Oppidum de Gergovie. Toponymie et historiographie. Article publié dans « L’Archéologue Archéologie Nouvelle n° 95 avril – mai 2008 » aimablement autorisé à le reproduire
Auteurs : M. Rousset, A. Rousset , Y. Deberge
Régulièrement, la presse aime relancer le débat sur la localisation des sites d’Alésia de Gergovie ou de Bibracte : « science officielle » contre « gens du terrain » soucieux de donner tort à leur inventeur, Napoléon III.
Extrait du catalogue de l’exposition de Bibracte « sur les traces de César »
La polémique tient du combat d’arrière-garde : au XIXe siècle, tout érudit local se devait de prouver que « son » site collait le mieux au récit de la Guerre des Gaules. Du désir à la réalité, il y a un fossé. Ou plutôt… des fossés, relevés par les archéologues.
Aux savantes interprétations, ces derniers opposent mille faits objectifs : plans, armes, pièces d’équipement et projectiles d’artillerie datés de l’époque césarienne, inscriptions…
Inexplicables hors du contexte de la Guerre des Gaules, ces objets sont évidemment absents des autres sites. Ils sont pourtant de ceux qui font toute la différence entre le « possible » et le « plausible ».
Il est couramment admis dans l’opinion publique et les médias, mais également parmi certains historiens et archéologues, que Merdogne est le toponyme initial du plateau de Gergovie, le changement ayant été opéré par Napoléon III. L’étude critique des archives conduit à conclure que:
- l’expression « Plateau de Merdogne » a été inventée par Maurice Busset en 1933 et publiée alors dans la revue L’Illustration ;
- avant cette date, cette appellation ne figure sur aucun document : aussi loin que la documentation nous a permis de remonter dans le temps, le plateau ne se voit jamais attribué un autre toponyme que celui de Gergovie, ou bien Gergovia, Gergoye, Girgouia.
La redécouverte des camps romains au pied du plateau en 1995-96 (fouilles V. Guichard, Y. Deberge) a mis un terme aux doutes sur la localisation du site de la bataille de 52 av. J.-C., du moins pour la communauté des archéologues, mais paradoxalement cela n’a pas eu pour conséquence logique de conclure sur la toponymie.
Gergovia est le nom de la forteresse gauloise que les légions romaines ont assiégée en 52 av. J.-C. selon Jules César : … César parvint à Gergovie en cinq jours [après avoir traversé l’Allier] ; ayant livré le jour de son arrivée un petit combat de cavalerie et ayant reconnu la place, qui était sur une montagne fort haute et d’accès partout difficile, il désespéra de l’enlever de force […]. De son côté, Vercingétorix avait campé près de la ville, sur la hauteur, et il avait disposé autour de lui les forces de chaque cité … (livre VII, chapitre XXXVI).
Hormis le sanctuaire fréquenté jusqu‘au IIIème siècle, le site est abandonné par ses habitants au début de notre ère au profit d’Augustonometum (actuel Clermont-Ferrand). Il devient alors un vaste espace de pacages que se partagent au Moyen Age le seigneur et les habitants de Merdogne, village situé sur le flanc sud du plateau, et les moines de Saint-André installés au domaine de Gergovia, sur la pente est du plateau.
Le toponyme Girgia est attesté sur un parchemin du Xème siècle, à l’emplacement du domaine de Gergovia (archives départementales du Puy-de-Dôme 3G armoire 18 sac A4).
Au Moyen Age, les procès constituent la source principale ’informations, l’utilisation des pacages étant à l’origine de nombreux conflits entre trois parties : le seigneur de Merdogne, les habitants du village et les moines de Saint-André. Ainsi, une transaction de 1539 traitant d’un différend entre le seigneur et les habitants de Merdogne qui « avaient introduit leurs bestiaux sur la montagne de Gergovia sans sa permission » (archives départementales du Puy-de-Dôme série L côte 928). La distinction toponymique entre le village et la montagne est ici sans ambiguïté. De plus, aucun texte connu ne relie explicitement le plateau au toponyme Merdogne. Les expressions parfois rencontrées telles que « les hauts de Merdogne » ou encore « les coteaux de Merdogne » désignent les terroirs jouxtant le haut du village.
Intellectuel et humaniste de la Renaissance originaire de Florence (Italie), Gabriel Siméoni est connu dans notre région par son ouvrage sur la Limagne publié en 1560, lequel comporte une carte situant Gergovie au sud de Clermont-Ferrand : « La montagne de Gergovia est de toutes parts comme le dit César et comme je l’ai plusieurs fois expérimenté à pied et à cheval… ». Il est probable que la présence du toponyme de Gergovia sur le flanc sud-est du plateau l’ait tout naturellement attiré vers ce secteur.
Au début du XIXème siècle, Napoléon Ier fait relever le parcellaire des propriétés de toutes les communes de France : c’est le premier plan dit cadastral. Sur celui de La Roche Blanche, réalisé en 1816, l’expression « montagne de Gergovia » désigne strictement la partie sommitale du plateau.
En 1862, à l’occasion d’un voyage à Clermont-Ferrand, Napoléon III se rend sur le plateau pour visiter les fouilles qu’il faisait réaliser.
En descendant vers La Roche Blanche, l’abbé Olivier, curé de Merdogne, l’interpelle et lui demande de changer le nom du village de Merdogne en Gergovia. M. Villot, propriétaire du domaine de Gergovia situé un peu plus bas, s’oppose à ce changement en invoquant les risques de confusion avec sa propriété. Après deux ans de discussions, on opte pour Gergovie au lieu de Gergovia.
Le changement est pris en compte par les registres d’état civil de la Commune de La Roche Blanche :
- 29 novembre 1864, naissance à Merdogne de Anne Palazi…
- 21 janvier 1865, naissance à Gergovie de Marie Finaire.
Ce n’est qu’au début des années 1930 que la confusion s’installe entre les deux toponymes avec la polémique que provoque Maurice Busset, professeur de dessin à Clermont-Ferrand, en annonçant avoir trouvé le vrai site de la bataille de Gergovie aux Côtes de Clermont. Dans l’article publié à l’époque dans la revue L’Illustration (n°4695, février 1933), il affuble du nom de Merdogne le site (dit officiel) de Gergovie, expliquant que ce dernier a usurpé son nom sur décision de Napoléon III.
Une vive polémique s’engage alors avec Pierre-François Fournier, Directeur des Archives départementales. L’Auvergne littéraire (n° 71, 1933), qui s’en fait l’écho, répond par un article fort documenté qui conclu en ces termes : « L’Auvergne littéraire est prête à publier impartialement la reproduction de toute carte ou document authentique révélant que le plateau de Gergovie a porté un autre nom. »
Bien que le défi n’ait jamais été relevé, à partir des années 1950, un autre professeur de dessin, Paul Eychart, médiatisera la thèse de Maurice Busset jusqu’à une période récente. La recherche locale sur le sujet en sera polluée à tel point que le toponyme de Merdogne, qui n’est jamais attesté sur aucun document ancien pour désigner le plateau lui-même, sera repris dans la Carte Archéologique de la Gaule du Puy-de-Dôme publiée en 1994.
Pour en savoir plus
Sur le site de l’ARAFA :
- Toponymie et historiographie
- 1995-1996 – Les fouilles des camps de César
- 2001 – Fouille du rempart
- 2002 – Fouille du rempart
- 2003 – Fouille du rempart
- 2004 – Fouille du rempart
- 2004 – L’histoire d’une portion du rempart
- 2005 – Fouille du rempart
- 2006 – Fouille du rempart
- 2006 – Fouille du sanctuaire
- 2007 – Fouille du rempart
Liens externes :
- Gergovie à tout prix… Émission de France culture, daté du 17 avril 2021. Avec Vincent Guichard (Protohistorien, directeur général du centre archéologique Européen du Mont Beuvray) et Yann Deberge (Protohistorien, archéologue à l’Inrap)