La question des exploitations minières protohistoriques dans le Cantal : tour d’horizon du potentiel en minerais et des données archéologiques disponibles : publié dans les Chroniques ARAFA n° 2 – 2023
Florie-Anne Auxerre-Géron
I – Introduction
Le Massif central possède de nombreux gisements de minerais métallifères, notamment les principaux métaux exploités dès la Protohistoire comme l’or, l’argent, le cuivre, l’étain, mais également le plomb et le fer. Les gisements peuvent prendre plusieurs formes : il peut s’agir de gîte dit primaire, c’est-à-dire que le minerai se trouve dans des filons en place dans la roche, ou bien il peut s’agir de dépôt secondaire en alluvions, colluvions ou placers (Cauuet 2013, p. 74 ; Hubert et Abraham 2018, p. 32). Pour le département du Cantal en particulier, le potentiel minéralogique est bien réel, mais rares sont les indices qui permettent aujourd’hui de dater les travaux miniers anciens recensés aujourd’hui sur le territoire (fig. 1). Les données disponibles indiquent qu’une extraction de l’or mais aussi de l’argent a existé dans certains districts à la fin de la période gauloise, mais il reste encore un important travail de recherche à mener.
I – En rive gauche de la Dordogne, entre Cantal et Puy-de-Dôme : le district de Labessette et Beaulieu
Dans cette commune puydomoise, limitrophe de la Corrèze et du Cantal, un vaste complexe minier a été repéré dès 1900 par un ingénieur des mines, Joseph Demarty. Plusieurs fosses et tranchées ont alors été relevées, sur un site appelé localement « Camp Romain » ou « Camp de César » (Demarty 1907). Rapidement, ces vestiges ont été identifiés comme étant des traces d’exploitations anciennes, et des aménagements liés à des opérations de lavage ont également été repérés. Joseph Demarty supposait alors que le minerai extrait devait être l’or ou l’étain (ibid., p. 165). Ayant eu l’autorisation de la mairie de procéder à des fouilles, Joseph Demarty a pu ouvrir 3 m², tamisant les sédiments, et récoltant beaucoup de mobilier attestant d’une implantation gallo-romaine. À ce mobilier s’ajoute également des tessons de céramiques noires attribuées à l’« Époque Marnienne » (ce qui correspondrait au début du Second âge du Fer), ainsi que des morceaux de fer et de grandes quantités de charbons de bois (ibid., p. 165-166). Ajoutons qu’il mentionne également la découverte non loin du site d’« une épée à lame de fer et à poignée en cuivre sans garde », qu’il attribue, d’après une description orale, au Premier âge du Fer. Après examen des descriptions des aménagements de bois mis au jour (fig. 2), Élodie Hubert propose d’interpréter ces vestiges comme un boisage complexe avec cadres en chantier vertical (Hubert 2011, p. 46), semblable à ce que Béatrice Cauuet a pu observer à la mine de La Fagassière (Cauuet 2004, p. 57-59), et qui a pu être daté de La Tène moyenne et finale. Toutefois, à partir des dessins disponibles, qui présentent des pièces de bois bien droites et écorcées, le doute subsiste sur cette attribution chronologique. En 1997, Béatrice Cauuet a pu prospecter les environs de Labessette (ainsi que les communes environnantes) et inventorier douze sites, le « Camp de César » inclus, pour un total de 26 aurières.
Signalons au passage que d’autres opérations de prospections, côté corrézien, menées par Matthieu Boussicault, ont d’ailleurs permis d’esquisser un district plus large, s’étendant de l’autre côté de la Dordogne. À Labessette, Béatrice Cauuet a également récolté de la céramique datée de La Tène finale (écuelle à bord rentrant, gobelet à bord droit, pot globulaire ; Cauuet 1997, p. 90 ; Cauuet 2013, p. 88). Ces travaux miniers ne sont donc pas pour l’instant datés d’une manière certaine par la fouille, mais le mobilier récolté en prospections, mentionné par les sources anciennes, ainsi que les différentes observations et comparaisons effectuées laissent entrevoir des aurières exploitées au moins à la fin de la période gauloise.
II – Le nord-est du Cantal : un potentiel qui reste à mesurer et une exploitation à la fin de la Protohistoire.
Dans le nord-est du département, une intense activité minière au XIXᵉ et au début du XXᵉ siècle (exploitation de l’antimoine), a été possible grâce aux nombreux gisements de mispickels, de galène (Molèdes) et de plomb argentifère (Massiac). Certains gisements de mispickels sont aurifères, comme à Bonnac, dans lequel Jean Pagès-Allary estime un potentiel de 6 à 10 g d’or par tonne (Audollent 1911). Ce secteur couvre donc essentiellement les basses vallées de la Sianne et de l’Alagnon : en effet, entre Cantal et Haute-Loire s’étendent des collines cristallines où de nombreux filons métallifères affleurent, notamment grâce aux nombreuses vallées encaissées qui découpent le relief. Parmi ces vallées, la vallée de la Fontaine-Salée, où affleure le filon d’antimoine et d’argent dit « des Anglais » ou « des Mineyres », a livré des éléments concrets puisque des fouilles ont pu y être effectuées au milieu des années 1970. En effet, à la suite de sondages positifs établis par le BRGM et dans la perspective d’une exploitation, des engins de terrassement mirent au jour une ancienne construction, en rive gauche de la rivière (Tixier 1986, p. 9). Une fouille de sauvetage sommaire fut lancée, et ces vestiges furent interprétés comme une sorte d’hypocauste, aménagé pour le traitement des minerais (du minerai grillé fut d’ailleurs découvert dans le remplissage de l’hypocauste ; ibid., p. 11). Une aire de lavage a également été identifiée en surface. Les explorations souterraines du BRGM ont aussi permis de mettre au jour d’anciennes galeries ainsi que des puits conservant encore leurs boisages, que Luc Tixier put observer et relever en 1976 et 1977. Une datation 14C effectuée sur un des bois donne la fourchette de 1850 BP ± 100, c’est-à-dire entre – 30 et 50 de notre ère (ibid., p. 13 ; Cauuet 2018, p. 198), plaçant donc cette principale phase d’exploitation au début de la période gallo-romaine. Le mobilier recueilli aux abords du four et en amont du site confirme cette attribution, mais des céramiques de la fin du 2nd âge du Fer ont également été découvertes (Vinatié 1986, p. 17).
À la frontière entre la Haute-Loire et le Cantal, sur la commune d’Ally, la mine d’argent de La Rodde (plomb argentifère) a été exploitée notamment au cours des périodes antique et médiévale, et reprise au XIXe et XXe siècle (Cauuet 2018, p. 198). Au cours de fouilles menées entre 1993 et 1998, Christian Vialaron a pu prélever des boisages et des charbons qui ont été datés par 14C, ce qui a permis de mettre en évidence des périodes d’exploitation plus anciennes (Vialaron 2016). Une datation réalisée sur des charbons de bois, localisés en bas d’une stratigraphie importante, a notamment révélé que des travaux ont été réalisés au cours du Premier âge du Fer (fourchette chronologique comprise entre 769 et 416 avant notre ère). L’exploitation avait alors été effectuée grâce à des chantiers à ciel ouvert, qui ont formé une tranchée large et profonde (jusqu’à 8 m de profondeur). Une autre phase d’exploitation, prenant alors la forme de travaux souterrains, est attribuée à la période comprise entre le IIIe siècle avant notre ère et le Ier siècle de notre ère, sur la base de datations radiocarbones réalisées également sur des boisages de puits et des charbons. En outre, du mobilier céramique a permis d’attester que ces travaux ont pu perdurer au début de la période antique.
En plus des informations fournies par les sites miniers eux-mêmes, il faut noter la présence dans le secteur d’un exceptionnel dépôt de monnaies et de bracelets d’argent, découvert au « Suc de la Pèze » à La Chapelle-Laurent, non loin de Massiac. En effet, sa similarité avec certains dépôts du territoire rutène localisés dans des zones de contacts en Rutènes et Cadurques (Gruat et Izac-Imbert 2002, p. 77), et surtout, dans des districts miniers, laisse envisager que nous avons affaire à une pratique comparable, étroitement liée à un contexte minier. Pour terminer, un autre élément matériel est à noter : il s’agit d’un maillet à gorge en roche volcanique, découvert sur le plateau de « Chalet » à Massiac, outil notamment utilisé pour des activités d’extraction (Tissidre et Baillargeat-Delbos 2015). Un exemplaire similaire a été découvert dans une aurière de Dordogne, sur le site des Fouilloux (Jumilhac), exploité à la fin de la période gauloise (Cauuet 2004, p. 29).
III – Le sud-ouest du Cantal : le district minier de Prunet et les apports récents de la recherche
Des travaux récents ont permis de mettre en lumière un autre secteur clé du département pour l’étude des exploitations minières protohistoriques. Ces deux dernières décennies, en Chataigneraie cantalienne, des prospections menées par Philippe Abraham puis par Elodie Hubert (Université de Toulous Jean Jaurès) ont permis de mettre en évidence des mines anciennes, sans doute des aurières étant donnée la géologie du secteur (Cauuet 2013, p. 88 ; Hubert et Cauuet 2015, fig. 12 ; Hubert et Abraham, 2018 p. 35-36). Le district minier qui a été identifié, a été baptisé district de Prunet : il couvre cette commune, mais aussi Lafeuillade-en-Vézie et Lacapelle-del-Fraisse. L’inventaire réalisé par ces deux chercheurs, qui a pu aussi être alimenté par l’étude de relevés Lidar, montre un secteur très dense en vestiges, attestant principalement d’exploitations en roche à ciel ouvert, mais aussi de la présence de chantiers miniers sur gisements secondaires, c’est-à-dire ouverts dans des dépôts détritiques. Ces vestiges sont des fosses, le plus souvent alignées, de tailles variables, mais globalement de plus petite taille que celles connues en pays Lémovice. Cette différence notoire pourrait avoir deux explications : les filons exploités dans le district de Prunet sont en effet moins importants que ceux disponibles en Limousin, notamment moins puissants. Autre possibilité également, il a été mis en évidence en Limousin qu’il y avait un rapport entre la taille des fosses et les périodes d’exploitation, les plus petites étant datées du début du 2nd âge du Fer (Hubert et Abraham 2018 p. 42). Si la typologie de ces vestiges permet sans trop de risque de les dater de la fin de la Protohistoire, notamment par comparaison avec les exploitations connues en Limousin voisin et documentées par des fouilles, les éléments qui permettent de dater précisément ces sites miniers sont encore très peu nombreux : en effet, même si deux sondages ont pu être menés ces dernières années, ce type de site ne livre pas de mobilier datant, et rares sont les charbons qui permettent une datation. Cependant, à Lacapelle-del-Fraisse, des jalons chronologiques ont pu être posés pour le site du Camp du Puech, sondé en 2018 : une datation sur un charbon mis au jour dans une couche de déblais atteste d’une fréquentation au cours de l’Antiquité, tandis que des charbons découverts en fond de minière et sous le niveau de haldes ciblent les IIe et Ier siècle avant notre ère, attestant d’une activité d’extraction au cours de la période gauloise (informations orales Élodie Hubert).
IV – Les parallèles avec les sites miniers du Limousin et de l’Aveyron
La question des exploitations minières protohistoriques dans le Cantal doit être abordée aussi à la lumière des données obtenues dans les départements voisins ou limitrophes, mieux documentés comme l’Aveyron, la Corrèze et la Haute-Vienne. En territoire Lémovice notamment, les mines protohistoriques sont étudiées depuis le début des années 1980 (travaux de Béatrice Cauuet). C’est d’abord par le biais d’inventaire de vestiges et d’anomalies d’origines anthropiques souvent détectés par des géologues qu’ont commencé les recherches sur ces travaux, mais aussi par une étude minutieuse des toponymes : ainsi si certains évoquent clairement la présence d’or (Aurière, Laurière etc.), d’autres peuvent indiquer la présence d’anomalie de terrain (Cros, Crose, Croze, etc., dérivés du mot « creux » en occitan, Suquet ou Tuquet, dérivés du mot « tertre ») ou les animaux fouisseurs particulièrement attirés par les déblais (Trou du Loup, Trou du renard, Renardière, Tessonière et ses dérivés, « tesson » signifiant blaireau). Les premières fouilles archéologiques permirent rapidement de déterminer que ces mines, notamment celles du district de Saint-Yrieix-la-Perche (Haute-Vienne), ont été exploitées tout au long du Second âge du Fer. À l’heure actuelle, il est établi que l’activité minière se développe dès la fin du Premier âge du Fer (les exploitations sont alors à ciel ouvert, limitées à 10 m de profondeur ; Cauuet 2013, p. 94), avant de s’intensifier à la période gauloise. Certains sites ont également livré des vestiges de l’âge du Bronze, notamment de la phase moyenne ou de la toute fin du Bronze final, ce qui suggère des épisodes d’exploitations plus anciens. Les fouilles ont également permis de documenter des aménagements annexes : ateliers de traitement mécanique (concassage, broyage à l’aide de tables en pierre, de mortiers), ateliers de lavage (différents chenaux, bassins et citernes creusés). La phase finale de la chaîne opératoire a également pu être documentée grâce à la découverte de petits creusets aux parois vitrifiées (ibid., p. 94-95). Notons enfin que des espaces d’habitats liés à ces mines ont aussi été fouillés, attestant qu’une communauté entière se consacrait à cette activité, et ce sur plusieurs générations et d’une manière permanente.
Outre l’exploitation de l’or, l’existence de mines d’argent dans les départements voisins du Cantal est aussi documentée pour la période protohistorique : dans le nord-ouest du département de l’Aveyron, de nombreuses mines de plomb argentifères ont été repérées le long de la faille de Villefranche-de-Rouergue, ainsi que des gisements d’étain à l’Ouest de Laguiole (ibid., p. 89 et 92). En ce qui concerne les stannières, Philippe Abraham a documenté des dépôts sablonneux minéralisés exploités par des petits chantiers de lavage d’alluvion (fosses ou tranchées) et le mode opératoire a pu être mis en lumière, notamment grâce à des analyses géochimiques qui ont permis de localiser les aires de préparations mécaniques aux mines de « La Boule » et de « Grandval » (Abraham 2000). Des datations 14C ont permis d’apporter les premiers jalons chronologiques de ces exploitations. Une datation calibrée atteste ainsi d’une phase d’activité dès le Bronze final (1390-1025 avant notre ère), et plusieurs dates pointent l’ensemble de l’âge du Fer (Cauuet 2013, p. 89).
V – Conclusion
L’objectif de cet article était de présenter un tour d’horizon du potentiel en minerais dans le Cantal. Ce dernier est réel, et nous avons pu voir que le département est riche de gisements aurifères et argentifères, à l’image de bon nombre de département du Massif central. Quant aux données archéologiques aujourd’hui disponibles, il faut souligner qu’elles étaient encore bien maigres il y a encore 10 ans, mais qu’une nouvelle dynamique de recherche a été enclenchée, livrant déjà son lot de données inédites permettant de revoir la question des exploitations protohistoriques. S’il n’est plus exclu que de l’or mais aussi de l’argent ont pu être extraits du sous-sol cantalien à la fin du Second âge du Fer au moins, il reste encore à déterminer les modalités de ces exploitations, mais aussi l’histoire de ces mines. En effet, dans certains cas, leur genèse est antérieure à l’âge du Fer ; ailleurs elle est attestée au cours du Premier âge du Fer, mais ces travaux anciens sont encore mal connus. Enfin, il reste à définir quelle place ont pu avoir ces productions dans l’économie protohistorique, en particulier dans l’économie arverne.
VI – Bibliographie
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