Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Monument funéraire ou plate-forme de crémation ?

Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Monument funéraire ou plate-forme de crémation ? : publié dans les Chroniques ARAFA n° 2 – 2023

Lionel Izac-Imbert

Le tumulus de Celles découvert en 1902 à Neussargues (Cantal) par Jean Pagès-Allary, pose – depuis sa découverte – un certain nombre de questionnements quant à sa fonction exacte.

La fouille a été menée de manière assez méthodique, les publications ou les archives1 permettent de disposer d’une documentation de qualité. Les données disponibles ont été re-questionnées dans la cadre d’une opération de reprise des travaux de terrain en 2000.

Les problématiques principales touchaient principalement à la question chronologique, à l’identification du processus de crémation ou à des données architecturales.

I – Les données de la fouille ancienne : une tombe à incinération sous tumulus d’un « notable arverne » ?

Joseph Déchelette imagine le processus de crémation1 dès la publication dans l’Anthropologie2. On dispose de sa description : à la base blocs de basalte arrondis, recouverts de pierres plates (phonolithe) sur lesquelles repose une couche de cendre mélangée de charbons. Au-dessus de ce lit se trouve une couche d’argile non cuite qui supporte des pierres plates (phonolithe) formant toiture. Le tout est caché par de l’éboulis et de la terre arable sur laquelle s’est développée la végétation actuelle (chêne). […] La voûte du tumulus s’est effondrée sous l’action des agents extérieurs : racines des arbres et eaux d’infiltration. […] De forme ovoïde, les dimensions du tumulus sont : grand axe 25 mètres, petit axe 20 mètres, hauteur au centre 1m,80.3

Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Figure 1 : vue des fouilles anciennes avec Jean Pagès-Allary, vers 1902. Archives musée d’art et d’archéologie d’Aurillac
Figure 1 : vue des fouilles anciennes avec Jean Pagès-Allary, vers 1902. Archives musée d’art et d’archéologie d’Aurillac

De l’examen de cette coupe, il ressort clairement que le cadavre a été incinéré sur le tumulus même, ainsi que cela a été constaté ailleurs, à diverses reprises. La combustion a dû être ici extrêmement intense, car des blocs de basalte sont entrés en fusion, ce qui nécessitait une température de 800 degrés environ. On doit donc admettre que l’incinération n’a pas été opérée à l’aide d’un simple bûcher établi en plein air, mais que le foyer crématoire avait été installé dans une sorte de four muni d’un dispositif quelconque de tirage artificiel. (ibid.).

Un premier inventaire des découvertes1 est établi :

  • fer : lance, bouclier, couteaux, serpette, scies, lime, plane, compas, ciseaux, tranchet, emporte-pièce, gouge, perçoirs à douille, marteaux, poinçons, faucille, boucle rivetée ;
  • bronze : anneaux ;
  • céramique : terrines, vases à liquide, vases ovoïdes peints, fusaïoles et pesons de métier à tisser ;
  • lithique : moulin à bras en basalte, fragments de gneiss poli, silex et pierres à affûter.

Déchelette donne des comparaisons avec La Tène, Bibracte ou Stradonice et conclut : travail du bois et peut être aussi celui du cuir. Il propose une datation à La Tène III, à une époque peu antérieure à la conquête romaine. Pagès-Allary attribue la panoplie d’outils à un sellier bourrelier de l’époque gauloise2. Jean-Paul Guillaumet (CNRS)3 privilégie l’hypothèse du travail des matières dures animales.

Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Figure 2 : exemple d’outillage en fer découvert en 1902. DAO : J. Jouannet, d’après une illustration de J.-P. Guillaumet 

Figure 2 : exemple d’outillage en fer découvert en 1902. DAO : J. Jouannet, d’après une illustration de J.-P. Guillaumet 

II – Une architecture funéraire ?

La reprise de travaux de terrain, à partir de 20011, lève le voile sur certaines incertitudes.

L’analyse de la topographie confirme la présence d’un dôme naturel en pied de falaise, dans l’axe menant de la vallée de l’Alagnon en direction du plateau du Cézallier, dont les concepteurs ont tiré profit pour mettre en relief le monument.

L’édification, entre la fin du Ve s. et le début du IVe s. av. J.-C., se caractérise par l’architecture de pierres sèches soignée de la plate-forme centrale qui adopte une forme rectangulaire (11,20 m. x 12,55 m. x 0,95 m. conservés). Les fondations sont ajustées à l’aide de blocs de grand gabarit. Au Nord, une carrière de ballastière l’a détruit.

Elle est dotée d’une chape horizontale de blocs qui a subi l’action du feu avec de nombreux fragments d’argile brûlée. Elle a fourni la majorité des objets (vases, éléments d’armement, panoplie d’outils en fer, une meule rotative). Cette phase est datée par la céramique et la panoplie guerrière du IIIe s. av. J.-C.

On note une plateforme de taille plus réduite (6 m. x 2,15 m. x 0,98 m.) conservée au sud, au pied de laquelle deux objets en fer ont été découverts : un poinçon à cuir et une broche à rôtir2 dont le bon état de conservation trahit un passage au feu.

Enfin, une plateforme inférieure prend la forme d’un arc de cercle (16,40 m. x 1,95 m. x 1,15 m.) en guise de structure périphérique de circulation.

Pagés-Allary mentionne des fragments d’ivoire brûlé3 mais ces éléments n’ont pas été conservés. Toutefois, l’interprétation comme lieu de cérémonie funèbre s’accorde avec la mise en place d’un bûcher qui se surimpose à un monument plus ancien.

Le statut du défunt incinéré, inscrit entre sphère guerrière et artisanale, évoque le domaine de la vénerie qui s’accorde bien avec l’assemblage de mobilier mis au jour au sein du tumulus de Celles.

Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Figure 3 : plan général du monument. Relevé : Magali Cabarrou 

Figure 3 : plan général du monument. Relevé : Magali Cabarrou 
Le « Tumulus » de Celles (Cantal). Figure 4 : schéma interprétatif. Document: L. Izac

Figure 4 : schéma interprétatif. Document: L. Izac

III – Une plateforme de crémation ?

Lors des fouilles anciennes la mention de blocs de « torchis brûlés » avait été notée en grande quantité notamment à la base et dans l’environnement immédiat des dépôts d’objets mis au jour en 1902.

Une analyse des nombreux éléments mis au jour lors de la reprise de la fouille a été confiée à Claire-Anne de Chazelles (CNRS).

Tous les fragments recueillis appartiennent à un matériau préparé à base de terre et d’eau, avec un possible ajout de fibres végétales. La présence récurrente d’une surface grossièrement modelée confirme que ce matériau a été utilisé à l’état plastique, étendu puis régularisé manuellement.

En corrélant les informations relatives à ce matériau et celles qui témoignent de son support, et en écartant diverses possibilités habituellement envisagées à l’issue d’une étude de ce type de vestiges, une seule proposition peut être avancée.

D’une part, le matériau très dense, lourd en raison de la faible proportion de fibres végétales et au contraire de la forte présence de grains et petits graviers minéraux, n’est pas du tout adapté à la réalisation de structures verticales sur armature de clayonnage et encore moins au revêtement de panneaux pleins en bois.

D’autre part, la rareté des négatifs de petites branches et particulièrement d’éléments croisés confirme cette impression. Quant aux empreintes de grosses branches écorcées, elles sont le plus souvent isolées bien qu’il existe quelques exemples montrant leur association avec des branches plus fines ou refendues. Enfin, les négatifs anguleux, de même que les formes plutôt prismatiques des fragments, correspondent bien à l’hypothèse d’empreintes de pierres et de cailloux.

Le fait que les surfaces lissées manuellement soient fréquemment en relation avec une face perpendiculaire, soit plane mais irrégulière soit conservant le négatif d’une grosse branche, indique que le matériau a par endroits été appliqué contre une « bordure » qui a permis de le contenir tout en respectant un niveau.

L’hypothèse la plus vraisemblable consiste à interpréter ces fragments comme les vestiges d’une chape horizontale, d’une épaisseur moyenne de 6 à 10 cm, recouvrant un radier de moellons et de cailloux assez serrés. Selon cette interprétation, le matériau plastique se serait insinué entre les blocs avant de pouvoir former une couche superficielle assez épaisse. Les traces de branches pourraient correspondre à la bordure évoquée et les empreintes de branches plus fines à d’éventuels éléments servant d’entretoises pour maintenir un cadre, par exemple, dans lequel le matériau serait contenu. Les faces planes irrégulières pourraient pour leur part attester aussi la présence de blocs participant à la contention du matériau humide ou simplement témoigner de son infiltration entre les pierres du radier.

La cuisson très poussée du matériau est une question cruciale qui conditionne l’interprétation non seulement de la chape mais de la structure entière. Les données semblent montrer que ce revêtement complétait l’aménagement de la partie sommitale du monument en pierres et rien n’indique, objectivement, qu’il ait été recouvert par des structures en bois. Cela dit, on ne peut pas faire l’économie de cette possibilité dans la mesure où le sommet de la construction n’a pas été retrouvé en place, privant ainsi les archéologues de précieuses indications. Il est probable que l’incendie de superstructures en bois d’une certaine importance aurait pu favoriser la cuisson de la chape à l’égal d’une sole de four. Pour expliquer ce degré de cuisson et, bizarrement, l’absence de gradient depuis la surface vers le bas de la chape, il convient d’envisager deux solutions : soit des feux nombreux et répétés, se répartissant sur toute l’aire sommitale, soit un feu gigantesque et maintenu en activité pendant un certain temps.

Conclusion

L’ensemble de ces résultats invite donc à envisager une voie d’explication du monument en tant que plateforme architecturée ayant accueilli un processus de crémation puis de dépôts funéraires. Objet d’étude singulier ce dispositif particulier s’intègre donc dans une série de monuments funéraires et para-funéraires protohistoriques encore mal documentés et dont l’originalité tient notamment au soin apporté à son architecture monumentale.

Bibliographie

Guillaumet 1983

Guillaumet (J.-P.). – Le matériel du tumulus de Celles (Cantal), in Collis J., Duval A., Périchon R. (éd.). Le deuxième âge du Fer en Auvergne et en Forez et ses relations avec les régions voisines. 4e colloque régional annuel consacré à l’âge du Fer en France non-méditerranéenne, Clermont-Ferrand, 1980, Université de Sheffield ; Centre d’études foréziennes, p. 189-211, 17 fig., 1 pl. h.t. (IV b), 1983

PagèsAllary 1905

Pagès-Allary (J.). – Nouvelles observations sur le tumulus de Celles (Cantal), L’Anthropologie, t. XVI, 1905. Paris: Masson, 1905, p. 117-118.

PagèsAllary, Déchelette, Lauby 1903

Pagès-Allary (J.), Déchelette (J.), Lauby (A.). – Le Tumulus arverne de Celles, près Neussargues (Cantal), L’Anthropologie, 14, 1903, p. 35‑416

1 Opérations de relevés, sondages, fouille programmée autorisées par la Direction régionale des affaires culturelles d’Auvergne, service régional de l’archéologie, avec le soutien de la Fédération des associations archéologiques du Cantal et de l’Association pour la Recherche sur l’Age du Fer en Auvergne.

2 Cet objet peut être également identifié comme manche de simpulum ou tisonnier.

3 Les premiers croquis font apparaître des os longs (fémur ?). (ibid.)

1 Le mobilier a fait l’objet d’un don au musée des Antiquités Nationales de Saint-Germain-en-Laye (Yvelines) en juillet 1905 suite à une exposition au musée du Petit Palais à Paris.

2 Pagès-Allary 1905.

3 Guillaumet 1983.

2 Pagés-Allary, Déchelette, Lauby 1903.

3 Original, archives musée d’art et d’archéologie d’Aurillac.

1 Archives du Musée de d’Art et d’Archéologie d’Aurillac, du Musée des antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, du musée de la Haute-Auvergne de Saint-Flour.

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