Fabien Delrieu (SRA Auvergne-Rhône-Alpes)
1. La fouille conduite en 2023
L’année 2023 correspondait à la seconde année de fouille d’une opération triennale qui se poursuivra encore en 2024. Après une première année probatoire en 2021 qui avait permis de fouiller les niveaux historiques (IVe – VIe siècle) sur une zone de fouille de 170 m². L’année 2022 avait été mise à profit pour fouiller entièrement les niveaux d’occupation du IIIe et IIe siècle av. J.-C. Leur fouille a révélé la présence d’un grand bâtiment de 3 × 5 mètres associé à un rempart palissadé ainsi qu’à un foyer externe.
En 2023 l’accent a été mis sur la fouille des niveaux inférieurs attribués au Ve siècle av. J.-C. Au préalable, le rempart plus récent (La Tène C ?) a été démonté et documenté en plan et en coupe. Les observations ainsi produites ont confirmé l’architecture entrevue lors des années précédentes. Il s’agit d’une masse pierreuse parementée grossièrement sur sa face externe et incliné, avec des dalles de basalte posées en écaille sur sa face interne. Cette masse linéaire de 2 mètres de large pour 1 mètre de haut est surmontée d’une palissade ancrée dans une tranchée de fondation aménagée dans la masse pierreuse.
Ce rempart attribuable à La Tène C (?) recouvre directement un paléosol qui le sépare d’un état plus ancien attribuable au Ve siècle av. J.-C. Ce paléosol a été fouillé et a livré un abondant mobilier en céramique qui a été étudié cette année. L’état ancien du rempart a été dégagé et nettoyé finement en surface, sa fouille n’a pas été entamée en 2023. Il semble présenter une architecture en caissons de 1,2 mètre de côté séparés par des madriers de bois bien visibles en surface. Le comblement de ces caissons varie de l’un à l’autre mais est généralement constitué des gravats basaltiques de taille variable panaché de blocs vitrifiés qui sont ici clairement réutilisés et donc en position secondaire.
Ce rempart précède un important niveau d’occupation qui lui est contemporain (Ve siècle av. J.-C.) et qui n’a pas été fouillé intégralement : il semble correspondre à un sol avec quelques aménagements diffus présents sous forme d’empierrements. En arrière de ce niveau, la base d’un four à sole perforée du même type que ceux du quai Sédaillan à Lyon-Vaise a été identifié et en partie fouillé. Son diamètre permet de l’associer aux éléments de sole perforée mis en évidence dans sa périphérie. Dans la partie la plus occidentale de la zone de fouille les niveaux du Ve siècle av. J.-C. ont livré la présence d’un sol archéologique. Il est caractérisé par la présence de plusieurs centaines de tessons posés à plat et entourant un support de foyer en basalte et associés à trois calages de poteaux. Ce sol est en connexion avec le rempart évoqué précédemment et attribué au Ve siècle. Sur le même sol, un soc d’araire en fer (Fig. 1) a été mis au jour. La présence d’une galerie en arrière du rempart semble, en l’état actuel, constituer une hypothèse crédible : elle pourrait être associée à la présence d’activités artisanales et notamment métallurgique (forge, alliages ou autres métaux).
L’ensemble des niveaux d’occupation du Ve siècle av. J.-C. ont fait l’objet de prélèvements en vue d’analyses paléobotaniques et notamment carpologique.
2. Bilan des différentes occupations du site
La fouille conduite en 2023 a permis de confirmer certains éléments déjà mis au jour en 2016, 2021 et 2022 et de modifier, parfois de manière substantielle, la chronologie des occupations se développant sur le site à partir du second âge du Fer. Pour l’heure, cinq séquences chronologiques différentes ont été identifiées et ont pu être documentées de manière significative avec la fouille conduite depuis 2021.
2.1 Étape 1 : une fréquentation du site au cours du Néolithique moyen 2
L’occupation attribuable au Néolithique moyen II avait déjà été identifiée de longue date. La présence d’éclats ou d’outils en silex avait en effet été signalée dès les années 1960 par M. Soubrier puis par Alphonse Vinatié. Ces éléments avaient été confirmés par la mise au jour en prospection de fragments de haches polies, d’herminettes et de tessons de céramique attribuables à l’horizon cultuel chasséen. Cependant, aucun niveau ou structure archéologique constitué n’avait été identifié de manière évidente.
Les fouilles conduites en 2021, 2022 puis 2023 sont restées dans cette veine. L’étude des éléments en silex mis au jour cette année (étude de Raphaël Angevin) confirme, à minima, la fréquentation du site au cours de cette même étape chronologique. Tous ces éléments ont cependant été découverts en position secondaire, associés à des niveaux plus récents. Dans cette situation, il semble périlleux de pousser plus avant la caractérisation de cette occupation sans fouille de niveau ou structure afférents. Il convient cependant de noter que la fréquentation ou occupation du site au cours de cette séquence chronologique n’est pas véritablement une surprise. En effet, de nombreux sites de hauteur, fortifiés ou non, régionaux et bien au-delà ont livré des éléments contemporains. À l’instar du site éponyme du Camp de Chassey en Bourgogne (Thevenot 2005), cette période marque le développement de l’habitat fortifié de manière naturelle ou par la main de l’homme. En Auvergne, les exemples les plus connus et les mieux documentés se localisent aussi bien en bordure de la plaine de la Limagne (Puy-de-Mûre à Dallet ou Plateau de Corent : Couderc et al. 2020) que le long du cours de l’Alagnon plus au sud à Chastel-sur-Murat (Pagès-Allary 1908) ou Saint-Victor de Massiac (Tixier et Liabeuf 1984) dans le Cantal. Cette occupation du Suc de Lermu prend donc place au sein d’un corpus auvergnat de sites de hauteur déjà constitué. Les fouilles qui seront conduites sur le site dans les années à venir devraient permettre de caractériser plus avant cette occupation.
2.2 Étape 2 : une occupation au Bronze final IIIb et au début du Hallstatt ancien
La seconde étape correspond au Bronze final IIIb et probablement aussi au début du Hallstatt ancien. Elle avait déjà été identifiée stratigraphiquement en 2016 et chronologiquement dès les premières investigations sur le site dans les années 1960. Elle correspond aux US 06 et 09. La première citée a été interprétée comme un niveau d’occupation. En effet, la présence d’une sole de foyer en place prenant la forme d’une lentille d’argile rubéfiée associée à un abondant mobilier céramique attribuable à cette période, localisé dans la masse de ce niveau avaient permis de proposer cette attribution fonctionnelle. L’US 09, associée stratigraphiquement à l’US 06, composée de blocs massifs de basalte semblait pouvoir correspondre au toit d’un système défensif encore en place. Cependant la taille des blocs à extraire et l’importante profondeur du sondage ouverte en 2016 sont autant d’élément qui n’avaient pas alors permis de caractériser plus avant la fonction de cet aménagement. La campagne de fouille conduite en 2021 puis 2022 n’a pas permis de fouiller directement les niveaux archéologiques correspondant à cette séquence chronologique. Cependant, le mobilier céramique s’y rapportant et mis au jour en position secondaire dans des niveaux plus récents a permis d’affiner la chronologie de cette occupation. En effet si elle se rapporte majoritairement et indubitablement au Bronze final IIIb, cette occupation semble également perdurer un peu au cours du Hallstatt ancien au moins sur la première moitié du VIIIe siècle av. J.-C. Cette observation n’est pas anodine et confère au Suc de Lermu une particularité qui tranche de manière substantielle avec les observations produites sur d’autres sites contemporains à l’échelle régionale comme nationale et qui voit leurs occupations s’interrompre brutalement à l’issue du Bronze final IIIb (à la fin du IXe siècle av. J.-C.), sans réelle continuité au Hallstatt ancien. Au-delà du Suc de Lermu, la majorité des sites de hauteur, fortifiés au non, présents en Auvergne sont occupés au cours du Bronze final IIIb que ce soit dans les actuels départements voisins du Puy-de-Dôme (Corent, Puy-Saint-Romain à Saint-Maurice-ès-Allier ou Puy-de-Mur), du Cantal (Saint-Victor à Massiac, Châteauneuf ou Chastel-sur-Murat) ou de la Haute-Loire (Le Puy). Plus largement, cette séquence chronologique est bien identifiée sur un corpus important de sites fortifiés en France comme l’atteste un inventaire effectué il y a quelques années. Le Bronze final IIIb correspond véritablement à une phase d’acmé dans l’utilisation des sites de hauteur, fortifiés ou non (Delrieu et San Juan 2011). Ces données concernant le Suc de Lermu seront bien entendu affinées dans les années à venir lorsque la fouille des US 06 et 09 deviendra effective. Il n’est pas à exclure que l’état initial du possible bâtiment à abside (fait n°5a) puisse corresponde à cette séquence chronologique comme l’atteste la présence de mobilier céramique associé à cet aménagement.
2.3 Étape 3 : Une occupation entre la fin du 1er et le début du second âge du Fer
Par la suite une occupation se développe entre le Hallstatt final et la Tène A. Elle se caractérise tout d’abord par la présence d’un ouvrage défensif dont la datation précise sera déterminée lors de sa fouille. Ce dernier ne semble pas structuré par des parements ou limites appareillées. Il est par contre doté d’un système de poutrage interne, peut être associé à la mise en place de caissons. Dans le comblement de ces derniers, la présence de blocs vitrifiés a pu être attestée mais semble plutôt ici être liée à du réemploi. Le rempart sera fouillé en 2024 en intégralité après le nettoyage poussé effectué en 2023.
En arrière de ce rempart, une possible galerie en appentis de 3 mètres de large pourrait courir le long de la limite interne du rempart. La présence de plusieurs gros calages de poteaux constitutifs de celle-ci semble plaider en ce sens. Cette potentielle galerie serait associée à un sol aménage (sol n°4) sur lequel se développe des activités artisanales et notamment métallurgiques (cf. fig. 1). Ainsi la présence d’une probable forge et d’éléments métalliques (objets finis, fabriquats, battitures, scories…) ainsi que plusieurs creusets dont l’étude pourra confirmer la vocation artisanale et métallurgique de ce secteur du site, par ailleurs localisé non loin de l’entrée probable. Enfin, en arrière de cette galerie ou bâtiment supposés, la présence d’une base de four (alandier, cendrier et chambre de chauffe) semble pouvoir se rapporter au petit four de type Sévrier à sole perforée découvert démantelé dans ce secteur de la fouille et associé aux US 12 et 05 (Fig. 2). Au moins deux tores en pouzzolane permettent d’envisager la production de céramique tournée de petit gabarit sur le site au cours du Ve siècle av. J.-C. (céramiques à pâte claire peinte).
La fouille conduite en 2016 et depuis 2021 a d’ailleurs confirmé la découverte, inédite en Auvergne, d’un assemblage de tessons de céramique à pâte claire peinte. Ces productions sont très certainement locales et prennent à l’évidence en exemple des récipients issus du Languedoc oriental et plus certainement de l’est du Gard (Goury 1995). Leur présence atteste la conduite d’échanges significatifs entre le sud de l’Auvergne et le Languedoc oriental via le Massif central. Cette constatation n’est pas une immense surprise mais elle permet, au-delà d’échanges de biens déjà attestés par la présence de quelques importations au nord et à l’est de l’Auvergne (Bègues ou Le Puy-en-Velay), de mettre en évidence une once d’acculturation, pour le moins inattendue, sur un site de hauteur situé à 1100 mètre d’altitude et localisé bien loin des axes d’échange supposés entre Gaule celtique et Méditerranée. Dans la même perspective, l’année 2021 a permis également d’identifier le premier tesson auvergnat de céramique grise monochrome. Il a été mis au jour en position secondaire dans un niveau plus récent. Sa présence n’est pas anodine et confirme le tropisme méridional qui caractérise cette occupation. Ce dernier est attesté à la fois par les données carpologiques issues d’un prélèvement effectué en 2021 lors de la fouille d’une petite partie de l’US 05. La présence de pois et de lentilles, productions thermophiles et xérophiles, plaide en ce sens. De même que l’influence typologique de la céramique commune qui connaît des parallèles avec le Languedoc oriental et la région de Lattes. Cependant, l’influence languedocienne et plus généralement méridionale de ces assemblages n’est pas exclusive. La présence de tessons de céramiques présentant des décors graphités mis au jour durant les trois années de fouille atteste un ancrage régional fort au niveau de la Haute-Auvergne. Caractéristique des domaines culturels nord-alpin et atlantique, ce type de production est bien documenté ainsi que dans tout le centre ouest de la France actuelle et dans les piémonts occidentaux du Massif central (Charentes, Limousin, Périgord, Lot, Cantal…). Au Suc de Lermu, elle décore des jattes carénées à encolure concave le plus souvent attribuées au Ha D, soit le VIe siècle av. J.-C. Dans son ensemble, la céramique commune du Ve siècle av. J.-C. ressemble beaucoup à celle de la Basse Auvergne, notamment celle de la Limagne tout en montrant des différences liées au choix des argiles et à leur impact sur le produit à la cuisson. Les éléments de morphologie des vases et des décors mettant en évidence un particularisme de la Haute Auvergne font l’objet de l’étude en cours.
Régionalement cette occupation de hauteur est contemporaine de celles identifiées récemment sur les sites du Puy-Saint-Romain dans le Puy-de-Dôme ou de Chastel-Marlhac dans le Cantal (Auxerre-Geron et al. 2017). Ce sont pour l’heure les trois seuls sites régionaux occupés de manière évidente pendant cette séquence chronologique. Le Suc de Lermu prend donc place dans un corpus de sites peu étoffé mais dont la présence atteste, aussi bien régionalement qu’au niveau national, l’utilisation des sites de hauteur, fortifiés ou non, pour l’implantation d’habitats supposés permanents (Fig. 3).
2.4 Étape 4 : Une occupation du site entre La Tène B2 et C
La fouille de 2021 avait permis de mettre au jour une importante occupation laténienne dans l’emprise du site. Cette dernière avait été pressentie en 2016 avec la découverte dans le sondage n°1 d’une fibule de schéma La Tène II à corde externe et pied fixé à l’arc (filiforme) attribué à La Tène C2. Nous pensions alors que cet élément était résiduel et correspondait à une très ponctuelle fréquentation du site à l’extrême fin du IIIe siècle av. J.-C. ou aux prémices du IIe siècle av. J.-C.
Cette importante occupation correspond aux US 8 10, 12, 13 et 15. Elle se caractérise en premier lieu par la mise en place d’un bâtiment sur solin de 3 mètres de large pour au moins 4 mètres de long. Sa partie interne est dotée d’un radier qui fait office de sol. Il est jonché de très nombreux reliefs de la vie quotidienne de ses habitants : céramique, objets usagés, parures, restes de faune consommée… provenant de rejets domestiques après abandon. Ce bâtiment est doté d’une entrée prenant la forme d’une interruption du solin sur sa largeur orientale. Cette dernière est probablement matérialisée par une porte comme semble l’indiquer la présence d’une cupule caractéristique sur une dalle bordant l’entrée et pouvant servir d’axe à une crapaudine. Ce système d’entrée est protégé des forts vents de sud par un probable auvent latéral fondé sur solin qui matérialise également la sortie du bâtiment en direction d’un foyer externe. Ce dernier semble avoir une vocation culinaire comme semble l’attester la présence de quatre petits calages superficiels en périphérie de la sole. Leur fonction pourrait être liée à un système de crémaillère, ou équivalent, permettant la suspension des pots à cuire à l’aplomb du foyer. Le couloir localisé en arrière du bâtiment et le long de la limite interne du rempart semble constituer une véritable zone de rejet domestique comme le démontre la présence d’un abondant mobilier de tout type (céramique, fusaïoles, objets en fer, faune, scories de forge…) caractéristique d’un assemblage domestique usagé. Dans la zone localisée au nord du bâtiment, les rejets domestiques se font moins nombreux et sont remplacés par la présence de plusieurs dizaines de fragments d’un four à sole perforée de type Sévrier. Cette présence très localisée pourrait être associée à un four plus ancien (voir paragraphe précédent) démantelé dans ce secteur du site à la fin de l’occupation précédente. La dernière séquence de cette occupation, au cours de La Tène C, se caractérise par la mise en place d’un ouvrage défensif (Fig. 4). Ce dernier est fondé directement sur un paléosol (US 15) qui s’est développé à l’aplomb de l’état de fortification ancien du site (US 07). Il se présente sous la forme d’une masse de blocs de basalte liés à la terre (US 08). Surmontée d’une probable palissade en bois (US 10), elle est grossièrement parementée sur sa face extérieure et couverte sur sa face interne par une série de dalles de basalte posées en écaille. Ce système de protection semble devoir permettre d’évacuer rapidement l’eau de pluie de la partie haute du rempart, dans un souci évident de conservation.
Les éléments de culture matérielle identifiés lors des deux fouilles conduites en 2021 et 2022 ont été collectés lors des fouilles de l’US 04 (2021) de l’US 12 et 13 (2022). Ils attestent le développement d’une importante activité domestique sur le site au cours de cette séquence chronologique. La présence d’un catillus dans l’US 12 est une première au niveau de la Haute-Auvergne pour cette séquence chronologique où l’usage des meules rotatives n’était pas encore attesté. L’assemblage céramique constitue dorénavant un lot de référence à l’échelle départementale. Le Suc de Lermu correspond en effet au premier site de La Tène B2b et C documenté dans le département du Cantal. Cet ensemble céramique, peut-être plus que celui attribuable à La Tène A, est marqué par une forte proximité avec le Languedoc oriental confirmant le tropisme méridional caractérisant cette région durant une bonne partie du second âge du Fer.
Le premier âge du Fer et le début de La Tène ancienne correspondent à une séquence chronologique bien documentée en Haute-Auvergne, grâce aux données funéraires issues de la fouille des très nombreux tumulus connus dans cette région mais celles-ci se composent presque exclusivement de mobilier métallique, la céramique y est modestement représentée. Elle représente pourtant un vecteur majeur pour la compréhension des choix culturels des communautés locales à tous les niveaux de leur vie. Il reste à documenter ce mobilier céramique et domestique provenant des habitats. Le second âge du Fer, à l’inverse, connaît une lacune documentaire considérable. En effet, seuls quelques dizaines de sites ou d’indices de sites sont connues pour cette période dans le département du Cantal. La Tène B et C correspondent probablement aux séquences les moins bien documentées du second âge du Fer en Haute-Auvergne. En effet, seule la découverte ancienne d’un fourreau à bouterolle ajourée de type Hatvan-Boldog attribuable à La Tène B2, sur la commune de Laveissenet peut être associée à cette période. Ce manque béant tranche nettement avec l’abondance des données pour cette période qui ont été collectées plus au nord, en Basse Auvergne, et plus particulièrement en Limagne et dans le bassin clermontois. La mise au jour de cette occupation laténienne dans l’emprise du Suc de Lermu correspond donc à une réelle opportunité de documenter en détail un contexte domestique jusqu’à présent inédit en Haute-Auvergne.
Il est également à noter que le Suc de Lermu est pour l’heure un des seuls sites de Gaule non méditerranéenne, attribuable au IIIe siècle av. J.-C., qui a livré la présence d’un ouvrage défensif. L’utilisation des sites de hauteur est très rare à cette période. On note uniquement les cas du Châtelard de Lijay dans la Loire (Befort et al. 1986) et Bourguignon-les-Morey en Haute-Saône qui portent les stigmates d’une fréquentation à cette période sans pour autant qu’elle corresponde à l’aménagement d’un rempart. Cette rareté n’est pas la norme en Gaule méditerranéenne et notamment en Languedoc oriental où les ouvrages défensifs attesté pour le IIIe siècle av. J.-C. sont plus nombreux à l’instar de Mauressip, Beaucaire, Nages ou encore Sextentio. La nature de l’ouvrage défensif du Suc de Lermu n’a que peu de choses à voir avec ces sites qui semblent développer une architecture défensive nettement plus massive et privilégiant l’usage de la pierre sèche. Cependant l’anachronisme de l’ouvrage défensif du Suc de Lermu dans le cadre de la Gaule tempérée du IIIe siècle av. J.-C. semble procéder, à l’instar de la culture matérielle précédemment évoquée, d’un tropisme méridional qui paraît irriguer de nombreux aspects de la vie quotidienne des populations gauloises de Haute-Auvergne à cette période.
2.5 Étape 5 : L’occupation des Ve et VIe siècles
Par la suite, le site semble abandonné pendant plus de 500 ans avant qu’une nouvelle occupation ne se développe sur place entre les IVe et VIe siècles. Elle se caractérise par la présence d’un niveau d’occupation (US 03) associé à un sol archéologique (sol n°1, 2021). Aucune structure n’a été identifiée pour cet horizon chronologique. L’occupation qui s’y développe au cours de l’Antiquité tardive semble donc relativement lâche et n’a pas réellement correspondu à un réaménagement profond et durable du site, du moins dans le secteur fouillé. Il est probable que l’habitat en lui-même se localise à proximité immédiate de la zone de fouille. L’espace situé en arrière de cet ouvrage défensif probablement ruiné est alors dédié au rejet des reliefs de l’occupation domestique qui se développe probablement au centre du plateau. Cette hypothèse semble correspondre aux données observées au cours des fouilles conduites en 2021. Il faudrait par la suite mener des campagnes de sondages sur les secteurs internes localisés au centre de la table basaltique pour mettre au jour d’éventuels traces immobilières de cet habitat.
Cette séquence avait déjà été identifiée précédemment (Fournier 1962) grâce à la découverte de tessons de DSP et de fragments de verre lors des interventions précédentes. On notera également, que, comme pour les occupations laténiennes, le site semble bien inscrit dans les réseaux d’échanges entre le centre et le sud de la Gaule comme le prouve la présente significative de DSP.
Enfin le site est abandonné définitivement à la fin de cette occupation du IVe au VIe siècle ap. J.-C. Le petit plateau de Lermu retrouve alors certainement sa vocation agricole. L’ensemble de la séquence stratigraphique est alors recouvert par un important apport de colluvions (US 02) issu de l’érosion de la partie centrale du site qui s’accumule en arrière des vestiges des aménagements défensifs protohistoriques.
Bibliographie
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Couderc et al. 2020 : Couderc F., Milcent P.-Y., Vallée M., Pasty J.-F., Dousteyssier B., Mader S., Meiraud A., Surmely F., Poux M., Alix P., « Un édifice circulaire monumental du Néolithique moyen sur le plateau de Corent (Puy-de-Dôme, France) et son contexte archéologique », Bulletin de la Société préhistorique française, 117, 2, pp. 233‑271.
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Fournier 1962 : Fournier G., Le peuplement rural en Basse-Auvergne durant le Haut Moyen Âge, Paris : PUF – Publications de la Faculté des Lettres de Clermont-Ferrand.
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Thevenot 2005 : Thevenot J.-P., Le camp de Chassey (Chassey-le-Camp, Saône-et-Loire) : Les niveaux néolithiques du rempart de « la Redoute », Dijon : ARTEHIS Éditions, coll. « Suppléments à la Revue archéologique de l’Est », 22.
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