Petits objets issus du recyclage de vases en céramique en Auvergne à La Tène Moyenne et Finale


Christine Mennessier-Jouannet (Protohistorienne, chercheur associée à l’UMR 8546 AOrOc-PSL et membre de l’ARAFA)

Parmi le mobilier en céramique découvert sur les sites de l’âge du Fer en Auvergne et sans doute ailleurs sur le territoire français, la grande part concerne les récipients de stockage, de préparation alimentaire ou de service de table ; les plaques de cuisson trouvent aussi leur place parmi ces utilitaires en céramique. Fusaïoles et pesons renvoient à l’artisanat du textile, donc à l’univers des femmes et de la maison. Mais, on trouve aussi d’autres petits objets taillés en rondelle. Ils sont issus de la récupération de fragments à partir de la panse de vases de forme haute le plus souvent. La raison en est simple : ces vases fournissent le plus grand développé de surface à récupérer et sont donc plus rentables.

En Auvergne et plus particulièrement en Limagne, ces petits objets apparaissent dès le Bronze final III (sur le site de Moulin d’Eau à Riom notamment). Durant le premier âge du Fer et les phases anciennes de La Tène ils apparaissent en petit nombre sur quelques sites d’habitat, mais ils sont difficiles à comptabiliser car, le plus souvent, ils ne sont pas mentionnés dans les rapports. Sans doute dès le IIIe siècle, mais sûrement dès le IIe siècle avant notre ère, ils apparaissent sur différents sites ruraux, mais c’est à la fin de cette séquence et durant le Ier siècle qu’ils deviennent fréquents sur des sites bien particuliers. On les retrouve en effet sur les habitats agglomérés ouverts que ce soit dans l’Allier à Varennes-sur-Allier (Lallemand et Orengo 2007), dans la Loire à Feurs (Vaginay et Guichard 1988) ou dans le nord du Puy-de-Dôme à Aigueperse sur le site du Clos Clidor (Mennessier-Jouannet et Dunkley 1996) et sur la ville gauloise d’Aulnat (fosse G du chantier I de Robert Périchon, inédit). Actuellement, au Suc de Lermu à Charmensac dans le Cantal, la fouille des niveaux attribuables au IIIe siècle jusqu’au début du IIe siècle avant notre ère fournit un lot intéressant de ces rondelles en cours de fabrication (Delrieu et al. 2021 ; Delrieu et al. 2022). Nous sommes là dans une phase de réoccupation d’un site anciennement fortifié à La Tène A et B. On en retrouve aussi dans le département de l’Ardèche sur le site du Malpas à Soyons où quelques jetons ont été retrouvés dans un contexte du Ier siècle avant notre ère (Delrieu et al. 2015). Il apparait donc qu’un tour d’horizon plus poussé établirait la fréquence de ces rondelles.

À partir du dernier quart du IIe siècle avant, leur fréquence s’accroît et touche aussi les simples habitats ruraux où on en décompte quelques exemplaires épars. Pendant cette période, c’est dans le cadre du sanctuaire de Corent et essentiellement sous et devant la porte d’entrée de l’enclos que la masse la plus importante a été trouvée : 739 rondelles ont été dénombrées (Guichon 2005 ; Poux et Demierre 2015).

Au Pré Cacheloche sur la commune de Cébazat, la situation peut paraitre plus ambiguë : il s’agit d’un enclos en milieu rural et qui a une fonction funéraire indéniable, mais où les 40 rondelles décomptées ne sont pas associées aux inhumations. Elles proviennent d’une fosse regroupant les restes épars d’individus adultes et enfants associés à un riche mobilier (6 exemplaires) et d’un fossé comblé entre autres par un important lot d’amphores italiques (27 exemplaires). Les sept autres rondelles proviennent de fosses et de puits situés le long du côté sud de l’enclos (Duny rapport de fouille en cours).

Dans les habitats, les rondelles sont mêlées au reste des rejets domestiques, sans discrimination perceptible.

À quoi ressemblent ces rondelles ?

Tout d’abord, elles proviennent de tous les types de vases connus pour chacune des périodes concernées par l’habitat : en céramique grossière, mi-fine ou fine à très fine. Certains vases décorés (décors lissés, peints, faits au peigne…) aisément repérables indiquent souvent une contemporanéité entre eux et le reste du mobilier permettant de dater le site. Il s’agit donc d’une récupération immédiate (ratés de cuisson, vases brisés…). Les fonds sont rarement utilisés et les cols et rebords quasiment jamais ; l’exploitation concerne essentiellement la panse du vase. Cette remarque faite pour les ensembles de la Limagne se rencontre aussi dans l’Allier à Varennes-sur-Allier où leurs caractéristiques « reflètent l’intégralité du répertoire technologique (type de pâte, de montage, de cuisson) en vogue au milieu du IIe siècle » (Lallemand et Orengo 2007, p. 156). Au Pré Cacheloche pour un lot modeste de 40 rondelles, la variété de l’approvisionnement est notable et si l’ensemble le plus important, 10 exemplaires (soit ¼) ont été cuits en mode B’ avec enfumage de surface, il se différencie en 3 provenant de récipients tournés pour 7 en céramique modelée et 2 en argile grossière pour 8 en argile fine. Cependant, la standardisation de la production connue à partir du Ier siècle avant induit une uniformisation de ces critères technologiques en particulier avec le recours aux cuissons en mode A (oxydant) et mode B (réducteur) qui intéressent uniquement des vases tournés en argile fine (Duny en cours) (Fig. 1).

Fig. 1– Cébazat (63), Le Pré Cacheloche . Exemples de rondelles en céramique. a : sélection provenant du fossé 20421 ; b : vue de détail du travail de polissage des tranches ; c : quelques exemplaires illustrant les modules les plus courants. Sur la rangée du haut, les tracés sont régulièrement circulaires. Sur la rangée du bas, il n’y a pas de finition : les tranches sont brutes de taille

Ces rondelles sont circulaires ou subcirculaires. Au Suc de Lermu, plusieurs tessons trop parfaitement quadrangulaires ou carrés laissent penser à des préformes ou laissent en suspens l’utilisation aussi de pièces quadrangulaires (Fig. 2, c1).

Fig. 2 – Charmensac (15), Suc de Lermu. Exemples de rondelles en céramique. : sélection provenant du sol 4 (F8) ; : vue de détail du travail de taille des objets analysés ; c1 : préformes quadrangulaires. c2 : Exemples de modules les plus fréquents. c3 : rondelles en cours de fabrication ou ratés de fabrication

Le travail de Romain Guichon, par la multiplication des mesures permet de différentier précisément les objets « plus ou moins ronds » et de montrer que la différence provient d’un surplus de soin apporté aux objets circulaires plutôt qu’aux autres.

Elles ont été taillées à l’aide d’un burin à tranchant plus ou moins étroit ou à l’aide d’une pointe en métal légèrement aplatie. Aucune utilisation de scie n’a été observée. La tranche est soit laissée brute de taille et les coups portés sont visibles soit elle a fait l’objet d’un polissage qui implique une deuxième phase d’intervention après la taille préalable. L’étude (en cours) du lot du Suc de Lermu apportera des compléments intéressant cette chaîne de fabrication qui peut être plus complexe : il est possible qu’une première étape consiste, au moment où le vase est brisé, à calibrer des fragments plus ou moins quadrangulaires qui passent ensuite à la taille proprement dite. Ce polissage peut être plus ou moins soigné. La finition et le soin qui y sont portés varient selon les sites. En règle générale, la tranche est laissée brute de taille, mais une part non négligeable a fait l’objet d’un estompage des angles, sorte de situation intermédiaire entre le polissage et l’absence d’intervention. Ainsi au Pré Cacheloche, dans un contexte où le mobilier porte des signes nets de richesse (monnaie, céramique décorée, statuette importée, enduits peints, amphores…) onze rondelles sur 40 ont fait l’objet d’un polissage soigné de la tranche et huit d’un début de polissage, soit près de la moitié du lot (Fig. 1b), tandis qu’à Corent, à une tout autre échelle, 90,25 % des tranches sont laissées brutes de taille.

On voit là que l’observation faite sur des séries plus nombreuses pourront permettre une meilleure compréhension de la fonction et de la représentation de ces objets d’autant que les calculs faits sur la régularité (circulaire ou subcirculaire) du tracé joue aussi dans le même sens : au Pré Cacheloche les 2/3 des objets sont plus parfaitement géométriques tandis qu’à Corent les rondelles circulaires sont fortement minoritaires (44 exemplaires) par rapport aux subcirculaires (661 ex.) et 34 fractions de rondelles.

Ces observations montrent aussi qu’il y a une logique dans la fabrication de ces petits objets apparemment insignifiants.

Qu’en est-il des diamètres observés ?

Le classement des rondelles de Corent et du Pré Cacheloche par groupes centimétriques des diamètres met en évidence une forte prédominance des valeurs comprises entre deux et trois centimètres puis celles comprises entre trois et quatre centimètres mais en quantité déjà nettement moindre. Les diamètres les plus élevés sont de 8 cm au Pré Cacheloche et 13 cm à Corent. Pour ces valeurs hautes, il n’est pas rare d’avoir des fragments d’amphore. A Varennes-sur-Allier, pour des ensembles du milieu du IIe siècle avant, trois modules sont observés sans que l’auteur précise plus avant ; d’après les dessins leurs diamètres sont plus proches de ceux de Pré Cacheloche que de Corent avec un nombre important de petits jetons dépassant à peine 2 cm, les valeurs les plus hautes étant limitées à 7 cm (Lallemand et Orengo 2007, Fig. 21 et 26). Au Suc de Lermu, il semble en l’état de l’analyse que la dimension la plus fréquente se situe aussi entre 2 et 5 cm et qu’il y a peu de valeurs très élevées supérieures à 10 cm (cf. Fig. 1 et Fig. 2).

Ces objets ne présentent aucune trace d’usure liée à une utilisation durable sur les sites du Puy-de-Dôme, comme sur celui de Varennes-sur-Allier (Lallemand et Orengo 2007, p. 161).

Et enfin, sur le total étudié aucune rondelle n’a fourni de marque d’identification surimprimée ou tracée d’un côté ou de l’autre.

Nous voici donc en face de petits objets qui paraissent bien insignifiants, fabriqués à partir de la récupération de vases utilisés couramment. Pourtant, un constat intéressant s’impose : ils ne se retrouvent quasiment jamais dans les sépultures. Au IIe siècle, en Auvergne, l’inhumation reste encore dominante et le mobilier qui accompagne le défunt n’est plus seulement métallique mais contient aussi un ou plusieurs vases issus du vaisselier de la maison et mis auprès du corps pour l’accompagner dans l’au-delà. Les rondelles en sont exclues et de ce fait concernent essentiellement le monde des vivants. Dans le stade préliminaire de l’enquête, elles se remarquent par une présence importante au seuil d’un grand sanctuaire contemporain de ces espaces funéraires ou de peu postérieur, Corent. Elles y sont en association avec une forte concentration de monnaies. On les trouve aussi associées indirectement à l’enclos funéraire d’un domaine rural pressenti à proximité au Pré Cacheloche à Cébazat. A Aigueperse et au Suc de Lermu, ils sont liés à un atelier de fabrication, signe que leur production intéresse la vie de ces sites agglomérés, ouverts ou pas.

Une évidence s’impose : il n’est pas facile d’obtenir par coups portés un objet soigneusement arrondi et la concavité du vase ne facilite pas la tâche. De ce fait, le résultat est souvent approximatif, surtout quand la rondelle est laissée brute de taille. Pourtant, une certaine proportion d’entre elles démontrent un souci de soigner leur apparence et les modules de fabrication semblent relativement standardisés entre 2 et 4 cm de diamètre.

L’utilisation de ces rondelles comme des couvercles ou bouchons se heurte à l’absence ou la rareté des fonds pourtant appropriés à ce genre de fonction et surtout à l’inadéquation de leurs diamètres avec ceux des vases habituellement retrouvés dans le vaisselier contemporain.

L’utilisation comme pièces de jeu est possible, mais les observations convergentes d’absence d’usure sur les surfaces internes et externes sensibles aux frottements incitent à écarter, au moins comme recours continue et intense, l’utilisation de ces objets pour le jeu.

Leur fonction comme jeton de présence ou comme objet ouvrant droit à une prestation est évoquée par Romain Guichon (Guichon 2005), d’autres comme les numismates y voient des équivalents monétaires. Ces deux aspects posent question, car l’imprécision de détail de la fabrication de ces objets rendent hasardeuses ces hypothèses, les poids, les dimensions, les épaisseurs, les formes même étant très variables dans le détail. Ces multiples disparités sont antinomiques avec un système monétaire et même pré-monétaire. De même, l’hypothèse de l’utilisation comme jeton donnant droit à l’entrée au sanctuaire est peu acceptable si l’on suppose que toute la population est équipée avec de la vaisselle en céramique : chacun pourrait alors se fabriquer autant de passe-droits que de besoin.

Il me semble qu’une seule condition permet de résoudre ce point : ces jetons seraient donnés à une partie de la population qui n’a pas accès à de la vaisselle en céramique car utilisant une simple vaisselle en bois ou autre matière périssable, ou n’ayant à sa disposition qu’un nombre trop restreint de récipients indispensables (pots à cuire par exemple ou de stockage). Cela concerne les personnes dépendantes des domaines ruraux dont nous avons la trace par les bâtiments les mieux architecturés et le mobilier le plus cossu, même si à nos yeux d’occidentaux du XXIe siècle, nombre de sites paraissent modestes. L’accès à la céramique représenterait dans cette hypothèse un marqueur de distinction sociale.

Que ce soit à Corent où la masse de ces rondelles sont frustes ou à Pré Cacheloche où elles se partagent avec d’autres nettement plus élaborées et à la finition soignée, on est confronté à un paradoxe : des individus ont passé beaucoup de temps à produire ce matériel et, dirions-nous, un temps infiniment trop important par rapport à « sa rentabilité ». Et pourtant, ces petits objets participent de certains moments incontournables de la vie sociale de la population : l’entrée au sanctuaire ou la participation à un événement collectif. Leur fonction est alors de permettre des regroupements de population nécessaires à la cohésion sociale et en cela l’investissement induit pour leur fabrication retrouve du sens.

Reste que la multiplication d’études de lots bien conservés et provenant de fouilles précisément documentées pourra seule aider à comprendre la fonction de ces rondelles qui, il faut le reconnaître, reste difficile à mettre en évidence. Le seul point acquis à partir de ce premier travail est la concordance des observations faites sur des sites éloignés les uns des autres, bien qu’appartenant au territoire des Arvernes.

Bibliographie

Delrieu et al. 2015

Delrieu F., Argant T., Carrara S., Dutreuil P., Gilles A., Lemaistre C., « Le promontoire du « Malpas » à Soyons (Ardèche) : un habitat fortifié de l’âge du Fer sur la rive occidentale du Rhône », in Fabienne Olmer, Réjane Roure (dir.), Actes du XXXVIIe colloque de l’AFEAF (Montpellier, 7-11 mai 2013), vol. 39, Bordeaux : Ausonius Éditions, coll. « Mémoires », pp. 831‑852.

Delrieu et al. 2022 : Delrieu F., Angevin R., Auxerre-Géron F.-A., Chabert S., Chateauneuf F., Mennessier-Jouannet Ch., Mercier J.-B., Moulin C., Muller F., Le Suc de Lermu à Charmensac (Cantal), Rapport de fouille programmée 2021, Clermont-Ferrand : SRA Auvergne-Rhône-Alpes, 125 p.

Delrieu et al. 2023 : Delrieu F., Angevin R., Auxerre-Géron F.-A., Jouannet J., Mennessier-Jouannet Ch., Michel A., Mercier J.-B., Muller F., Le Suc de Lermu à Charmensac (Cantal), Rapport de fouille programmée 2022, Clermont-Ferrand : SRA Auvergne-Rhône-Alpes, 102 p

Guichon 2005 : Guichon R., Les rondelles de céramique du sanctuaire de Corent (Puy-de-Dôme). Étude typologique, spatiale et culturelle, Mémoire de master (Lyon, Université Lumière – Lyon 2)

Lallemand et Orengo 2007 : Lallemand D., Orengo L., « Les ensembles de mobilier de La Tène moyenne de l’habitat groupé de Varennes-sur-Allier (Allier, Bourbonnais) : premières analyses », in Christine Mennessier-Jouannet, Yann Deberge (dir.), L’archéologie de l’âge du Fer en Auvergne, Actes du XXVIIe colloque de l’AFEAF (Clermont-Ferrand, 2003), Thème régional, hors-série, Lattes, coll. « Monographies d’Archéologie Méditerranéennes », pp. 135‑166.

Mennessier-Jouannet et Dunkley 1996 : Mennessier-Jouannet C., Dunkley J., Le site laténien d’Aigueperse « Le Clos Clidor », Document final de synthèse, Clermont-Ferrand : AFAN/SRA Auvergne-Rhône-Alpes.

Poux et Demierre 2015 : Poux M., Demierre M., Le sanctuaire de Corent (Puy-de-Dôme), Auvergne. Vestiges et rituels, Paris : CNRS éditions, coll. « suppléments à Gallia », 62.

Vaginay et Guichard 1988 : Vaginay M., Guichard V., L’habitat gaulois de Feurs (Loire), Paris : éditions de la Maison des sciences de l’Homme, coll. « Documents d’Archéologie Française », 14.

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