Chronologie du mobilier archéologique

Chronologie du mobilier archéologique du second âge du Fer en Auvergne. Volume 2 : La Tène ancienne en Basse Auvergne Synthèse des données

Christine Mennessier-Jouannet (UMR 8546) et Jean-Claude Lefèvre (UMR 5138)



En 2017 est paru le premier volume d’une vaste somme mise en forme par un collectif de chercheurs qui se sont partagés la tâche d’étudier, comparer, classer et ordonner les mobiliers archéologiques du second âge du Fer, soit une période de temps allant du début du Ve s. à la fin du Ier s. avant notre ère. Cette démarche a abouti à la mise en évidence de treize étapes chronologiques (Mennessier-Jouannet et Deberge 2017).

Dans ce deuxième volume, nous présenterons une synthèse des données acquises sur le cadre de vie, les contextes d’habitation et ceux du domaine funéraire prévalant au début de cette séquence appelée La Tène ancienne. La question de l’acquisition d’une datation précise pour ces ensembles est au cœur de notre propos : elle se rapporte aux deux premiers siècles de cette vaste séquence, à savoir les Ve et IVe s. avant notre ère, en débordant sur le IIIe s.

1 – Une préoccupation majeure : la datation des structures archéologiques par celle de leur mobilier

Dater le matériel issu des fouilles est la démarche préalable et indispensable qui permet, dans un deuxième temps, de comparer les sites entre eux, ainsi que les contextes environnementaux, économiques ou sociaux tout autant que culturels.

Mais, dater avec précision reste une démarche difficile, tributaire des différents niveaux de connaissance et des aléas des découvertes archéologiques à l’échelle des différentes régions, autant de France que, de façon plus large, de l’Europe continentale et du monde méditerranéen. L’obtention des datations en archéologie protohistorique (là où il n’existe pas de textes directs écrits par chaque culture et pour son propre usage) s’est longtemps appuyée sur les comparaisons permises par l’évolution typologique et morphologique des productions de poterie, de métallurgie ou de verrerie etc. Chaque type d’objets vivant et évoluant au rythme de ses avancées technologiques ou des effets de modes et de mimétisme. On obtenait ainsi des schémas évolutifs des productions de l’activité humaine qu’il était nécessaire de raccorder à un même déroulé du temps, autrement dit à une même chronologie. Pour cela, tout d’abord, l’Europe continentale a utilisé les datations offertes par du mobilier d’importation de Grèce ou d’Etrurie, retrouvé en position stratigraphique bien caractérisée sur ses propres sites (par exemple, la céramique attique, les amphores…). Ces productions datées par des textes ont servi de support pour fournir des cadres chronologiques fiables : ainsi, nous savons que Massalia a été fondée vers 600 avant notre ère. Les premières amphores qu’elle produit datent des alentours de 550 et ces récipients ne migrent, – par voies commerciales-, pas avant 525 et plutôt à partir du Ve s. vers le nord de la France. Par conséquent, trouver deux tessons d’amphore massaliète sur un site à Aulnat dans le Puy-de-Dôme indique que le mobilier trouvé en connexion avec eux date également du Ve s. au plus tôt.

Par ailleurs, seuls les habitats et les sépultures des plus riches sont les mieux dotées en armements, parures et divers ustensiles en métal (généralement en alliage cuivreux et en fer, mais aussi en métal précieux) et ces habitats ou sépultures détiennent aussi la majeure part des importations. Ainsi, les référentiels de datation chrono-culturels ont été bâtis à partir du mobilier métallique et fonctionnent très bien dans ce cadre. Le problème est qu’ils sont difficilement adaptables à des régions entières où les sites protohistoriques, et notamment ceux de la période laténienne que nous étudions, sont des habitats ruraux exempts de matériel métallique ou si rare et fragmenté qu’il est difficilement exploitable. Ainsi, en Basse Auvergne et notamment dans la plaine de La Limagne, les premiers ensembles archéologiques offrant une céramique diversifiée et abondante dans les mêmes contextes que du mobilier métallique (armement et parure) datent de la première moitié du IIIe s., à la toute fin de la période d’étude. Il s’agit de la fouille du chemin 8 du site de La Grande Borne, commune de Clermont-Ferrand (fouille de John Collis).

2 – Une méthode indépendante de toute connexion avec l’archéologie : la datation par le 14C

L’établissement d’une chronologie fondée sur des critères autres que la seule évolution des formes et des techniques de fabrication était indispensable. Jusqu’à une date récente, le recours aux datations par le radiocarbone était peu usité par les protohistoriens travaillant sur le second âge du Fer, tant il était admis qu’elles étaient inutiles en raison de ce qui est appelé “le plateau de l’âge du Fer” de la courbe de calibration (Fig. 1). En effet, ce plateau induit, au moment de la correction de l’âge 14C, une très importante incertitude atteignant plusieurs siècles (Fig. 2)

Après une forte rupture de la courbe de référence au IXe s. (fenêtre de réponse optimale), un premier palier s’étend du VIIIe à la fin du Ve s. Un décrochement tout aussi net s’effectue alors qui couvre le IVe s. (autre fenêtre optimale qui concerne notre étude). La courbe connaît ensuite un nouveau plat marqué par de multiples oscillations que l’on peut distinguer en deux séquences. Ainsi, du point de vue des possibilités offertes par le radiocarbone pour une étude centrée sur La Tène ancienne, seule une fenêtre nette, mais brève, peut être mise à profit pour dater en chronologie absolue les ensembles de mobilier couvrant la deuxième moitié du VIe s. (Hallstatt D2-D3) et les Ve, IVe et première moitié du IIIe s. (La Tène A1 et A2 et La Tène B1 et B2).

L’opportunité fournie par cette lucarne dans la courbe de calibration a été vue comme la possibilité d’adosser nos propositions de chronologie relative (les étapes de la périodisation proposée pour l’Auvergne) à un référentiel reconnu en chronologie absolue. Cette étape franchie, il restera encore la nécessité de faire le lien avec les sériations chrono-culturelles en vigueur pour l’Europe de l’Ouest (chronologie allemande).

Concrètement, les dates à partir d’ossements (animaux ou humains) ont été privilégiées sur les charbons de bois (sauf dans un cas, l’anille d’une meule rotative conservée dans son logement et gardant le diamètre complet d’une branche d’ormeau). Ce choix, nous permet d’éviter les imprécisions variables de vieillissement dû à l’effet “vieux bois” d’un charbon de bois. En effet la pousse du cerne est annuelle et on ne connaît pas sa position parmi les cernes du bois, donc son âge de croissance. Le renouvellement du collagène d’un ossement étant de quelques années, sa datation est proche de la date de l’évènement que l’on souhaite dater. Les graines souvent brûlées, favorisant ainsi leur conservation, sont des éléments des plus représentatifs puisque leur durée de vie encore plus restreinte, en général annuelle.

Opportunités de datation (ordonnées) offertes par la courbe de calibration (abcisses) couvrant le premier millénaire avant notre ère (indication en valeur absolue comptée avant J.-C). Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre
F ig. 1 : Opportunités de datation (ordonnées) offertes par la courbe de calibration (abcisses) couvrant le premier millénaire avant notre ère (indication en valeur absolue comptée avant J.-C). Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre
Deux simulations de résultats et de leur précision en chronologie absolue en fonction des fluctuations plus ou moins fortes de la courbe de calibration. L’exemple du haut illustre l’imprécision due au plateau du Ier âge du Fer et l’exemple du bas met en évidence la réponse resserrée due à la verticalité de la courbe de calibration. Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre
Fig. 2 : Deux simulations de résultats et de leur précision en chronologie absolue en fonction des fluctuations plus ou moins fortes de la courbe de calibration. L’exemple du haut illustre l’imprécision due au plateau du Ier âge du Fer et l’exemple du bas met en évidence la réponse resserrée due à la verticalité de la courbe de calibration. Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre

3 – Les premiers résultats et les démarches en cours

Plusieurs tests de datation par le radiocarbone ont été effectués dans les années 1990 pour valider l’expérience d’un premier test fait sur le site de Lijay dans la Loire par Michel Vaginay et Vincent Guichard, test parfaitement concluant. Trois dates furent alors lancées : La Moutade et Dallet dans le Puy-de-Dôme (2017, notices n°12 et 19) et Gannat dans l’Allier (2017, notice n°13). Au vu des réponses positives (Fig. 3), la démarche fut élargie à tous les ensembles de référence des cinq premières étapes sélectionnées pour l’Auvergne, soit un total de 23 datations. Les résultats ont été publiés individuellement avec leur notice correspondante (Mennessier-Jouannet et Deberge 2017). Ils bénéficient donc des critères qui ont prévalu pour la sélection des ensembles présentés dans l’ouvrage : ils sont issus de niveaux stratigraphiques bien individualisés à la fouille et contenant un mobilier abondant et aussi diversifié que possible pour la grande majorité d’entre eux. Le regroupement de ces résultats classés dans l’ordre chronologique met en évidence une nette diagonalisation des données laissant apparaître que la séquence longue de deux siècles et demi (de la fin du VIe au milieu du IIIe s.) pouvait être séquencée beaucoup plus finement. D’autre part, le recours au radiocarbone validait certaines données issues de la chronologie relative, notamment en ce qui concerne l’étape 2.

Lors de la mise en chantier du volume 2 sur La chronologie du mobilier archéologique du second âge du Fer en Auvergne : La Tène ancienne en Basse Auvergne. Synthèse des résultats, il est apparu d’une façon générale que le nombre total de datations pour chaque étape n’était pas suffisant pour valider l’ensemble, mais aussi que le corpus de documentation des deux premières étapes demandait à être complété par d’autres ensembles de mobilier. Ceux-ci proviennent des travaux en archéologie préventive qui, depuis 2017 ont enrichi ou complété nos données. En chronologie relative, les résultats publiés en 2017 s’en trouvent renforcés. Dans la logique de notre démarche, une nouvelle série de radiocarbone a été mise en œuvre et, avec le soutien financier de l’Etat, est en ce moment à l’étude au Centre de Datation par le Radiocarbone de Lyon (CNRS et UMR Arar). Ainsi, 29 nouvelles dates compléteront la trentaine de dates que nous possédons déjà.

Rappelons le handicap constant auquel nous sommes confrontés pour caler notre chronologie relative par rapport aux systèmes de datation élaborés sur la base du mobilier métallique, que ce soit le système de Hatt et Roualet pour l’Est de la France ou le système de Reinecke et ses développements pour l’Allemagne du Sud, la Suisse et auquel une vaste partie de la France se rattache. En effet, il n’y a pas de mobilier métallique sur les sites ruraux de Limagne pour cette période ancienne, mais en revanche les nécropoles que nous supposons de la même période regroupent des inhumations qui portent une parure ou un armement ou des objets de toilette uniquement en métal. Cette pratique est commune à un vaste domaine géographique qui couvre le domaine nord-alpin. Deux fouilles récentes, l’une sur la commune de Pont-du-Château l’autre sur celle des Martres d’Artière ont fait l’objet d’une dizaine de datations par le radiocarbone, qui ont fourni des résultats tout à fait convenables en ce sens qu’ils s’inscrivent dans la fourchette chronologique qui nous intéressent. Cependant, le choix des auteurs s’est porté sur des sépultures sans mobilier pour des raisons spécifiques à leur problématique (tombes monumentalisées). En conséquence, a été adjointe à la série de dates provenant de structures d’habitat, une série d’échantillons provenant des sépultures les mieux datées couvrant la même séquence chronologique (tout au moins, nous le supposons).

L’ensemble de ces données chronologique sera ensuite repris et complété par le recours à l’analyse bayésienne pour laquelle le laboratoire de Radiocarbone de Lyon, auteur de la grande majorité des Radiocarbones de l’étude, est partie prenante en la personne de Jean-Claude Lefêvre. L’étude a pour support le logiciel Chronomodel mis en forme par Philippe Lanos, laboratoire de Geosciences à l’Université de Rennes. Sur la base d’un essai préliminaire, l’étape 1 voit une proposition de scission en deux ensembles et l’étape 3 se dégage et s’individualise par rapport aux étapes 4 et 5.

La multiplication des données chronologiques fournies par les différentes méthodes de datation absolue et celles obtenues par les fouilles et l’analyse des mobiliers soulèvent la question de leur traitement conjoint suivant des méthodes fiables et reproductibles. C’est pour répondre à cette question que depuis les années 90 des archéologues, des archéomètres et des statisticiens ont développé des logiciels de modélisation chronologique utilisant des statistiques dites bayésiennes. Celle-ci repose sur le théorème de Thomas Bayes (1702–1761), permettant de déduire la probabilité temporelle d’un événement à partir de celles d’autres événements déjà évalués.

Les statistiques bayésiennes ont été appliquées pour la calibration des datations carbone 14 : conversion des âges C14 brut exprimés en BP en date calendaire via la courbe de calibration. Les différents programmes de calibrations Calib, Oxcal, etc. utilisent ce type de statistiques. Plusieurs logiciels de modélisations chronologiques ont été développés depuis une vingtaine d’années BCal (Buck et al, 1999), OxCal (Bronk et Ramsey, 2005,2009) et à partir des années 2000 RenDateModel puis Chronomodel de Philippe Lanos.

Classement graphique des principaux résultats des datations absolues par le radiocarbone mis en correspondance avec les étapes chronologiques issues du programme collectif de recherche publié en 2017 (Mennessier-Jouannet et Deberge 2017). Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre
Fig. 3 : Classement graphique des principaux résultats des datations absolues par le radiocarbone mis en correspondance avec les étapes chronologiques issues du programme collectif de recherche publié en 2017 (Mennessier-Jouannet et Deberge 2017). Document : C. Mennessier-Jouannet et J.-C. Lefèvre

Ces logiciels permettent d’intégrer dans un même calcul des données temporelles telles que datation radiocarbone, thermoluminescence, archéomagnétisme, typochronologies, ainsi que des contraintes stratigraphiques ou des Terminus ante et post quem. Il est alors possible d’améliorer la précision et la fiabilité de chacune des datations. Ainsi, en utilisant l’ensemble varié de ces données, la modélisation peut déterminer la chronologie, sous forme d’intervalle d’âge donné à deux sigmas de confiance (95 % de probabilité) soit pour un fait événementiel soit pour un phasage culturel ou pour une occupation de site. Dans la présente étude, les amphores massaliètes du site d’Aulnat, îlot des Martyrs (2017 notice n°2), les importations méditerranéennes de Cournon, Les Pointes Hautes (notice en cours) ou Orcet, rue des Vergers (notice en cours), les fibules du site d’Artonne, La Mothe (2017 notice n°7) sont autant de descripteurs qui entreront en ligne de compte pour paramétrer des terminus post quem. La date proposée sera variable en fonction de chaque type de mobilier : par exemple, la date de -525 sera proposée pour les amphores massaliètes, en choisissant le terme le plus ancien possible d’arrivée de ce matériel en Gaule continentale.

En conclusion, de cette tentative de datation absolue des phases anciennes de la périodisation d’Auvergne, il ressort (et cela n’était pas dit d’avance) que le recours au radiocarbone pour dater des contextes depuis le Ha D2-3/ LT A1 jusqu’à La Tène B2 (horizon des fibules de Duchcov et post-Duchcov) peut être pertinent et qu’il existe un créneau utilisable à cet effet.

Mais aussi, la création, par le biais des radiocarbones, d’un référentiel commun à tous les ensembles de mobiliers métalliques ou céramiques de cette période de la fin du premier âge du Fer et de La Tène ancienne permettra de raccrocher les sites ruraux plus nombreux mais plus modestes, au même système chrono-culturel que celui déjà en vigueur pour les mobiliers métalliques accompagnant les sépultures, se rapportant aussi à des strates différentes de la société gauloise.


Bibliographie

Blaizot et al. 2002 : Blaizot F., Milcent P.-Y., De Goër de Hervé, A., Macabéo G., Moulherat Chr., Plantevin C., Oberlin Chr. et Surmely F. – L’ensemble funéraire Bronze final et La Tène ancienne de Champ-Lamet à Pont-du-Château (Puy-de-Dôme), Société Préhistorique Française, Travaux 3, 2002, 164 p., 34 fig., 47 pl.

Blaizot, Dousteyssier et Milcent 2017 : Blaizot F., Dousteyssier B. et Milcent P.-Y. – Les ensembles funéraires du Bronze final et de La Tène ancienne des Martres d’Artière (Puy-de-Dôme), Gallia, 64e supplément, CNRS éd., Paris 2017, 199 p.

Mennessier-Jouannet et Deberge 2017 : Mennessier-Jouannet C. et Deberge Y. – Chronologie du mobilier archéologique du second âge du Fer en Auvergne, 65e supplément de la R.A.C.F, 653 p. et 490 fig.