Les dolmens de la Planèze de Saint-Flour (15)

Les dolmens de la Planèze de Saint-Flour (bilan de l’opération et perspectives). Campagne de prospection thématique 2021

Florent Chateauneuf


La Planèze de Saint-Flour se situe dans la partie orientale du département du Cantal. Elle est circonscrite au nord par la vallée de l’Alagnon, au sud par celle de la Truyère, à l’est par le bassin de Saint-Flour et à l’ouest par les Monts du Cantal. Elle forme un vaste plateau basaltique peu vallonné, dont l’altitude moyenne s’établit autour de 1 000 m. La Planèze et ses reliefs limitrophes renferment l’une des plus fortes concentrations mégalithiques de l’Auvergne (Surmely et Liabeuf 1998).

L’intérêt pour les dolmens de la Planèze se développe à partir du XIXe s. Les chercheurs locaux produisent les premiers comptes rendus de fouille (Delort 1878), dressent les premiers inventaires (Lalande 1873 ; Delort 1885) et diffusent leurs résultats au travers des premiers congrès nationaux. C’est ainsi que le Dictionnaire archéologique de la Gaule (1875) fait état d’une quinzaine de dolmens dans le département, dont sept situés sur la Planèze ou dans ses environs. Quelques années plus tard, l’Inventaire des monuments mégalithiques de la France, dressé par Henri Martin (Martin 1880), en compte désormais une douzaine sur la Planèze. Néanmoins, les informations fournies sont bien souvent de courtes descriptions et manquent de précisions.

La première moitié du XXe s. est marquée par une longue pause dans la recherche. Il faut attendre la fin des années 1960 pour qu’un intérêt nouveau se fasse jour. Le Groupe d’Etude des Mégalithes d’Auvergne (GEMA) se constitue avec pour objectif de procéder à un nouvel inventaire des mégalithes de la région. Leurs travaux vont particulièrement concerner le secteur de la Planèze : ils dressent une liste de 10 dolmens conservés, tandis qu’au moins trois auraient été détruits. A cette occasion, plusieurs dolmens font l’objet d’interventions archéologiques : sondages ou tamisage des déblais. C’est ainsi que le dolmen de la Pierre Levée 2 est fouillé à Villedieu en septembre 1969 (Barbier 1972). La même année, suite à une fouille clandestine, le dolmen de Touls (Coltines) fait l’objet d’un tamisage principalement localisé dans la chambre : des vestiges chronologiquement variés témoignent d’une fréquentation du dolmen sur une longue durée (Masseix 1973). Toujours en 1969, des sondages et tamisages de déblais anciens sont menés sur le dolmen de la Tombe du Capitaine à Villedieu (Barbier 1974). Enfin, le dolmen de Mons est fouillé à partir de 1970 (Barbier 1970-1971).

Entre cette courte période d’activité et aujourd’hui, les opérations archéologiques sur les dolmens de la Planèze sont demeurées peu nombreuses. Il convient néanmoins de signaler les fouilles menées sur le dolmen de Védernat à Roffiac (Lagasquie 2003) et sur le dolmen de la Table du Loup à Sériers (Vergély 2006), qui ont abouti à la restauration des monuments. A l’occasion de la fouille de ce dernier, le tumulus fortement arasé a été entièrement décapé, révélant une architecture vraisemblablement mixte. Ainsi, le tumulus comprenait un apport de terre, des aménagements lithiques (muret de pierre sèche et blocs de calage) et des structures en creux (fosses et fossé d’implantation). Une nouvelle fois, un abondant mobilier céramique (près de 8000 tessons) permet de documenter une très longue fréquentation du site : depuis le Néolithique récent jusqu’au Moyen Âge. Enfin, dans un registre différent, il reste à signaler les travaux dirigés par Fr. Surmely dans les années 1990 et 2000, ayant pour point de mire les logiques d’implantation et d’approvisionnement en matériaux de construction (Surmely et al. 1996 ; Surmely, Vautier et Miras 2005).

Malgré cela, les dolmens de la Planèze de Saint-Flour demeurent encore sous documentés. Ce déficit d’information a été constaté à plusieurs reprises au fil des publications les plus récentes (Surmely et Liabeuf 1998 ; Surmely, Vautier et Miras 2005). Cette situation touche à la fois l’architecture mégalithique et les techniques de construction, l’évolution dans le temps des modes de fonctionnement ou les modifications successives apportées au monument. En outre, du fait de leur simplicité relative et de leurs faibles dimensions, les dolmens de la Planèze sont généralement rattachés à la sphère méditerranéenne par le groupe dit Caussenards et au Néolithique final (Chevalier 1984). Néanmoins, une attribution plus ancienne (Néolithique récent) a été proposée pour la construction du dolmen de la Table du Loup à Sériers (Vergély 2006). De plus, leur utilisation funéraire semble se poursuivre au cours l’âge du Bronze (dolmen de la Table du Loup : Vergely 2006) et du Premier âge du Fer (dolmens de Mons : Barbier 1970-1971 et de la Pierre Levée 2 : Barbier 1972). Leur fréquentation perdure tout au long des périodes historiques. Enfin, l’association fréquente en un même lieu de dolmens et de tumulus non mégalithiques plus récents interroge sur la pérennité du lieu funéraire et sur l’ancrage dans un territoire. Pour tout cela, la poursuite de l’étude des dolmens de la Planèze de Saint-Flour est donc rendue pertinente.

Carte de localisation des sites pré et protohistoriques de la commune de Joursac (Cantal). Document : F. Chateauneuf
Fig. 1 : Carte de localisation des sites pré et protohistoriques de la commune de Joursac (Cantal). Document : F. Chateauneuf

L’opération de prospection thématique menée sur la Planèze durant l’année 2021 se place dans la continuité des travaux précédents et s’est fixée pour objectif de renouveler les données concernant les dolmens. La réalisation d’un bilan documentaire et iconographique pour chacun des sites a été la première étape de l’opération. Cette phase d’étude préliminaire a pris la forme de journées de travail consacrées à la consultation des documents disponibles au Service régional de l’archéologie, à la Bibliothèque du patrimoine de Clermont-Ferrand, au Musée de la Haute Auvergne à Saint-Flour et au Musée d’art et d’archéologie d’Aurillac. Les données ainsi recueillies révèlent l’étendue chronologique de la fréquentation des dolmens, mais aussi la rareté du mobilier contemporain de leurs premières utilisations. Par exemple, la quasi-absence de matériel ostéologique effectivement conservé contredit sa relative abondance dans les comptes rendus de fouilles. L’inventaire des dolmens a pu être mis à jour et les données de localisation précisées in situ (Fig. 1).

Les architectures mégalithiques ont fait l’objet d’une description précise et une nouvelle documentation iconographique a été produite : couverture photographique (Fig. 2), vues en plan et en élévation (Fig. 3), coupes topographiques, relevés photogrammétriques. Un bilan sanitaire a été réalisé, permettant de noter l’évolution des sites sur le long terme et de relever les diverses menaces pesant encore sur la conservation des vestiges architecturaux ou sédimentaires. Dans ce cadre, une estimation du potentiel archéologique de chacun des sites a été produite, basée sur les comptes rendus d’explorations anciennes et sur nos observations in situ.

Enfin, des prospections ont été menées pour tenter d’identifier l’emplacement des dolmens détruits ou perdus et signalés dans les publications anciennes, sans succès. De vastes secteurs restent cependant encore à explorer.

La campagne de 2022 sera consacrée à un approfondissement de la collecte des données concernant les dolmens de la Planèze. Elle permettra de mettre en perspective les acquis et lacunes en matière de chronologie des occupations, de connaissance des pratiques architecturales et des rituels funéraires, de compréhension des logiques d’insertion des monuments dans le paysage. Cet objectif sera réalisé par un retour aux collections conservées dans les différents lieux de dépôts et données de terrain. Enfin, la rédaction d’une synthèse fera ressortir les principales problématiques à développer pour une meilleure compréhension des dolmens de la Planèze, dans le contexte du mégalithisme régional.

Vues du dolmen de Recoules (Joursac). A – Vue générale du dolmen et de son environnement depuis le sud-ouest. B – Vue depuis le sud. C – Vue depuis le nord-ouest. D – Vue depuis le nord-est. E — Vue depuis le sud-ouest. F – Vue du tertre (les blocs de la couronne sont surlignés en rouge). Clichés : F. Chateauneuf
Fig. 2 : Vues du dolmen de Recoules (Joursac). A – Vue générale du dolmen et de son environnement depuis le sud-ouest. B – Vue depuis le sud. C – Vue depuis le nord-ouest. D – Vue depuis le nord-est. E — Vue depuis le sud-ouest. F – Vue du tertre (les blocs de la couronne sont surlignés en rouge). Clichés : F. Chateauneuf
Vues en plan et en élévations du dolmen de Recoules (Joursac). Document : F. Chateauneuf
Fig. 3 : Vues en plan et en élévations du dolmen de Recoules (Joursac). Document : F. Chateauneuf

Bibliographie

Barbier 1970-1971 : Barbier L. – Fouille du dolmen de Mons, rapports préliminaires, Clermont-Ferrand, Service régional de l’Archéologie, 16 p.

Barbier 1972 : Barbier L. – Le dolmen et le tumulus de Pierre-Levée 2 à Villedieu (Cantal), Revue archéologique du Centre de la France, t. 11, fasc. 1-2, p. 94‑111.

Barbier 1974 : Barbier L. – Dolmen dit “La tombe du Capitaine” à Villedieu (Cantal), Revue archéologique du Centre de la France, t. 13, fasc. 3-4, p. 279‑285.

Chevalier 1984 : Chevalier Y. – L’architecture des dolmens entre Languedoc et Centre-Ouest de la France, Bonn, Habelt, 287 p., 152 pl. (Saarbrücker Beiträge zur Altertumskunde ; 44).

Commission de la Topographie des Gaules 1875 : Commission de la Topographie des Gaules – Dictionnaire archéologique de la Gaule. Époque celtique, Imprimerie nationale, Paris, 476 p. (tome 1er : A-G).

Delort 1878 : Delort J.-B. – Notes pour servir à l’étude de la haute antiquité en Auvergne : dolmen et sépultures hallstattienne de Mons, Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, 2e série, t. IX, p. 57‑66.

Delort 1885 : Delort J.-B. – Inventaire des monuments mégalithiques et autres observés dans le Cantal, in : Compte-rendu de la 13e session de l’Association française pour l’avancement des sciences, Blois, 1884, Paris, Secrétariat de l’association, p. 405‑407 (Seconde partie, Notes et mémoires).

Lagasquie 2003 : Lagasquie J.-P. – Le dolmen de la Crousette ou de Védernat, commune de Roffiac (Cantal), Rapport de fouille 2003, Clermont-Ferrand, Service régional de l’Archéologie, 21 p.

Lalande 1873 : Lalande P. – Note sur les dolmens du Cantal, Matériaux pour l’histoire primitive et naturelle de l’homme, t. 8, 2e série, p. 82‑85.

Martin 1880 : Martin H. – Inventaire des monuments mégalithiques de la France, Bulletin de la Société d’anthropologie de Paris, t. 3, p. 64‑131.

Masseix 1973 : Masseix H. – Le dolmen de Touls à Coltines (Cantal), Revue archéologique du Centre de la France, t. 12, fasc. 1-2, p. 63‑67.

Surmely et al. 1996 : Surmely F., De Goër de Hervé, A., Murat R. et Liabeuf R. – Apport de l’étude de la localisation des monuments mégalithiques à la compréhension du phénomène mégalithique : exemples des environs de Saint-Flour (Cantal) et de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme), Bulletin de la Société préhistorique française, t. 93, n°3, p. 434‑441.

Surmely et Liabeuf 1998 : Surmely F. et Liabeuf R. – Les sépultures mégalithiques en Auvergne. Bilan des connaissances, in Ph. Soulier et C. Masset (Dir.) : La France des dolmens et des sépultures collectives (4500 – 2000 av. J.-C.), Paris, Éditions Errance, p. 38-44.

Surmely, Vautier et Miras 2005 : Surmely F., Vautier F. et Miras Y. – Utilisation d’un système d’information géographique pour l’étude de la localisation des dolmens et des menhirs. Application aux monuments de la Planèze de Saint-Flour, Revue des Sciences Naturelles d’Auvergne, t. 69, p. 42‑60.

Vergely 2006 : Vergely H. – Le dolmen de la Table du Loup (Sériers, Cantal), Rapport de fouilles programmées 2006, Clermont-Ferrand, Service régional de l’Archéologie, 57 p.