, Bibracte 29, p. 195-204

Demarty 1907

Demarty (J.). – Les mines de Labessette (Puy-de-Dôme), exploitations gauloises et gallo-romaines, Revue d’Auvergne, 1, Janvier-Février 1907, Clermont-Ferrand, p. 161-170

Gruat et Izac-Imbert 2002

Gruat (P.), Izac-Imbert (L.). – Le territoire des Rutènes : fonctionnement et dynamiques territoriales aux deux derniers siècles avant notre ère, in Garcia (D.),Verdin (F.) dir., Territoires celtiques. Espaces ethniques et territoires des agglomérations protohistoriques d’Europe occidentale, Paris, Errance, p. 66-87.

Hubert 2011

Hubert (E.). – Les mines d’or des Arvernes. État de la question, mémoire de Master 1 d’Archéologie, Université Toulouse Le Mirail, 83 p.

Hubert 2013

Hubert (E.). – L’or et la puissance des Arvernes. Définition de districts miniers aurifères à l’Ouest du Puy-de-Dôme, mémoire de Master 2 d’Archéologie, Université Toulouse Le Mirail, 164 p.

Hubert et Abraham 2018

Hubert (E.), Abraham (P.). – Les aurières du district de Prunet (sud d’Aurillac, Cantal), Revue de la Haute-Auvergne, t. 80, vol.1, p. 31-48.

Hubert et Cauuet 2015

Hubert (E.), Cauuet (B.). – Productions d’or chez les Arvernes. État de la question, poster présenté à l’occasion du colloque « l’or de l’âge du Fer en Europe celtique – société, technologie et archéométrie », 11-14 mars 2015, Université Toulouse Jean Jaurès.

Tissidre et Baillargeat-Delbos 2015

Tissidre (M.), Baillargeat-Delbos (C.). – Découverte d’un maillet à gorge du Néolithique, à Chalet (commune de Massiac), R.H.A., t. 77 avril-juin, p. 231-234

Tixier 1986

Tixier (L.). – L’exemple de la Mine des Anglais. L’exploitation minière, in Bril (H.), Watelet (P)., Les richesses du sous-sol en Auvergne et Limousin, ville d’Aurillac, p. 9-14

Vialaron 2016

Vialaron (Ch.). – La mine gauloise de la Rodde d’Ally. Concession pour plomb, argent et antimoine de Freycenet-La Rodde (Haute-Loire), Le Puy-en-Velay, 2016, 152 p.

Vinatié 1986

Vinatié (A.). – Le mobilier archéologique, in Bril (H.), Watelet (P)., Les richesses du sous-sol en Auvergne et Limousin, ville d’Aurillac, p. 15-17

Recherche d’archives paléoenvironnementales à proximité de sites protohistoriques (Nord du Cantal) – Carnet de terrain

Recherche d’archives paléoenvironnementales à proximité de sites protohistoriques (Nord du Cantal) : publié dans les Chroniques ARAFA n° 2 – 2023

Dendievel André-Marie1,2, Delrieu Fabien3,4, Antoine Ludovic2, Duny Anne5, Mennessier-Jouannet Christine6, Simon Catherine2, Surmely Frédéric3,7, Richard Hervé8

I – Introduction

Dans le cadre du Programme Collectif de Recherche (PCR) coordonné par F. Delrieu, des recherches pluridisciplinaires en archéologie et paléoenvironnements sont menées depuis 2018 dans le Nord du Cantal (Delrieu et alii 2019 ; Delrieu et alii 2020 ; Delrieu et alii 2021). Dans le cadre de l’axe « Paléoenvironnements & Paysages Protohistoriques » du PCR, la recherche porte sur l’identification, la caractérisation – notamment à l’aide de datations par le radiocarbone – et l’étude de zones humides ayant accumulé des sédiments remontant à la Protohistoire (âge du Bronze et âge du Fer). Le but de cette recherche est ainsi d’obtenir des « archives naturelles » à proximité immédiate des sites archéologiques pour reconstituer les modalités d’évolution de ces écosystèmes au cours du temps et obtenir des informations précises et locales sur les activités humaines passées et les paysages protohistoriques.

I – Zone d’étude : Nord du Cantal

Pour ce « carnet de terrain », nous proposons une synthèse des résultats obtenus suite aux carottages au niveau de deux fenêtres d’étude (fig. 1) : la « fenêtre Sianne » qui s’étend des sources de la Sianne (rivière) au plateau d’Espalem, et la « fenêtre Sumène » qui encadre la vallée de la Sumène depuis le plateau de Trizac jusqu’au Mont-de-Bélier à Saint-Étienne-de-Chomeil.

Figure 1 : Tourbières et sites archéologiques associés. A) Localisation des fenêtres d’étude sur une carte du relief de l’Auvergne ; B) Profil altitudinal de la « fenêtre Sianne » ; C) Profil altitudinal de la « fenêtre Sumène ». Abréviations : NCP = nécropole, CFL = confluence. Crédit : A.-M. Dendievel, 2020-2023.
Figure 1 : Tourbières et sites archéologiques associés. A) Localisation des fenêtres d’étude sur une carte du relief de l’Auvergne ; B) Profil altitudinal de la « fenêtre Sianne » ; C) Profil altitudinal de la « fenêtre Sumène ». Abréviations : NCP = nécropole, CFL = confluence. Crédit : A.-M. Dendievel, 2020-2023.

Ces deux fenêtres présentent de nombreuses tourbières, c’est-à-dire des zones humides dont le sol saturé en eau (conditions anoxiques) permet l’accumulation de tourbe contenant du pollen et des macro-restes botaniques par exemple. En s’accumulant au cours du temps, ces restes forment de véritables « archives naturelles » idéales pour reconstituer l’évolution des environnements du passé au présent (Cubizolle 2019).

Les fenêtres d’étude ont été choisies car elles présentent des tourbières à proximité immédiate, voir au sein même, de sites de la Protohistoire répartis le long de gradients altitudinaux (cf. fig. 1) :

  • Pour la « fenêtre Sianne », ce gradient s’étage de 1 455 m au niveau de la tourbière des sources de la Sianne, jusqu’à 680 m d’altitude pour la tourbière du Lac Long (aussi connu sous le nom de Lac Lant) sur le plateau de la Pénide, à Espalem.

Au plus haut, les sites archéologiques sont représentés par des « tras » (ensemble d’habitats semi-excavés, souvent alignés en peigne). Il y a aussi de nombreuses nécropoles tumulaires et sites d’habitat aux altitudes intermédiaires (1200 – 900 m) : nécropole de la Croix-de-Baptiste près de la tourbière de Sagne-Gousseau, tumulus de Laurie et sites du Bru ou de la Coharde près du Vern. Plus bas en altitude, le plateau de la Pénide présente un site fortifié occupé durant trois phases (Néolithique moyen, âge du Bronze ancien et final IIIb), ainsi qu’une nécropole tumulaire – actuellement en cours de fouille – dont les éléments de datations renvoient à différentes occupations du Néolithique moyen, de la fin de l’âge du Bronze moyen d’après les datations par le radiocarbone, et du Bronze final IIb-IIIa sur la base du rare mobilier recueilli (Dendievel et alii 2020).

  • Pour la « fenêtre Sumène », ce gradient s’étage de 1 100 m (tourbière de Tronque, Plateau de Trizac) à 719 m d’altitude (tourbière de Chastel-Marlhac). Ici aussi, les sites archéologiques sont omniprésents avec des tras en altitude, des nécropoles tumulaires (plateaux de Trizac et de Saint-Étienne-de-Chomeil) et des sites de hauteur (Chastel-Marlhac, Rochemur).

II – Méthodologie suivie

Pour étudier les archives sédimentaires, nous avons utilisé une méthodologie s’appuyant à la fois sur une approche géohistorique, sur un travail de terrain précis et des analyses en laboratoire (voir la démarche en détail dans Dendievelet alii 2020).

En bref, l’approche géohistorique est la 1ʳᵉ étape qui consiste à dépouiller différents documents afin d’identifier des zones humides ayant accumulé des sédiments sur le long terme. Elle s’appuie sur l’étude des cartes et plans anciens, notamment le « Cadastre Napoléonien » et les cartes topographiques de l’IGN depuis le début du XXe siècle. Ces documents sont accessibles aux archives départementales (par exemple, celles du Cantal : https://archives.cantal.fr/rechercher/cadastre-et-archives-foncieres/cadastre-napoleonien) et sur le Géoportail (http://www.geoportail.gouv.fr).

Figure 2 : A) Sondage à la barre dans la tourbière de Mérigot (Crédit : L. Antoine, 2020) ; B) Carottier russe utilisé dans la « fenêtre Sumène » (Crédit : A.-M. Dendievel, 2019).

Une fois l’intérêt de la zone humide confirmée, l’étape 2 a lieu sur le terrain. Le sondage à la barre permet d’estimer l’épaisseur des sédiments en enfonçant une tige filetée graduée (fig. 2a). Cette technique donne une information qualitative sur l’épaisseur et le type de sédiment (argile, tourbe, sables).

Les informations sont géoréférencées à l’aide d’un GPS différentiel afin d’implanter le point de carottage dans la zone la plus profonde (étape 3). Le carottage est alors réalisé en utilisant un carottier manuel (fig. 2b).

Les sédiments sont décrits sur le terrain en fonction du degré de décomposition de la matière organique, de leur texture et de leur couleur. Les carottes de sédiments sont ensuite conservées en chambre froide en vue de leur étude.

Figure 2 : A) Sondage à la barre dans la tourbière de Mérigot (Crédit : L. Antoine, 2020) ; B) Carottier russe utilisé dans la « fenêtre Sumène » (Crédit : A.-M. Dendievel, 2019).

Enfin, l’étape 4 se déroule en laboratoire avec les datations par le radiocarbone (14C) et l’analyse du taux d’aimantation des sédiments (susceptibilité magnétique). Les datations ont été effectuées par accélérateur de spectrométrie de masse (AMS) sur des macro-restes botaniques identifiés, ou sur sédiments bruts lorsque cela n’était pas possible. Nous avons ciblé certains niveaux remarquables comme la transition entre les sédiments lacustres et la tourbe, ainsi que les niveaux de charbons. Les résultats ont été calibrés avec la courbe de calibration « IntCal20 » (Stuiver et Reimer 1993 ; Reimer et alii 2020). Quant à la susceptibilité magnétique volumique (SM), elle a été mesurée avec une sonde Bartington MS2E à une résolution de 1 cm. Cette analyse est utilisée pour analyser l’accumulation de sédiments aimantés due à l’érosion par exemple.

III – Résultats et discussion

Dans ce carnet de terrain, les résultats présentés sont préliminaires et susceptibles d’être complétés dans les prochaines années. Nous présentons d’abord les séquences stratigraphiques extraites des zones humides, ainsi que les premières datations données en âges calibrés, qui reflètent les modalités d’évolution des écosystèmes. L’ensemble des datations est disponible mis en ligne en accès libre sur le site PANGAEA (https://doi.pangaea.de/10.1594/PANGAEA.957252). Nous discutons par la suite des informations que ces premiers résultats offrent sur la mise en place des tourbières et la conservation des archives environnementales remontant à la Protohistoire sur les deux secteurs étudiés.

1 – Fenêtre Sianne

Le long de la fenêtre Sianne, quatre principaux sites ont été carottés et sont en cours d’étude (fig. 3) :

  • Concernant la tourbière des sources de la Sianne, située à 1 455 m près du Signal du Luguet, le carottage montre une accumulation de plus de 350 cm de tourbe, mais le substrat géologique n’a pas été atteint lors du carottage (fig. 3-A). Plusieurs niveaux de charbons témoignent d’incendies locaux. Le plus ancien a été daté du Néolithique final à 230 cm de profondeur. Les niveaux de charbons repérés pourraient indiquer des défrichements à haute altitude (1 500 m). Nous pouvons situer approximativement la Protohistoire entre 200 et 100 cm de profondeur.
  • Entre 1250 et 1 100 m d’altitude, deux sites ont été carottés : la tourbière de Sagne Gousseau, dominant le plateau d’Allanche, et les poches tourbeuses du Vern sur le plateau de la Coharde.
  • D’après nos premiers résultats, la tourbière de Sagne Gousseau se serait formée par paludification au cours du Mésolithique (fig. 3-B). À ce stade des recherches, on peut supposer que les niveaux de tourbe de la Protohistoire se situent entre 45 et 95 cm de profondeur environ. L’analyse de ce site, installé au pied de la nécropole tumulaire de la Croix de Baptiste, est cruciale pour reconstituer l’évolution d’un paysage de moyenne montagne en contexte funéraire. Par ailleurs, l’étage altitudinal auquel se trouve cette tourbière correspond à une zone de transhumance majeure et devrait permettre d’étudier l’impact des pratiques de pâturage sur le long terme.
  • Au Vern, un carottage a permis de prélever 1,7 m de tourbe argileuse, avant de se heurter à un niveau sablo-graveleux (fig. 3-C). La base de la poche tourbeuse a été datée de l’Antiquité tardive (545-645 après J.-C.), et pourrait faire suite à une déstabilisation du versant, voire un glissement de terrain.
  • Enfin, à 700 m d’altitude, plusieurs zones humides sont présentes entre les tumulus de la nécropole protohistorique de la Pénide, à Espalem (43). Nous avons réalisé plusieurs carottages au Lac Long. La séquence débute par un dépôt lacustre organo-minéral (gyttja) daté du Mésolithique (fig. 3-D). Au Néolithique ancien, le lac s’est comblé et a évolué en tourbière. Un retour vers un système lacustre-palustre semble probable au Bronze final (1209-1016 avant J.-C.), au moment où sont construits certains tumulus. De plus l’analyse de la susceptibilité magnétique démontre une forte érosion des sols de la Protohistoire à l’Antiquité Tardive, en lien avec les activités anthropiques très certainement (Delrieu, Martinez et Dendievel 2023). Les études paléoécologiques en cours (palynologie, macro-restes) permettront de préciser les différentes évolutions du paysage ainsi que les activités agro-pastorales locales.
Figure 3  : Résultats de carottages, datations et analyses de susceptibilité magnétique (SM) acquis entre 2018 et 2021 pour la « fenêtre Sianne ». Crédit : A-M. Dendievel, 2022.

Figure 3  : Résultats de carottages, datations et analyses de susceptibilité magnétique (SM) acquis entre 2018 et 2021 pour la « fenêtre Sianne ». Crédit : A-M. Dendievel, 2022.

1 – Fenêtre Sumène

Le long de la fenêtre Sumène, plusieurs autres sites ont été carottés et sont en cours d’étude (fig. 4) :

  • La tourbière de Tronque est située à 1 100 m d’altitude sur le plateau de Trizac, entre les vallées de la Sumène et du Mars. Le carottage montre une accumulation de plus de 250 cm de tourbe (substrat géologique non-atteint ; fig. 4-A). Au moins un niveau de charbons témoigne d’incendies locaux et remonterait au Néolithique final (fig. 4-A). On estime que les niveaux de sédiments de la Protohistoire se situerait entre 95 et 50 cm de profondeur.
  • Au nord, en rive droite de la Sumène et du Soulou, quatre tourbières ont été carottées sur la commune de Saint-Étienne-de-Chomeil : deux tourbières aux Brougues, une tourbière située sous le pointement de Mérigot, et une tourbière à Muratet au pied du site de hauteur de Rochemur. Les données chronostratigraphiques sont assez semblables : ces sites correspondent à d’anciens petits lacs remontant au Tardiglaciaire (fig. 4-C ; fig 4-D). Certains ont même conservé des niveaux de cendres volcaniques (appelés téphras). Ces lacs se sont comblés progressivement, à différentes vitesses, entre la fin du Paléolithique et le Mésolithique final d’après les datations obtenues. Il s’agit aujourd’hui surtout de tourbières planes, voire bombées comme à Mérigot. Des informations sur les paysages protohistoriques sont probablement conservées dans la partie supérieure de ces séquences entre 30 et 70 cm de profondeur majoritairement.
  • Enfin, une dernière séquence a été extraite d’une petite zone humide située sur le plateau de Chastel-Marlhac. Ce site situé à 780 m d’altitude domine la plaine de la Sumène. La séquence présente plus de 5 m de sédiments lacustres (substrat géologique non-atteint ; fig. 4-B). Dans ce contexte, les datations réalisées sur du sédiment brut (faute de mieux) doivent être considérées avec une extrême prudence en raison de l’« effet réservoir » lié à la présence de carbone ancien recyclé par les plantes aquatiques et/ou les crustacés présents dans les sédiments. Dans la partie supérieure, un niveau organique riche en charbons a été daté de l’âge du Bronze moyen. L’étude de la susceptibilité magnétique suggère une érosion croissante peut-être jusqu’à l’Antiquité tardive, moment où le plateau de Chastel-Marlhac est citéh dans les écrits de Grégoire de Tours (Delrieu, Martinez et Dendievel 2023). Par ailleurs, l’analyse préliminaire des macro-restes a mis en évidence la persistance de taxons aquatiques tout au long de la séquence (daphnies, cristatelle, potamot) sur ce site (Delrieu et alii 2021).
Figure 4 : Résultats de carottages, datations et analyses de susceptibilité magnétique (SM) acquis entre 2018 et 2021 pour la « fenêtre Sumène ». Crédit : A-M. Dendievel, 2022.
Figure 4 : Résultats de carottages, datations et analyses de susceptibilité magnétique (SM) acquis entre 2018 et 2021 pour la « fenêtre Sumène ». Crédit : A-M. Dendievel, 2022.

IV – Éléments de synthèse et perspectives

À travers ce carnet de terrain, nous avons présenté les résultats liminaires de caractérisation (stratigraphie, premières datations, susceptibilité magnétique) des séquences sédimentaires issues des tourbières des vallées de la Sianne et de la Sumène. Cette recherche minutieuse et longue souligne l’intérêt et le potentiel d’étude des tourbières situées à proximité immédiate des sites archéologiques pour reconstituer l’évolution des paysages locaux sous l’effet des activités humaines. Si la plupart des zones humides étudiées résultent du comblement d’anciens lacs, nous avons pu confirmer que des archives sédimentaires de grand intérêt pour la reconstitution des paysages protohistoriques sont bien conservés sur ces sites, ce qui n’était pas un pari gagné d’avance ! Ce travail de longue haleine poursuit actuellement son cours à travers l’étude paléoécologique du lac long à Espalem et celle de la séquence des sources de la Sianne. À suivre…

V – Bibliographie

Cubizolle 2019

Cubizolle (H.). – Les tourbières et la tourbe. Géographie, hydro-écologie, usages et gestion conservatoire, Paris, Lavoisier, 419 p.

Delrieu et alii 2020

Delrieu (F.), Auxerre-Géron (F.), Dendievel (A.-M.), Duny (A.), Mennessier-Jouannet (C.), Lacoste (E.), Muller (F.), Roscio (M.), Surmely (F.). – Archéologie des vallées de la Sianne et de la Sumène à l’âge du Bronze et au 1er âge du Fer (Haute-Auvergne). Départements du Cantal, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme. Rapport de prospection thématique avec sondages – année 2019, Clermont-Ferrand, DRAC – SRA AuRA.

Delrieu et alii 2021

Delrieu (F.), Auxerre-Géron (F.-A.), Dendievel (A.-M.), (Duny A.), Mennessier-Jouannet (C.), Lacoste (E.), Muller (F.), Richard (H.), Surmély (F.). – Archéologie des vallées de la Sianne et de la Sumène à l’âge du Bronze et au 1er âge du Fer (Haute Auvergne). Troisième année – 2020, Clermont-Ferrand, SRA Auvergne-Rhône-Alpes, 110 p.

Delrieu et alii 2019

Delrieu (F.), Auxerre-Géron (F.-A.), Dendievel (A.-M.), Duny (A.), Muller (F.), Mennessier-Jouannet (C)., Roscio (M.). – Archéologie des vallées de la Sianne et de la Sumène à l’âge du Bronze et au 1er âge du Fer (Haute-Auvergne), Rapport 2018 de prospection thématique avec sondages, Clermont-Ferrand, SRA Auvergne-Rhône-Alpes.

Delrieu, Martinez et Dendievel 2023

Delrieu (F.), Dendievel (A.-M.), Martinez (D.). – Approche comparative de l’occupation des sites de hauteur en Auvergne (Bronze final III/premier âge du Fer et Antiquité tardive/haut Moyen Âge) : chronologie, formes, dynamiques spatiales et paysagères à l’échelle d’un territoire. In Martinez (D.), Quiquerez (A.), Approche diachronique des sites de hauteur des âges des Métaux, de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge, Editions ArteHis, Dijon. URL : http://books.openedition.org/artehis/30933

Dendievel,Delrieu et Duny 2020

Dendievel (A.-M.), Delrieu (F.), Duny (A.). – « Entre Lacs et Tourbières : approche pluridisciplinaire de l’évolution des paysages et des zones humides de la Pénide à Espalem (Haute-Loire) », BIOM – Revue scientifique pour la biodiversité du Massif central, 1, p. 1‑11.

Reimer et alii 2020

Reimer (P.-J.), Austin (W.E.N.), Bard (E.). – « The IntCal20 Northern Hemisphere Radiocarbon Age Calibration Curve (0–55 cal kBP) », Radiocarbon, 62, 4, p. 725‑757.

Stuiver et Reimer 1993

Stuiver (M.), Reimer (P.-J.). – « Extended 14C data base and revised CALIB 3.0 14C Age calibration program », Radiocarbon, 35, 1, p. 215‑230.

Affiliations : 1) Univ Lyon, Université Claude Bernard Lyon 1, CNRS, ENTPE, UMR 5023 LEHNA, F-69518, Vaulx-en-Velin ; 2) GRAV – Groupe de Recherche Archéologique Vellave, 43 600 Sainte-Sigolène ; 3) DRAC ARA, Service Régional de l’Archéologie, 63 000 Clermont-Ferrand ; 4) UMR CNRS 5138 ArAr, 69 007 Lyon ; 5) Paléotime, 38 250 Villard-de-Lans ; 6) UMR 8546 AOrOc CNRS – ENS, 75 230 Paris Cedex 05 ; 7) UMR 6042 Geolab CNRS – UCA, 63 000 Clermont-Ferrand ; 8) UMR 6249 Chrono-Environnement CNRS – UBFC, 25 000 Besançon.

Un dernier moment de folie créatrice : le répertoire ornemental de la céramique dans le nord-est du massif central au IIe siècle avant J.-C.

Article publié dans les Actes du XXVIe colloque de l’Association française pour l’étude de l’âge du Fer : Vincent Guichard, Philippe Arnaud, Jonathan Dunkley, Gilles Loison, Viviane Richard, et al.. Un dernier moment de folie créatrice : le répertoire ornemental de la céramique dans le nord-est du massif central au IIe siècle avant J.-C.. Olivier Buchsenschutz; Alain Bulard; Marie-Bernadette Chardenoux; Nathalie Ginoux. Décors, images et signes de l’âge du Fer européen. Actes du XXVIe colloque de l’Association française pour l’étude de l’âge du Fer (Paris et Saint-Denis, 9-12 mai 2002), Supplément à la Revue archéologique du Centre de la France (24), FERACF, pp.91-112, 2003

I – Introduction

Fig. 1 – Un dernier moment de folie créatrice. Découpage territorial présumé au Haut-Empire et sites du nordest du Massif central ayant livré de la céramique peinte laténienne à décor animalier (région de Clermont-Ferrand exclue)
Fig. 1 – Découpage territorial présumé au Haut-Empire et sites du nordest du Massif central ayant livré de la céramique peinte laténienne à décor animalier (région de Clermont-Ferrand exclue)

Le “deuxième style plastique“ et le “style des épées hongroises“ qui s’épanouissent au début du IIIe siècle avant J.-C. sont communément considérés comme les styles décoratifs les plus originaux de la période laténienne, ceux qui manifestent le plus clairement l’identité “celtique“.

Par rapport à cette période fastueuse, l’artisanat laténien postérieur au IIIe siècle semble présenter une diversité et une qualité amoindries. Deux paramètres sont principalement invoqués, qui contribuent chacun à sa mesure à ce constat :

  • la raréfaction de la documentation d’origine funéraire, due à la propagation du rite de l’incinération,
  • la généralisation de productions en grande série au détriment des “pièces uniques “décorées avec les techniques de la cire perdue (parures annulaires, appliques de récipients) et de la gravure (fourreaux d’épées).

Jusqu’à une date assez récente, seule la qualité graphique parfois remarquable de la gravure monétaire laténienne des IIe et Ier siècles avant J.-C. obligeait à nuancer le propos.

Les découvertes effectuées au cours du dernier demi-siècle – et à un rythme accéléré depuis les années 1980 – dans le domaine de la céramique à décor peint apportent désormais un éclairage complémentaire de tout premier ordre sur les formes artistiques et les sources d’inspiration des artisans laténiens du IIe siècle avant J.-C.

Il est désormais acquis que ce siècle voit l’épanouissement d’un style décoratif nouveau à la fois parfaitement ancré dans la tradition laténienne, d’une réelle originalité et d’une qualité indéniable.

La céramique peinte à décor curviligne élaboré d’inspiration naturaliste est connue dans un grand nombre de régions du monde laténien aux IIe et Ier siècles avant J.-C. Néanmoins, les régions du nord-est du Massif central (territoires des Arvernes, des Ségusiaves et, dans une moindre mesure, des Eduens) présentent, de loin, la documentation la plus riche grâce au nombre des récipients répertoriés, à la diversité de leurs décors et à la possibilité de suivre pas à pas l’évolution d’un procédé décoratif depuis son émergence au tournant du IIIe et du IIe siècle, jusqu’à sa disparition un siècle plus tard.

Ce corpus documentaire du nord-est du Massif central a déjà fait l’objet de deux catalogues (Guichard 1987 et Guichard 1994). Le développement de l’archéologie préventive ne cessant d’accélérer le rythme des découvertes, notre exposé doit être introduit par la chronique des dernières trouvailles significatives, qui enrichissent le dossier de données parfois spectaculaires, avant de livrer quelques compléments à l’analyse que nous avons déjà eu l’occasion de publier. Pour être complet, on doit également noter de nouvelles découvertes en dehors de notre région d’étude.

Fig. 2 – Un dernier moment de folie créatrice. Cartographie des sites de la fin de l’âge du Fer dans la région de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)

Fig. 2 – Cartographie des sites de la fin de l’âge du Fer dans la région de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme)

II – Un dernier moment de folie créatrice. Chronique des découvertes

1 – Riom, La Gravière (Puy-de-Dôme)

La fouille, conduite par l’un d’entre nous (Gilles Loison), a été suscitée par l’installation d’une zone industrielle, à la sortie nord de l’agglomération de Riom. Le secteur étudié se situe à la base de la pente d’une croupe calcaire exposée au sud-est, en bordure de la plaine de Grande Limagne.

L’étendue fouillée (un rectangle de 80 × 50 m) a livré des structures qui s’échelonnent sur toute la durée de la protohistoire, depuis le Chalcolithique jusqu’à la fin de l’âge du Fer. Le mobilier étudié provient d’une fosse (F41b) qui représente la seule trace d’activité attribuable aux trois derniers siècles avant le changement d’ère (à l’exclusion peut-être de fossés parcellaires qu’il est difficile de dater précisément).

La fosse avait la forme d’un cylindre de 0,6 m de diamètre pour 0,6 m de profondeur. Elle recoupait une fosse de forme irrégulière et de dimensions plus fortes (largeur maximum de 2,2 m) au comblement dépourvu de mobilier.

Le remplissage de la fosse 41b elle-même, stratifié, comprenait une mince couche cendreuse, surmontée d’une couche brune limoneuse plus épaisse (10 cm) très riche en mobilier, puis plusieurs couches de scellement pratiquement dépourvues de céramique. Une rubéfaction locale de la paroi, dans sa partie supérieure, indiquait que celle-ci avait abrité une source de chaleur.

La fosse contenait environ 250 fragments de céramique, dont 150 tessons de céramique peinte et 100 tessons de céramique fine tournée, à surface initialement enfumée. Tous ces fragments portent les séquelles d’une surcuisson violente qui s’est souvent produite (ou prolongée) après le bris des vases. Ils sont souvent très déformés. Le mobilier non-brûlé est quasiment inexistant et semble résiduel : très petits fragments de céramique modelée protohistorique, esquilles osseuses.

Les fragments appartiennent à au moins 16 vases différents. Tous sont très fragmentés et incomplets. Leur variété semble exclure l’hypothèse d’un dépotoir d’atelier de potier, que pourrait suggérer la surcuisson des tessons. On serait même tenté de dire que les récipients rassemblés dans la fosse résultent d’un choix effectué suivant des critères de diversité – tous sont décorés, mais aucun décor ne se répète sur deux vases différents – au sein d’une forme générale unique, celle de grands vases fuselés hauts de 30 à 40 cm qui devaient servir à présenter la boisson.

Les anomalies présentées par le mobilier font donc pencher en faveur d’un dépôt relevant d’une manipulation bien précise. L’hypothèse d’un dépôt funéraire d’incinération est envisageable mais s’oppose à l’absence totale (mais non-rédhibitoire) d’ossements brûlés dans le comblement de la fosse et à l’uniformité du type de vases représenté, alors qu’on s’attendrait à voir se côtoyer des vases à liquide et des assiettes (pour la présentation de la nourriture). Le caractère insolite de ce dépôt est aussi amplifié par son isolement.

L’ensemble se classe sans hésitation au IIe siècle avant J.-C. Dans l’état actuel de la connaissance des mobiliers régionaux, les vases à décor lissé ne peuvent pas être datés plus précisément. Comparativement au répertoire du site en cours d’étude de Clermont-Ferrand “La Grande Borne “, la forme fuselée et le décor élaboré de l’un d’entre eux (N°8, Fig. 10) paraissent même exceptionnels.

Certains décors peints curvilignes sur fond de résille (N°4, Fig. 6 et fragment non figuré) présentent des affinités avec le groupe stylistique 1, dont les témoins identifiés appartiennent quasiment tous à la première moitié du IIe s.4.

En revanche, d’autres décors peints (N°1, Fig. 3 sûrement ; N°2 et 3, Fig. 4 et 5 de façon plus incertaine) illustrent un autre style ornemental (groupe 4) dont tous les représentants recensés à l’heure actuelle sont datés dans la seconde moitié du IIe siècle (Guichard 1987, p. 121-122 ; Guichard 1994, p. 115), datation que nous retiendrons finalement pour la mise en place du dépôt.

Vase n° 1

Vase fuselé à ouverture étroite, fragmentaire.

Fig. 3 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°1
Fig. 3 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°1

Le décor peint d’inspiration animalière, en réserve sur fond blanc, reprend le mode de composition classique du groupe 4, qui est traité ici de manière particulièrement exubérante et baroque, avec une surcharge exceptionnelle de motifs curvilignes.

La composition principale est constituée d’une frise continue de quadrupèdes tournés à droite. On distingue la tête de l’un d’entre eux, dotée de longues oreilles longilignes et, entre ces dernières, d’un motif qui se développe en demi-palmette ; son encolure est pourvue d’une crinière stylisée par une frise de petites esses enchaînées et remplie d’un motif d’esse plus large.

Ces quadrupèdes sont surmontés par d’autres, contorsionnés et tournés à gauche, dont on repère surtout la tête surmontée de trois rinceaux parallèles et le corps couvert de groupes de courts traits parallèles suggérant le pelage.

Le col, peint en rouge, est orné d’un motif de damier, tout à fait classique sur les vases décorés du groupe 4.

Vase n° 2

Fragment de col de vase haut à décor peint sur fond blanc, curviligne et traité en réserve. Il s’agit vraisemblablement d’une variante du décor qui caractérise le groupe 4.

Fig. 4 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°2
Fig. 4 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°2

Vase n° 3

Fragment de paroi de vase fuselé à décor peint en réserve sur fond blanc, divisé en métopes.

Fig. 5 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°3
Fig. 5 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°3

Le décor est à peine discernable. Les séparations des métopes sont constituées de motifs en échelle.

Une large partie du champ est occupée par des motifs de demi-palmettes dont le traitement rappelle celui de la queue retombante des quadrupèdes de certains vases décorés dans le style 4.

Ces motifs sont environnés d’esses et de petits cercles pointés.

Vase n° 4

Grand vase fuselé fragmentaire à décor peint sur fond blanc divisé en métopes séparées par des faisceaux de lignes ondées.

Fig. 6 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°4
Fig. 6 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°4

La composition, en réserve sur fond de résille, est probablement d’inspiration animalière.

Il semble en effet possible de distinguer l’encolure et le mufle d’un animal tourné à gauche, devant lequel se développe un motif indéterminé.

Vase n° 5

Fragment de vase peint à décor sur fond blanc qui présente des motifs curvilignes complexes qu’il est impossible de rattacher à un style déjà répertorié

Fig. 7 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°5
Fig. 7 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°5

Vase n° 6

Grand vase fuselé à ouverture resserrée doté d’un col élevé souligné par un léger épaulement. Le décor principal, exécuté en réserve, se développe sur le fond peint en blanc de la panse.

Fig. 8 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°6
Fig. 8 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°6

Il se compose d’une frise continue très incomplète de quadrupèdes tournés à droite, dont l’extrémité des pattes est bien visible sur certains fragments.

L’espace situé sous le corps de chaque animal est occupé par un large motif en forme d’esse environné de cercles pointés, selon une formule proche de celle du groupe 4.

La partie supérieure du décor paraît en revanche beaucoup plus inhabituelle mais n’est pas restituable.

Un bandeau rouge situé à la base du décor principal est orné d’un motif d’échelle, classique sur les vases du groupe 4.

Le col, également peint en rouge, est orné d’un registre de frises de postes, également assez classique, surmonté d’un autre, plus original, orné d’oves exécutées en réserve.

Vase n° 7

Fig. 9 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°7
Fig. 9 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°7

Fragments d’un vase haut fuselé à ouverture étroite dont la panse est renforcée de deux baguettes,

  • l’une à la base du col,
  • l’autre à la base de la panse, à surface initialement enfumée.

Le décor lissé se développe suivant une composition verticale, avec une alternance de motifs verticaux d’esses enchaînées et de bandes couvertes de croisillons.

Vase n° 8

Grand vase fuselé à ouverture large et col très court, dont la partie médiane de la panse est décorée au lissoir sur deux registres.

Celui du haut est constitué d’une frise de métopes séparés par des lignes ondées et remplis par des croisillons ; celui du bas comprend une suite de lignes ondées verticales jointes par des motifs identiques disposés en biais.

Fig. 10 – Un dernier moment de folie créatrice. Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°8
Fig. 10 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vase n°8

Non illustrés

  • Un vase fuselé fragmentaire portant un décor peint géométrique sur fond blanc, le col (et probablement la base de la panse) portant un bandeau rouge. Le décor se divise en un registre supérieur étroit orné de chevrons et en un registre beaucoup plus développé orné d’une composition suivant une trame verticale, faisant alterner bandes rectilignes épaisses et faisceaux de lignes ondées ;
  • Un haut de vase fuselé à ouverture étroite (?) et col souligné par un épaulement, uniformément peint en rouge ;
  • Deux vases fuselés à ouverture large à très large, pied cintré, col court, surface extérieure entièrement peinte en blanc sans décor surpeint, et un autre vase peint sans doute identique et représenté uniquement par des fragments de paroi qui présentent la particularité de porter une peinture parfaitement polie, à l’aspect de porcelaine ;
  • Des fragments de paroi d’un grand vase haut à surface initialement enfumée dont la panse est décorée au lissoir d’un registre de croisillons surmontant un registre couvert par des lignes verticales ;
  • Un fragment de paroi de vase haut fuselé à décor sur fond blanc constitué de métopes séparées par des faisceaux de lignes ondées. Le décor principal, sur fond de résille, n’est pas discernable ;
  • Un fragment de col de vase haut à décor peint curviligne (?) en réserve sur fond de résille ;
  • Un col de vase haut probablement doté d’un léger épaulement, peint en rouge.
  • Un fragment très déformé de grand vase haut à décor lissé sur la partie médiane de la panse, disposé en chevrons.

2 – Clermont-Ferrand, le Puy de la Poix (Puy-de-Dôme)

La seconde série de découvertes provient d’une fouille de sauvetage effectuée par deux d’entre nous (Philippe Arnaud et Viviane Richard) en 1991.

Elle se situe dans une zone qui a déjà livré à de nombreuses reprises des vestiges laténiens. Celle-ci, située à l’extrémité sud-est de la plaine de Grande Limagne, est en effet un lieu de passage obligé le long d’un cheminement nord-sud, encadré par les pentes du Puy de Crouelle et de la colline de Gandaillat. Les points de découverte parsèment la plaine sur une distance de deux kilomètres, mais ils ne permettent pas d’apprécier la superficie effectivement occupée à l’époque laténienne. Souvent mentionné sous le nom d’Aulnat – Gandaillat, le site a fait l’objet d’une importante intervention dans les années 1970, par R. Périchon et J. Collis, au terroir de La Grande Borne. La fouille considérée ici a été suscitée par l’élargissement de la rue Elisée-Reclus (D772), à l’emplacement où celle-ci longe le Puy de la Poix, un très modeste bombement de roches bitumineuses d’origine volcanique (pépérite), et à seulement 200 m au nord-ouest du chantier de La Grande Borne. La fouille, une étroite bande de terrain de 80 × 5 m, a livré plusieurs dizaines de structures en creux laténiennes, parmi lesquelles :

  • Un puits (F78) taillé dans la marne, profond de 4,5 m, de section carrée au sommet (d’un peu moins d’un mètre de côté), circulaire ensuite. Il était doté d’un parement appareillé en pierre à son sommet, reposant sans doute à l’origine sur un chassis en bois. Son remplissage initial comprend dix vases entiers, dont six intacts ; le remplissage secondaire, de type dépotoir, de très nombreux vases fragmentés (2800 tessons, soit environ 150 vases ; Deberge, dans PCR 2001, p. 91-115) dont l’assemblage peut être daté du milieu du IIe siècle ;
  • Un cellier (F68) pratiquement carré (2,0 × 1,8 m), profond (2,1 m) et doté de banquettes latérales, dont le remplissage ne contenait, à la base, qu’une quarantaine de tessons d’amphore (seconde moitié du IIe siècle) ;
  • Un cellier (F50) rectangulaire (2,6 × 1,6 m) et profond (1,1 m), contenant un abondant mobilier détritique (environ 1500 tessons de céramique) analogue à celui du puits F78 ;
  • Une vaste fosse (F22) oblongue (4,5 × 2,0 m) et peu profonde (0,3 m) au centre de laquelle avait été déposé le corps d’un individu adulte en décubitus dorsal, avec un objet indéterminé en tôle de fer au-dessus des pieds ; le mobilier détritique qui l’environnait (environ 200 tessons) permet une datation dans la première moitié du IIe siècle. La céramique peinte est abondante parmi les découvertes. Elle représente 7 % des tessons dans le puits, 11 % dans la fosse 50. Le lot livré par le comblement primaire du puits est particulièrement spectaculaire. Il s’agit de quatre vases peints entiers et d’un autre fragmentaire, dont le décor a été parfaitement conservé par l’environnement anaérobie. Ils étaient associés à huit vases enfumés complets et à plusieurs autres fragmentaires. Ce dépôt comprend donc douze vases qui ont été pour une partie au moins été précipité intacts dans le puits. Il s’agit uniquement de vases hauts en céramique fine, sans doute utilisés pour le service de la boisson. Ils portent tous des traces d’usure – voire même une réparation à la poix (N°17, Fig. 19) et un enduit intérieur d’étanchéification avec le même matériau (N°13, Fig. 15) – qui indiquent une utilisation initiale plus ou moins prolongée avant leur dépôt, dont aucun indice ne permet de préciser la signification.

Vase n°9 (inv. 63-113-341-1103-9)

Puits 78. Vase peint intact, avec pied légèrement abrasé.

Fig. 11 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°9
Fig. 11 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°9

La forme est haute et fuselée, à ouverture étroite.

La peinture a été appliquée sur une couche d’engobe de couleur beige qui couvre l’ensemble de la surface extérieure.

Le décor se développe en un large registre sur fond blanc, limité par deux étroits bandeaux rouges rehaussés de lignes horizontales noires. Il consiste en une frise de trois quadrupèdes debout tournés à gauche qui apparaissent en réserve sur une résille tracée avec sept pinceaux 5 fins réunis en peigne.

Les motifs animaux ont quant à eux été mis en place avec un pinceau large. Ils allient détails anatomiques réalistes (sabots et genoux) et détails stylisés (encolure développée, oreilles dessinant une lyre, queue relevée et épanouie).

Le corps des animaux est agrémenté de plusieurs rinceaux tracés avec le même outil, manié de façon à faire apparaître des pleins et des déliés.

Vase n°10 (inv. 63-113-341-1103-11)

Puits 78. Vase peint intact (à une petite lacune près, à la base), avec pied légèrement abrasé.

La forme est haute et fuselée, à ouverture étroite.

La peinture a été appliquée sur une couche d’engobe, comme pour le vase précédent.

Le décor se développe également en un large registre sur fond blanc, limité par deux étroits bandeaux rouges rehaussés de lignes horizontales noires. Il consiste en une frise de trois motifs curvilignes foliacés disposés verticalement sur toute la hauteur du champ et tracés avec un pinceau épais.

Ils apparaissent en réserve sur une résille tracée avec sept pinceaux fins réunis en peigne.

Fig. 12 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°10
Fig. 12 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°10

Vase n°11 (inv. 63-113-341-1103-10)

puits 78. Vase peint brisé (quelques lacunes), avec pied légèrement abrasé.

Fig. 13 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°11
Fig. 13 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°11

La forme est haute et fuselée, à ouverture étroite.

La peinture a été appliquée sur une couche d’engobe.

Le décor se développe également en un large registre sur fond blanc, limité par deux étroits bandeaux rouges rehaussés chacun d’une frise de pyramides à deux gradins disposées tête-bêche. Il consiste en une frise de trois quadrupèdes tournés à droite qui se détachent en réserve sur une résille tracée avec six pinceaux fins réunis en peigne.

Contrairement aux deux vases précédents, le décor a été mis en place avec un pinceau très fin, avec une grande minutie, comme le montrent des détails d’exécution.

Le corps est sobrement stylisé, de manière traditionnelle : développement de l’encolure et pincement exagéré de l’abdomen, ligne ondée figurant la crinière. Les oreilles sont en revanche le prétexte au développement d’un motif exubérant en forme de palmette symétrique, dont le cœur est occupé par un triscèle traité en réserve et entouré de cercles pointés.

Vase n°12 (inv. 63-113-341-1103-12)

Puits 78. Vase peint, brisé mais complet, avec pied très abrasé.

Fig. 14 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°12
Fig. 14 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°12

La forme est haute, à panse large et ouverture très large.

La peinture a été appliquée directement sur la surface de l’argile.

Le décor se développe en un large registre sur fond blanc, limité par deux étroits bandeaux rouges, rehaussés pour celui du bas de traits noirs horizontaux, pour celui du haut d’une frise de carrés noirs.

Le décor principal est géométrique et d’architecture très simple : lignes verticales étroites, ondées et tracées au peigne, alternant avec des paires de lignes droites épaisses.

Vase n°13 (inv. 63-113-341-1103)

Puits 78. Vase peint dont seule la moitié inférieure (brisée) est conservée.

Fig. 15 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°13
Fig. 15 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°13

Son pied est légèrement abrasé, son intérieur est poissé.

Sa forme est haute et fuselée.

La peinture a été appliquée sur une couche d’engobe de couleur crème.

Le décor se développe sur fond blanc ; il est délimité vers le bas par un étroit bandeau rouge. Il consiste en un damier qui se développait sans doute initialement sur quatre registres.

Les cases sont remplies alternativement par une résille et par un motif de croissant de lune.

Vase n°14 (inv. 63-113-341- 1103-3)

Puits 78. Vase enfumé, brisé mais complet, avec pied très abrasé.

La forme est haute, à panse et ouverture larges, col court. Le fond, fabriqué avec une argile plus sableuse, a été mis en place après le tournage du reste du vase. La surface externe est égalisée, le col seul étant lissé.

Fig. 16 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°14
Fig. 16 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°14

Vase n°15 (inv. 63-113-341-1103-2)

puits 78. Vase enfumé, brisé mais complet, avec pied faiblement abrasé et de facture très proche du précédent.

La forme est haute, à panse et ouverture larges, col court. Le fond semble avoir été façonné en même temps que le reste du vase.

Fig. 17 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°15
Fig. 17 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°15

Vase n°16 (inv. 63-113-341-1103-5)

Puits 78. Vase enfumé intact (à l’exclusion d’une lacune au rebord), avec pied abrasé.

Fig. 18 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°16
Fig. 18 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°16

La forme est haute, à panse large et ouverture très large, col souligné par une baguette.

Le fond paraît avoir été mis en place après le tournage du reste du vase.

La surface externe est pourvue d’un décor lissé : ligne horizontale ondée sur l’épaule, surmontant un large registre occupé par des lignes verticales

Vase n°17 (inv. 63-113-341-1103-4)

Puits 78. Vase enfumé intact, dont le pied est très abrasé et la panse, percée accidentellement, a été réparée à la poix.

La forme, à panse et ouverture larges, est très inhabituelle. Elle est caractérisée par un col et un pied haut, soulignés tous deux par une baguette. La surface externe est entièrement lissée.

Fig. 19 - Un dernier moment de folie créatrice. Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°17
Fig. 19 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°17

Vase n°18 (inv. 63-113-341-1103-8)

Puits 78. Vase enfumé intact (à l’exception d’une grosse lacune au col), avec pied très abrasé.

Fig. 20 - Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°18
Fig. 20 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°18

La forme, à panse et ouverture larges, est, en Basse-Auvergne, typique de La Tène C.

Elle est caractérisée par un pincement à mi-hauteur de la panse.

Le col est de plus souligné par deux baguettes et le fond (façonné à part) soulevé.

La surface externe est pourvue d’un décor lissé : ligne horizontale ondée sur l’épaule, large registre occupé par des lignes verticales sur le pied.

Vase n°19 (inv. 63-113-341-1103-1)

Puits 78. Vase enfumé brisé (une grosse lacune à la panse), avec pied légèrement abrasé.

Fig. 21 - Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°19
Fig. 21 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°19

La forme est très proche de celle du vase précédent.

Elle s’en distingue par une allure plus fuselée et un fond moins élaboré, fabriqué en même temps que le reste de la pièce.

Le décor est identique.

Ce vase se distingue toutefois par une particularité de façonnage : la paroi de la partie de la panse située en dessous du pincement ayant été jugée trop épaisse à l’issue du tournage, elle a été fortement amincie avant séchage par raclage vertical de l’intérieur avec un outil de profil semi-circulaire.

Vase n°20 (inv. 63-113-341-1107/10)

Fosse 50. Vase peint très fragmentaire.

Fig. 22 - Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°20
Fig. 22 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°20

La forme est haute et fuselée.

Le décor se développe sur fond blanc et surmonte un bandeau rouge. Il consiste en trois quadrupèdes tournés à gauche et disposés dans des métopes séparées par un motif d’échelle.

Les animaux apparaissent en réserve. Seule la partie inférieure est conservée, qui montre un traitement sobre et très classique (abdomen pincé, queue tombante, sabots nettement tracés).

Un tesson isolé, appartenant à la partie haute du décor, suggère qu’ils étaient surmontés d’une ramure. Le tracé initial, sans doute opéré avec un pinceau fin, a été complété avec un instrument nettement plus large. Un losange a été épargné sous le ventre de chaque animal.

Il est décoré de deux traits en croix qui déterminent quatre triangles dont deux sont remplis par une résille.

2 – Clermont-Ferrand, Gandaillat (Puy-de-Dôme)

Le vase dont il est question est issu d’une fouille de sauvetage effectuée en 2001 par l’une d’entre nous (C. Vermeulen) sur un autre secteur du vaste site d’Aulnat / Gandaillat / La Grande Borne, à 1 km environ à l’est des découvertes mentionnées au paragraphe précédent.

Ce secteur fouillé sur 8 000 m² a livré des structures de nature très variée (habitat, métallurgie, vestiges funéraires) et un mobilier très abondant qui ont comme point commun de dater dans leur extrême majorité de la première partie de La Tène D1.

Ainsi, le vase étudié provient du comblement primaire d’un puits (n° 34) – ce qui explique une nouvelle fois son très bon état de conservation – où il était associé à un abondant mobilier de cette période.

Vase n°21

Fig. 23 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Profil restitué de façon approximative, dans l’attente d’un remontage
Fig. 23 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Profil restitué de façon approximative, dans l’attente d’un remontage

Vase conservé aux trois-quarts environ. Son profil est restituable, à l’exclusion du col (Fig. 23). Sa hauteur conservée est de 43 cm, pour une hauteur estimée de 47 cm environ et un diamètre de 32 cm. Sa paroi interne est enduite de poix.

Le vase, tourné, est fuselé, avec une épaule élevée bien marquée qui surmonte un pied élancé à fond légèrement soulevé. La restitution de la partie supérieure ne pose pas de difficulté : col haut légèrement rentrant terminé par une lèvre allongée déversée et raccordé à la panse par une moulure faiblement marquée.

L’argile utilisée est bien épurée. Les parois sont minces, voire très minces (près du pied). La cuisson leur a donné une bonne dureté et une teinte homogène brun clair en surface. Comme c’est très fréquemment le cas pour les vases peints du bassin de Clermont-Ferrand, on observe que les surfaces extérieures du récipient ont d’abord été enduites d’un engobe de couleur blanc-crème, qui a épargné le pied (où l’on observe des coulures). Après séchage a été mis en place le fond

coloré : un large bandeau blanc de 29 cm pour le registre principal, encadré d’étroits bandeaux rouge près du pied et sur le col. Le vase a été cuit après un polissage soigné de ces surfaces peintes. Le décor proprement dit utilise une peinture qui apparaît noire et opaque quand elle est bien conservée, comme c’est le cas ici, malgré la minceur de la couche picturale. L’excellente conservation permet d’observer les modalités du tracé. Bien que répétés sept fois sur le pourtour du vase, les motifs ne se reproduisent jamais exactement à l’identique, quelles que soient leur taille et leur complexité. On observe en outre que leur tracé a toujours été effectué avec un instrument très fin (1 mm environ) préalablement au remplissage des surfaces noircies, sans aucun repentir apparent. On doit donc exclure le recours à des poncifs et à des pochoirs, de même que l’utilisation d’une technique de peinture en réserve avec masquage par de la cire ou de la graisse, comme on l’observe pour d’autres séries de céramique peinte contemporaines. Le décor est une frise d’animaux qui se développe sur le bandeau blanc central. Il est encadré par deux registres secondaires qui se superposent approximativement aux bandeaux rouges :

  • au registre inférieur, une échelle horizontale qui surmonte une bande de pyramides à gradins disposées tête-bêche, tandis que la partie restante du pied a été sommairement recouverte d’une couche de peinture noire ;
  • au registre supérieur, une frise d’oves surmontée par une échelle horizontale et – sans aucun doute bien que cela ne soit pas conservé – par une frise de pyramides identique à celle du registre inférieur.
Fig. 25 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Relevés photographiques partiels mettant en évidence les animaux du registre principal
Fig. 25 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Relevés photographiques partiels mettant en évidence les animaux du registre principal

Le décor principal (Fig. 24) est traité de façon à ce que les motifs principaux apparaissent en réserve.

Il s’agit d’une frise continue rythmée par sept grands quadrupèdes tournés à droite qui occupent toute la hauteur du champ (Fig. 25).

Ces animaux très stylisés ont deux paires de pattes longilignes, un abdomen très pincé, une encolure cambrée et excessivement étirée. La queue et la tête donnent lieu à un épanouissement de motifs curvilignes sans aucun rapport avec la physionomie animale : élégant rinceau pour la queue, longues “pousses “terminées par un enroulement ou une palmette pour la ramure.

Fig. 24 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Développement photographique du décor
Fig. 24 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Développement photographique du décor
Fig. 26 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Relevés photographiques partiels mettant en évidence les animaux du registre inférieur
Fig. 26 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Relevés photographiques partiels mettant en évidence les animaux du registre inférieur

D’autres animaux sont placés sous le ventre de chacune des figures principales (Fig. 26). Il s’agit encore de quadrupèdes aux pattes longilignes et à l’abdomen pincé, cette fois tournés à gauche et traités avec plus de simplicité en raison de l’exiguïté du champ disponible, de sorte que la queue et les oreilles, simplement tracées, sont bien reconnaissables.

Le registre supérieur est occupé par des paires d’animaux (Fig. 27) qui paraissent appuyer leurs pattes sur l’encolure des figures principales. De ce fait, elles sont basculées presque à la verticale. Ces quadrupèdes sont affrontés, la tête baissée comme s’ils broutaient ou se désaltéraient. Leur queue est sobrement stylisée par une pousse terminée par un rinceau. Leur ramure donne lieu, en revanche, à un traitement sophistiqué sous forme de deux paires de demies palmettes nervurées. Les deux figures, parfaitement symétriques, se distinguent par un seul détail : le remplissage du corps de celle de droite par de fines lignes ondées qui semblent évoquer le pelage. Le décor est enfin agrémenté de nombreux motifs non-figuratifs autonomes qui remplissent tous les petits espaces vacants. On compte ainsi, pour chaque répétition des motifs animaliers : une rosette, cinq ou six esses et huit à dix cercles évidés et pointés.

Fig. 27 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Relevés photographiques partiels mettant en évidence les animaux du registre supérieur
Fig. 27 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Relevés photographiques partiels mettant en évidence les animaux du registre supérieur

3 – Clermont-Ferrand, Le Brézet (Puy-de-Dôme)

On ne quitte toujours pas le complexe d’Aulnat avec cette découverte récemment publiée issue d’une fouille de 1997 (Deberge 2000).

Le vase peint étudié provient de nouveau du comblement primaire d’un puits du début de La Tène D1. L’environnement semble plutôt ici lié à des activités cultuelles, sans exclure les activités domestiques.

Vase n°22

Vase incomplet de forme haute assez élancée, bien que son pied ne soit pas cintré.

Fig. 28 – Clermont-Ferrand, Le Brézet : vase n°22 (d’après Deberge 2000).
Fig. 28 – Clermont-Ferrand, Le Brézet : vase n°22 (d’après Deberge 2000).

La partie sommitale manque complètement.

Le décor, traité en réserve sur fond rouge, est très bien conservé.

Il se développe sur un large registre qui occupe toute la panse et est divisé en trois métopes. Chaque métope est occupée par un quadrupède tourné à gauche aux pattes élancées, à la longue queue tombante et à la ramure – incomplète – exubérante.

Un appendice curviligne est greffé sur sa croupe, tandis que deux motifs abstraits indépendants occupent des espaces libres dans le bas du champ.

Les métopes sont séparées par de larges motifs de chevrons.

4 – Clermont-Ferrand, Le Pâtural (Puy-de-Dôme)

Les derniers vases proviennent d’un site de plaine dégagé sur une vaste étendue (près d’un hectare) entre 1987 et 1995 par John Collis et Jon Dunkley, à moins de 3 km au nord du précédent.

Bien que l’occupation culmine au IIe siècle avant J.-C. et que la céramique y soit très abondante, la céramique peinte ayant conservé un décor lisible est rare (sans doute parce que l’essentiel du mobilier provient de fossés où il a pu rester longtemps exposé à l’air libre).

Les vases présentés, qui s’ajoutent à ceux présentés antérieurement (Guichard 1994, p. 110 et fig. 9), ont été retrouvés, pour le premier à l’état de gros fragments parmi les blocs de calage d’un poteau, sans aucun autre mobilier caractéristique (sinon une embouchure de cruche à pâte calcaire d’origine méridionale), pour le second dans le remplissage d’un fossé daté en première analyse du milieu du IIe siècle avant J.-C. par le mobilier associé.

Vase n°23 (inv. PA 64042)

Vase peint, très lacunaire.

Fig. 29 – Clermont-Ferrand, Le Pâtural, fosse 64042 : vase n°23.
Fig. 29 – Clermont-Ferrand, Le Pâtural, fosse 64042 : vase n°23.

La forme, haute et fuselée, se distingue par son col haut souligné par une baguette et son pied très soulevé.

La peinture, assez érodée, est appliquée sur une couche d’engobe de couleur crème.

Le registre principal, sur fond blanc, est délimité par deux bandeaux rouges.

Le décor, qui recourt à la même technique que ceux du groupe 4 (motifs principaux en réserve sur fond en aplat, surcharge de motifs indépendants, esses et lignes de rinceaux) n’est pas reconstituable.

Le champ paraît découpé par des traits rectilignes obliques. Le centre du registre est occupé par des quadrupèdes qui paraissent bondir, au lieu de s’appuyer sur la bordure inférieure du champ.

Vase n°24 (inv. PA 71050, 71056, 71057 : fossé 70926)

Vase peint très lacunaire, de forme haute et certainement fuselée. Le décor se développe sur fond blanc. On reconstitue une composition comparable à celle qui caractérise le groupe 4 : une frise principale d’animaux (quadrupèdes) tournés à droite, environnés d’animaux plus petits qui occupent l’espace situé au-dessus de leur croupe et (sans doute) celui placé au-dessous de leur poitrail. Plus précisément, l’espace supérieur, entre deux animaux du registre principal, semble normalement occupé par une large volute qui prolonge leur crinière et, situés de part et d’autre de celle-ci, de deux quadrupèdes bondissants. La présence d’un seul quadrupède dans un des intervalles, de longueur réduite, doit s’expliquer par une mauvaise gestion de la surface à décorer. Ce vase se distingue en revanche par un traitement décoratif contraire aux conventions habituelles des décors animaliers du nord-est du Massif central : les motifs se détachent ici en sombre sur fond clair. La stylisation des formes animales présente d’autres traits originaux : mufles arrondis, gros yeux globuleux et, surtout, oreilles beaucoup moins développées qu’à l’habitude.

Fig. 30 – Clermont-Ferrand, Le Pâtural, fossé 70926 : vase n°24.
Fig. 30 – Clermont-Ferrand, Le Pâtural, fossé 70926 : vase n°24.

III – Le répertoire ornemental de la céramique peinte du IIe siècle avant J.-C. dans le nord-est du Massif central

Ce répertoire comprend des décors géométriques et des décors plus élaborés, utilisant des motifs d’origine végétale ou animale. La proportion des uns et des autres est difficile à apprécier précisément. Un décompte systématique effectué sur plusieurs sites du département de la Loire (Feurs et Roanne) suggère un rapport 3 ou 4 pour 1. Les décors géométriques présentent une grande variété, sujette à des variations d’un site à l’autre, et une réelle spécificité vis-à-vis du répertoire d’autres régions bien documentées du monde laténien. Toutefois, nous nous attarderons seulement sur les décors plus élaborés, infiniment plus spectaculaires et plus riches d’information. Les décors complexes n’utilisant pas des motifs animaliers sont rares. Les plus caractéristiques illustrent le thème de la frise de rinceaux, traitée dans un esprit résolument différent de celui propre au “style végétal continu “du IVe siècle (frise de rinceaux : Guichard 1987, fig. 9/1, Guichard 1994, fig. 3/1 ; autres compositions : Guichard 1994, fig. 15/4). Les décors animaliers sont en revanche très fréquents. Les nouveaux éléments apportés au corpus améliorent notablement notre connaissance de leur répertoire. On avait proposé de définir au sein de celui-ci quatre groupes stylistiques, qui permettaient de classer l’ensemble des décors reconstituables et la grande majorité de ceux connus seulement à l’état de fragments (Guichard 1987, p. 109-125).

Le premier regroupait tous les décors sur fond de résille. Il s’avérait représenté seulement par des frises ininterrompues de quadrupèdes et datable essentiellement de la première moitié du IIe siècle. Le second correspondait aux décors divisés en métopes. S’y rattachaient uniquement des figurations de quadrupèdes dotés d’une ramure épanouie en forme de lyre symétrique et apparaissant en réserve sur fond traité en aplat noir. Ce groupe, fréquent en territoires éduen et ségusiave et jusqu’à présent absent en territoire arverne, couvrait tout le IIe siècle.

Le troisième groupe s’identifiait au décor d’une série peu nombreuse de coupes représentées seulement en territoire ségusiave, constitué de frises continues de quadrupèdes traitées en réserve sur fond en aplat. Le quatrième groupe se caractérisait par une frise continue de quadrupèdes traitée en réserve sur fond en aplat. Il réunissait une série assez nombreuse de récipients découverts en territoires arverne et ségusiave, qui se distinguaient aussi par une grande surcharge ornementale et provenaient uniquement de contextes datés de la seconde moitié du IIe siècle.

Certains des nouveaux vases, sans remettre en question ce classement, permettent de mieux apprécier la variété au sein de chaque groupe. C’est le cas en particulier des nouveaux représentants typiques du groupe 4 (Riom, N°1, Fig. 3 ; Gandaillat, N°21, Fig. 24). Le premier montre un décor simplifié, où les quadrupèdes des registres inférieur et supérieur ont été remplacés par des palmettes. Les deux autres présentent en revanche un décor surchargé à l’extrême. Sur le vase de Gandaillat, dont la grande taille est exceptionnelle, le peintre exploite avec virtuosité le champ inhabituellement large qui lui est offert, multipliant les figures animales (vingt-huit, contre une douzaine habituellement) et les ornements sans modifier l’économie générale du décor.

Cette variété est également constatée pour le groupe 1 avec le singulier exemple d’un vase du Puy de la Poix (N°10, Fig. 12), sur lequel les animaux ont disparu au profit de motifs purement abstraits dont le traitement est identique à celui réservé à la queue ou aux oreilles sur les vases de ce groupe.

D’autres décors, malheureusement tous fragmentaires, n’entrent certainement pas dans un de nos groupes. C’est le cas de vases de Riom (N°5, Fig. 7) et du Pâtural N°23, (Fig. 29) dont la technique décorative paraît toutefois proche des vases du groupe 4. Plusieurs autres présentent une subdivision du registre principal en métopes, jusqu’alors inédite en territoire arverne (Riom, N°4, Fig. 6 et sans doute N°3, Fig. 5 ; Puy de la Poix, N°20, Fig. 22 ; Le Brézet, N°22, Fig. 28), sans pour autant montrer les représentations animales simples et stéréotypés qui caractérisent le groupe 2. Surtout, un vase du Pâtural (N°24, Fig. 30) présente une solution décorative originale, qui permet de définir un cinquième groupe stylistique, avec des motifs animaliers qui ne se détachent pas en réserve sur fond sombre. Cette solution avait déjà été repérée sur un vase du site de La Grande Borne à Clermont-Ferrand (Guichard 1994, fig. 3/3), dont le seul fragment conservé laissait apparaître une tête traitée de façon identique.

La disponibilité de vases complets au décor parfaitement conservé permet également de mieux appréhender la technique utilisée par les artisans gaulois. Deux des vases de la découverte du Puy de la Poix (N°9 et 10, Fig. 11 et 12) montrent l’utilisation d’un pinceau large pour mettre en place à grands traits et en jouant sur les pleins et les déliés un décor qui demeure très sobre. Le qualificatif de calligraphique nous paraît parfaitement adapté pour désigner cette technique. Le dernier vase à décor animalier de la même découverte (N°11, Fig. 13) montre en revanche le recours à un instrument très fin manié avec un grand souci de précision, ce qui permet, entre autres, de surcharger le décor de motifs secondaires. On peut parler à ce propos de technique miniaturiste. On retrouve ce traitement notamment sur le spectaculaire vase de Gandaillat (N°21, Fig. 24). Plus généralement, tous les vases du groupe 4 (ainsi que ceux du groupe 3 et les représentants classiques du groupe 2) relèvent de cette technique, alors que ceux du groupe 1 adoptent la technique calligraphique.

L’un des vases du Puy de la Poix (N°11, Fig. 13) présente l’intérêt particulier de réunir des caractères normalement spécifiques des groupes 1 (remplissage de résille) et 4 (technique calligraphique). Il se situe donc stylistiquement, et d’ailleurs aussi chronologiquement, comme l’indique son contexte d’enfouissement, à l’articulation des deux groupes et permet de vérifier que le second est effectivement issu de l’évolution du premier, à la faveur d’un changement de technique décorative.

Les deux vases qui déterminent le groupe 5 montrent l’utilisation de la technique miniaturiste, ainsi qu’une mise en œuvre dans le même esprit que le groupe 4, avec une profusion de motifs secondaires qui ornent toutes les plages disponibles, sombres et claires, et traitées, selon le cas, en positif ou en réserve. D’après leur contexte archéologique, ces vases appartiennent plutôt à une période antérieure à celle du développement du groupe 4. Ce dernier pourrait donc finalement être issu d’une synthèse entre le groupe 1, pour le traitement en réserve, et le groupe 5, pour la technique décorative miniaturiste, aussi utilisée dans la première moitié du IIe siècle pour des décors végétalisants : le meilleur exemple est fourni par un vase de La Grande Borne (Guichard 1994, fig. 3/1).

On peut encore noter que la technique miniaturiste requiert un travail plus minutieux et plus long, qui va à l’encontre d’une logique économique d’augmentation de la cadence de production. La surcharge de motifs secondaires sur certains vases et l’infinie variété des décor du groupe témoignent aussi de modes de production qui ne cherchent assurément pas à optimiser leur rentabilité commerciale. Il n’en reste pas moins que la fréquence des découvertes suggère une production numériquement importante de ces vases à décor animalier.

Le grand nombre de vases décorés disponibles permet ainsi de retracer l’histoire d’une technique décorative restreint. A l’image de ce que l’on a pu proposer pour les décors gravés des émissions monétaires contemporaines, on peut constituer des séries sur des bases stylistiques et l’on peut vérifier leur valeur chronologique par confrontation avec le contexte de dépôt des objets. La tendance principale, tout au long du siècle qui nous occupe, est l’évolution depuis des décors très sobres et rapidement mis en place vers des décors très sophistiqués, requérant un temps de travail toujours accru. Ces derniers utilisent une technique miniaturiste qui, encore peu utilisée dans la première moitié du IIe siècle, du moins en Auvergne, remplace complètement par la suite la technique calligraphique plus ancienne. Cette évolution se traduit par un maniérisme de plus en plus prononcé – le vase de Gandaillat (N°21, Fig. 24) en fournit le plus éclatant exemple – sans que les thèmes décoratifs ne soient jamais remis en cause. Ceux-ci sont en effet étonnamment unitaires et spécifiques de la céramique peinte : frises de quadrupèdes volontairement ubiquistes, tenant à la fois des cervidés et des équidés dès les représentations les plus anciennes et se parant progressivement d’appendices curvilignes qui finissent par masquer la forme animale elle-même. Cette exubérance, propre à ce style décoratif, n’empêche pas la préservation du dynamisme issu de l’élimination de tout plan de symétrie qui, par excellence, fait la spécificité de l’art laténien depuis le IVe siècle.

Le vocabulaire décoratif original des potiers du Massif central témoigne d’une fonction symbolique particulière des animaux, en liaison avec l’usage des récipients qu’ils ornent, qui est clairement lié à la boisson (comme le montrent l’enduit de poix sur leur paroi interne, systématique sur les exemplaires les mieux conservés, et leur association avec d’autres récipients de service dans les ensembles funéraires contemporains). Cette fonction est certainement différente de celle des animaux représentés sur les monnaies ou les figurines en ronde-bosse contemporaines, qui illustrent de tout autres conventions iconographiques. Malgré des modes de composition fort différents, des analogies plus précises peuvent en revanche être soulignées entre les motifs du groupe stylistique 5 (surtout) et quelquesuns des rares témoignages de l’art toreutique laténien tardif : fourreau à décor animalier du site de La Tène, plaques en bronze de Levroux et douelles du seau d’Aylesford. Si la datation du premier objet, de par sa forme, est parfaitement cohérente avec celle de nos vases peints, ceux-ci suggèrent en revanche, pour les deux derniers ensembles, une datation plus ancienne que celle qui leur est traditionnellement attribuée.

IV – Un dernier moment de folie créatrice. Les décors lissés : un précédent aux décors peints ?

L’apparition de la céramique à décor peint complexe au début du IIe siècle est un phénomène brutal, ce que l’on perçoit tant par la place qu’elle va rapidement acquérir parmi la vaisselle de présentation que par la variété et la qualité du répertoire ornemental qui se met en place en l’espace d’une génération. Si la technique décorative utilisée est connue en Europe tempérée de longue date, les précédents régionaux en céramique peinte ne suffisent pas à expliquer à eux seuls cet engouement rapide et cet aboutissement technique. Ces précédents existent toutefois et permettent d’établir une filiation depuis les rares jattes à bord rentrant et vases au Hallstatt final et au début de La Tène ancienne, décorées d’un bandeau extérieur rouge, parfois rehaussé de motifs géométriques simples à la barbotine ou, plus exceptionnellement, d’un décor surpeint complexe utilisant pour la première fois du pigment noir, associé à la technique du masquage à la cire (Jouannet, Périchon dans : PCR 1999, p. 52, pour deux vases du site de La Cartoucherie à Clermont-Ferrand), en passant par d’aussi rares jattes à profil en S et vases à piédestal à décor rouge uniforme au IIIe siècle.

Les séries de mobilier disponibles en Basse-Auvergne montrent aussi que la technique décorative privilégiée au IIIe siècle utilise le brunissoir, qui permet de faire se détacher des motifs lustrés sur une surface volontairement laissée mate. Dans ce domaine, une tradition régionale remontant au IVe siècle (voire à la fin du siècle précédent) est bien attestée par diverses découvertes, même si celles-ci demeurent encore imprécisément datées : Feurs, Roanne, Perreux et Le Châtelard de Lijay dans le département de la Loire, le soi-disant tumulus de Celles dans celui du Cantal, ainsi que plusieurs séries de Basse-Auvergne. A La Tène ancienne, le support privilégié de ce type de décor est le vase haut à piédestal, toujours soigneusement façonné et rectifié à la tournette. Des compositions élaborées, géométriques ou curvilignes, sont attestées dans toutes les découvertes : frises de méandres à Lijay et dans la région de Clermont-Ferrand, frises de palmettes enchaînées à Lijay et à Celles, etc. Cette technique connaît un nouvel engouement au IIe siècle et sert alors à orner la quasitotalité de la vaisselle fine, lorsque celle-ci n’est pas peinte, avant de tomber en désuétude à l’aube du Ier siècle. C’est de la même époque que datent les compositions les plus complexes11, qui montrent clairement le parallélisme des expérimentations dans les deux techniques du lissage et la peinture.

Par ailleurs, la relative fréquence des graffiti figuratifs dans la région de Clermont-Ferrand au IIe siècle avant J.– C. et la qualité de certaines représentations (Périchon 1987) qui utilisent des conventions graphiques très différentes de celles de la céramique peinte suggèrent que les représentations figurées se développaient sur bien d’autres supports (par exemple l’exceptionnel témoignage d’une figurine de quadrupède en rondebosse de la première moitié du IIe siècle avant J.-C. sur le site de La Grande Borne : Deberge et al. dans : PCR 2001, p. 85).

V – Un dernier moment de folie créatrice. Innovations et tradition dans le répertoire du Ier siècle avant J.-C. et du Ier s. après J.-C.

La disparition des décors élaborés et la raréfaction de la céramique peinte, à la charnière du IIe et du Ier siècle, participe d’un mouvement général de renouvellement du vaisselier : amélioration des techniques de préparation de l’argile et de cuisson, appropriation de formes issues du répertoire méditerranéen pour certains usages. Cette mutation révèle sans aucun doute une logique de production qui prend plus en compte les paramètres économiques (formes et décors plus normalisés, fabriqués en séries plus nombreuses et plus homogènes). La qualité de l’ornementation en pâtit de façon évidente : la céramique peinte ne conserve qu’un répertoire très appauvri de décors géométriques de composition très simple (Guichard et al. 1991, p. 222-223 et fig. 10), les décors lissés disparaissent presque totalement, tandis qu’apparaissent les décors impressionnés à la molette, qui demeureront en vogue jusqu’au début du Ier siècle après J.-C. Ces derniers, mis en place de façon répétitive et rapide, ne laissent plus aucune place à l’inventivité de l’artisan.

Cette nouvelle logique, qui s’accompagne de la réorganisation progressive des modes de production, voit le jour en Basse-Auvergne dans les dernières décennies du IIe siècle, au terme d’une longue période de développement démographique et économique, en même temps que l’accession à un régime économique monétarisé est conclue par la généralisation des monnayages de bronze. Elle précède de toute évidence la vaste réorganisation du peuplement qui résulte de la fondation d’un oppidum central, sur le plateau de Corent, au tournant du Ier siècle. Le renouvellement radical du répertoire céramique livré par cet oppidum dès le premier tiers du Ier siècle montre seulement une accélération du processus. Celle-ci est sans doute induite par un regroupement des moyens de production industrielle

au moment de la réorganisation radicale du peuplement qui accompagne l’apparition de l’oppidum central (désaffection quasi-systématique des centres de peuplement non-fortifiés plus anciens). En territoire ségusiave, la même tendance générale est observée, mais de façon moins brutale, sans doute parce que l’apparition d’oppida ne remet pas en cause aussi radicalement l’existence des agglomérations situées en plaine.

A nos yeux, l’abandon du riche répertoire de la céramique peinte par les potiers du nord-est du Massif central n’apparaît donc pas comme une conséquence du phénomène “catastrophique “(par son ampleur et sa rapidité) que constitue la mise en place des oppida, mais comme celle d’un phénomène qui, trouvant son origine à une époque bien plus ancienne, aboutit vers la fin du IIe siècle à une adaptation des modes de production aux exigences d’une économie de marché. (Peut-être doit-on en revanche considérer que l’apparition des oppida est une autre conséquence du même phénomène, provoquée, de façon indirecte, par une crise de société qui aurait accompagné l’émergence du nouveau cadre économique.)

La révélation de la richesse de l’artisanat de la céramique peinte laténien de la fin de l’âge du Fer est la manifestation, spectaculaire, de la reconnaissance archéologique engagée voici seulement quelques décennies, mais à un rythme sans cesse accéléré, de la période qui précède immédiatement la mise en place du réseau des oppida en Gaule du Centre-Est. Les jalons de cette reconnaissance sont les publications des fouilles des agglomérations de plaine qui caractérisent cette période : Bâle par E. Major et Breisach par G. Kraft dans les années 1930, Clermont-Ferrand / Aulnat par J.-J. Hatt en 1942, Roanne par M. Bessou à partir de 1967, puis Levroux, Feurs…

L’artisanat étudié ici présente un caractère régional marqué, qui ne prend réellement de sens que si on le considère dans son contexte régional. C’est donc un gros avantage, dont on bénéficie rarement pour la documentation artistique de la période laténienne, de disposer d’une série nombreuse de témoignages, bien répartis dans l’espace et dans le temps (et donc, en particulier, bien datés). Outre l’intérêt immédiat d’enrichir le corpus, jusque-là bien maigre, des productions artistiques de la période, cette série permet d’apprécier la mise en place d’un vocabulaire décoratif cohérent et autonome dans un domaine géographique bien délimité, tout en s’inscrivant avec une parfaite logique dans l’évolution du fonds culturel laténien. La mise en place de ce répertoire peut être mise en parallèle avec la formation des entités politiques régionales (ici : Arvernes, Ségusiaves, Eduens) qui caractérisent la fin de

l’âge du Fer en Europe moyenne. Sa disparition brutale témoigne enfin de l’importance croissante des paramètres économiques pour l’évolution de la société laténienne à la même époque. Les nouvelles solutions décoratives illustrées par les découvertes rendues publiques ici nous obligent enfin à rappeler que le corpus des décors peints de la céramique laténienne du Massif central ne demeure encore que très partiellement connu et qu’il est encore amené à s’étoffer au cours des prochaines années (pour notre plus grande satisfaction !)

VI – Un dernier moment de folie créatrice. Illustrations

Conventions graphiques : les plages peintes en blanc sont figurées sur les relevés graphiques par une trame gris clair, celles peintes en rouge par une trame plus dense et les motifs surpeints (de couleur sépia) en noir. Les plages non-peintes sont laissées en blanc.

Les profils des vases sont rendus à l’échelle 1/3 sur les Fig. 3, 8 à 15, 28 à 30, et à l’échelle 1/4 sur les figures 16 à 23.

Sauf mention contraire, les relevés graphiques sont l’œuvre de l’auteur principal. La numérisation des dessins est due à Y. Deberge.

Fig. 1 – Découpage territorial présumé au Haut-Empire et sites du nordest du Massif central ayant livré de la céramique peinte laténienne à décor animalier (région de Clermont-Ferrand exclue).

Fig. 2 – Cartographie des sites de la fin de l’âge du Fer dans la région de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme).

Fig. 3-10 – Riom, La Gravière, fosse 41 : vases n°1 à 8.

Fig. 11-21 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, puits 78 : vases n°9 à 19.

Fig 22 – Clermont-Ferrand, Puy de la Poix, fosse 50 : vase n°20

Fig. 23-27 – Clermont-Ferrand, Gandaillat, puits 34 : vase n°21. Profil restitué de façon approximative, dans l’attente d’un remontage (Fig. 23) ; développement photographique du décor (Fig. 24) ; relevés photographiques partiels mettant en évidence les animaux du registre principal (Fig. 25), du registre inférieur (Fig. 26) et du registre supérieur. D’après clichés Antoine Maillier, © Bibracte.

Fig. 28 – Clermont-Ferrand, Le Brézet : vase n°22 (d’après Deberge 2000).

Fig. 29 – Clermont-Ferrand, Le Pâtural, fosse 64042 : vase n°23.

Fig. 30 – Clermont-Ferrand, Le Pâtural, fossé 70926 : vase n°24.

VII – Un dernier moment de folie créatrice. Bibliographie

Béfort et al. 1989 : BEFORT (J.-C.), DELPORTE (H.), GUICHARD (V.) – L’occupation protohistorique du Châtelard de Lijay (Loire). Cahiers archéologiques de la Loire, 6, 1986 (1989), p. 19-45.

Deberge 2000 : DEBERGE (Y.) – Un puits à cuvelage en bois de La Tène finale (Le Brézet, Clermont-Ferrand, Puy-de-Dôme). Revue archéologique du centre de la France, 39, 2000, p. 43-62.

Genin, Lavendhomme 1998 : GENIN (M.), LAVENDHOMME (M.-O.) dir. – Rodumna (Roanne, Loire) : le village gallo-romain : l’évolution des mobiliers domestiques. Paris : éd. Maison des sciences de l’homme, 1998. (Documents d’archéologie française ; 65).

Grand 1995 : GRAND (K.) – Le répertoire décoratif de la céramique peinte gallo-romaine de Roanne (Loire). Revue archéologique du centre de la France, 34, 1995, p. 177-194.

Gruel, Vitali 1998 : GRUEL (K.), VITALI (D.) dir. – L’oppidum de Bibracte, bilan de onze années de recherche. Gallia, 55, 1997 (1998), p. 1-140.

Guichard 1987 : GUICHARD (V.) – La céramique peinte à décor zoomorphe des IIe et Ier s. avant J.-C. en territoire ségusiave. Études celtiques, 24, 1987, p. 103-143.

Guichard 1994 : GUICHARD (V.) – La céramique peinte gauloise des IIe et Ier s. avant J.-C. dans le nord du Massif central : nouvelles données. Études celtiques, 30, 1994, p. 103-136.

Guichard et al. 1991 : GUICHARD (V.), PICON (M.), VAGINAY (M.) – La céramique peinte gauloise en pays ségusiave aux IIe et Ier s. avant J.-C. Dans : CHARPY (J.-J.) dir. – La céramique peinte celtique dans son contexte européen, symposium international d’Hautvillers (1987). Reims : Société archéologique champenoise, 1991, p. 211-228. (Mémoires de la Société archéologique champenoise ;5).

Guichard et al. 1993 : GUICHARD (V.), PION (P.), MALACHER (F.), COLLIS (J.) – A propos de la circulation monétaire en Gaule chevelue aux IIe et Ier siècles av. J.-C. Revue archéologique du centre de la France, 32, 1993, p. 25-55.

Lavendhomme, Guichard 1997 : LAVENDHOMME (M.-O.), GUICHARD (V.) dir. – Rodumna (Roanne, Loire) : le village gaulois. Paris : éd. Maison des sciences de l’homme, 1997. (Documents d’archéologie française ; 62).

Pagès-Allary 1920 : PAGES-ALLARY (J.) – Dernier souvenir au tumulus de Celles (Cantal). Bulletin de la Société préhistorique française, 17, 1920, p. 124-129.

Pagès-Allary et al. 1903 : PAGES-ALLARY (J.), DECHELETTE (J.), LAUBY (A.) – Le tumulus arverne de Celles près Neussargues (Cantal). L’Anthropologie, 14, 1903, p. 385-416.

Pasquier 1997 : PASQUIER (I.) – La céramique peinte d’un habitat de La Tène finale : “Les Guignons “à Nanterre (Hauts-de-Seine). Revue archéologique du centre de la France, 36, 1997, p. 23-37.

Paunier, Luginbühl à paraître : PAUNIER (D.), LUGINBÜHL (T.) dir. – Le site de la domus PC1 à Bibracte : recherches de l’université de Lausanne (1988-1997). Glux-en-Glenne : Centre archéologique européen du Mont Beuvray, à paraître. (Bibracte).

Périchon 1987 : PERICHON (R.) – L’imagerie celtique d’Aulnat. Dans : Mélanges offerts au Dr. Jean-Baptiste Colbert de Beaulieu. Paris : Le Léopard d’Or, 1987, p. 677-695.

PCR 1999 : MENNESSIER-JOUANNET (C.) dir. – Projet collectif de recherche sur les mobiliers du second âge du Fer en Auvergne : rapport annuel 1999. Mirefleurs : ARAFA 2000. (Multigraphié).

PCR 2000 : MENNESSIER-JOUANNET (C.) dir. – Projet collectif de recherche sur les mobiliers du second âge du Fer en Auvergne : rapport annuel 2000. Mirefleurs : ARAFA 2001. (Multigraphié).

PCR 2001 : MENNESSIER-JOUANNET (C.) dir. – Projet collectif de recherche sur les mobiliers du second âge du Fer en Auvergne : rapport annuel 2001. Mirefleurs : ARAFA 2002. (Multigraphié).

Vaginay 1983 : VAGINAY (M.) – Un site du premier âge du Fer à Perreux (Loire). Cahiers archéologiques de la Loire, 3, 1983, p. 27-38.

Vaginay, Guichard 1988 : VAGINAY (M.), GUICHARD (V.) dir. – L’habitat gaulois de Feurs : Fouilles récentes. Paris : éd. Maison des sciences de l’homme, 1988. (Documents d’archéologie française ; 14).

Sites fortifiés et occupations de hauteur en Auvergne

Type de projet : Projet collectif de recherche (PCR) Sites fortifiés et occupations de hauteur en Auvergne de l’âge du Bronze final à la fin des âges du Fer

Date : 2007

Responsable : Patrick Pion

Notice et documents : Patrick Pion, R. Lauranson, M.-C Kurzaj

Rapport : Rapport d’activité 2007

  • I – Résumé du rapport d’activité 2007 (2e année)
  • II – Sommaire du rapport PCR 2007
  • III – Résultats principaux
  • IV – Prospectives 2008

I – Résumé du rapport d’activité 2007 (2e année)

Les objectifs généraux et problématiques de ce Projet Collectif de Recherche étant détaillés dans le rapport d’activité 2006, le lecteur voudra bien s’y reporter. On ne développera ici qu’une brève synthèse des travaux réalisés en 2007.

II – Sommaire du rapport PCR 2007

Documentation : dépouillements systématiques

  • Résultats du dépouillement systématique des albums photographiques du MAN par départements (J.P. Guillaumet ; P. Pion)

État des enquêtes par départements

Allier

  • Principaux résultats de la fouille de Hérisson (D. Lallemand)
  • Bilan documentaire et évaluation des recherches anciennes sur l’éperon barré de Bègues / Les Charmes (P. Pion)
  • Inventaire exhaustif des sites de hauteur et installations fortifiée du département de l’Allier (D. Lallemand)

Puy de Dôme

  • Découverte et Prospection de sites de hauteur inédits en Combrailles (G. Massounie)
  • Occupation protohistorique du château du Broc (R. Liabeuf)
  • Toponymie historique du plateau de Gergovie (A. Rousset ; M. Rousset ; Y. Deberge)
  • Résultats de l’application d’un SIG à l’analyse des covisibiltés entre oppida et plaine de la grande Limagne (S. Mesnart)
  • Résultats principaux des fouilles 2007 : Gondole
  • Résultats principaux des fouilles 2007 : Corent (P.-Y.Milcent ; M. Poux)
  • Résultats principaux des fouilles 2007 : Gergovie (M. Garcia ; Y. Deberge)

Haute-Loire

  • Prospections et interventions sur l’oppidum de La Rochelambert/Marcillac à St-Paulien (M.C. Kurzaj ; E. Nectoux)
  • Examen des collections anciennes de l’oppidum du Mont Mallorum à Bas-en-Basset (R. Lauranson)
  • Étude du matériel protohistorique des sondages récents du chateau de Polignac (M.C. Kurzaj)
  • Contrôles au sol de l’éperon barré de Genier-Mongon, le Razat (B. Dousteyssier ; F. Delrieu)

Cantal

  • Occupations et fréquentations protohistoriques sur la planèze de Pierrefort (prospections F. Surmely ; P. Pion)
  • Chastel-sur-Murat : étude des collections anciennes et ré-interprétation du site (P. Pion ; L. Izac-Imbert)
  • Repérages et documentation de sites à partir de collections associatives ou privée : musées d’Antignac, de Massiac (P. Pion ; R. Liabeuf)
  • Contrôles au sol de l’éperon barré du Martinet à Molèdes (B. Dousteyssier ; F. Delrieu)
  • Contrôles de sites connus : Camp de César à La Bessette, Escoalier à Mauriac et Bort-les-Orgues
  • Nouveaux signalements : éperon barré du Gour Noir (H. Pigeire)
  • Nouveaux signalements : Labro à Ferrières-St-Mary (F. Delrieu ; B. Dousteyssier)

III – Résultats principaux

Hors fouilles programmées, les acquis principaux de 2007 concernent d’une part la datation des occupations de plusieurs sites de hauteur, d’autre part leurs fonction et complémentarités éventuelles.

Sur le premier point, l’un des traits les plus remarquables est la fréquence des occupations Bronze/Ier Fer sur beaucoup des sites « datés » (par ailleurs encore bien peu nombreux), tandis que contre toute attente on note souvent l’absence ou la fugacité des vestiges attribuables au Second âge du Fer et notamment à sa fin, pour des sites dont certains pourtant furent qualifiés d’oppida (Polignac, Le Bru, Carlat – en cours-). On ne peut en effet évoquer des problèmes de conservation ou de taphonomie, car ce matériel tardif est généralement mieux conservé, et volumineux au point d’occulter souvent les occupations plus anciennes.

La problématique des fonctions et complémentarités éventuelles est renouvelée quant à elle par deux études approfondies.

Chastel-sur-Murat (P. Pion ; L. Izac-Imbert) a fait l’objet d’un conséquent travail de recollement des planches originales de Pagès avec les copies d’originaux, planches publiées et le matériel conservé au musée d’Aurillac, ce qui a permis de relocaliser au moins approximativement un certain nombre de découvertes. Il ressort du faciès mobilier une fréquentation à la LTC2 et LTD1 (II s – début du Ier s. BC) avec un vraisemblable hiatus à LT D2 avant les occupations plus tardives romaines et médiévales. La surprise réside dans les catégories de mobilier représentées, trop sélectives pour correspondre à un habitat, et encore moins à un oppidum, en dépit du qualificatif de « petite Bibracte » qui lui fut donné. Il s’agit d’un site à fonctions rituelles lato sensu, d’un type toutefois radicalement différent des sanctuaires connus au cœur du territoire arverne aussi bien qu’en Bourgogne ou Gaule Belgique (absence totale des armes et des amphores notamment). Il conviendra donc d’approfondir l’enquête pour mieux identifier les pratiques dont il fut le siège.

Le bassin de Clermont-Ferrand, le plus intensivement exploré archéologiquement, a fait l’objet d’une étude expérimentale à grande échelle en mobilisant les potentialités d’un SIG, pour aborder les sites dans le paysage, en termes de visibilités et covisibilités (S. Mesnart, mémoire de master 2 de Paris X). Il en ressort notamment que les champs visuels couverts par Corent et Gergovie sont largement complémentaires, le premier contrôlant spécifiquement le secteur d’Aulnat et la partie aval du cours de l’Allier, tandis que Corent maîtrise seul le cours en amont du verrou. Gondole quant à lui est visible des deux sites mais son champ visuel est inexistant et son implantation répond manifestement à d’autres critères que le contrôle territorial.

IV – Prospectives 2008

Pour le Puy de Dôme, plusieurs opérations du programme initial pour 2007 n’ont pu être réalisées, du fait de la surcharge de travail des archéologues de l’INRAP qui participent au PCR sans avoir pu bénéficier de jours PASS à lui consacrer. C’est notamment le cas pour l’inventaire du département Puy-de-Dôme, qui demande un investissement en temps assez lourd et doit impérativement être terminée en 2008.

Concernant les prospections, il est clair que la carte actuelle des sites présente des vides étonnants qui doivent être testés systématiquement. Le cas de la Combraille, comme celui de la planèze de Pierrefort, est à cet égard exemplaire puisqu’aucun site n’y était signalé à ce jour sur la carte archéologique. On envisage donc d’ouvrir une autre fenêtre dans des zones vierges (Mauriac ou la Chataigneraie pour le Cantal, Haut-Allier pour la Haute-Loire, en fonction des disponibilités des chercheurs. Mais le problème crucial demeure évidemment la datation de ces sites, pour lesquels la seule typologie des aménagements, quand ils existent, est insuffisante. Il est certain que pour cela on ne pourra faire l’économie de sondages sur un échantillon de sites qu’il conviendra de cibler précisément.

Détails des structures observées lors de missions de prospections aériennes. 1 – Rempart supposé du site des Charmes ; 2 – Rempart de l’ oppidum du second âge du Fer ; 3 – Enclos ; 4 – Fanum , bâtiments annexes et fosses (?) ; 5 – Fossés ; 6 et 7 – Talus anciens ?
Détails des structures observées lors de missions de prospections aériennes. 1 – Rempart supposé du site des Charmes ; 2 – Rempart de l’ oppidum du second âge du Fer ; 3 – Enclos ; 4 – Fanum , bâtiments annexes et fosses (?) ; 5 – Fossés ; 6 et 7 – Talus anciens ?
Carte des sites de hauteur de Combrailles, Sud-est (Puy-de-Dôme)
Carte des sites de hauteur de Combrailles, Sud-est (Puy-de-Dôme)
Balles de fronde romaines en plomb, certaines inscrites (MAN)
Balles de fronde romaines en plomb, certaines inscrites (MAN)
Enceinte de Puy-Chabannes, Gelles (63)
Enceinte de Puy-Chabannes, Gelles (63)
Gergovie / Corent / Gondole (63)
Gergovie / Corent / Gondole (63)
Saint-Paulien, Marcillac / La Rochelambert (43)
Saint-Paulien, Marcillac / La Rochelambert (43)
Mont-Mallorum (Bas-en-Basset, 43)
Mont-Mallorum (Bas-en-Basset, 43)
Localisation du site de Labro (matérialisé par une étoile) sur un fond de carte IGN.
Localisation du site de Labro (matérialisé par une étoile) sur un fond de carte IGN.
Photographie verticale IGN drapée avec le relief – GÉOPORTAIL 2007
Vue prise de l’est
Photographie verticale IGN drapée avec le relief – GÉOPORTAIL 2007
Vue prise de l’est
Bracelets en verre et fibules, Chastel-sur-Murat (15)
Bracelets en verre et fibules, Chastel-sur-Murat (15)
Ferrières St-Mary, Labro (15)
Ferrières St-Mary, Labro (15)

Espalem (43) – La nécropole de la Pénide

Espalem (43) – La nécropole de la Pénide et le tumulus 21

Anne Duny

1 – Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Le contexte géographique et géologique

Localisation de l'intervention archéologique => A – Carte de France (Admin Express 2019 – IGN) ; B – Carte de la région ARA (Admin Express 2019 – IGN) ; Carte au 1/50 000 (SCAN100 Métropole LAMB93 01-2020 – IGN ; CAO F. Muller)
Fig. 1 : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Localisation de l’intervention archéologique => A – Carte de France (Admin Express 2019 – IGN) ; B – Carte de la région ARA (Admin Express 2019 – IGN) ; Carte au 1/50 000 (SCAN100 Métropole LAMB93 01-2020 – IGN ; CAO F. Muller/ARAFA)

Le plateau de La Pénide se situe sur la commune d’Espalem, dans le département de la Haute-Loire. Ce secteur de moyenne montagne, peu impacté par les politiques d’aménagements du territoire, recèle un patrimoine archéologique d’exception.

Une nécropole tumulaire et un habitat de hauteur en sont les atouts majeurs.

Les vestiges archéologiques se localisent sur la bordure occidentale du plateau qui culmine entre 685 et 687 m NGF, au lieu-dit La Pénide (Fig. 1). Ce plateau basaltique s’intègre dans la province volcanique de la Margeride, à la lisière occidentale du Cézallier. Sa formation est le résultat de coulées successives, liées à l’activité volcanique. La partie sommitale est composée d’un basalte/basanite à petits cristaux de hornblende qui présente un déficit en silice. Les formes de dissolution rencontrées sur cette coulée se caractérisent par des fentes, failles ou diaclases peu développées. La pente de la façade occidentale du plateau est marquée par des formations sédimentaires oligocènes. L’ossature hercynienne de la formation se définit enfin par un terrain cristallophyllien : paragneiss à biotite et sillimanite (Thonat, Mathonnat et Le Garrec 2006).

Carte de situation du tumulus 21, des monuments tumulaires, de l’habitat du Razé et des zones humides sur le plateau de la Pénide (Cartographie et DAO : Fabrice Muller)
Fig. 2 : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Carte de situation du tumulus 21, des monuments tumulaires, de l’habitat du Razé et des zones humides sur le plateau de la Pénide (Cartographie et DAO : Fabrice Muller/ARAFA)

La particularité du plateau d’Espalem réside dans la présence de dépressions circulaires à ovoïdes (Fig. 2) dénommées : Lac Lant (ou Lac Long), Lac Citrou, Lac Bec (ou le Grand Lac), Lac Estang. L’origine de ces zones humides prête toujours à débat. Si la thèse d’une formation liée à un phénomène phréatomagmatique semble à l’heure actuelle pouvoir être écartée (Dendievel, Delrieu et Duny 2020), l’éventualité d’une formation corrélée à la fusion d’hydrolaccolites pourrait, quant à elle, être privilégiée.

Ces zones humides ont été fortement impactées par une activité principalement agricole (drainage, mise en culture…). Cette pression humaine significative dès le Moyen Âge n’a cessé de s’accroître aux époques postérieures. A l’heure actuelle, le plateau est principalement marqué par une activité agro-pastorale. Conséquences directes de l’interaction hommes/milieux, les monuments tumulaires et le rempart de l’habitat ont servi de carrières de pierres ou ont, a contrario, été rechargés de matériaux issus des champs avoisinants.

2 – Présentation de la nécropole tumulaire et des connaissances acquises

Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Morphotypologie des tumulus de la Pénide avant intervention archéologique : butte engazonnée (Tumulus 3). Cliché : A. Duny
Fig. 3a : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Morphotypologie des tumulus de la Nécropole avant intervention archéologique : butte engazonnée (Tumulus 3) (A. Duny/ARAFA)

Au sein de ce contexte, les tumulus apparaissent hors-sol, sous forme de butte empierrée et/ou végétalisée (Fig. 3). Ils viennent coiffer un paléosol peu épais, une dizaine de centimètres tout au plus, ou directement le substrat sub-émergeant. Ces vestiges funéraires ont été pour la première fois reconnus durant les années 1970/1980 par Alphonse Vinatié, correspondant de la 3ème circonscription des Antiquités Préhistoriques et Historiques d’Auvergne. Il identifia une série de 35 tumulus et tombelles en spécifiant dans ses notes que certains d’entre eux ne pouvaient au final correspondre qu’à de simples pierriers (Vinatié 1983). Il mit également en évidence les témoins de l’habitat fortifié situé à l’ouest de la nécropole, à l’emplacement de l’éperon barré du Razé.

Depuis une quinzaine d’années maintenant, des travaux d’archéologie préventive et programmée viennent poursuivre la recherche initiée par Alphonse Vinatié.

Ainsi en 2018, l’équipe du PCR “Archéologie des vallées de la Sianne et de la Sumène à l’âge du Bronze et au premier âge du Fer” a conduit une campagne ayant abouti au levé topographique de l’ensemble des tumulus et à la rédaction pour chacun d’entre eux d’une fiche d’état sanitaire (Delrieu et al. 2018). Grâce à ce travail, les données d’Alphonse Vinatié ont été largement amendées puisque la nécropole compte à ce jour 57 monuments. On soulignera néanmoins, qu’en l’absence de sondages, certains d’entre eux ne peuvent s’avérer être que des amas empierrés sans organisation particulière. Outre l’aspect quantitatif, la cartographie générée démontre également que les monuments funéraires ne s’orientent pas seulement vers les extrémités NNO et SSE du plateau (éperons) mais sont également “tournés” vers l’intérieur de la planèze au sein de laquelle la présence des lacs devait jouer un rôle symbolique prépondérant.

Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Morphotypologie des tumulus de la Pénide avant intervention archéologique : engazonnement et couverture arbustive (Tumulus 2). Cliché : A. Duny
Fig. 3b : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Morphotypologie des tumulus de la Nécropole avant intervention archéologique : engazonnement et couverture arbustive (Tumulus 2) (A. Duny/ ARAFA).
Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Morphotypologie des tumulus de la Pénide avant intervention archéologique : empierrement hors sol et couverture arbustive (Tumulus 51). Cliché : A. Duny
Fig. 3c : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Morphotypologie des tumulus de la Nécropole avant intervention archéologique : empierrement hors sol et couverture arbustive (Tumulus 51) (A. Duny/ ARAFA).

C’est à l’exploitation d’une carrière que l’on doit les interventions d’archéologie préventive. On compte ainsi trois diagnostics (Hénon 1999 ; Dunkley et al. 2006 ; Gandelin 2011) dont deux ont à ce jour donné suite à une fouille. Ce sont ainsi un vaste système de combustion (Blaizot et al. 2004) et deux tumulus et deux pierriers (Duny et al. 2013a ; Duny et al. 2013b ; Duny 2016) qui ont pu être fouillés entièrement. Ces derniers travaux ont ouvert la réflexion sur les problématiques architecturales, funéraires et chronoculturelles, que les recherches en cours et à venir vont poursuivre. Il s’agit notamment de dresser une typologie des constructions tumulaires en mettant en évidence les similitudes et les disparités. La fouille de deux des monuments de la nécropole a d’ores et déjà montré que si les dimensions sont quasiment identiques : diamètre respectif de 11 m et 11,30 m, les modes de constructions diffèrent sensiblement. Dans un cas, on observe une architecture plus complexe avec la mise en œuvre de trois espaces internes distincts, chacun ceinturé par une couronne périphérique dont l’ultime en élévation. Dans l’autre cas, il s’agit d’une architecture plus classique s’articulant autour d’un pavage cerclé d’une couronne en élévation et surmonté d’une chape mixte de terre et de pierres (Fig. 4). Ces architectures s’accompagnent également d’un mobilier rare mais attribuable à deux états distincts : Bronze moyen/Bronze final I pour l’un, Bronze final IIb/IIIa pour l’autre.

Relevés planimétriques de la base des tumulus 1 et 6 (Extrait de Duny et al. 2013a et b)
Fig. 4 : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Relevés planimétriques de la base des tumulus 1 et 6 (Extrait de Duny et al. 2013a et b/ARAFA)
Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Relevés planimétriques de la base des tumulus 1 et 6 (Extrait de Duny et al. 2013a et b)

3 – Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. La fouille du tumulus 21

La Nécropole de la Pénide offre donc l’opportunité rare d’étudier un corpus conséquent de tumulus en bon état de conservation. Pour initier les recherches sur ces constructions dans le cadre de l’archéologie programmée, choix a été fait de débuter les travaux par la fouille du tumulus 21 (Fig. 5). Monument le plus septentrional de la nécropole et l’un des plus grands, ce tumulus est installé en partie sommitale du plateau et domine le lac Bec (Fig. 6).

En l’état actuel de nos connaissances, le tumulus 21 apparaît “hors norme” au sein du paysage tumulaire auvergnat. Il s’agit d’un vaste empierrement orienté NNO/SSE, au contour piriforme. Il se développe sur 22 m de longueur pour 15 m de largeur. Le nettoyage et le relevé planimétrique initial du tumulus 21 réalisé en 2020 (année probatoire) a permis lors de la campagne 2021 (1ère année de triennale) d’inaugurer la fouille proprement dite du monument.

Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. La nécropole de la Pénide : Vue aérienne zénithale du tumulus 21 après nettoyage manuel, campagne de fouille 2020. Cliché : A. Duny
Fig. 5 : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Vue aérienne zénithale du tumulus 21 après nettoyage manuel, campagne de fouille 2020 (A. Duny/ ARAFA).
Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. La nécropole de la Pénide : Vue du Lac Bec situé immédiatement en contrebas du tumulus 21. Cliché : A. Duny
Fig. 6 : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Vue du Lac Bec situé immédiatement en contrebas du tumulus 21 (A. Duny/ ARAFA).

La méthode de fouille par carroyage à démontages par progressions horizontales et passes successives permettant la réalisation de coupes cumulées, tout en préservant la vision planimétrique des niveaux architecturaux, a été adoptée. A ce jour, la passe 1 correspondant à l’enlèvement des blocs de petits à moyens modules constituant la partie supérieure de la masse tumulaire a été descendue sur la moitié du tumulus, soit 11 quadrants sur 22 au total (Fig. 7). Le niveau atteint correspond à des blocs de modules plus importants s’apparentant pour partie au dôme, pour partie à des aménagements de type couronne. Si la lecture architecturale est encore mal aisée à ce stade de nos travaux, on remarque néanmoins que ce niveau apparaît moins anarchique, plus en place que celui ôté lors du premier démontage. Une première session de prises de vues photogrammétriques a été réalisée afin de pouvoir procéder au dessin pierres à pierres. Les 11 sections générées révèlent également une organisation. Ainsi, en l’état actuel de nos connaissances, l’hypothèse de 2020 sur la présence d’unités architecturales distinctes mais intrinsèquement liées semble être soutenue.

Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Vue aérienne zénithale du tumulus 21 après démontage du premier niveau de pierres constituant la masse tumulaire, campagne 2021 (Cliché : A. Duny)
Fig. 7 : Espalem (43) – La nécropole de la Pénide. Vue aérienne zénithale du tumulus 21 après démontage du premier niveau de pierres constituant la masse tumulaire, campagne 2021 (A. Duny/ ARAFA).

Plusieurs observations peuvent être formulées. La campagne de 2021 permet ainsi de révéler que la bordure de l’empierrement s’articule autour de blocs de grandes dimensions disposés à plat, en épi ou de chant entre lesquels s’intercalent des éléments de moindre gabarit. Nous pensons qu’il s’agit là de la couronne externe enserrant la totalité de la construction en pierres sèches. Les blocs plus épars, non jointifs et de gabarit peu important qui se retrouvent en périphérie externe de cette couronne peuvent être associés à des éléments remaniés ou éboulés mais également à un niveau de calage de la couronne, surtout en partie ouest où la pente est plus prononcée.

En se déplaçant vers l’intérieur de la masse tumulaire, les vues aériennes et les sections montrent à nouveau des étapes architecturales distinctes. Si certains aménagements potentiels pressentis au sortir de la fouille de 2020 ont été invalidés par les travaux de 2021, d’autres semblent perdurer à la lecture de la documentation de terrain. Il est encore cependant trop tôt pour affirmer pleinement leur existence et pour définir leur nature : aménagements autonomes, parties de couronne(s) interne(s), remaniements postérieurs… D’un point de vue stratigraphique, on soulignera que trois sondages ont été réalisés jusqu’au socle rocheux. Ces sondages permettent de démontrer que l’empierrement global a été installé sur une unité sédimentaire riche en éclats rocheux pouvant correspondre au niveau du substrat altéré. Cette couche, peu épaisse, n’excède pas 6 à 7 cm de profondeur. On constate également que par endroits les blocs ont été positionnés directement sur le socle rocheux irrégulier. Ce dernier, à l’emplacement du tumulus, opère une légère remontée vers l’est. Cette petite rupture de pente contribue à donner un aspect plus volumineux, plus massif à l’empierrement sur sa façade ouest.

Concernant la culture matérielle, la campagne de 2021 ne permet pas encore de proposer une datation pour la fondation du tumulus, sa base n’ayant pas été encore atteinte. Les premiers résultats indiquent néanmoins que la partie supérieure de la masse tumulaire livre des tessons relevant des périodes médiévale et moderne, tandis que la couche sous-jacente recèle des fragments de céramique non tournée dont deux éléments indiquent de manière certaine des fréquentations du tumulus entre le Bronze final IIIb et La Tène B2b.

Pour conclure, nous signalerons qu’à l’instant T de nos travaux, aucune sépulture n’a encore été mise au jour au sein de la nécropole de la Pénide. La découverte de restes osseux reste donc à venir lors des prochaines campagnes. L’équipe y travaille !


Bibliographie

Blaizot et al. 2004 : Blaizot F., Fabre L., Wattez J., Vital J. et Combes P. – Un système énigmatique de combustion au Bronze moyen sur le plateau d’Espalem (Canton de Blesle, Haute-Loire), Bulletin de la Société Préhistorique Française, 101, n°2, p. 325‑344.

Delrieu et al. 2018 : Delrieu F., Auxerre-Géron F.-A., Dendievel A.-M., Duny A., Jouannet C., Lacoste E., Muller F. et Roscio M. – Archéologie des vallées de la Sianne et de la Sumène à l’âge du Bronze et au 1er âge du Fer (Haute-Auvergne). Départements du Cantal, de la Haute-Loire et du Puy-de-Dôme, Rapport de prospection thématique, 2018.

Dendievel, Delrieu et Duny 2020 : Dendievel A.-M., Delrieu F. et Duny A. – Entre lacs et tourbières : approche pluridisciplinaire de l’évolution des paysages sur les zones humides de la Pénide à Espalem (Haute-Loire), BIOM n° 1, Revue scientifique pour la biodiversité du Massif Central, à paraître, p. 1 à 11.

Dunkley et al. 2006 : Dunkley J., Pasty J.-F., Brizard M., Cabezuelo U., Cayrol J. et Combes P. – Espalem, Haute-Loire : Lac Lant “Les Carrières de Blanchon”, Rapport final de diagnostic archéologique, INRAP Auvergne-Rhône-Alpes, Bron, 2006, 94 p.

Duny, Ayasse, et al. 2013 : Duny A., Ayasse A., Banerjea R., Batchelor C., Gray L. et Save S. – Un tumulus du Bronze final en Haute-Auvergne : le tertre 1 du Lac Citrou à Espalem (Haute-Loire), Rapport final d’opération de fouille préventive, Mosaïques Archéologie, Cournonterral, 2013, 163 p.

Duny, Banerjea, et al. 2013 : Duny A., Banerjea R., Batchelor C., Fernandes P., Gray L. et Save S. – Une structure tumulaire du milieu de l’âge du Bronze en Haute-Auvergne : le tertre n°6 du Lac Lant à Espalem (Haute-Loire), Rapport final d’opération de fouille préventive, Mosaïques Archéologie, Cournonterral, 2013, 149 p.

Duny 2016 : Duny A. – Architecture funéraire de l’âge du Bronze en Haute-Auvergne : le cas de deux tumulus de la nécropole de la Pénide à Espalem, Haute-Loire, in Cl.-A. De Chazelles, M. Schwaller (Dir.) : Vie quotidienne, tombes et symboles des sociétés protohistoriques de Méditerranée nord-occidentale. Mélanges offerts à Bernard Dedet, Monographies d’Archéologie Méditerranéenne, Hors-série n°7, Tome 2, Lattes, 2016, p. 527-542.

Gandelin 2011 : Gandelin M. – Espalem et Grenier-Montgon, Haute-Loire, Auvergne. Lac Lant, Les Pignatieres, Le Blanchon, Rapport final de diagnostic archéologique, INRAP Auvergne-Rhône-Alpes, Bron, 2011, 62 p.

Hénon 1999 : Hénon P. – Espalem et Grenier-Montgon. Lac Lant et Lac Long. Nécropole tumulaire des Lacs, Bilan scientifique régional d’Auvergne, 1999, p. 58‑89.

Thonat, Mathonnat et Le Garrec 2006 : Thonat A., Mathonnat M. et Le Garrec M.-J. – Carte géologique de la France, Feuille de Massiac, n°765, 1/50000e, BRGM, 2006.

Vinatié 1983 : Vinatié H. – Haute-Loire, Espalem : “nécropole tumulaire” des Lacs, Fiches de déclaration de sites, 32 fiches, SRA Auvergne, 1983.

Chronologie du mobilier archéologique

Chronologie du mobilier archéologique du second âge du Fer en Auvergne. Volume 2 : La Tène ancienne en Basse Auvergne Synthèse des données

Christine Mennessier-Jouannet (UMR 8546) et Jean-Claude Lefèvre (UMR 5138)



En 2017 est paru le premier volume d’une vaste somme mise en forme par un collectif de chercheurs qui se sont partagés la tâche d’étudier, comparer, classer et ordonner les mobiliers archéologiques du second âge du Fer, soit une période de temps allant du début du Ve s. à la fin du Ier s. avant notre ère. Cette démarche a abouti à la mise en évidence de treize étapes chronologiques (Mennessier-Jouannet et Deberge 2017).

Dans ce deuxième volume, nous présenterons une synthèse des données acquises sur le cadre de vie, les contextes d’habitation et ceux du domaine funéraire prévalant au début de cette séquence appelée La Tène ancienne. La question de l’acquisition d’une datation précise pour ces ensembles est au cœur de notre propos : elle se rapporte aux deux premiers siècles de cette vaste séquence, à savoir les Ve et IVe s. avant notre ère, en débordant sur le IIIe s.

1 – Une préoccupation majeure : la datation des structures archéologiques par celle de leur mobilier

Dater le matériel issu des fouilles est la démarche préalable et indispensable qui permet, dans un deuxième temps, de comparer les sites entre eux, ainsi que les contextes environnementaux, économiques ou sociaux tout autant que culturels.

Mais, dater avec précision reste une démarche difficile, tributaire des différents niveaux de connaissance et des aléas des découvertes archéologiques à l’échelle des différentes régions, autant de France que, de façon plus large, de l’Europe continentale et du monde méditerranéen. L’obtention des datations en archéologie protohistorique (là où il n’existe pas de textes directs écrits par chaque culture et pour son propre usage) s’est longtemps appuyée sur les comparaisons permises par l’évolution typologique et morphologique des productions de poterie, de métallurgie ou de verrerie etc. Chaque type d’objets vivant et évoluant au rythme de ses avancées technologiques ou des effets de modes et de mimétisme. On obtenait ainsi des schémas évolutifs des productions de l’activité humaine qu’il était nécessaire de raccorder à un même déroulé du temps, autrement dit à une même chronologie. Pour cela, tout d’abord, l’Europe continentale a utilisé les datations offertes par du mobilier d’importation de Grèce ou d’Etrurie, retrouvé en position stratigraphique bien caractérisée sur ses propres sites (par exemple, la céramique attique, les amphores…). Ces productions datées par des textes ont servi de support pour fournir des cadres chronologiques fiables : ainsi, nous savons que Massalia a été fondée vers 600 avant notre ère. Les premières amphores qu’elle produit datent des alentours de 550 et ces récipients ne migrent, – par voies commerciales-, pas avant 525 et plutôt à partir du Ve s. vers le nord de la France. Par conséquent, trouver deux tessons d’amphore massaliète sur un site à Aulnat dans le Puy-de-Dôme indique que le mobilier trouvé en connexion avec eux date également du Ve s. au plus tôt.

Par ailleurs, seuls les habitats et les sépultures des plus riches sont les mieux dotées en armements, parures et divers ustensiles en métal (généralement en alliage cuivreux et en fer, mais aussi en métal précieux) et ces habitats ou sépultures détiennent aussi la majeure part des importations. Ainsi, les référentiels de datation chrono-culturels ont été bâtis à partir du mobilier métallique et fonctionnent très bien dans ce cadre. Le problème est qu’ils sont difficilement adaptables à des régions entières où les sites protohistoriques, et notamment ceux de la période laténienne que nous étudions, sont des habitats ruraux exempts de matériel métallique ou si rare et fragmenté qu’il est difficilement exploitable. Ainsi, en Basse Auvergne et notamment dans la plaine de La Limagne, les premiers ensembles archéologiques offrant une céramique diversifiée et abondante dans les mêmes contextes que du mobilier métallique (armement et parure) datent de la première moitié du IIIe s., à la toute fin de la période d’étude. Il s’agit de la fouille du chemin 8 du site de La Grande Borne, commune de Clermont-Ferrand (fouille de John Collis).

2 – Une méthode indépendante de toute connexion avec l’archéologie : la datation par le 14C

L’établissement d’une chronologie fondée sur des critères autres que la seule évolution des formes et des techniques de fabrication était indispensable. Jusqu’à une date récente, le recours aux datations par le radiocarbone était peu usité par les protohistoriens travaillant sur le second âge du Fer, tant il était admis qu’elles étaient inutiles en raison de ce qui est appelé “le plateau de l’âge du Fer” de la courbe de calibration (Fig. 1). En effet, ce plateau induit, au moment de la correction de l’âge 14C, une très importante incertitude atteignant plusieurs siècles (Fig. 2)

Après une forte rupture de la courbe de référence au IXe s. (fenêtre de réponse optimale), un premier palier s’étend du VIIIe à la fin du Ve s. Un décrochement tout aussi net s’effectue alors qui couvre le IVe s. (autre fenêtre optimale qui concerne notre étude). La courbe connaît ensuite un nouveau plat marqué par de multiples oscillations que l’on peut distinguer en deux séquences. Ainsi, du point de vue des possibilités offertes par le radiocarbone pour une étude centrée sur La Tène ancienne, seule une fenêtre nette, mais brève, peut être mise à profit pour dater en chronologie absolue les ensembles de mobilier couvrant la deuxième moitié du VIe s. (Hallstatt D2-D3) et les Ve, IVe et première moitié du IIIe s. (La Tène A1 et A2 et La Tène B1 et B2).

L’opportunité fournie par cette lucarne dans la courbe de calibration a été vue comme la possibilité d’adosser nos propositions de chronologie relative (les étapes de la périodisation proposée pour l’Auvergne) à un référentiel reconnu en chronologie absolue. Cette étape franchie, il restera encore la nécessité de faire le lien avec les sériations chrono-culturelles en vigueur pour l’Europe de l’Ouest (chronologie allemande).

Concrètement, les dates à partir d’ossements (animaux ou humains) ont été privilégiées sur les charbons de bois (sauf dans un cas, l’anille d’une meule rotative conservée dans son logement et gardant le diamètre complet d’une branche d’ormeau). Ce choix, nous permet d’éviter les imprécisions variables de vieillissement dû à l’effet “vieux bois” d’un charbon de bois. En effet la pousse du cerne est annuelle et on ne connaît pas sa position parmi les cernes du bois, donc son âge de croissance. Le renouvellement du collagène d’un ossement étant de quelques années, sa datation est proche de la date de l’évènement que l’on souhaite dater. Les graines souvent brûlées, favorisant ainsi leur conservation, sont des éléments des plus représentatifs puisque leur durée de vie encore plus restreinte, en général annuelle.

Opportunités de datation (ordonnées) offertes par la courbe de calibration (abcisses) couvrant le premier millénaire avant notre ère (indication en valeur absolue comptée avant J.-C). Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre
F ig. 1 : Opportunités de datation (ordonnées) offertes par la courbe de calibration (abcisses) couvrant le premier millénaire avant notre ère (indication en valeur absolue comptée avant J.-C). Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre
Deux simulations de résultats et de leur précision en chronologie absolue en fonction des fluctuations plus ou moins fortes de la courbe de calibration. L’exemple du haut illustre l’imprécision due au plateau du Ier âge du Fer et l’exemple du bas met en évidence la réponse resserrée due à la verticalité de la courbe de calibration. Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre
Fig. 2 : Deux simulations de résultats et de leur précision en chronologie absolue en fonction des fluctuations plus ou moins fortes de la courbe de calibration. L’exemple du haut illustre l’imprécision due au plateau du Ier âge du Fer et l’exemple du bas met en évidence la réponse resserrée due à la verticalité de la courbe de calibration. Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre

3 – Les premiers résultats et les démarches en cours

Plusieurs tests de datation par le radiocarbone ont été effectués dans les années 1990 pour valider l’expérience d’un premier test fait sur le site de Lijay dans la Loire par Michel Vaginay et Vincent Guichard, test parfaitement concluant. Trois dates furent alors lancées : La Moutade et Dallet dans le Puy-de-Dôme (2017, notices n°12 et 19) et Gannat dans l’Allier (2017, notice n°13). Au vu des réponses positives (Fig. 3), la démarche fut élargie à tous les ensembles de référence des cinq premières étapes sélectionnées pour l’Auvergne, soit un total de 23 datations. Les résultats ont été publiés individuellement avec leur notice correspondante (Mennessier-Jouannet et Deberge 2017). Ils bénéficient donc des critères qui ont prévalu pour la sélection des ensembles présentés dans l’ouvrage : ils sont issus de niveaux stratigraphiques bien individualisés à la fouille et contenant un mobilier abondant et aussi diversifié que possible pour la grande majorité d’entre eux. Le regroupement de ces résultats classés dans l’ordre chronologique met en évidence une nette diagonalisation des données laissant apparaître que la séquence longue de deux siècles et demi (de la fin du VIe au milieu du IIIe s.) pouvait être séquencée beaucoup plus finement. D’autre part, le recours au radiocarbone validait certaines données issues de la chronologie relative, notamment en ce qui concerne l’étape 2.

Lors de la mise en chantier du volume 2 sur La chronologie du mobilier archéologique du second âge du Fer en Auvergne : La Tène ancienne en Basse Auvergne. Synthèse des résultats, il est apparu d’une façon générale que le nombre total de datations pour chaque étape n’était pas suffisant pour valider l’ensemble, mais aussi que le corpus de documentation des deux premières étapes demandait à être complété par d’autres ensembles de mobilier. Ceux-ci proviennent des travaux en archéologie préventive qui, depuis 2017 ont enrichi ou complété nos données. En chronologie relative, les résultats publiés en 2017 s’en trouvent renforcés. Dans la logique de notre démarche, une nouvelle série de radiocarbone a été mise en œuvre et, avec le soutien financier de l’Etat, est en ce moment à l’étude au Centre de Datation par le Radiocarbone de Lyon (CNRS et UMR Arar). Ainsi, 29 nouvelles dates compléteront la trentaine de dates que nous possédons déjà.

Rappelons le handicap constant auquel nous sommes confrontés pour caler notre chronologie relative par rapport aux systèmes de datation élaborés sur la base du mobilier métallique, que ce soit le système de Hatt et Roualet pour l’Est de la France ou le système de Reinecke et ses développements pour l’Allemagne du Sud, la Suisse et auquel une vaste partie de la France se rattache. En effet, il n’y a pas de mobilier métallique sur les sites ruraux de Limagne pour cette période ancienne, mais en revanche les nécropoles que nous supposons de la même période regroupent des inhumations qui portent une parure ou un armement ou des objets de toilette uniquement en métal. Cette pratique est commune à un vaste domaine géographique qui couvre le domaine nord-alpin. Deux fouilles récentes, l’une sur la commune de Pont-du-Château l’autre sur celle des Martres d’Artière ont fait l’objet d’une dizaine de datations par le radiocarbone, qui ont fourni des résultats tout à fait convenables en ce sens qu’ils s’inscrivent dans la fourchette chronologique qui nous intéressent. Cependant, le choix des auteurs s’est porté sur des sépultures sans mobilier pour des raisons spécifiques à leur problématique (tombes monumentalisées). En conséquence, a été adjointe à la série de dates provenant de structures d’habitat, une série d’échantillons provenant des sépultures les mieux datées couvrant la même séquence chronologique (tout au moins, nous le supposons).

L’ensemble de ces données chronologique sera ensuite repris et complété par le recours à l’analyse bayésienne pour laquelle le laboratoire de Radiocarbone de Lyon, auteur de la grande majorité des Radiocarbones de l’étude, est partie prenante en la personne de Jean-Claude Lefêvre. L’étude a pour support le logiciel Chronomodel mis en forme par Philippe Lanos, laboratoire de Geosciences à l’Université de Rennes. Sur la base d’un essai préliminaire, l’étape 1 voit une proposition de scission en deux ensembles et l’étape 3 se dégage et s’individualise par rapport aux étapes 4 et 5.

La multiplication des données chronologiques fournies par les différentes méthodes de datation absolue et celles obtenues par les fouilles et l’analyse des mobiliers soulèvent la question de leur traitement conjoint suivant des méthodes fiables et reproductibles. C’est pour répondre à cette question que depuis les années 90 des archéologues, des archéomètres et des statisticiens ont développé des logiciels de modélisation chronologique utilisant des statistiques dites bayésiennes. Celle-ci repose sur le théorème de Thomas Bayes (1702–1761), permettant de déduire la probabilité temporelle d’un événement à partir de celles d’autres événements déjà évalués.

Les statistiques bayésiennes ont été appliquées pour la calibration des datations carbone 14 : conversion des âges C14 brut exprimés en BP en date calendaire via la courbe de calibration. Les différents programmes de calibrations Calib, Oxcal, etc. utilisent ce type de statistiques. Plusieurs logiciels de modélisations chronologiques ont été développés depuis une vingtaine d’années BCal (Buck et al, 1999), OxCal (Bronk et Ramsey, 2005,2009) et à partir des années 2000 RenDateModel puis Chronomodel de Philippe Lanos.

Classement graphique des principaux résultats des datations absolues par le radiocarbone mis en correspondance avec les étapes chronologiques issues du programme collectif de recherche publié en 2017 (Mennessier-Jouannet et Deberge 2017). Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre
Fig. 3 : Classement graphique des principaux résultats des datations absolues par le radiocarbone mis en correspondance avec les étapes chronologiques issues du programme collectif de recherche publié en 2017 (Mennessier-Jouannet et Deberge 2017). Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre

Ces logiciels permettent d’intégrer dans un même calcul des données temporelles telles que datation radiocarbone, thermoluminescence, archéomagnétisme, typochronologies, ainsi que des contraintes stratigraphiques ou des Terminus ante et post quem. Il est alors possible d’améliorer la précision et la fiabilité de chacune des datations. Ainsi, en utilisant l’ensemble varié de ces données, la modélisation peut déterminer la chronologie, sous forme d’intervalle d’âge donné à deux sigmas de confiance (95 % de probabilité) soit pour un fait événementiel soit pour un phasage culturel ou pour une occupation de site. Dans la présente étude, les amphores massaliètes du site d’Aulnat, îlot des Martyrs (2017 notice n°2), les importations méditerranéennes de Cournon, Les Pointes Hautes (notice en cours) ou Orcet, rue des Vergers (notice en cours), les fibules du site d’Artonne, La Mothe (2017 notice n°7) sont autant de descripteurs qui entreront en ligne de compte pour paramétrer des terminus post quem. La date proposée sera variable en fonction de chaque type de mobilier : par exemple, la date de -525 sera proposée pour les amphores massaliètes, en choisissant le terme le plus ancien possible d’arrivée de ce matériel en Gaule continentale.

En conclusion, de cette tentative de datation absolue des phases anciennes de la périodisation d’Auvergne, il ressort (et cela n’était pas dit d’avance) que le recours au radiocarbone pour dater des contextes depuis le Ha D2-3/ LT A1 jusqu’à La Tène B2 (horizon des fibules de Duchcov et post-Duchcov) peut être pertinent et qu’il existe un créneau utilisable à cet effet.

Mais aussi, la création, par le biais des radiocarbones, d’un référentiel commun à tous les ensembles de mobiliers métalliques ou céramiques de cette période de la fin du premier âge du Fer et de La Tène ancienne permettra de raccrocher les sites ruraux plus nombreux mais plus modestes, au même système chrono-culturel que celui déjà en vigueur pour les mobiliers métalliques accompagnant les sépultures, se rapportant aussi à des strates différentes de la société gauloise.


Bibliographie

Blaizot et al. 2002 : Blaizot F., Milcent P.-Y., De Goër de Hervé, A., Macabéo G., Moulherat Chr., Plantevin C., Oberlin Chr. et Surmely F. – L’ensemble funéraire Bronze final et La Tène ancienne de Champ-Lamet à Pont-du-Château (Puy-de-Dôme), Société Préhistorique Française, Travaux 3, 2002, 164 p., 34 fig., 47 pl.

Blaizot, Dousteyssier et Milcent 2017 : Blaizot F., Dousteyssier B. et Milcent P.-Y. – Les ensembles funéraires du Bronze final et de La Tène ancienne des Martres d’Artière (Puy-de-Dôme), Gallia, 64e supplément, CNRS éd., Paris 2017, 199 p.

Mennessier-Jouannet et Deberge 2017 : Mennessier-Jouannet C. et Deberge Y. – Chronologie du mobilier archéologique du second âge du Fer en Auvergne, 65e supplément de la R.A.C.F, 653 p. et 490 fig.

Corent (63) – Oppidum de Corent

Type de projet : fouille programmée (“Corent (63) – Oppidum de Corent”)

Conduite du projet : Association pour la Recherche sur l’âge du Fer en Auvergne, Puis LUERN

Responsables : V. Guichard; M. Poux

Présentation

Le Puy de Corent, vaste plateau volcanique situé à une trentaine de kilomètres au sud-est de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme, France), abrite un oppidum gaulois reconnu depuis longtemps par les prospections.

Corent (63) – Oppidum de Corent. Le Puy de Corent, vaste plateau volcanique situé à une trentaine de kilomètres au sud-est de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme, France), abrite un oppidum gaulois reconnu depuis longtemps par les prospections
Corent (63) – Oppidum de Corent (photo B. Dousteyssier)

Corent (63) – Oppidum de Corent. Sondages 1992-1993

Des sondages menés entre 1992 et 1993 par Vincent Guichard et John Collis au centre du plateau y ont mis en évidence un sanctuaire d’époque romaine, à galerie quadrangulaire périphérique de 70 m de côté, précédé de vestiges d’occupations datés du Néolithique moyen, de l’Âge du Bronze et de la Tène finale.


De cette époque date un premier lieu de culte fréquenté entre la fin du IIe et le début du Ier s. avant notre ère, matérialisé par un fossé d’enclos comblé de rejets fauniques sélectionnés (crânes de moutons) et diverses structures construites en tessons d’amphores : témoins des grandes quantités de vin et de viande vraisemblablement consommées sur le site dans le cadre de festins et de rites libatoires, associés à d’autres catégories d’offrandes – monnaies, parures, ossements humains et pièces d’armement mutilées, consacrées sur le modèle des grands sanctuaires guerriers de Gaule septentrionale.


Le décapage extensif du sanctuaire, qui a débutée en 2001, s’inscrit dans le cadre d’un projet triennal mené en collaboration avec l’ARAFA (Association pour la Recherche sur l’Âge du Fer en Auvergne), l’université de Lausanne (Suisse), l’université de Sheffield (Grande Bretagne) et le Centre national de la recherche scientifique (CNRS).

LUERN

A partir de 2009, une nouvelle association, LUERN, a pris le relai de l’ARAFA.

Matthieu poux dirige les fouilles actuelles sur le plateau de Corent. Un site dédié est consacré à ces recherches

Quand les Arvernes écrivaient le gaulois

Quand les Arvernes écrivaient le gaulois : article publié dans « L’Archéologue Archéologie Nouvelle n° 95 avril – mai 2008 » qui nous a aimablement autorisé à le reproduire

En plein Vème siècle, Sidoine Apollinaire déclare que la noblesse arverne vient tout juste d’apprendre le latin et de se débarrasser de la « crasse » du gaulois (« sermonis Gallici squamam », Lettre à Ecdicius).

Quand les Arvernes écrivaient le gaulois. Couvercle de terra nigra avec inscription sur le pourtour.
La lecture de l’inscription a toujours été faite sur photos car l’objet avait disparu (RIG, 2002, L-65). Il a été retrouvé et est aujourd’hui exposé. On relève la présence probable du verbe d’offrande (i)euru.
Couvercle de terra nigra avec inscription sur le pourtour.
La lecture de l’inscription a toujours été faite sur photos car l’objet avait disparu (RIG, 2002, L-65). Il a été retrouvé et est aujourd’hui exposé. On relève la présence probable du verbe d’offrande (i)euru.

La lecture de l’inscription a toujours été faite sur photos car l’objet avait disparu (RIG, 2002, L-65). Il a été retrouvé et est aujourd’hui exposé. On relève la présence probable du verbe d’offrande (i)euru.

On sait pourtant que dès avant la conquête de César, les élites gauloises étaient formées à Rome. Les nobles gaulois avaient donc une ancienne tradition de bilinguisme latin-gaulois, dont on trouve plusieurs exemples parmi les personnages cités par César. Une pratique n’impliquant d’ailleurs pas une attitude pro-latine ou un parti pris défaitiste durant la guerre des Gaules. Néanmoins, après la conquête, et plus encore après l’écrasement des révoltes du Ier siècle (Sacrovir), on peut supposer que les élites ont adopté la langue du vainqueur, les inscriptions devenant très vite uniquement latines. L’épigraphie gallo-latine sur pierre semble être de courte durée (une ou deux générations) et très marginale, mais elle témoigne d’une phase de transition entre une affirmation de la culture gauloise et l’adoption totale de la culture latine (non seulement de son écriture, mais aussi de sa langue). Au niveau religieux, le gaulois disparaît des inscriptions de fondations officielles, et ne subsiste plus que dans des actes de magie, à caractère populaire.

Quand les Arvernes écrivaient le gaulois. Le "plat de Lezoux" (RIG, 2002, L-66), découvert en 1970
Ce long texte (environ 50 mots) a été écrit après cuisson sur un fond d’assiette. Trois essais d’analyse incitent à dire qu’il s’agit moins d’une « lettre », comme on l’a pensé, que d‘une suite de maximes morales, de préceptes,une sorte de « conseil au jeune homme ». Malgré la présence de mots d’analyse certaine, on est encore très loin d’avoir compris la signification générale du texte.
Le « plat de Lezoux » (RIG, 2002, L-66), découvert en 1970
Ce long texte (environ 50 mots) a été écrit après cuisson sur un fond d’assiette. Trois essais d’analyse incitent à dire qu’il s’agit moins d’une « lettre », comme on l’a pensé, que d‘une suite de maximes morales, de préceptes,une sorte de « conseil au jeune homme ». Malgré la présence de mots d’analyse certaine, on est encore très loin d’avoir compris la signification générale du texte.

Ce long texte (environ 50 mots) a été écrit après cuisson sur un fond d’assiette. Trois essais d’analyse incitent à dire qu’il s’agit moins d’une « lettre », comme on l’a pensé, que d’une suite de maximes morales, de préceptes, une sorte de « conseil au jeune homme ». Malgré la présence de mots d’analyse certaine, on est encore très loin d’avoir compris la signification générale du texte.

L’intérêt des inscriptions gauloises (il faut y inclure les légendes monétaires gauloises) tient au fait que ce sont des documents gaulois écrits par les Gaulois eux-mêmes. « C’est bien sûr la voie royale pour la connaissance du gaulois », écrit Pierre-Yves Lambert (La langue gauloise, Ed. Errance, 2e éd. 2003). Les progrès de l’archéologie ont permis de multiplier les trouvailles de graffites sur l’instrumentum (objets de la vie quotidienne, essentiellement des vases céramiques). Ces inscriptions de type familier (marques de propriété, etc.), le plus souvent en cursive mais parfois en capitales d’un style relâché par rapport aux inscriptions lapidaires, donnent une idée de l’emploi du gaulois dans l’écriture. On admet que le gaulois a été écrit sur l’instrumentum plus longtemps qu’il ne l’a été sur pierre.

Quand les Arvernes écrivaient le gaulois. Ce fragment d’assiette de sigillée lisse porte,semble-t-il, un message d’offrande ou de cadeau : un homme offre un canisron (pot en forme de corbeille) à une certaine Clebila (RIG,2002, L-68).
Ce fragment d’assiette de sigillée lisse porte,semble-t-il, un message d’offrande ou de cadeau : un homme offre un canisron (pot en forme de corbeille) à une certaine Clebila (RIG,2002, L-68).

Les centres d’industrie céramique (Montans, La Graufesenque, près de Millau, Banassac-La-Canourgue, Lezoux…) sont nés très tôt en Gaule romaine, pour la fabrication de sigillées destinées à concurrencer la production de la péninsule italienne. Bols, jattes, assiettes, plats, portent des inscriptions avant cuisson : messages publicitaires, sentences, formules de bienvenue, etc. Les inscriptions après cuisson sont plus personnelles : marques de propriété, signatures, dédicaces… Le Musée Départemental de la Céramique expose une vingtaine de graffites gallo-latins (la plupart sur céramique sigillée) mais en compte bien davantage. Trois des objets avec inscription conservés au musée sont présentés ici.

Les Arvernes

Les Arvernes. Auteur de la notice : John Collis, Jon Dunkley, Vincent Guichard, Christine Jouannet. Extrait d’un article publié dans les chroniques historiques du Livradois-Forez, n° 19 – 1997.

Les Arvernes apparaissent dans l’histoire à la fin du IIIème siècle av. J.-C., dans le récit de la seconde guerre punique.

Les Arvernes. Carte de la gaule.
Carte de la gaule.

Au IIème siècle av. J.-C., les Arvernes disposaient donc, si l’on en croit les auteurs classiques – notamment Strabon –, d’une grande puissance militaire et d’un pouvoir qui s’étendait à l’échelle de la Gaule. Comme cette réputation rehaussait le prestige des troupes romaines qui avaient anéanti l’armée arverne de Bituit dans la vallée du Rhône en 121, on peut soupçonner nos sources, toutes du parti des vainqueurs, d’avoir quelque peu exagéré la réalité.

La brève mais brillante apparition de Vercingétorix sur le devant de la scène militaire au cours de la dernière année de la guerre des Gaules est l’occasion pour le conquérant romain de réanimer les vieux clichés de propagande : selon César, les Arvernes jouissaient un siècle auparavant du contrôle (en latin : imperium) de la totalité de la Gaule.

Bien longtemps après, au début du XXème siècle, l’historiographie française a repris à son compte le même discours, pour servir des desseins tout différents. On parle désormais, à la suite de Camille Jullian, d’un « empire arverne », première réalisation d’une nation gauloise appelée à défier les siècles et les barbares germaniques, d’Arioviste à… Guillaume II. Même en se gardant de ces excès, explicables par le contexte politique dans lequel ils ont été forgés, il n’en demeure pas moins que les Arvernes sont parmi les populations de la Gaule chevelue les plus souvent et les plus anciennement citées par les auteurs antiques ; c’est donc une de celles qui jouissaient des rapports les plus réguliers avec le monde méditerranéen.

De là l’intérêt particulier de l’étude des vestiges archéologiques du second âge du Fer en Auvergne, intérêt rehaussé par la qualité et la densité de ces vestiges, unique à l’échelle de l’Europe moyenne. On n’insistera sur les problèmes de chronologie, pourtant cruciaux pour cette période où la France centrale entre dans l’Histoire et où l’on doit donc s’efforcer de replacer les observations archéologiques par rapports à des événements datés, comme la création de la province romaine de Gaule transalpine à la fin du IIème siècle av. J.-C., ou encore la conquête césarienne. On mesurera seulement à partir d’un exemple les progrès effectués dans ce domaine depuis quinze ans.

Au début des années 1980, il semblait en effet encore plausible de dater l’abandon du site de La Grande Borne, des années qui suivirent la conquête romaine. On pense maintenant que cela s’est produit un demi-siècle plus tôt, ce qui oblige à revoir complètement l’interprétation historique du phénomène.

Selon les sources antiques, on peut donc supposer qu’une population qui se désignait elle-même sous le nom d’Arvernes habitait dans le nord du Massif Central au moins depuis la fin du IIIème siècle avant J.-C. On ne peut pas espérer retracer les limites de son territoire à une période antérieure à la conquête. La délimitation de ce dernier est en revanche possible si on l’assimile à celui de la cité gallo-romaine qui lui fait suite. Celle-ci englobe la plus grande partie du diocèse de Clermont. A l’est, la limite avec les Ségusiaves est bien marquée par la ligne de crête élevée des monts du Forez. Au nord, elle s’enfonce en coin dans le département de l’Allier, au contact des Eduens et des Bituriges.

A l’ouest, la limite de diocèse semble prolonger fidèlement le tracé des confins avec les Lémovices, comme l’indique la désignation comme fines sur la Table de Peutinger d’une étape de la voie de Clermont à Limoges localisée à Voingt, à la limite de département.

C’est au sud que la restitution des limites est la plus incertaine, dans des zones peu peuplées au contact de régions qui subissaient la main-mise arverne (d’ouest en est : Rutènes, Gabales et Vellaves). Le petit diocèse du Puy, qui correspond assez précisément au bassin versant de la haute vallée de la Loire en amont des gorges qui marquent son entrée dans le Forez, perpétue sans doute les limites de la cité vellave.

Ainsi circonscrite, la cité arverne s’identifie à un domaine géographique centré sur la dépression des Limagnes et environnée quasiment de toutes parts de larges zones de confins bien moins hospitalières, pour lesquelles on dispose d’une documentation archéologique assez indigente sur la période. Cette indigence s’explique sans doute par une faible densité d’occupation ancienne, amplifiée par une faible activité moderne génératrice de travaux et de découvertes archéologiques.

La dépression des Limagnes bénéficie de deux avantages. C’est à la fois le point d’aboutissement de tous les itinéraires issus des massifs périphériques et une région extraordinairement propice à l’agriculture à cause de sols très fertiles et faciles à travailler, les « terres noires ». Ces qualités s’accompagnent néanmoins d’une réserve : le caractère naturellement palustre de cet environnement, qui ne peut être maîtrisé qu’au prix d’importants travaux de drainage. Le développement de l’emprise humaine sur les Limagnes exige et reflète à la fois l’émergence d’une population nombreuse et d’une organisation sociale capable de coordonner ces travaux.

On a longtemps cru que la documentation disponible sur l’occupation protohistorique des plaines de la Limagne présentait, sous son apparente richesse, des lacunes qui correspondaient à des périodes d’abandon total, en particulier pour la période moyenne de l’âge du Fer.

C’est en particulier le modèle défendu par Daugas et Tixier, qui corrèlent ces supposées lacunes du peuplement avec des périodes de péjoration climatique. En réalité, l’affinement de la connaissance des mobiliers et la multiplication des prospections et des fouilles de sauvetage conduisent à une tout autre vision, du moins pour l’âge du fer.

On sait désormais que la période des VIIème-IVème siècle – qui correspond pourtant au maximum de la péjoration climatique de l’âge du Fer – est bien représentée, mais surtout par des sites modestes, très difficiles à repérer. Un certain nombre de ces sites a été identifié grâce au suivi systématique de travaux de drainage et de remembrement, dans le nord de la Limagne, ou encore à l’occasion de fouilles de sauvetage. Les fouilles récentes liées à la construction de la bretelle autoroutière A 71, au nord-est de l’agglomération clermontoise, ont ainsi conduit au repérage de deux sites du VIème siècle (dont un associé à un cimetière) et de deux sites du IVème siècle.

L’avancée la plus spectaculaire des connaissances concerne toutefois la période suivante, les IIIème et IIème siècle av. J.-C. Des prospections systématiques développés depuis une trentaine d’années et de la multiplication des fouilles de sauvetage, il résulte en effet une liste pléthorique de sites de tailles très diverses se rapportant à cette époque.

Pour bien mesurer à quel point notre perception du peuplement régional à la fin de l’âge du Fer a été bouleversée au cours de la dernière décennie, il faut se rappeler que, jusqu’à la fin des années 1970, on ne connaissait qu’un seul site clairement identifié de cette période, celui de La Grande Borne. La densité de peuplement la plus forte est enregistrée dans la région de Clermont-Ferrand, qui est aussi la plus intensément prospectée.