Vercingétorix, le plus célèbre des Arvernes : article publié dans « L’Archéologue Archéologie Nouvelle n° 95 avril – mai 2008 » qui nous a aimablement autorisé à le reproduire
Auteur de la notice : Françoise Melmoth
- I – Que savons-nous de Vercingétorix ?
- II – Quelles relations Vercingétorix entretint-il avec César avant l’année 52 av. J.-C. ?
I – Que savons-nous de Vercingétorix ?
Vercingétorix, c’est d’abord un nom propre, mentionné chez huit auteurs anciens : César, Tite-Live, Strabon, Plutarque, Florus, Polyen, Dion Cassius et Orose. A part Plutarque (qui l’estropie) et certains manuscrits de Strabon (qui offrent une variante en – rigos), toutes les sources, monnaies comprises, donnent Uercingetorix, « Roi suprême des guerriers », composé du préfixe uer(o), ‘sur-, super-’, de cinget(o)-, ‘guerrier, héros’ et de rix (= riks), ‘roi’, élément le plus fréquent des noms de personnes composés gaulois.
Tous les textes évoquent l’ascendance aristocratique de Vercingétorix, issu d’une très grande famille arverne. Son père, Celtill, avait, selon César, exercé un « principat » sur la Gaule et avait été tué par ses compatriotes parce qu’il aspirait à la royauté. Strabon indique que Vercingétorix « provenait » de Gergovie (sa ville natale, la ville dont il était citoyen ?). On ignore sa date de naissance, mais César écrit en 52 av. J.-C. que Vercingétorix est adulescens. Beaucoup ont compris « adolescent » (le mythe en a souvent fait un jeune homme de 17-18 ans), alors que pour les Romains, l’adulescentia est l’âge antérieur à l’exercice des magistratures, lequel est fixé à trente ans. Vingt-sept pièces de monnaie à la légende Vercingétorix nous sont parvenues. Vingt-cinq sont des statères d’or, deux sont en bronze.
On distingue deux « types », d’après la tête qui orne le droit : l’une (série majoritaire) est représentée nue, la seconde porte un casque. Tous les visages sont différents. Si l’on avait voulu représenter un personnage connu, identifiable, correspondant au nom que porte la légende (Vercingetorixs ou Vercingetorixis), un modèle uniforme aurait été imposé. Il ne s’agit donc pas du « portrait » de Vercingétorix, mais probablement du dieu Apollon, issu de l’imitation des statères macédoniens. Le casque est ajouté à la tête d’Apollon, non à celle du chef arverne.
A quoi ressemblait physiquement Vercingétorix ? La représentation « traditionnelle » du héros moustachu, aux cheveux longs flottant sur les épaules, est née sous Napoléon III.
Elle s’appuie sur des textes tels que ceux de Diodore, Strabon et César, qui continuent à véhiculer une image stéréotypée des Gaulois remontant à l’époque des migrations celtiques en Italie. Nous disposons aujourd’hui de sources, totalement inconnues au XIXème siècle, qui montrent une évolution de l’iconographie sur près de cinq siècles. Vers 475-450 av. J.-C., un prince ou un roi celte porte barbe et moustache (statue de Glauberg, près de Stuttgart). Il les conservera pendant environ deux siècles. Puis, il ne portera plus que la moustache (le Gaulois mourant de Pergame, un Galate ou Celte d’Asie Mineure de la seconde moitié du IIIème siècle av. J.-C.).
A partir de la fin du IIème siècle av. J.-C., les deniers gaulois (monnayage d’argent frappé en Gaule) présentent pour la première fois une iconographie réaliste, des personnages soit en pied soit en buste, parfois accompagnés de leur nom (ou du nom du magistrat monétaire, à supposer que ce ne soit pas le même).
Sur un denier d’argent éduen, par exemple, on observe qu’il n’y a plus de moustache. En outre, la chevelure est particulièrement soignée. A cela s’ajoute le texte de César, lors de sa première expédition en Bretagne (l’Angleterre) : il écrit que les habitants de l’île « portent les cheveux pendants et se rasent complètement, sauf la tête et la lèvre supérieure ». Autrement dit, ils ne se coiffent pas les cheveux et ils portent la moustache, ce que ne font plus les Gaulois. Vercingétorix était donc probablement glabre et devait porter une chevelure élaborée, avec des boucles et des mèches savamment coiffées. La panoplie militaire de Vercingétorix, telle que la montrent les tableaux et gravures du XIXème siècle, mêle des pièces qui s’échelonnent chronologiquement de l’âge du Bronze au Moyen Age.
On sait aujourd’hui que Romains et Gaulois devaient être armés à peu près de la même manière. Comme tous les aristocrates de son temps, Vercingétorix combattait à cheval (la taille moyenne des chevaux au garrot dépassait rarement 130 à 135 cm), avec une selle (sans étriers) et des éperons. Le harnais des chevaux était très perfectionné et orné. Vercingétorix portait un casque en fer, couvrant la tête, les joues (protège-joues) et la nuque. Notons que ce sont les artisans celtiques qui ont lancé, au Vème siècle av. J.-C., la fabrication de ces casques en fer, qui furent adoptés par nombre de peuples. Il n’était pas torse nu (il s’agit d’un mythe ancien) mais portait la cotte de mailles, elle aussi inventée par les artisans celtiques vers la fin du IVe siècle av. J.-C.
Son bouclier était ovale et plat (environ 1,10 m de haut et 50 à 60 cm de large), avec un umbo, protubérance souvent coiffée d’une coque métallique, prolongée par une arête verticale (spina). La lance et l’épée constituaient l’équipement offensif de base de toutes les armées de l’Antiquité. Contrairement aux Romains, équipés d’un glaive (gladius) de forme acérée, les Celtes avaient inventé une longue épée à tranchants parallèles, qui se logeait dans un fourreau en métal.
II – Quelles relations entretint-il avec César avant l’année 52 av. J.-C. ?
Ici, deux témoignages se rejoignent, celui de Dion Cassius et celui d’Orose, qui s’inspiraient d’autres sources que la Guerre des Gaules de César. Pour eux, Vercingétorix est un traître. Christian Goudineau analyse le refus du pardon de César, tel qu’il est soigneusement expliqué chez Dion Cassius, de la façon suivante : « Vercingétorix avait été non pas dans l’amitié de César, mais en amitié avec César : ils avaient accompli tous les gestes, prononcé les serments, s’étaient mutuellement engagés.
Or, Vercingétorix a fait une « antitaxis », un mot qui relève du langage militaire : on oppose une armée rangée en ordre de bataille. La traduction « rébellion » ne rend pas toute la force de l’expression. De même, le mot « trahison » rend imparfaitement « adikia » : c’est la rupture de la parole donnée, le déni de ce qui est juste et consacré, le plus grave des crimes. » Christian Goudineau écrit par ailleurs : « Orose place dans la bouche de Vercingétorix des paroles épouvantables : il a pris en personne la responsabilité de rompre le traité (celui qui unissait Rome aux Arvernes) et il se reconnaît responsable d’un immense forfait, d’un crime considérable : auctorem magnis sceleris. » Pourquoi Vercingétorix a-t-il causé tant de difficultés à César en 52 ? Parce qu’il a appliqué les principes qu’il avait appris auprès de lui. Donc, selon Christian Goudineau, « Vercingétorix fut aux côtés de César pendant une bonne partie de la guerre des Gaules, peut-être dès le début. A quel titre ? Sans doute en tant que chef du contingent arverne, un corps de cavaliers, que le proconsul avait dû réquisitionner aux termes du traité de 122 ou 121.
On peut même supposer qu’il fit partie des conturbernales, les « compagnons de tente », issus de la noblesse romaine ou gauloise, qui entourent César, discutent avec lui, l’écoutent avec respect. La question évidente : pourquoi César n’en a-t-il pas dit un mot ? Parce que, s’il l’avait fait, il aurait fallu expliquer au Sénat de Rome que ses collaborateurs gaulois les plus proches le trahissaient, l’abandonnaient. »Le nom de Vercingétorix ne reparaît (chez Plutarque et Dion Cassius) qu’à l’occasion du triomphe que l’ancien proconsul, devenu dictateur de Rome, célébra sur la Gaule six ans plus tard, en septembre 46. Le chef arverne y figura. Après quoi, il est exécuté.
Pour en savoir plus : Christian Goudineau, Le dossier Vercingétorix, Actes Sud / Errance, 2001, 346 p., 18 x 24 cm, br., illustré